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Chapitre n°58 :
En mauvaise posture
Bane observa le Buzzard jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le ciel, et il se prépara à lever le camp. Il devait maintenant agir avec précaution. Githany allait dire à Kaan qu'elle avait tenté de l'empoisonner, et lorsqu'il se présenterait dans le campement de la Confrérie, toujours en vie, les choses pourraient alors se compliquer.
Il pouvait choisir de rester à distance et de laisser les événements suivre leurs cours. Les Jedi de Ruusan allaient se regrouper, reprendre le dessus et changer à nouveau le cours de la bataille. Bane y comptait bien. De désespoir, Kaan se tournerait alors vers le cadeau que Bane lui avait envoyé, et il utiliserait la bombe psychique sans en connaître la véritable nature. Au final, tous les individus utilisant la Force sur Ruusan, à la fois les Sith et les Jedi, seraient détruits.
C'était le scénario le plus probable, mais Bane était trop impliqué pour laisser le destin de la Confrérie entre les mains du hasard. Lorsque l'armée de Kaan commencerait à s'affaiblir, certains membres de son propre camp, comme Githany, pourraient se retourner contre lui. Ils fuiraient Ruusan et se disperseraient dans la galaxie. Bane serait alors contraint de régler le compte de chacun de ses rivaux, avant de pouvoir devenir le chef incontesté des Sith.
Il était donc préférable d'être aux commandes, et de diriger les événements vers l'issue qu'il visait, ce qui signifiait qu'il devait inventer une histoire plausible pour expliquer son désir de rejoindre la Confrérie – et cela, même après la tentative d'assassinat manquée contre lui.
Il y réfléchit presque une heure entière, et imagina un certain nombre de solutions, qu'il rejeta presque toutes. En fin de compte, les membres de la Confrérie ne croiraient qu'en une seule histoire. Il devait leur laisser entendre qu'il voulait renverser Kaan et devenir le nouveau dirigeant de la Confrérie.
Bane sourit en pensant à la subtilité de son plan. Kaan se méfierait évidemment de lui, mais emploierait tous ses efforts et son attention au maintien de son poste de chef de la Confrérie. Il ne percevrait pas la véritable intention de son rival – l'extermination complète de la Confrérie et de tous les Sith présents sur Ruusan.
En outre, Bane pourrait de nouveau convaincre Githany de se joindre à lui. Lorsqu'elle comprendrait ce qu'il était devenu, et comment il avait manipulé Kaan et les autres soi-disant Seigneurs Noirs, elle finirait peut-être par accepter de devenir son apprentie. Il aurait au moins la chance de voir l'expression sur son visage lorsqu'elle réaliserait que son poison n'avait pas suffi à le...
- Ungh ! grogna Bane subitement en se pliant en deux, une vive douleur l'élançant dans le ventre.
Il tenta de se redresser, mais se mit brusquement à tousser sans pouvoir s'arrêter. Il posa une main sur sa bouche, et découvrit des petites taches rougeâtres lorsqu'il la retira.
C'est impossible..., pensa-t-il au moment où une nouvelle douleur à l'estomac le fit tomber à genoux.
Revan lui avait montré comment utiliser la Force pour se protéger des poisons et des maladies. Aucun poison ne devait parvenir à affecter un individu avec une telle maîtrise du Côté Obscur.
Une nouvelle quinte de toux le paralysa un temps, avant de disparaître. Il essuya les gouttes de sueur sur son visage, et sentit quelque chose de chaud et de collant sur sa joue. Un mince filet de larmes rougeâtres s'écoulait du coin de son œil.
Il se releva en chancelant et se concentra sur son corps. Le poison y était toujours présent. Il s'était répandu dans tout son organisme, et avait corrompu et endommagé ses organes vitaux. Il faisait une hémorragie interne, et saignait du nez et des yeux.
Githany !
Il aurait ri s'il n'avait pas eu aussi mal. Il s'était montré si confiant, si arrogant, et convaincu qu'elle le sous-estimait. Or, c'était lui qui l'avait sous-estimée. Une erreur qu'il se promit de ne jamais répéter... s'il survivait.
Il avait lu suffisamment de textes sur le synox pour en reconnaître les symptômes. S'il l'avait décelé immédiatement, il aurait pu le chasser de son organisme, comme il l'avait fait avec le poison de worrt des rocs, mais le synox était un poison des plus discrets, insidieux. Il avait consumé ses forces.
Bane invoqua toutes ses ressources pour dissiper le poison en le brûlant à l'aide du feu glacial du Côté Obscur. Le poison était trop puissant... ou plutôt, Bane devenait trop faible. Les dégâts étaient déjà visibles. Le synox l'avait rendu infirme, et il ne montrait plus que l'ombre de l'individu qu'il était encore, quelques heures plus tôt.
Il pouvait atténuer ses effets, ralentir sa progression et contenir pour un temps les symptômes les plus préoccupants, mais il ne pouvait pas se soigner. Il était maintenant trop affaibli.
Le Lac Natth avait beau abriter une source de pouvoir, il ne pouvait pas l'utiliser car les anciens Jedi avaient pris soin de contenir le Côté Obscur dans ses profondeurs. Les eaux noires et stagnantes du lac étaient la seule preuve tangible du pouvoir à tout jamais emprisonné sous la surface.
Désespérant de trouver un moyen de survivre, Bane avança en titubant vers le crawler stationné à la périphérie de son campement. Ignorant les protestations de ses membres épuisés, il se hissa péniblement derrière le volant et démarra. Il avait besoin d'un guérisseur. Si l'individu prénommé Caleb se trouvait encore sur cette planète, Bane devait le trouver. Il était son seul espoir de survie.
Il se dirigea vers le champ de bataille le plus proche, une plaine désertique située à plusieurs kilomètres de son campement, où gisaient encore les vestiges et les cadavres de ceux qui avaient combattu et qui étaient morts. Les cahots de la route le secouèrent tout du long, et il serra les dents pour supporter son épouvantable douleur. En conduisant, le monde qui l'entourait se transforma progressivement en un cauchemar éveillé de ténèbres et d'ombres teintés de rouge. Il était à peine conscient de l'endroit vers lequel il se dirigeait, et il laissa la Force le guider tout en le sommant d'empêcher son corps de succomber aux effets du poison de Githany.
La peur de mourir prit bientôt possession de lui et endigua toutes ses pensées. Sa volonté commença à faiblir – il aurait été si simple de capituler et d'abandonner... tout abandonner et connaître enfin la paix...
Il secoua la tête en grognant et se concentra à nouveau en se répétant encore et encore la première ligne du Code Sith : La paix est un mensonge. Il se raccrocha à son entraînement militaire, et s'empara de sa peur pour la transformer en colère, afin de recouvrer quelques forces.
Je suis Darth Bane, le Seigneur Noir des Sith. Je survivrai, coûte que coûte.
Loin devant lui – sa vue s'amenuisant de plus en plus –, il aperçut un autre véhicule qui traversait lentement le champ de bataille. Des colons qui venaient marauder et récupérer quelques pièces de matériel.
Il dirigea son crawler dans leur direction et poussa un gémissement, le simple fait de tourner le volant le mettant au supplice. Grâce à la Force, il tenta de contacter les esprits de ceux qui étaient morts en ce lieu. Quelques mois plus tôt, un grand nombre d'individus étaient tombés en cet endroit précis. Il essaya de se nourrir de leur torture, en espérant que l'agonie de leurs derniers instants pourrait renforcer son pouvoir déclinant. Cela ne suffit pas, leur souffrance étant trop lointaine et l'écho de leurs cris trop faible.
Il leva la tête et s'aperçut que son véhicule commençait à se déporter considérablement sur le côté, ses mains ne parvenant presque plus à serrer le volant. Ses bras étaient engourdis et le picotaient, il ne les sentait pratiquement plus. Il entendait également son cœur peiner à chacun de ses battements.
Les chenilles avant heurtèrent un gros rocher, et le crawler se retourna brusquement en projetant Bane sur le sol dur et les pierres inégales. Il essaya de relever la tête pour discerner les personnes qu'il avait aperçues au loin, mais l'effort était trop éprouvant. Épuisé, son univers tout entier s'assombrit.
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~oOo~
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Le raffut provoqué par les chenilles d'un crawler le tira de son inconscience. L'autre véhicule se trouvait à côté de lui. Il doutait qu'on puisse le voir, derrière son crawler renversé. Même s'ils retrouvaient son corps, ils ne pourraient rien faire pour le sauver. En revanche, il y avait encore quelque chose qu'il pouvait faire pour se sauver.
Le moteur se coupa, et il entendit plusieurs voix d'enfants. Trois jeunes garçons descendirent de l'arrière du crawler, et se mirent à fouiller avec enthousiasme les débris de l'autre appareil.
- Mikki ! lança la voix de leur père. Ne t'éloigne pas trop !
- Regardez ! cria l'un des enfants. Regardez ce que j'ai trouvé !
Les faibles doivent servir les forts, telle est la nature du Côté Obscur.
- Ouah ! C'est un vrai ? Je peux le toucher ?
- Laisse-moi voir, Mikki ! S'il te plaît !
- Du calme, les garçons, leur recommanda leur père avec méfiance. Laissez-moi l'examiner.
Bane entendit les bottes du père craquer sur les cailloux. Je suis fort. Ils sont faibles. Ils ne sont rien.
- C'est un sabre-laser, père, mais la poignée est bizarre. Tu vois ? Elle a une forme de crochet.
Bane sentit la peur qui étreignit subitement la poitrine du père.
Survivre, coûte que coûte.
- Lâche ça, Mikki ! Maintenant !
Trop tard.
Le sabre-laser s'activa dans la main du garçon, et virevolta dans l'air avant de le frapper et de le tuer instantanément. Le père poussa un cri, et les frères du garçon cherchèrent à s'enfuir. La lame d'énergie bondit sur le frère aîné et le tua en le frappant dans le dos.
Bane, qui recouvrait des forces grâce à l'horreur indicible de leurs morts, se leva et apparut aux yeux des colons survivants comme une apparition émanant des profondeurs mêmes de la planète.
- Nooon ! hurla le père en serrant le cadavre de son fils sur sa poitrine. Épargnez mon dernier fils, Seigneur ! le supplia-t-il, des larmes roulant sur ses joues. C'est le plus jeune. Je n'ai plus que lui.
Ceux qui sont suffisamment faibles pour demander grâce ne la méritent pas.
Trop faible encore pour lever les bras, Bane invoqua une fois encore la Force, et fit flotter le sabre-laser au-dessus de ses victimes sans défense. Il attendit que la terreur qu'ils ressentaient grandisse encore davantage, puis il plongea la lame embrasée dans le cœur du jeune garçon.
Le père continuait de serrer le cadavre de son fils contre sa poitrine, ses lamentations et ses pleurs résonnant sur le champ de bataille désert.
- Pourquoi ?! Pourquoi les avez-vous tués ?!
Bane se nourrit de son supplice et s'en reput, permettant ainsi au Côté Obscur de croître davantage. Les effets du poison s'estompèrent suffisamment pour qu'il puisse lever le bras sans trembler. Le sabre-laser bondit dans sa main.
Le père de famille tremblait devant lui.
- Pourquoi m'avez-vous forcé à regarder ? Pourquoi avez-vous... ?
Un rapide mouvement du poignet interrompit le père éploré, ce dernier rejoignant ses trois fils dans la mort.
Fallait bien qu'il trouve quelque action monstrueuse pour redorer son blason, ce grand nigaud.
