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Très gros morceau aujourd'hui...


Chapitre n°72 :

Leçons et découvertes


- Vous les avez laissés partir.

Surpris, il fit volte-face et découvrit Zannah qui se tenait à la limite du camp. Absorbé par le massacre, il n'avait pas senti son approche – à moins que son apprentie n'ait fourni de grands efforts pour lui masquer son arrivée.

Ne la sous-estime pas, se rappela-t-il. Elle a le pouvoir de te surpasser un jour.

- Vous les avez laissés partir, répéta-t-elle.

Elle ne semblait pas en colère, déçue ou même satisfaite, seulement perplexe.

- Je t'avais dit de m'attendre, la sermonna-t-il. Pourquoi as-tu désobéi ?

Au lieu de répondre immédiatement, elle parut réfléchir afin de formuler au mieux une réponse qui apaiserait son Maître.

- Je voulais voir le véritable pouvoir du Côté Obscur, admit-elle finalement. Pouvez-vous m'apprendre comment... ?

Incapable de trouver les mots pour décrire ce dont elle venait d'être témoin, elle ne termina pas sa phrase. D'un simple geste de la main, elle engloba le carnage alentour.

Bane accrocha son sabre-laser à sa ceinture.

- Tu apprendras, lui affirma-t-il.

Elle ne sourit pas, mais il vit dans ses yeux bleus une lueur d'impatience que lui-même connaissait bien. Il avait contemplé cette même ambition brute dans le regard de Githany, et il savait aussi que si Zannah ne parvenait pas à dompter cette ambition, celle-ci la mènerait sur la même voie de la destruction que Githany.

- Au combat, l'habileté est la simple manifestation du pouvoir du Côté Obscur, la mit-il en garde. Quand elle est brutale et rapide, elle a un but précis. Pourtant, elle est souvent moins efficace que la subtilité et la ruse. En fin de compte, ma mansuétude envers ces deux mercenaires se révélera peut-être plus utile que leur mort.

- Mais ils étaient faibles, protesta son apprentie en lui répétant l'un de ses propres enseignements. Ils méritaient de mourir !

- Dans la galaxie, bien peu nombreux sont les êtres qui ont ce qu'ils méritent réellement, dit-il avec gravité.

Le Côté Obscur n'était pas aisé à appréhender. Lui-même continuait d'apprendre comment progresser dans ses contradictions et sa complexité. Il devait prendre soin de ne pas décourager sa jeune apprentie. Toutefois, il était crucial qu'elle saisisse l'essence de ce qu'il venait faire ici.

- Notre mission n'est pas de donner la mort à tous ceux qui ne sont pas aptes à la vie. Nous répondons à un appel plus élevé. Tout ce que j'ai accompli sur Ruusan, et tout ce que nous accomplirons à partir d'aujourd'hui, tout cela doit servir notre véritable objectif : la préservation de notre Ordre et la survie des Sith.

Après avoir réfléchi quelques secondes, Zannah secoua la tête.

- Je suis désolée, Maître, avoua-t-elle, je ne comprends toujours pas pourquoi vous les avez épargnés.

- En tant que serviteurs du Côté Obscur, nous nous repaissons de la déroute de nos ennemis. Nous tirons de la puissance de leurs souffrances, mais nous devons considérer ces gains à l'aune de desseins plus vastes. Nous devons reconnaître que tuer par simple plaisir sadique, sans raison ni besoin, est l'acte d'un fou.

Une grimace d'incompréhension passa sur les traits de l'enfant.

- Quel intérêt y a-t-il à laisser vivre des êtres aussi vils que ces deux-là ?

- Les Jedi croient déjà que l'Ordre Sith s'est éteint ici, sur Ruusan, expliqua-t-il d'un ton patient. Il existe des adeptes du Côté Obscur sur bien d'autres mondes : les Maraudeurs d'Honght et Gamorr, les Assassins de l'Ombre sur Ryloth et Umbara. Mais ceux qui détenaient le plus de pouvoir – tous ceux ayant le potentiel de devenir de vrais Seigneurs Sith –, ceux-là avaient rejoint la Confrérie de Kaan. Comme un seul homme, ils l'ont suivi dans cette guerre, et comme un seul homme, ils l'ont suivi dans la mort, mais certains douteront que l'extinction des Sith ait été totale. Il y aura toujours des rumeurs sur la survie de certains Sith, des histoires murmurées sur la présence d'un Seigneur Noir bien vivant quelque part dans la galaxie, et si les Jedi trouvent une preuve de notre existence, ils nous traqueront sans relâche.

Il marqua un temps d'arrêt, pour permettre à son apprentie de saisir toutes les implications de ses propos, avant de reprendre :

- Nous ne pouvons pas vivre isolés, coupés du reste de la galaxie pendant que nous nous cachons, dans la peur d'être découverts. Nous devons faire en sorte d'accroître notre pouvoir. Il nous faudra nouer des rapports avec des individus de maintes espèces, sur d'innombrables mondes. Inévitablement, certains d'entre eux nous reconnaîtrons pour ce que nous sommes, quel que soit notre déguisement, et un jour, la nouvelle de notre existence parviendra aux Jedi.

Zannah l'étudiait avec une concentration extrême, et analysait chacune de ses phrases pour y dénicher ce qui pourrait éclairer la logique tortueuse du Côté Obscur.

- Puisque nous ne pouvons dissimuler le fait de notre survie, poursuivit Bane, nous devons la brouiller par des semi-vérités. Encourageons donc les rumeurs, propageons-les en les distordant, de façon à aveugler nos ennemis jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus démêler le vrai du faux.

Le visage de Zannah s'illumina soudain.

- La fiabilité d'une rumeur dépend de sa source ! s'exclama-t-elle.

Bane acquiesça avec satisfaction.

- Les survivants répandront l'histoire, mais qui accordera le moindre crédit aux racontars de gens comme eux ? Tout le monde comprendra que ce ne sont que des mercenaires qui ont fui la bataille ultime pour sauver leur peau, et qui sont ensuite venus piller le campement de leurs anciens alliés. On les considérera comme des traîtres, et la rumeur sera considérée sans fondement. S'il existe d'autres témoins de notre présence sur Ruusan, leurs propos en deviendront d'autant moins crédibles. On les assimilera aux supposés mensonges de ces fripouilles sans honneur.

- C'est vrai, leur mort n'aurait été ni utile ni souhaitable, marmonna Zannah, à moitié pour elle-même.

Elle n'ajouta rien, et parut se perdre dans ses réflexions sur ce qu'elle venait de découvrir.

Le Seigneur Sith détourna son attention d'elle, et se concentra sur les objets que les pillards avaient rassemblés au centre du camp. À présent, il était le dernier des Sith. S'il y avait quoi que ce soit de valeur, c'était à lui, de droit.

La majeure partie de ce qu'ils avaient collecté ne présentait aucun intérêt pour lui – anneaux ciselés et colliers en métaux précieux ornés de gemmes scintillantes, dagues de cérémonie et poignards aux manches sertis de pierres précieuses, masques finement gravés et statuettes de facture remarquable, sculptées dans des matières rares.

Devant ces trésors inestimables qui n'avaient aucune valeur pour lui, Bane sentit un autre élancement douloureux lui transpercer la nuque. Dans le même instant, il aperçut de façon très fugitive une silhouette à l'extrême limite de son champ de vision, qui disparut aussitôt.

Il tourna vivement la tête dans cette direction, mais il ne vit rien. Il ne s'agissait pas de Zannah, car cette personne était nettement plus grande. Il sonda la Force, mais ne détecta que son apprentie et lui dans le périmètre du camp.

- Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle en remarquant son malaise soudain. Quelqu'un approche ?

- Ce n'est rien, affirma-t-il.

Mais n'était-ce vraiment rien, ou bien un autre effet secondaire de la bombe psychique ?

Zannah le rejoignit, et contempla les reflets du soleil sur les richesses étalées à leurs pieds.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? fit-elle en se penchant pour extraire un objet presque entièrement enfoui dans le tas.

Elle se redressa avec un mince manuscrit à la couverture de cuir. Elle le tourna et le retourna avec curiosité, et l'examina sous tous les angles avant que Bane ne tende sa main ouverte. Docile, elle le lui confia.

Il reconnut instantanément son origine. Nombre de volumes similaires avaient occupé les rayonnages de la bibliothèque de l'Académie de la Confrérie sur Korriban, bien qu'il n'ait encore jamais vu celui-ci. L'ouvrage était peu épais, quelques dizaines de feuillets tout au plus, et sur sa couverture étaient inscrits, à l'encre rouge sang, des mots secrets. Il s'était familiarisé avec l'ancienne langue Sith pendant ses études à l'Académie, alors il ouvrit le volume. La même encre couleur sang couvrait les pages, d'une écriture délicate et d'illustrations élaborées. Les marges étaient remplies d'annotations manuscrites rédigées en Basic galactique. Il reconnut l'écriture de Qordis.

Pourquoi Qordis a-t-il apporté ce manuscrit sur Korriban ? se demanda Bane. Son ex-professeur s'était toujours montré plus intéressé par l'accroissement de sa fortune que par l'étude des textes anciens. S'il avait pris la peine de subtiliser ce manuscrit à l'Académie et de le conserver dans ses affaires personnelles, l'ouvrage devait avoir une valeur extraordinaire.

- De quoi cela parle-t-il ? s'enquit Zannah.

Sans lui répondre, Bane feuilleta rapidement le manuscrit et parcourut le texte d'origine tout autant que les notes de Qordis. Le tout semblait être une compilation de l'histoire et des enseignements de Freedon Nadd, un grand Seigneur Sith qui avait vécu trois mille années standard plus tôt. Bane avait déjà lu des documents à son sujet, mais celui-ci contenait ce qui manquait aux autres versions : la localisation de son ultime demeure !

Durant des siècles, le tombeau de Freedon Nadd avait été impossible à retrouver, car les Jedi en avaient brouillé la localisation – mais à la dernière page du manuscrit, Qordis avait été un très bref commentaire, qu'il avait même souligné pour en exposer toute l'importance : Rechercher le tombeau sur Dxun.

La douleur fulgurante et déjà trop familière incendia de nouveau son crâne, et de nouveau, il saisit du coin de l'œil la présence d'une forme humaine. Cette fois, l'image parut s'attarder une pleine seconde. Grande, large d'épaules et enveloppée dans les amples vêtements des Sith, c'était là une silhouette que Bane connaissait bien : le Seigneur Kaan ! Puis, il disparut, comme auparavant.

Était-ce réel ? Était-il possible que le chef de la Confrérie ait survécu à la bombe psychique, sous une forme ou une autre ?

Il referma le manuscrit et baissa les yeux sur Zannah. Rien chez elle ne laissait supposer qu'elle ait vu ou senti quoi que ce soit. Mon esprit me joue des tours, songea-t-il. C'était la seule explication plausible. La fillette aurait détecté la manifestation d'un esprit du Côté Obscur aussi proche d'elle. Or, elle était restée impavide.

Cette constatation l'emplit d'un mélange curieux de soulagement et d'inquiétude. Lorsqu'il avait aperçu Kaan non loin de lui, Bane avait pensé un instant – juste un instant – qu'il avait échoué dans sa tentative d'anéantissement de la Confrérie. Mais la confirmation du succès de son entreprise avait été tempérée par la conscience aiguë que la bombe psychique avait provoqué encore plus de ravages qu'il ne l'avait d'abord cru. Avec un peu de chance, ces hallucinations et ses migraines atroces ne seraient que temporaires.

Zannah le regardait toujours fixement. Elle avait du mal à réfréner le flot de questions concernant ce qu'il avait découvert dans le manuscrit. Son expression de curiosité impatiente se mua en une moue déçue lorsqu'il glissa ledit manuscrit dans les replis de ses vêtements sans lui fournir le moindre éclaircissement. Le moment venu, il partagerait avec elle tout son savoir, présent et futur, mais tant qu'il n'aurait pas eu l'occasion d'explorer lui-même le tombeau de Nadd, il rechignait à révéler son existence à quiconque, même à son apprentie.

- Es-tu prête à quitter ce monde ? demanda-t-il.

- Je n'en peux plus de cet endroit, répondit-elle avec une pointe d'amertume dans la voix. Depuis que j'ai posé les pieds sur cette planète, tout est allé de travers.

Bane se souvint alors d'une remarque qu'elle avait faite plus tôt, au sujet des deux garçons avec lesquels elle était arrivée.

- Tes cousins, dit-il. Ils te manquent ?

- Quelle importance ? Répliqua-t-elle avec un haussement d'épaules. Ils sont morts. Pourquoi perdre mon temps à penser à eux ?

Elle avait adopté un ton indifférent, mais le Seigneur Noir ne s'y trompa pas. Sous sa dureté de façade, qui n'était en fait qu'un mécanisme de défense, il sentait le feu et la passion. Elle était furieuse de leur mort, elle en accusait les Jedi, et jamais elle ne le leur pardonnerait. Cette haine ferait désormais partie d'elle, et couverait toujours sous la surface. Elle lui serait très utile dans les années à venir. Il décida que le moment était venu d'agir.

- Viens avec moi, dit-il.

Il la mena jusqu'à un motojet abandonné près de l'une des tentes. Il l'enfourcha et elle s'installa derrière lui. Elle passa ses bras minces autour de la taille de son Maître lorsque le moteur rugit et que l'engin s'éleva du sol.

- Pourquoi prenons-nous ce motojet ? lui cria-t-elle à l'oreille pour se faire entendre.

- Nous voyagerons plus vite ainsi, répondit-il par-dessus son épaule. Le temps nous est compté. Bientôt, les Jedi reviendront pour récupérer la dépouille des leurs et chercher les survivants de l'armée de Kaan, mais il y a encore une leçon que tu dois apprendre avant que nous partions d'ici.

Il n'en dit pas plus. Certaines choses ne pouvaient être expliquées, mais devaient être vécues pour être comprises. Zannah devait voir les restes de la bombe psychique, et contempler l'étendue réelle de la folie de Kaan. Il fallait qu'elle saisisse toute l'ampleur de ce que Bane avait accompli sur cette planète – et de son côté, il voulait avoir l'assurance que la silhouette entraperçue n'était qu'un effet secondaire de son exposition à la bombe. Il voulait vérifier de ses propres yeux que Kaan avait vraiment péri.