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Chapitre n°54 :
Leçons et tests de Force
- Ceux qui ont recours au Côté Obscur sont également tenus de le servir. Le comprendre signifie comprendre la philosophie sous-jacente des Sith.
Bane était assis, immobile, les yeux rivés sur l'avatar d'un Seigneur Noir décédé depuis trois mille ans. L'image holographique de Revan disparut un bref instant, puis réapparut en vacillant. L'Holocron était en train de faiblir... et de mourir. Le matériau employé pour sa fabrication – le cristal qui concentrait l'énergie de la Force et permettait de faire fonctionner l'artefact – comportait un défaut. Plus Bane l'utilisait, plus il chancelait. Il ne parvenait cependant pas à le laisser de côté, ne serait-ce que quelques heures. Il était obsédé par les connaissances que recelait la relique, et il avait passé d'innombrables heures à boire les paroles de Revan avec la même détermination que celle dont il faisait preuve lorsqu'il creusait les mines de cortosis sur Apatros.
- Le Côté Obscur offre la puissance, la puissance absolue. Tu dois la désirer. La convoiter. Tu dois la rechercher plus que toute autre chose, sans aucune réserve ou hésitation.
Ces paroles semblaient particulièrement percutantes pour Bane, comme si l'avatar de son Maître virtuel avait senti qu'il approchait de sa fin et qu'il avait conçu ses dernières leçons tout spécialement pour lui.
- La Force va te changer, te transformer. Certains craignent ce changement. Les enseignements des Jedi se focalisent sur le moyen de lutter et de contrôler cette transformation. C'est pourquoi ceux qui servent le Côté Lumineux sont limités dans leurs actions. Seuls les individus qui embrassent complètement cette transformation peuvent bénéficier de vrai pouvoir. Il ne peut y avoir de compromis. La pitié, la compassion, la loyauté : ces sentiments t'empêcheront de revendiquer et de t'emparer de ce qui te revient de droit. Ceux qui suivent le Côté Obscur doivent rejeter ces vanités. Ceux qui ne le font pas, et qui tentent de suivre la voie de la modération, échouent, inévitablement entraînés par leur propre faiblesse.
Ces paroles retraçaient presque l'attitude de Bane lors de son séjour à l'Académie. Il n'en éprouvait toutefois aucun regret ni honte. Ce Bane-là n'existait plus. Comme il avait tiré un trait sur sa vie de mineur en choisissant son nom Sith, il avait banni l'apprenti indécis et hésitant lorsqu'il avait décidé d'ajouter à son nom le titre de Darth. En repoussant Qordis et la Confrérie, il avait amorcé la transformation dont Revan avait parlé et, avec l'aide de l'Holocron, il était sur le point de l'achever.
- Ceux qui acceptent d'embrasser le pouvoir du Côté Obscur doivent également accepter de le conserver, poursuivit Revan. Par sa nature même, le Côté Obscur engendre la rivalité et les conflits. C'est la plus grande force des Sith : elle permet de supprimer les faibles pour ne garder que les forts. Mais cette rivalité peut également s'avérer être notre plus grosse faiblesse. Les forts doivent se montrer prudents, pour éviter d'être submergés par les ambitions de leurs subalternes travaillant de concert. Un Maître qui instruirait plusieurs apprentis dans les voies du Côté Obscur serait donc un imbécile. Avec le temps, ces apprentis uniraient leurs forces et renverseraient le Maître. C'est inévitable, et évident. C'est pourquoi chaque Maître ne peut avoir qu'un élève.
Bane resta silencieux, mais ses lèvres s'ourlèrent de dégoût en se remémorant ses cours à l'Académie. Qordis et les autres faisaient passer les apprentis de classe en classe, comme s'il s'agissait de vulgaires enfants dans une école, et non d'héritiers du legs des Sith. Pas étonnant qu'il ait été contraint de lutter aussi durement pour atteindre son potentiel, dans un système aussi lacunaire.
- C'est également pourquoi il ne peut y avoir qu'un seul et unique Seigneur Noir. Les Sith doivent être dirigés par un seul chef, incarnant la force et le pouvoir du Côté Obscur. S'il se montre faible, il faut faire appel à un nouveau chef pour s'emparer du pouvoir. Les forts dirigent et les faibles obéissent. C'est de cette manière que les choses fonctionnent.
L'image holographique grésilla et vacilla, puis la petite réplique de Darth Revan inclina la tête, sa capuche dissimulant encore davantage son visage.
- J'ai terminé. Réfléchis à tout ce que je t'ai enseigné, et utilise-le avec intelligence.
Puis, Revan disparut pour de bon. La lueur émanant de l'Holocon s'évanouit. Bane saisit la petite pyramide de cristal posée sur le sol, mais elle était froide et sans vie. Toute trace de la Force l'avait quittée.
Elle ne lui était plus d'aucune utilité. Comme Revan le lui avait expliqué, elle devait être abandonnée. Bane la laissa tomber sur le sol. Très lentement et délibérément, il l'écrasa et la broya à l'aide de la Force, jusqu'à la transformer en un simple petit tas de poussière.
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~oOo~
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Le Buzzard Sith pénétra dans l'atmosphère de Lehon et piqua dans le ciel bleu. Kas'im effectua quelques légères modifications aux commandes de l'appareil, afin de maintenir sa trajectoire en ligne directe vers le signal émis par le Valcyn.
Il s'était à moitié attendu à ce que Bane ait débranché sa balise, ou du moins, à ce qu'il en ait modifié la fréquence. Naturellement, Bane connaissait l'existence de cette balise – pratiquement tous les vaisseaux en étaient dotés –, mais il n'y avait pas touché. Comme s'il ne redoutait aucunement que quelqu'un vienne le rejoindre. Comme s'il l'attendait presque.
En l'espace de quelques minutes, Kas'im aperçut sa cible.
Le vaisseau, qui avait appartenu si brièvement à Qordis avant que Bane ne s'en empare, se trouvait sur une plage de sable blanc, entourée par les eaux d'azur du vaste océan du Monde Inconnu et par une jungle impénétrable. Les détecteurs du Buzzard ne trouvèrent aucun signe de vie à proximité, mais Kas'im se montra cependant prudent en posant son vaisseau à côté du Valcyn.
Il coupa les moteurs, et s'extirpa de l'appareil. Il sentit l'énergie du monde et la présence caractéristique de Darth Bane, qui semblait émaner du cœur noir de la jungle. Le Twi'lek bondit sur le sable, dans lequel ses pieds s'enfoncèrent quelque peu. Un examen rapide du Valcyn confirma ses soupçons : sa proie ne s'y trouvait pas.
Les empreintes que Bane aurait pu laisser dans le sable avaient été effacées par les marées, ou soufflées par la brise. Kas'im savait pourtant où se diriger. Face à lui, s'étendait une jungle luxuriante et vivante, épaisse et menaçante, un mur végétal pratiquement impénétrable, à l'exception d'une large bande de broussailles écrasées.
Une chose imposante, à la force incroyable, avait créé ce passage au milieu des arbres et des taillis. La jungle tentait toutefois déjà de se le réapproprier. De la mousse avait repoussé sur le sol, et un grand treillis de lianes avait recouvert sa surface. Le chemin était encore suffisamment visible pour que le Twi'lek puisse l'emprunter.
Kas'im discerna des créatures qui l'observaient dans la jungle. Même sans la Force, il aurait senti leurs regards peser sur lui, l'évaluer et suivre ses moindres mouvements, afin de déterminer si ce nouveau venu était un prédateur ou une proie dans leur écosystème. Pour les aider dans leur évaluation, il dégaina son grand sabre-laser à double-lame, et activa ses lames jumelles, puis se mit à courir lentement sur le chemin.
Grâce à sa maîtrise de la Force, il sonda la végétation proche. La plupart des créatures qu'il détecta ne représentaient aucun danger. Il continua néanmoins à se montrer prudent. La chose qui avait imprimé le chemin dans la végétation était colossale.
Après avoir parcouru une dizaine de kilomètres, une course d'environ une heure, le Maître bretteur finit par rencontrer son premier rancor. Le chemin bifurqua brusquement vers l'est, et la grosse créature surgit subitement de l'épaisse végétation en grognant et en hurlant.
L'embuscade du rancor ne surprit pas Kas'im. Il avait repéré sa présence plusieurs centaines de mètres en amont, et la créature avait elle aussi vraisemblablement décelé la trace du Twi'lek grâce à son odorat, avant de le poursuivre sur une longue distance. La créature chargea, et Kas'im répliqua avec une efficacité tranquille, guerrière.
Il évita le coup de griffe du rancor, et lui infligea une profonde entaille à la patte avant gauche. Le monstre se cabra en hurlant de douleur, et Kas'im en profita pour le frapper au ventre. Il ne s'écroula cependant pas, les deux blessures infligées par le sabre-laser ne représentaient que des estafilades mineures pour une créature de cette taille. La douleur le fit entrer dans une rage folle. Il avança en tranchant, lacérant et déchiquetant l'air de ses griffes et de ses crocs.
Kas'im se contorsionna et enchaîna plusieurs mouvements pour éviter ses attaques. Il bondit en l'air, plongea à terre et roula sur le côté. Il se déplaçait si rapidement que le rancor parvenait à peine à le suivre des yeux, ce dernier continuant de lacérer l'air devant lui dans sa rage meurtrière. À chacune de ses esquives, le Twi'lek frappait la montagne de muscles et de chairs comme un maître sculpteur façonnant un bloc de lommite.
Le rancor se débattit, chancelant et titubant, comme s'il dansait sous l'effet de l'alcool. Par contraste, Kas'im était rapide et précis. Au fur et à mesure que le combat se poursuivait, son adversaire perdit de plus en plus ses forces. Puis, il finit par pousser une plainte déchirante et par s'écrouler au sol, immobile.
Kas'im abandonna la créature et repartit en quête de son objectif. L'affrontement contre le rancor, à l'issue simple et rapide, avait été son premier vrai combat depuis qu'il avait accepté d'aider Qordis à entraîner les apprentis de l'Académie. Il fut satisfait de constater que ses talents n'avaient pas diminué.
Et il avait le sentiment qu'il allait de nouveau en avoir besoin avant la fin de la journée.
