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À quelques exceptions près (des petits ajouts dans les phrases ou les paragraphes), vous allez suivre la trame principale du tome 2, « La Règle des Deux », écrit par Drew Karpyshyn et traduit par Thierry Arson. La trame secondaire sera partagée en Chroniques égarées.
Chapitre n°70 :
Apprendre à se connaître
La paix est un mensonge, il n'y a que la passion.
Par la passion, je gagne la puissance.
Par la puissance, je gagne le pouvoir.
Par le pouvoir, je gagne la victoire.
Par la victoire, mes chaînes sont brisées.
La Force me libérera.
- Code Sith
Unique Seigneur Sith à avoir échappé au pouvoir dévastateur de la bombe psychique déclenchée par Kaan, Darth Bane marchait d'un pas rapide sous le pâle soleil jaune de Ruusan, dans un paysage désolé et bouleversé par la guerre. Sa mâchoire massive était crispée, tandis qu'il luttait contre la douleur lancinante qui incendiait l'arrière de son crâne à intervalles réguliers de quelques minutes. Il s'était trouvé à plusieurs kilomètres de la bombe au moment de son explosion, mais même à cette distance, il avait senti sa puissance se réverbérer dans la Force. Les répercussions perduraient en décharges sporadiques, qui transperçaient son cerveau tels des millions de poignards minuscules frappant jusqu'aux moindres recoins de son esprit. Il avait pensé que ces migraines se dissiperaient avec le temps, mais dans les heures qui suivirent la déflagration, leur fréquence et leur intensité s'étaient accrues avec régularité.
Il aurait pu faire appel à la Force pour repousser la douleur, en s'enveloppant dans une aura d'énergie curative – mais c'était la façon de faire des Jedi, et Bane était un Seigneur Noir des Sith. Il suivait une voie différente, celle qui accueillait la souffrance et puisait de la force dans l'épreuve. Il transformait la douleur en colère et en haine, nourrissait le brasier du Côté Obscur jusqu'à ce que son aspect physique paraisse presque scintiller de la fureur d'une tempête qu'il parvenait difficilement à contenir.
L'image terrifiante que projetait Bane offrait un contraste frappant avec la petite silhouette qui se hâtait dans son sillage pour ne pas se laisser distancer. À dix ans seulement, Zannah était une fillette abandonnée à la chevelure courte, blonde et bouclée. Sa tenue était simple, pour ne pas dire rustique : une ample chemise blanche et un bleu de travail délavé, tous deux déchirés et maculés après avoir été portés continuellement pendant des semaines. Quiconque l'aurait vue trottinant derrière la haute silhouette de Bane aurait eu du mal à imaginer qu'elle était l'apprentie choisie par le Seigneur Sith – mais les apparences étaient parfois trompeuses.
Il entendit un grognement derrière lui, et se retourna pour voir que la fillette avait trébuché et chuté dans sa hâte de le suivre à l'allure infatigable qu'il imposait. Elle lui jeta un regard brûlant, la colère gravée sur ses traits.
- Ralentissez ! lança-t-elle. Vous allez trop vite !
Bane serra de nouveau les dents lorsqu'un nouvel éclair de douleur lui transperça le crâne.
- Je ne vais pas trop vite, répliqua-t-il d'une voix sèche. C'est toi qui marches trop lentement, alors à toi de trouver le moyen de garder la cadence.
Elle se releva en frottant les genoux déchirés de sa salopette pour en ôter les traces de poussière les plus évidentes.
- Je n'ai pas les jambes aussi longues que les vôtres, rétorqua-t-elle avec mauvaise humeur, nullement impressionnée.
Cette gamine avait du caractère, et elle était intelligente. La chose avait été manifeste dès la première minute. Elle avait instantanément identifié Bane pour ce qu'il était : un Sith, ennemi juré des Jedi, serviteur du Côté Obscur. Pourtant, elle n'avait montré aucune peur. En Zannah, il avait décelé le potentiel nécessaire pour qu'elle devienne celle qui pourrait lui succéder, et lorsqu'il lui avait offert l'opportunité d'être son apprentie et d'étudier les voies du Côté Obscur, elle n'avait pas hésité.
Néanmoins, il n'était pas certain des raisons qui avaient poussé Zannah à accepter aussi promptement de s'allier à un Seigneur Sith. Cette attitude pouvait certes découler d'une simple réaction de désespoir – elle était seule, sans personne vers qui se tourner pour assurer sa survie –, ou bien, elle voyait dans le Côté Obscur un moyen de se venger des Jedi, de les faire souffrir autant qu'elle souffrait de la mort de son bondissant. Il était même possible qu'elle ait simplement senti le pouvoir de Bane, et qu'elle ait désiré le faire sien.
Quelles que soient ses motivations réelles, Zannah avait été plus que disposée à jurer fidélité aux Sith et à son nouveau Maître. D'ailleurs, ce n'était pas sa vivacité d'esprit, ni ses dispositions, qui la rendaient digne d'être son apprentie. Le Seigneur Sith l'avait choisie pour une raison, et une seule.
- Tu es puissante dans la Force, expliqua-t-il.
Sa voix ne trahissait toujours rien de ses émotions ou de la torture qu'il endurait.
- Tu dois apprendre à t'en servir, invoquer son pouvoir, le plier à ta volonté, comme tu l'as fait quand tu as tué les Jedi.
Il vit la lueur d'un doute passer dans le regard de l'enfant.
- Je ne sais pas comment j'ai fait ça, murmura-t-elle d'un ton incertain. Je ne voulais même pas le faire. C'est simplement... arrivé.
Bane détecta un soupçon de culpabilité dans sa voix. Il en fut déçu, mais assez peu surpris. Elle était jeune, en pleine confusion. Elle ne pouvait pas réellement comprendre la portée de son acte – pas encore.
- Rien n'arrive simplement, insista-t-il. Tu as fait appel à la Force. Réfléchis à la façon dont tu t'y es prise. Repense à ce qu'il s'est produit.
Elle hésita, puis secoua la tête.
- Je ne veux pas, dit-elle à voix basse.
La fillette avait déjà subi une douleur incommensurable depuis son arrivée sur Ruusan. Elle n'avait aucun désir de revenir sur ces expériences horribles. Bane pouvait comprendre, et même éprouver de l'empathie pour elle. Lui aussi avait beaucoup souffert pendant son enfance, mais il avait appris à utiliser ces souvenirs à son avantage. Si Zannah devait recevoir l'héritage du Côté Obscur, elle devait absolument affronter son passé et comprendre comment tirer profit des épisodes les plus douloureux de sa propre histoire. Il lui faudrait les transformer et les canaliser, afin de pouvoir manier toute la puissance du Côté Obscur.
- Tu es désolée pour ces Jedi, à présent, dit-il d'une voix neutre. Tu éprouves des regrets, des remords. Peut-être même t'apitoies-tu sur leur sort.
Le ton détaché s'estompa très vite, quand il se mit à parler avec une intensité et un volume croissants :
- Mais ce sont là des émotions sans valeur. Elle n'ont aucun sens. Ce qu'il faut que tu éprouves, c'est de la colère !
Il fit un pas vers elle, le poing crispé devant lui pour souligner ses propos. Zannah tressaillit devant ce mouvement inattendu, mais elle ne battit pas en retraite.
- Leur mort n'était pas un accident ! s'écria-t-elle quand il s'avança encore. Ce qui s'est passé n'est pas une erreur !
Une troisième enjambée l'amena si près de la fillette, que son ombre la recouvrit comme une éclipse. Elle tressaillit de nouveau, mais ne recula toujours pas. Bane se figea, prit le temps d'endiguer la douleur à la base de son crâne, ainsi que sa fureur. Il s'accroupit devant elle, et décrispa le poing. Puis, il tendit lentement la main et la posa en douceur sur l'épaule de la fillette.
- Repense à ce que tu as ressenti lorsque tu as déchaîné ton pouvoir contre eux, dit-il d'une voix devenue soudain suave. Repense à ce que tu as éprouvé quand les Jedi ont assassiné ton amie.
Zannah baissa la tête et ferma les yeux. De longues secondes durant, elle demeura immobile et silencieuse.
Elle obligeait son esprit à revivre ces instants. Bane vit diverses émotions s'inscrire fugitivement sur ses traits : peine, chagrin, manque. Sous la main massive qu'il avait laissée sur son épaule, elle trembla très légèrement. Puis, il sentit la colère monter en elle, au ralenti – et avec la colère, le pouvoir du Côté Obscur.
Quand la petite fille releva la tête, ses yeux étaient grands ouverts et enflammés par une intensité féroce.
- Ils ont tué Laa, cracha-t-elle. Ils méritaient de mourir !
Il laissa tomber la main de son épaule, se releva et recula d'un pas. Sur ses lèvres planait l'ombre d'un sourire de satisfaction.
- Bien. Sens l'amplitude de cette colère. Accueille-là, étreins-là... Par la passion, je gagne la puissance. Par la puissance, je gagne le pouvoir.
- Par la passion, je gagne la puissance, répéta-t-elle comme en écho. Par la puissance, je gagne le pouvoir.
Le Côté Obscur grandissait en elle, et il se densifia jusqu'à ce qu'il puisse presque sentir sa chaleur.
- Les Jedi sont morts parce qu'ils étaient faibles, dit-il en faisant un pas de plus en arrière. Seuls les forts survivent, et la Force te rendra forte.
Alors qu'il tournait les talons, il ajouta :
- Sers-t'en pour ne pas te laisser distancer. Si cela survenait, je t'abandonnerais sur ce monde.
- Mais vous ne m'avez toujours pas dit comment faire ! pesta-t-elle alors qu'il s'éloignait déjà.
Il ne répondit pas. Il lui avait déjà donné la réponse, quand bien même elle ne le savait pas encore. Si elle était digne de devenir son apprentie, elle trouverait seule.
Il décela un soudain élan de puissance qui fonçait vers lui, concentré sur le talon de sa botte gauche, alors qu'elle tenta de le faire trébucher afin de le ralentir. Il s'était préparé à une telle réaction dès qu'il lui avait tourné le dos. Il l'avait poussée à ses limites, et il aurait été déçu si elle n'avait pas réagi d'une façon ou d'une autre, mais il s'attendait à un assaut plus direct et basique – par exemple, une vague d'énergie destinée à le projeter à terre. Une seule frappe sur l'un de ses talons constituait une attaque beaucoup plus subtile, qui démontrait de l'intelligence ainsi qu'un don certain pour la ruse, et malgré sa préparation, il fut surpris par sa violence.
Mais même avec autant de fougue et de potentiel, Zannah n'était pas de taille face à un Seigneur Sith. Bane puisa dans ses propres aptitudes dans la Force pour absorber l'impact de l'attaque, en se l'appropriant et en amplifiant sa puissance, avant de la retourner contre son apprentie. Le coup détourné frappa la fillette en pleine poitrine, assez violemment pour la jeter au sol. Un grognement de surprise lui échappa quand elle se reçut avec rudesse sur le dos.
Elle n'était pas blessée, car il n'avait nulle intention qu'elle le soit. Les rossées constantes que son père lui avait infligées pendant toute son enfance avaient aidé à faire Bane ce qu'il était aujourd'hui, mais elles l'avaient également poussé à détester et à mépriser Hurst. Si cette petite fille était destinée à devenir son apprentie, il faudrait qu'elle le respecte et qu'elle l'admire. Il ne pouvait lui enseigner les voies du Côté Obscur si elle ne souhaitait pas apprendre. La seule chose que les raclées de Hurst avaient jamais appris à Bane, c'était la haine – et Zannah connaissait déjà cette leçon.
Il se retourna, et posa un regard froid sur la fillette toujours assise sur le sol dur et nu. Elle le toisa en retour avec fureur pour la manière dont il venait de l'humilier.
- Un Sith sait quand déchaîner la furie du Côté Obscur, et quand se retenir, lui dit-il. La patience peut être une arme si tu sais comment l'utiliser, et ta colère peut alimenter le Côté Obscur, mais seulement si tu sais comment la contrôler.
Elle fulminait toujours, mais il reconnut autre chose dans ses prunelles : une curiosité méfiante. Elle acquiesça lentement, comme si la signification de ses propos lui apparaissait, et son expression s'adoucit. En elle, Bane sentait toujours le pouvoir du Côté Obscur – sa colère était toujours présente, mais elle la dissimulait maintenant sous la surface. Elle l'entretenait pour le moment où elle pourrait la déchaîner.
Elle venait de recevoir sa première leçon concernant les voies des Sith. À présent, elle se garderait de lui, mais sans le redouter – exactement ce qu'il voulait. La seule chose dont elle devait avoir peur, c'était de l'échec.
Il se détourna d'elle une fois encore, se remit en marche, et réprima un frisson quand une nouvelle volée de lames acérées lacérèrent ses pensées. Derrière lui, il sentit Zannah qui, de nouveau, accumulait la Force – mais cette fois, la fillette la dirigea en elle, afin de rafraîchir et de revitaliser ses membres las.
Elle bondit sur ses pieds et trottina à sa suite, sans presque fournir d'efforts. Il pressa le pas et son apprentie adopta son allure.
- Où allons-nous ? demanda-t-elle.
- Le camp Sith, répondit-il. Nous avons besoin de ravitaillement pour notre voyage.
- Les autres Sith sont là-bas ? s'émerveilla-t-elle. Ceux que les Jedi combattaient ?
Bane se rendit compte qu'il ne l'avait pas informée de ce qu'il était advenu de Kaan et de la Confrérie.
- Il n'y a plus d'autres Sith. Il n'y en aura plus jamais, nous exceptés. Un Maître et son disciple. L'un pour incarner le pouvoir, l'autre pour le convoiter.
- Qu'est-il arrivé aux autres ? voulut-elle savoir.
- Je les ai tués.
Zannah sembla réfléchir à cette révélation pendant un long moment, avant d'afficher une moue d'indifférence.
- Alors, ils étaient faibles, conclut-elle avec conviction, et ils méritaient de mourir.
Bane sut alors qu'il avait bien choisi son apprentie.
