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Chapitre n°57 :
L'art de la tromperie
De loin, Ambria paraissait splendide. Planète orange entourée de saisissants anneaux violets, elle était incontestablement le monde habitable le plus vaste de tout le système Stenness, mais les visiteurs qui s'y poseraient auraient cependant tôt fait de réaliser que sa beauté s'évanouissait une fois son atmosphère pénétrée.
De nombreux siècles auparavant, l'échec des rituels d'une puissante ensorceleuse Sith avait déchaîné, par mégarde, une onde cataclysmique d'énergie du Côté Obscur sur toute la surface du monde. L'ensorceleuse avait été tuée, à l'image de toutes les autres formes de vie existant sur Ambria. Il ne subsistait plus que quelques plaines rocheuses arides et, encore aujourd'hui, peu de sols avaient recouvré leur fertilité. Il n'existait aucune véritable ville sur Ambria, mais une petite poignée de colons robustes et hardis s'y étaient installés, cependant, ils étaient si éloignés les uns des autres qu'ils auraient aussi bien pu y vivre seuls.
Les Jedi avaient autrefois tenté de débarrasser Ambria de sa vile souillure, mais le pouvoir du Côté Obscur avait contaminé le monde de façon permanente. Incapables de l'assainir, ils s'étaient contentés de confiner le Côté Obscur en un seul et même lieu : le Lac Natth. Les colons suffisamment intrépides pour supporter le caractère désolé de cette planète évitaient le lac et ses eaux empoisonnées. Bane avait évidemment installé son campement sur ses berges.
Ambria était située en bordure de la Région d'Expansion, à un saut d'hyperespace de la planète Ruusan. Les vestiges de plusieurs batailles mineures ayant opposé les troupes de la République à celles des Sith étaient encore visibles partout. Des armes et des pièces d'armures étaient éparpillées à sa surface, des véhicules calcinés et des swoops détériorés se distinguaient nettement sur les plaines désertes et hostiles. Excepté les quelques colons qui récupéraient des pièces d'équipement, personne ne s'était soucié de ramasser ces débris.
La planète et ses anneaux ne représentaient qu'un monde insignifiant : trop peu de ressources et d'habitants pour que les flottes de la République, qui contrôlaient désormais le secteur, s'y intéressent. Bane avait entendu dire qu'un guérisseur, prénommé Caleb, était venu sur Ambria lorsque les combats avaient pris fin. Ce Caleb était un imbécile idéaliste déterminé à panser les blessures de la guerre, et il n'était même pas digne du mépris de Bane. Cet homme avait peut-être même abandonné ce monde en réalisant le peu de choses qu'il y avait à sauver ou à guérir. La planète était pratiquement oubliée de tous.
C'était l'endroit idéal pour retrouver l'émissaire de Kaan. Une flotte Sith serait rapidement repérée par les vaisseaux de la République qui patrouillaient dans la région, mais un petit vaisseau et un pilote talentueux parviendraient à entrer furtivement et sans aucun problème dans l'atmosphère. Bane n'avait pas la moindre intention de choisir un lieu de rendez-vous où Kaan aurait pu envoyer une armada pour l'éliminer.
Il attendait patiemment l'arrivée de l'émissaire de Kaan dans son campement. Il levait parfois les yeux vers le ciel, ou balayait du regard l'horizon, mais ne craignait pas que quelqu'un puisse s'approcher de lui sans qu'il ne s'en aperçoive. Il verrait de loin un vaisseau se poser sur Ambria, et s'ils venaient à sa rencontre en utilisant un véhicule terrestre – comme le crawler qui se trouvait à proximité de son campement –, il entendrait le ronflement de ses moteurs ou discernerait les vibrations caractéristiques de ses grosses chenilles sur le sol inégal.
Pour le moment, il entendait uniquement le doux clapotis des eaux sombres du Lac Natth, à cinq mètres à peine de l'endroit où il était assis. Pendant ce temps, son esprit n'avait de cesse de retourner la seule question à laquelle il n'avait pas encore trouvé de réponse.
Il ne doit en exister que deux, pas un de plus, pas un de moins. Le premier pour incarner le pouvoir, le second pour le convoiter. Dès qu'il aurait débarrassé la galaxie de la Confrérie des Ténèbres, où trouverait-il un apprenti méritant ?
Le bruit du moteur d'un Buzzard le sortit de ses pensées. Il se leva au moment où le vaisseau amorçait sa descente et se mettait à tourner autour de son campement. Lorsque la rampe d'accès toucha le sol et que Bane vit apparaître son pilote, il ne put s'empêcher de sourire.
- Githany, s'exclama-t-il en se redressant pour l'accueillir. J'espérais que le Seigneur Kaan te choisirait comme émissaire.
- Ce n'est pas lui qui l'a décidé, répondit-elle. C'est moi qui ai demandé à venir.
Le cœur de Bane se mit à battre plus rapidement. Il était heureux de la voir, sa présence réveillant un désir dont il avait presque oublié l'existence. Il était également troublé, car si quelqu'un parviendrait à déceler sa fourberie, c'était bien elle.
- Tu as vu mon message ? demanda-t-il en l'examinant avec soin afin de jauger sa réaction.
- Je croyais que tu en avais fini avec tout cela, Bane. L'apitoiement et les regrets sont pour les faibles.
Soulagé, il inclina la tête pour poursuivre sa charade.
- Et tu as raison, marmonna-t-il.
Elle se rapprocha de lui.
- Tu ne peux pas me duper, Bane, murmura-t-elle, et les muscles de Bane se contractèrent en attendant la suite de son discours. Je pense que tu te trouves ici pour une toute autre raison.
Il ne recula pas lorsqu'elle se pencha lentement vers lui, mais se tint prêt à réagir au moindre signe de danger. Puis, il baissa définitivement sa garde lorsqu'elle effleura doucement ses lèvres contre les siennes.
Il leva instinctivement les bras et la saisit aux épaules afin de la serrer contre lui, et de presser ses lèvres et son corps contre le sien, désireux de la posséder complètement. Elle enroula ses bras autour de ses larges épaules et de son cou avec tout autant d'obstination.
La chaleur de Githany les enveloppa tous les deux. Leur baiser parut durer une éternité, son parfum embrasa leurs deux corps entremêlés jusqu'à ce que Bane s'y noie totalement. Lorsqu'elle se détacha finalement de son étreinte, il lut un empressement féroce dans son regard, et goûta encore à la douce chaleur de son baiser.
Il décela également autre chose.
Du poison !
Étourdi par son baiser fougueux, il lui fallut un instant pour réaliser ce qu'il venait de se passer. Que Githany ait cru ou non à son message n'était pas important. Elle avait demandé à Kaan de venir le rencontrer pour le tuer. Il craignit le pire un bref instant, jusqu'à ce qu'il reconnaisse le léger goût cuivré du venin de worrt des rocs.
Il s'esclaffa et inspira légèrement.
- Splendide ! lança-t-il.
Le secret, la duplicité, la trahison. Githany avait peut-être été corrompue par l'influence de la Confrérie, mais elle comprenait encore la puissante nature du Côté Obscur. Était-il possible qu'elle devienne sa véritable apprentie, en dépit de son allégeance à la Confrérie ?
Elle sourit timidement en réponse à son compliment.
- Par la passion, je gagne la puissance.
Bane sentait le poison envahir son corps. Ses effets étaient subtils. Si sa force croissante dans le Côté Obscur n'avait pas développé ses sens, il n'aurait probablement même pas remarqué sa présence avant plusieurs heures. Mais, une fois encore, Githany l'avait sous-estimé.
Le venin de worrt des rocs était suffisamment puissant pour tuer un bantha, mais il existait bien d'autres poisons plus rares – et plus rapides – qu'elle aurait pu choisir. Le Côté Obscur coulait maintenant comme le sang dans ses veines. Il était Darth Bane, un vrai Seigneur Sith. Il n'avait rien à craindre de son poison.
Le fait qu'elle ait pensé qu'il n'aurait pas décelé le poison sur ses lèvres – et qu'il ne lui aurait causé aucun dommage – signifiait qu'elle avait dû croire à sa comédie délivrée par le drone messager. Elle avait probablement soupçonné qu'il s'était de nouveau éloigné du Côté Obscur, et elle l'imaginait faible. Il en était satisfait, car cela excusait sa décision de se ranger du côté de Kaan. Il y avait peut-être encore de l'espoir pour elle. Il devait néanmoins s'en assurer.
- Je suis désolé de t'avoir abandonnée, lui murmura-t-il. J'ai été aveuglé par des rêves d'une gloire passée. Naga Sadow, Exar Kun, Darth Revan... j'ai rêvé de posséder le pouvoir des grands Seigneurs Sith.
- Nous rêvons tous d'un tel pouvoir, répliqua-t-elle, c'est la nature même du Côté Obscur, mais la Confrérie possède un tel pouvoir. Kaan est sur le point de réussir là où tous les autres avant lui ont échoué. Nous sommes en train de gagner la guerre sur Ruusan, Bane.
Bane secoua la tête avec déception. Comment pouvait-elle être aussi naïve ?
- Kaan est peut-être en train de gagner sur Ruusan, mais ses adeptes perdent partout ailleurs dans la galaxie. Sa grande armée Sith s'effondre sans ses dirigeants. La République les a repoussés et a pratiquement reconquis tous les mondes que nous avions envahis. Encore quelques mois, et la rébellion Sith sera jugulée.
- Tout cela importe peu si nous parvenons à éliminer les Jedi, contra-t-elle avec enthousiasme, le regard brillant. La guerre a fait payer un lourd tribut à la République. Lorsque les Jedi auront disparu, nous rallierons aisément nos troupes pour inverser le cours des choses. Nous n'avons qu'à les éliminer tous, et la victoire sera alors nôtre ! Il nous suffit de gagner sur Ruusan !
- Tous les Jedi ne se trouvent pas sur Ruusan. Il y en a d'autres dans la galaxie, déclara Bane.
- C'est vrai, mais ils sont peu nombreux et disséminés dans toute la galaxie, seuls ou à deux. Si l'Armée de la Lumière est renversée, nous pourrons les traquer et les éliminer à notre guise.
- Crois-tu vraiment que Kaan va remporter la victoire ? Il a déjà prétendu cela par le passé, et il a failli à sa promesse.
- Pour quelqu'un qui prétend vouloir rejoindre la Confrérie, tu ne sembles pas être particulièrement dévoué à sa cause, lui lança-t-elle avec méfiance.
Bane tendit brusquement le bras, et la saisit à la taille afin de la rapprocher de lui et de lui dérober un nouveau baiser fougueux. Elle demeura bouche bée une seconde, puis ferma les yeux et s'abandonna au plaisir de l'instant. Elle se détacha la première en soupirant légèrement.
- Tu avais raison de penser que j'étais ici pour autre chose, reconnut-il en la serrant toujours.
Le poison sur ses lèvres eut un goût aussi savoureux que la première fois.
- La Confrérie ne peut échouer, lui promit-elle. Les Jedi battent en retraite et se tapissent dans les forêts.
Il la relâcha enfin, et recula avant de tourner les talons. Il voulait vraiment croire qu'elle pourrait devenir son apprentie lorsqu'il se serait débarrassé de Kaan et de la Confrérie, mais il n'en était pas encore convaincu. Si elle avait réellement confiance en la doctrine de la Confrérie, il n'y avait alors aucun espoir pour elle.
- Je n'arrive tout simplement pas à accepter ce que Kaan revendique, confessa Bane. Il prétend que nous sommes tous égaux, et si c'est exact, cela signifie qu'aucun d'entre nous ne peut être fort.
Elle s'avança vers lui et posa ses mains sur ses épaules en les pressant légèrement afin qu'il se tourne vers elle. Son expression semblait amusée.
- Ne crois pas tout ce que peut dire Kaan, l'avertit-elle.
Il détecta alors une réelle ambition dans sa voix. Le premier pour incarner le pouvoir, le second pour le convoiter.
- Dès que les Jedi seront détruits, un grand nombre de ses fidèles découvrira que certains d'entre nous sont plus égaux que d'autres.
Il saisit Githany dans ses bras musclés en poussant un cri de joie, et la fit tourner encore et encore en lui donnant un autre baiser long et vigoureux. Voilà ce qu'il désirait entendre !
Lorsqu'il la reposa au sol, elle recula en chancelant, légèrement hébétée. Elle recouvra son équilibre et se mit à rire.
- Je suppose que tu acceptes, lui lança-t-elle, un sourire sur ses lèvres empoisonnées. Lève le camp sans tarder. Je pars sur-le-champ prévenir Kaan que tu nous rejoins.
- Je meurs d'impatience d'entendre le récit de ton retour sur Ruusan, lorsque tu raconteras à Kaan l'issue de notre entretien, répondit-il en faisant toujours mine de ne pas se rendre compte que le poison qui recouvrait ses lèvres courait maintenant dans ses veines.
- Moi aussi, lui dit-elle d'une voix inexpressive. Moi aussi.
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~oOo~
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Tandis qu'elle quittait la surface d'Ambria, Githany ne put s'empêcher de ressentir un léger regret. La passion qu'elle avait éveillée chez Bane lui avait conféré une force étonnante et soudaine, et elle l'avait ressentie dans chacun de ses baisers. Il était pour le moins évident que Bane s'intéressait à elle, et non au fait de rejoindre la Confrérie.
Elle entra les coordonnées pour revenir vers Ruusan et se décontracta dans le fond de son siège. La tête lui tournait à cause du poison qu'elle s'était appliqué sur les lèvres. Pas le venin de worrt des rocs, qui servait uniquement à endormir les soupçons de Bane et à le conforter dans l'illusion de sécurité, mais le synox qu'elle y avait mélangé – un poison inodore, incolore et sans saveur, qui avait la préférence des assassins – produisait un effet indéniable en dépit de l'antidote qu'elle avait ingéré. Elle savait que Bane ressentirait bientôt des effets bien pires que les siens. Un simple baiser aurait suffi à le tuer, et il avait reçu une triple dose.
Elle réalisa que Bane allait lui manquer, mais il constituait une menace pour tout ce que représentaient Kaan et son œuvre. Elle devait s'allier avec l'un ou l'autre, et elle avait choisi celui qui commandait une armée entière de Sith.
Après tout, c'était la nature même du Côté Obscur.
Darth Bane, Seigneur Noir des Sith avec un melon gros comme ça... vaincu par ses hormones. Quelle tragédie.
