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Du côté du patron...


Chapitre n°76 :

Fantômes du passé


Bane pouvait entendre le geignement torturé des moteurs du Valcyn, tandis que le vaisseau fendait les couches supérieures de l'atmosphère de Dxun. En temps normal, le trajet de Ruusan à la lune géante d'Onderon aurait demandé quatre, voire cinq jours standards avec un appareil de classe T comme le Valcyn. Bane venait de l'accomplir en à peine plus de deux.

Quelques heures après avoir laissé derrière lui Ruusan – et Zannah –, la malédiction de sa migraine était revenue et, avec elle, un compagnon qui n'était pas du tout le bienvenu. L'ombre spectrale du Seigneur Kaan avait plané au-dessus de lui dans le poste de pilotage pendant tout le premier jour du voyage, manifestation visible des ravages que la bombe psychique avait infligés à l'esprit du Sith. Le fantôme ne parla jamais. Il semblait se contenter de le fixer d'un regard accusateur, et il demeurait une présence constante aux lisières de sa conscience.

L'apparition avait incité Bane à adopter un rythme irresponsable, et même dangereux, lors de son voyage. Il avait poussé le Valcyn bien au-delà des paramètres de sécurité recommandés, comme si une part de lui-même comptait sur la vitesse du vaisseau pour distancer sa propre folie. Il lui fallait absolument atteindre Dxun, localiser le tombeau de Freedon Nadd et, il l'espérait, découvrir un moyen quelconque de se débarrasser de ces hallucinations qui le tourmentaient.

Kaan avait disparu vers la fin du premier jour, pour être remplacé par une présence encore moins souhaitée. Ce n'était pas le fondateur de la Confrérie qui le hantait, à présent, mais Qordis. Bien que pâle et à moitié translucide, c'était une réplique presque parfaite du Seigneur Sith tel qu'il était lors de leur dernière rencontre, lorsque Bane l'avait tué. Grand, émacié, Qordis s'adressait à lui pour débiter sans fin accusations et critiques sur tout ce que Bane avait accompli.

- Tu nous as trahis, dit le fantôme en tendant le long doigt osseux terminé par un ongle pareil à une griffe.

Bane n'avait pas besoin de regarder dans sa direction pour savoir que ce doigt portait les bagues ornées de grosses pierres précieuses qu'affectionnait Qordis de son vivant.

- Tu as détruit la Confrérie, tu as offert la victoire aux Jedi, et maintenant, tu fuis comme un voleur qui s'éclipse dans la nuit.

Je ne suis pas un lâche ! pensa Bane. Il était inutile de prononcer ces mots à haute voix : la vision n'existait que dans son esprit. Converser avec elle aurait été un signe que sa santé mentale se dégradait. J'ai fait ce qui devait être fait. La Confrérie était une abomination. Elle devait être anéantie !

- La Confrérie détenait la connaissance du Côté Obscur. Une sagesse qui est perdue à jamais, par ta faute.

Bane commençait à se lasser de ce refrain. Il avait déjà eu cette conversation avec lui-même, avant qu'il ne décide de détruire Kaan et ses partisans et, à présent, il la revivait encore et encore dans les délires de son esprit affaibli. Pourtant, il refusait que le moindre doute ou la plus petite incertitude vienne entamer sa détermination. Il avait fait ce qu'il fallait.

La Confrérie s'était égarée. Elle avait quitté la voie véritable du Côté Obscur. Toutes ces études et cet entraînement auxquels Qordis soumettait ses élèves à l'Académie n'avaient aucune valeur.

- Si c'était vrai, répliqua l'apparition pour répondre à ces arguments muets, alors comment expliques-tu ta mission actuelle ? Tu prétends rejeter mes enseignements, et pourtant, c'est moi qui ai découvert l'endroit où se trouve le tombeau de Freedon Nadd.

Vous n'avez rien découvert du tout. Vous n'êtes qu'une hallucination, et vous pouvez avoir obtenu cette information par le plus grand des hasards, ce n'est pas pour autant que vous avez su comment l'exploiter. Un vrai Seigneur Sith aurait quitté Ruusan pour partir à la recherche du tombeau de Nadd. Au lieu de quoi, vous avez décidé de rester pour aider Kaan à jouer à la guerre contre les Jedi.

- Ce sont là de bien piètres justifications, railla l'esprit. Kaan était un guerrier. Mais toi, tu as préféré te cacher de l'ennemi plutôt que de l'affronter.

Bane serra les dents quand le Valcyn entra dans les turbulences de l'épaisse couche nuageuses recouvrant Dxun. Le vaisseau allait toujours trop vite, ce qui obligea le Seigneur Noir à s'arc-bouter si fort sur les commandes pour garder sa trajectoire, que les articulations de ses doigts en blanchissaient. Il perçut des craquements et des grincements lorsque la coque, à la limite de sa résistance, pénétra comme une flèche dans l'atmosphère dense.

- Tu nous as trahis, répéta Qordis.

Bane jura dans un souffle, et fit de son mieux pour ignorer les divagations de l'image créée par son propre esprit. Combien de fois avait-il eu la même conversation en une seule journée ? Cinquante fois ? Cent fois ? C'était comme écouter un holoprojecteur endommagé qui aurait répété sans fin le même message.

- Tu as détruit la Confrérie, tu as offert la victoire aux Jedi, et maintenant, tu fuis comme un voleur qui s'éclipse dans la nuit.

- La ferme ! s'écria Bane, incapable de réfréner sa colère plus longtemps. Vous n'êtes même pas réel !

Il frappa avec la Force, et lâcha une explosion d'énergie du Côté Obscur dans le poste de pilotage, dans l'intention de pulvériser cette vision offensante. Qordis disparut, en effet, mais la victoire de Bane fut de courte durée. Les voyants d'alerte se mirent à clignoter dans le vaisseau, accompagnés du hululement aigu signalant une situation critique.

Le tableau de bord de l'appareil avait grillé sous la décharge d'énergie. Maudissant Qordis et son propre manque de retenue, Bane engagea une lutte désespérée pour poser le vaisseau sans plus de dommages. Tout autour de lui, il pouvait maintenant entendre le rire moqueur de Qordis.

Le Valcyn fonçait en chute libre vers la surface boisée de Dxun. Bane pesa de toutes ses forces sur les commandes, et réussit à réduire l'angle d'approche, mais s'il ne trouvait pas un moyen de décélérer, cela ne changerait rien au résultat.

D'une main, il enfonça certaines touches pour redémarrer les propulseurs tandis que, de l'autre, il continuait à batailler ferme afin de conserver le contrôle de la trajectoire. Devant l'absence de réponse, il ferma les yeux et fit appel à la Force pour explorer les circuits et les branchements hors d'usage du vaisseau.

Son esprit fila dans le labyrinthe électronique du Valcyn, pour le rassembler selon une configuration qui rétablirait le système de mise à feu. Sa première tentative ne provoqua qu'une gerbe d'étincelles qui jaillit du panneau du contrôle, mais la seconde fut récompensée par le rugissement des propulseurs qui revenaient à la vie.

Bane parvint à inverser leur puissance à quelques centaines de mètres seulement de la surface de Dxun. La descente du vaisseau en fut ralentie, mais il était loin de l'avoir stoppée. Une seconde avant que l'appareil ne s'écrase dans la forêt, Bane se drapa dans la Force, créant un cocon protecteur qui, espérait-il, serait assez résistant pour qu'il survive au choc inévitable.

Le Valcyn percuta la cime des arbres. L'impact arracha le train d'atterrissage, qui céda dans un craquement monstrueux. De larges entailles apparurent dans les flancs du vaisseau quand la coque s'enfonça dans l'enchevêtrement de branches et de troncs.

Dans le cockpit, Bane fut projeté contre les parois et le toit. La Force elle-même ne pouvait totalement l'immuniser contre le crash dévastateur du vaisseau, qui traça un sillon calciné long d'un kilomètre dans la forêt, avant de toucher violemment le sol boueux d'un marécage et de s'immobiliser enfin.