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Chapitre n°71 :

Des mercenaires au campement


Darth Bane sentit leur présence longtemps avant de les apercevoir.

Ceux qui ignoraient les voies de la Force ne voyaient en elle qu'une arme ou un outil – elle pouvait foudroyer un ennemi en pleine bataille, soulever dans les airs des objets proches et les faire venir dans votre paume ouverte, ou les propulser à travers une pièce –, mais ce n'étaient là que des tours minables de magicien pour qui connaissait son véritable pouvoir et son potentiel.

La Force était une partie intégrante de toutes les créatures vivantes, et toutes les créatures vivantes faisaient partie de la Force. Elle s'écoulait à travers tout individu, tout animal, tout arbre et toute plante. Les énergies fondamentales de la vie et de la mort la traversaient provoquaient des ondulations dans le tissu même de l'existence.

Même distrait par les fulgurances atroces des lames qui tranchaient l'intérieur de son crâne, Bane restait à l'écoute de ces ondulations. Elles lui donnaient une compréhension qui transcendait l'espace et même le temps, lui accordaient de brèves visions dans les possibilités toujours mouvantes de l'avenir. Ainsi, alors qu'il se trouvait encore à des kilomètres et à plusieurs minutes de marche de l'endroit où Kaan et son armée avaient établi leur campement, il eut conscience de leur présence.

Ils étaient huit, tous humains – six hommes et deux femmes. Des mercenaires qui s'étaient enrôlés dans la Confrérie pour la solde et l'opportunité de frapper cette République qu'ils haïssaient, et qui avaient survécu à la bataille finale contre les troupes de Hoth. Ils avaient très certainement fui les combats à l'instant où Kaan était descendu dans les entrailles de la planète pour tendre son piège aux Jedi, montrant par là même la loyauté de tous les partisans achetés et payés pour cela. Et maintenant, tels des insectes charognards qui se repaissent de la viande d'un bantha mort, ils étaient venus piller tout ce qui pouvait encore avoir de la valeur dans le camp déserté par les Sith.

- Il y a du monde devant nous, murmura Zannah une minute plus tard.

Moins sensible que son Maître aux subtiles nuances de la Force, il lui avait fallu plus longtemps pour détecter le danger – mais si l'on prenait en compte son manque total d'entraînement, le seul fait qu'elle ait décelé quoi que ce soit témoignait de ses aptitudes.

- Attends ici, ordonna Bane en tendant la main pour figer Zannah sur place.

Sagement, elle obéit.

Il n'eut pas un regard en arrière quand il s'élança. Le sol fila sous ses pieds dès qu'il fit appel à la Force pour le propulser. La douleur dans son crâne disparut, balayée par l'impatience de se battre et l'exaltation née de sa course.

Trente secondes plus tard, le camp Sith était en vue, et les silhouettes des mercenaires condamnés clairement visibles, alors qu'ils se disputaient à propos du butin. Six des pillards étaient rassemblés dans la petite clairière située au centre du camp et se répartissaient leurs prises dans une certaine confusion. Les deux autres étaient placés en sentinelles près des tentes, afin de surveiller les alentours. Leur disposition était toutefois une pure formalité. Ils auraient dû se placer de chaque côté du campement pour prévenir tout assaut, au lieu de quoi, les deux hommes se tenaient à moins de vingt mètres l'un de l'autre, et ils semblaient plus intéressés par leur discussion que par la sécurité du périmètre qui leur incombait.

Bane engloba la scène d'un regard méprisant alors même qu'il fondait sur eux, et la Force lui permit de tout enregistrer d'un simple coup d'œil. Les sentinelles étaient toujours inconscientes de son approche, occupées qu'elles étaient à observer leurs camarades qui se chamaillaient pour accaparer la plus grosse part de leur butin.

Il bifurqua légèrement, afin que son assaut demeure invisible le plus longtemps possible, et passa derrière une tente emplie d'approvisionnement, avant de faire irruption dans le camp comme un ouragan mortel. Il dégaina et alluma son sabre-laser en un mouvement coulé. Le bourdonnement de la lame écarlate le précéda et trahit sa position quelques précieuses secondes avant son arrivée. Cette alarme donna juste le temps à la première sentinelle d'empoigner son blaster, mais il ne put éviter le massacre.

Bane jaillit de derrière la tente et se rua sur sa première victime, telle une bourrasque sinistre. Le Sith frappa d'un coup en diagonale destiné à trancher dans le corps de son adversaire de l'épaule à la hanche opposée.

Le pillard commençait à peine à s'effondrer que, déjà, son bourreau bondissait sur la victime suivante, dans un élan qui lui fit parcourir les dix mètres de distance et lui permit d'éviter le tir de la deuxième sentinelle. Le Sith se reçut presque sur la tête de l'autre, et lui asséna un coup vertical à deux mains, l'une des techniques classiques du Djem So. L'attaque fulgurante coupa en deux, dans sa ligne médiane, le casque de l'infortuné, et la lame mordit profondément dans le crâne en dessous.

La fin atroce des deux premiers mercenaires donna aux autres le temps de comprendre ce qu'il se passait. Ils dégainèrent leurs armes et tirèrent une volée de décharges sur Bane, qui se retournait pour les affronter. Le Seigneur Sith passa aussitôt de la Forme V agressive à la Forme III, plus axée sur la défense, et il dévia les tirs en tenant son sabre-laser à deux mains, dans une succession de parades à l'aisance presque dédaigneuses.

Faisant tournoyer son arme dans sa main droite, il prit le temps de savourer le désespoir et la terreur qui émanaient de la demi-douzaine de pillards encore en vie quand ils prirent conscience du caractère inéluctable de leur mort. Ils étaient tous massés dans la clairière entre les tentes, et ils firent alors la seule chose qui pouvait leur donner une chance de survie : ils se séparèrent et s'enfuirent.

Ils s'éparpillèrent dans toutes les directions – l'une des femmes sur la gauche, deux hommes sur la droite, les trois autres tournant les talons et détalant en ligne droite.

Sans cesser de faire tournoyer son sabre-laser, Bane tendit le bras devant lui, paume ouverte à la verticale, pour déchaîner la Force en une onde de choc dirigée vers la femme qui courait sur sa gauche. La décharge créa un sillage de dévastation à mesure qu'elle traversait le camp. Des tentes furent arrachées du sol, leurs toiles instantanément réduites en lambeaux. Le bois des caisses d'approvisionnement explosa en milliers d'échardes, et le contenu fut dispersé en autant d'éclats divers.

L'onde de Force percuta la femme dans le dos, pulvérisa sa colonne vertébrale et lui brisa le cou, avant même qu'elle ne soit plaquée face la première dans la poussière du sol. Son corps tressaillit une seule fois, avant de se figer.

Serrant les doigts de sa main gauche contre sa paume, Bane pivota vers les deux hommes sur sa droite et brandit le poing dans les airs. Une dizaine d'éclairs bleus jaillirent au-dessus de sa tête, et allèrent envelopper les soldats hurlants qu'ils grillèrent vifs. Avec des cris d'agonie, ils tressautèrent et se contorsionnèrent pendant plusieurs secondes comme des marionnettes sur des fils électriques, avant que leurs silhouettes fumantes ne s'écroulent à terre.

Dans les quelques secondes qu'il fallut à Bane pour disposer des autres, les trois survivants atteignirent les limites du camp Sith. À quelques mètres des dernières tentes, une ligne d'arbres marquait le commencement de l'inextricable forêt ruusane. La masse des branches enchevêtrées semblait leur promettre un abri sûr, et cet espoir accéléra encore leur course éperdue. Le Seigneur Sith les observa avec un certain désintérêt, car il savoura déjà leur fin.

À quelques mètres seulement de la liberté, l'un des hommes commit l'erreur fatale de regarder en arrière pour voir si leur adversaire les poursuivait. Pris d'une soudaine inspiration, Bane lança son sabre-laser vers l'autre d'un geste presque désinvolte. La lame décrivit un cercle allongé dans l'air et traversa toute l'étendue du camp en une fraction de seconde, avant de revenir docilement se loger dans la main ouverte de son maître.

Les deux autres mercenaires atteignirent les broussailles de l'orée et disparurent dans la forêt. Le troisième, celui qui avait regardé en arrière, s'était immobilisé comme une statue. Après une seconde, sa tête se sépara de ses épaules et tomba sur le sol pour y rebondir et rouler, tranchée net par la lame écarlate du sabre-laser. Comme il s'agissait d'un signal, les membres rigides du corps décapité s'amollirent subitement, et il bascula d'un bloc sur le côté.

Le Sith éteignit son sabre-laser, dont la lame disparut avec un sifflement bref. Un instant, il se délecta de sa victoire, absorba les derniers fragments des émotions de ses victimes pour tirer la puissance de leur peur et de leur souffrance. Puis, le moment s'évanouit et lui échappa, comme les deux mercenaires qui avaient survécu à sa rage destructrice. Il aurait certes pu les pourchasser, mais en dépit de l'attrait qu'il y aurait eu à goûter leur panique, il était conscient du bénéfice qu'il tirerait en leur laissant la vie sauve.