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Comment va-t-il donc s'en sortir ?
Chapitre n°59 :
Le guérisseur
Bane sentait toujours le poison progresser dans son organisme en conduisant le crawler sur les plaines désertes d'Ambria. Le grondement du moteur ne parvenait pas à étouffer le bruit de la ferraille entassée à l'arrière. Ce cliquetis l'empêchait de chasser complètement de son esprit le souvenir des anciens propriétaires du véhicule, pour autant, il n'en éprouvait aucun remords.
Il avait abandonné leurs corps à l'endroit même où ils étaient tombés. Leur mort lui avait donné la force de continuer, mais la vague de puissance dont il avait bénéficié commençait déjà à s'évanouir. Il lui restait encore assez de force pour retarder les effets du synox pendant quelques heures, mais il devait trouver un antidote permanent.
Il devait trouver Caleb. S'il parvenait à rejoindre le guérisseur, un espoir était encore permis, mais son habitation était encore loin.
Dans quelques heures, son corps succomberait à une paralysie complète, et son esprit serait submergé par une folie dévorante. Pour le moment néanmoins, sa colère lui permettait de garder les idées claires.
Il n'en voulait pas à Githany. Elle avait agi comme l'aurait fait n'importe quel autre adepte du Côté Obscur. Sa rage était plutôt dirigée contre lui-même, contre sa propre faiblesse et son arrogance déplacée. Il aurait dû anticiper la véritable nature de sa fourberie.
Mais il l'avait laissée l'empoisonner, et s'il mourait maintenant, sa grande révélation – la Règle des Deux, le salut des Sith – mourrait avec lui.
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Caleb sentit le crawler approcher bien avant de le voir ou de l'entendre. C'était comme une tempête portée par le vent, un ciel noir qui s'avançait pour cacher le soleil. Lorsque le véhicule s'arrêta devant sa cabane, il se trouvait déjà à l'extérieur à l'attendre, assis devant un petit feu de camp.
L'homme descendit du crawler était un personnage imposant, qui contrastait fortement avec l'apparence mince et nerveuse de Caleb. Il portait des vêtements noirs et un sabre-laser à la poignée en forme de crochet à sa ceinture. Sa peau était gris cendré, et ses traits déformés en une expression de cruauté et de mépris. Même s'il n'était pas sensible à la Force, Caleb le reconnut sans mal comme un adepte du Côté Obscur. En revanche, il n'était nullement capable de détecter la puissance de son visiteur.
Caleb avait cependant déjà eu affaire à des hommes et des femmes aux éminents pouvoirs. Des Jedi comme des Sith étaient déjà venus le consulter par le passé, et il les avait tous rabroués. Il était le serviteur du commun des mortels, des démunis. Il ne voulait jouer aucun rôle dans la guerre opposant la Lumière aux Ténèbres.
L'homme avança vers lui avec raideur. L'infâme odeur de poison entourant le Sith parvint jusqu'à Caleb, et masque le doux fumet de la soupe qui mijotait sur le feu. Caleb remua les braises de son feu de camp avec un bâton, et il comprit pourquoi l'apparence de son visiteur était aussi étrange. L'homme n'avait plus que quelques heures à vivre, une journée tout au plus.
Il resta silencieux et attendit que le Sith le rejoigne, son imposante silhouette lui conférant l'apparence d'un spectre de la mort.
- Du poison coule dans tes veines, déclara Caleb avec placidité. Tu es venu vers moi pour que je te guérisse, poursuivit-il. Je ne le ferai pas.
Le Sith ne répondit rien, ce qui était peu étonnant au vu de son état. Le poison avait dû faire enfler puis craqueler sa langue, dessécher et boursoufler sa bouche. Aucune parole ne lui fut nécessaire pour exprimer sa pensée, car le fait de poser sa main sur la poignée de son sabre-laser lui suffit à le faire comprendre.
-Je n'ai pas peur de mourir, annonça Caleb sur le même ton. Tu peux même me torturer, ajouta-t-il, la douleur ne me fait pas peur.
Pour prouver ce qu'il venait de dire, il plongea une main dans le chaudron bouillant. L'odeur de chairs brûlées se mêla à celles de la soupe et du poison. Il ne cilla pas lorsqu'il la retira du chaudron et la leva pour révéler ses chairs ébouillantées.
Il perçut dans le regard de son visiteur du doute et de la confusion, une expression qu'il avait maintes fois distinguée au cours de sa vie. Son courage l'avait toujours servi, et avait généralement contrecarré les projets des Sith et des Jedi qui l'avaient approché pour une raison ou pour une autre. Ils ne le comprenaient pas, et c'est ce qu'il recherchait.
Il ne se préoccupait pas de leur guerre et de leurs divergences d'opinion. En fait, il se souciait uniquement d'une chose dans la galaxie, et sa comédie était son seul espoir de la protéger du monstre qui se tenait devant lui.
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Bane éprouvait une certaine perplexité face à cet homme implacable. Le guérisseur venait de lui refuser son seul espoir de survie, et il ne savait même pas comment réagir. Il détectait du pouvoir en cet homme, mais un pouvoir indépendant du Côté Obscur et du Côté Lumineux. Ce n'était même pas le pouvoir de la Force comme on l'entendait. Il tirait sa force de la terre et de la pierre, des montagnes et des forêts, du sol et du ciel. En dépit de cette différence, Bane avait conscience que le pouvoir du guérisseur était réellement impressionnant. Il le dérangeait même, et le troublait. Était-il possible qu'il perde cette bataille opposant leurs deux volontés ? Était-il possible que ce simple individu, un homme possédant à peine une once de Force en lui, puisse défié un Seigneur Noir des Sith ?
Si la détermination du guérisseur avait été faible, Bane aurait simplement pu le contraindre à lui obéir – mais sa volonté était aussi résistante et inflexible que le feu du chaudron dans lequel il avait plongé sa main. Il avait également démontré que la douleur et la menace d'une mort éventuelle n'étaient d'aucune utilité pour le convaincre de changer d'avis. Bane le sentait même ériger des sortes de murs dans son esprit pour enserrer sa douleur, et l'enfouir si profondément qu'elle donnait l'impression de disparaître. Mais il enfouissait également autre chose, une chose qu'il tentait désespérément de dissimuler à Bane.
Bane fronça les sourcils en découvrant de quoi il s'agissait. Il essayait de cacher la présence d'une autre personne, et la protégeait des perceptions brumeuses et fiévreuses du Seigneur Sith. Bane fixa son attention vers la cabane misérable du guérisseur. L'homme ne fit rien pour l'arrêter. En fait, il ne réagit même pas.
L'entrée n'était obstruée que par un long rideau, qui s'agitait doucement sous l'effet de la brise. Bane s'avança, l'écarta et il découvrit une pièce exiguë et délabrée. Au fond, une petite fille était recroquevillée, les yeux écarquillés de terreur.
Un sourire cruel se dessina sur les lèvres de Bane. Caleb avait finalement une faiblesse. Il se souciait bien de quelque chose, ou plutôt de quelqu'un, et toute sa volonté était vaine en raison de cette simple vulnérabilité. Bane allait l'utiliser pour obtenir ce qu'il voulait.
Grâce à sa simple force psychique, il souleva la fillette terrifiée dans les airs, la retourna, puis l'entraîna jusqu'à l'extérieur, sa tête à quelques centimètres du chaudron.
Caleb se leva d'un bond et révéla pour la première fois une vraie émotion depuis l'arrivée de Bane. Il tendit le bras vers elle, puis retira sa main aussi rapidement, ses yeux allant et venant entre sa fille et l'homme qui tenait littéralement sa vie entre ses mains.
- Papa, gémit-elle, aide-moi.
L'homme baissa la tête de désespoir.
- C'est d'accord, concéda-t-il. Tu as gagné, je vais te soigner.
Le rituel de guérison dura toute la nuit, et le jour qui suivit. Caleb eut recours à de nombreuses herbes et racines pour confectionner l'antidote, certaines plongées dans l'eau bouillante de son chaudron, d'autres hachées menu pour obtenir une sorte de pâte, d'autres encore placée directement sur la langue enflée de Bane. Durant tout le temps que durèrent ces soins, Bane demeura prudent, prêt à infliger mille souffrances à la fille du guérisseur s'il tentait de le trahir.
Mais au fil des heures, il sentit les effets du synox s'évanouir, quitter son corps, sous l'effet purificateur des remèdes de Caleb. Le soir venu, les traces du poison avaient disparu.
Bane retourna à son campement et réunit ses affaires. Quelques heures plus tard, il était prêt à décoller et à quitter Ambria.
Le rituel terminé, il avait songé à tuer le guérisseur et sa fille pour l'avoir vu dans un grand moment de vulnérabilité, mais ces pensées étaient celles d'un homme que sa propre arrogance aveuglait. Sa rencontre récente avec Githany lui avait révélé les dangers de cette voie.
Caleb et sa fille ne représentaient aucune menace pour lui ou pour ses objectifs, et Caleb possédait un talent dont il aurait peut-être de nouveau besoin un jour. En dépit de sa toute-puissance, le Côté Obscur avait peu de talent dans l'art de la guérison.
Pour ces raisons, il les avait laissés en vie. Leur mort ne servait aucun but et ne lui profitait en rien. Le meurtre gratuit était un plaisir mesquin pratiqué par des imbéciles psychotiques.
Et Bane était déterminé, tandis qu'il saisissait les coordonnées de Ruusan sur l'ordinateur d'astronavigation, à débarrasser le Côté Obscur d'imbéciles de la sorte.
