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Chapitre n°78 :

Le tombeau de Nadd


Le cœur de Bane battait à la chamade. L'excitation du combat avait déversé des flots d'adrénaline dans ses veines. Il s'écarta du cadavre de la bête vaincue, rejeta la tête en arrière et, avec un rire de triomphe, s'exclama :

- C'est là tout ce que tu as à me proposer, Qordis ? Tu ne peux pas faire mieux ?

Il regarda autour de lui, s'attendant à voir se matérialiser l'image fantomatique de son ancien Maître, mais ce ne fut pas Qordis qui lui apparut, cette fois.

- Encore vous, dit Bane au spectre du Seigneur Kaan. Que voulez-vous ?

Comme toujours, Kaan ne répondit pas. Il tourna les talons et s'éloigna dans la forêt. Sa silhouette incorporelle traversait sans effort les branches et les broussailles. Bane mit une seconde à comprendre qu'il prenait la direction du tombeau de Nadd.

- D'accord, marmonna-t-il, et il se servit de son sabre-laser pour se frayer un chemin à la suite de l'esprit.

Son guide illusoire se maintint à courte distance devant lui pendant tout le reste du trajet. Bane tailla sans relâche à travers la jungle pendant près de quatre heures avant d'atteindre sa destination, une petite clairière où nulle végétation ne poussait. Une pyramide de forme irrégulière, en métal gris, se dressait jusqu'à vingt mètres de hauteur au cœur de ce lieu étrangement dégagé.

Bane fit halte entre les derniers arbres. Devant lui, le sol n'était que poussière et boue. Aucun organisme vivant ne pouvait croître dans l'ombre du sépulcre de Nadd. Les plantes et les arbres qui bordaient la lisière de la clairière étaient déformés et anémiés, corrompus par la puissance du Côté Obscur qui s'attachait toujours aux restes du grand Seigneur Sith, jusque dans la mort. Le tombeau lui-même était d'une conception déroutante. Ses angles se tordaient curieusement, comme si la pierre de la crypte s'était gauchie au fil du temps.

La structure comportait un accès unique, une porte qui avait autrefois été scellée mais semblait avoir été défoncée bien des siècles plus tôt par quelqu'un à la recherche des secrets de la dernière demeure de Nadd. Le fantôme de Kaan fit halte à l'entrée, adressa un signe à Bane et disparut à l'intérieur.

Le Seigneur Sith s'approcha, tous les sens aux aguets. Des pièges guettaient peut-être encore tout intrus. Pour s'encombrer au minimum, il fit glisser le paquetage de son dos et, avant de le laisser sur le seuil de la crypte, il y prit une demi-douzaine de bâtonnets éclairants qu'il glissa dans sa ceinture.

À l'intérieur de la pyramide, le plafond était très bas, et il dut courber sa haute stature pour avancer. Éclairer par l'un des bâtonnets, il pénétra dans une petite antichambre. Trois passages en partaient, chacun dans une direction différente. Il opta pour celui de gauche et entama son exploration. Il fouilla la pyramide salle après salle, sans rien découvrir de valeur. Nombre de ces chambres contenaient des preuves que quelqu'un d'autre y était déjà passé, et il se remémora les histoires concernant Exar Kun, un Jedi Noir qui, à une époque reculée, aurait lui aussi localisé le tombeau de Nadd. Selon la légende, il en était ressorti investi d'un pouvoir qui défiait l'imagination. Pourtant, à mesure que Bane poursuivait dans des recherches stériles, le doute s'insinuait en lui. Se pouvait-il que cet endroit – tout comme ceux qu'il avait visités sur Korriban – ne soit rien d'autre qu'un monument vide, sans aucun intérêt ?

En dépit d'un sentiment de frustration croissant, il s'entêta. Une enfilade de couloirs tortueux le mena à une énième chambre, apparemment aussi insignifiante que les autres, qui devait se situer au centre du temple. Kaan et Qordis l'y attendaient.

Ils se tenaient à un mètre de distance l'un de l'autre, chacun d'un côté d'un petit passage ouvrant dans la paroi. L'ouverture ne mesurait pas plus d'un mètre de haut, et elle était bloquée par une plaque de pierre noire parfaitement sertie dans le reste du mur. Bane se remit à espérer. Cette pierre semblait ne pas avoir été touchée par qui l'avait précédé ici. Il était possible que personne ne soit jamais entré dans cette chambre souterraine, car elle était nichée au cœur d'un dédale inextricable de passages, à moins que quelqu'un ne l'ait découverte mais n'ait pas réussi à ouvrir le boyau. On pouvait même envisager que cette petite entrée ait été jadis dissimulée par quelque acte de sorcellerie Sith aujourd'hui oublié, que seul le temps avait pu dissiper.

Bane n'accorda qu'un coup d'œil aux deux spectres, et il s'accroupit pour examiner la plaque. Sa surface était lisse, et elle ne saillait que de quelques centimètres de la gueule du passage, de sorte qu'il était impossible d'avoir une prise ferme sur elle – mais, bien sûr, il existait d'autres moyens de la faire bouger.

Après s'être concentré un instant, le Seigneur Sith se servit de la Force pour tenter de tirer la pierre vers lui. Elle bougea à peine. Elle était lourde, mais ce n'était pas par sa seule masse qu'elle tenait en place. Il sentait quelque chose qui luttait contre lui et lui résistait. Il inspira à fond et inclina sa tête de droite à gauche, en faisant craquer son cou tandis qu'il se préparait à un second essai.

Cette fois, il plongea plus loin dans le puits d'énergie latente en lui. Il retourna dans le passé, en extirpa des souvenirs enfouis dans son subconscient : son père, Hurst, et les mauvais traitements que celui-ci lui avait infligés, la haine qu'il avait nourrie pour cet homme qui l'avait élevé – et ainsi, il sentit son pouvoir se renforcer.

Comme toujours, tout commença par une simple étincelle de chaleur. L'étincelle mua très vite en une flamme, et la flamme en un brasier. Le corps de Bane tremblait sous l'effort qu'il fournissait pour contenir toute cette puissance, jusqu'à ce qu'elle atteigne le point critique. Il s'obligea à endurer la chaleur intolérable aussi longtemps qu'il le put, puis il lança son poing en avant et canalisa toute cette énergie vers la pierre qui lui interdisait l'accès à son destin.

La lourde plaque vola à travers la chambre et, avec un bruit sourd, alla heurter la paroi opposée. Une longue fissure verticale y apparut, mais la pierre noire était demeurée intacte. Bane tomba à genoux. L'épuisement le faisait haleter. Il leva les yeux, et vit que les deux spectres flanquaient toujours l'entrée. Avec une grimace résignée, il rampa jusqu'à l'ouverture et regarda à l'intérieur.

Au-delà, tout était plongé dans les ténèbres. Il prit donc l'un des bâtonnets éclairants à sa ceinture et le lança devant lui. L'autre chambre s'en trouva révélée. De ce qu'il pouvait distinguer, elle était circulaire, d'un diamètre d'environ cinq mètres, et haute de plafond. Un piédestal en pierre se dressait en son centre. À son sommet, était posée une petite pyramide de cristal que Bane identifia instantanément : un Holocron Sith. La découverte de celui-ci, qui peut-être contenait toutes les connaissances de Freedon Nadd lui-même, était une chance inespérée.

Bane glissa ses larges épaules dans l'étroit passage. Sans surprise, Kaan et Qordis l'attendaient déjà à l'intérieur. Le Sith les regarda un instant, puis il s'intéressa à la voûte qui s'étendait cinq mètres plus haut. À la lumière du bâtonnet, il discerna un mouvement vague, comme si un tapis de créatures vivants se déplaçait à sa surface.

Il se figea et perçut des bruits de succion. Ses yeux s'accoutumèrent très vite à l'éclairage limité, et il put apercevoir une colonie de crustacés étranges accrochés au plafond. Ils étaient presque plats, et de forme à peu près ovale – une coquille arrondie qui s'effilait à chaque extrémité. Ils étaient de taille variable, les plus petits à peine plus gros qu'un poing, les plus imposants aussi large qu'une assiette, et leur couleur allait du bronze à l'or rouge. Le son de succion survenait quand ils se déplaçaient au plafond, en rampant les uns sur les autres et en laissant derrière eux des traces luisantes.

Alors qu'il les observait, l'une de ces créatures se laissa tomber vers lui. Bane la chassa d'un revers de la main, qui envoya la carapace rigide rebondir sur le sol de la chambre.

Une seconde plus tard, une autre imitait la première et chutait droit sur lui. Le Sith alluma son sabre-laser et frappa. Le coup projeta la créature au loin, contre la paroi. Bane resta éberlué. La lame aurait dû la couper en deux, mais elle n'avait même pas laissé une éraflure sur sa coquille brillante.

Il y avait là un danger très sérieux, manifestement, et il valait mieux ne pas traîner. Bane plongea vers l'Holocron. Alors que sa main se refermait sur la pyramide miniature, la colonie de crustacés toute entière se détacha de la voûte et cascada sur lui. L'Holocron dans une main, il tenta de repousser cette attaque avec son sabre-laser et le pouvoir de la Force, mais ses assaillants étaient trop nombreux pour qu'il puisse les maintenir tous l'écart. C'était comme vouloir éviter la pluie en plein milieu d'un orage.

L'une des créatures le toucha à l'épaule et s'y agrippa. Immédiatement, elle calcina son armure et ses vêtements avec sa sécrétion acide, avant de se coller à sa peau. Bane sentit un millier de dents minuscules s'enfoncer dans ses chairs, puis une douleur atroce lorsque l'acide les brûla.

Avec un cri, il se jeta en arrière et percuta le mur, dans l'espoir de faire lâcher prise à cette chose, mais elle tint bon. Alors qu'il se démenait pour la déloger, une autre le frappa en pleine poitrine. Il hurla encore lorsque l'acide et ces dents innombrables transpercèrent ses vêtements, la peau et même ses épais muscles pectoraux, pour se fixer directement sur son sternum.

Vacillant sous ce déferlement de souffrance, il réussit néanmoins à frapper avec la Force. Toutes les autres créatures furent violemment chassées loin de lui, telles des feuilles mortes emportées par un vent soudain. Elles cliquetèrent et claquèrent en percutant les parois de la chambre. Ce bref répit lui permit se jeter à genoux et de franchir l'issue pour rejoindre la première salle.

Ignorant la douleur que lui infligeaient les deux créatures toujours soudées à lui, il utilisa la Force pour soulever la plaque de pierre dans les airs. Ses pouvoirs étaient démultipliés par la souffrance et un sentiment d'urgence proche du désespoir, et le bloc massif vola aisément à travers la chambre pour venir obturer l'ouverture de communication, avant que d'autres crustacés puissent en jaillir.

Un instant, il resta là, à haleter, l'Holocron serré dans son poing. Il s'efforçait de faire taire la douleur née des deux organismes parasites qui se nourrissaient de son corps. Il pouvait entendre le reste de la colonie qui bruissait de l'autre côté de la paroi, le bruit de succion de leurs gueules avides se mêlant aux cliquètements secs de leurs carapaces alors qu'ils s'élevaient le long du mur pour rejoindre le plafond.

Il crut aussi entendre autre chose : les rires âpres et moqueurs de Qordis et de Kaan qui se répercutaient dans le tombeau de Freedon Nadd.