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Comment s'en sort la petite Sith pas si adorable que ça ?


Chapitre n°80 :

Onderon


Le son de la mise à jour de l'autonav tira brusquement Zannah d'un demi-sommeil agité. Elle s'était lovée tant bien que mal dans le siège du pilote, et à présent, son cou était douloureux de par cette position inconfortable. Il y avait largement la place de s'étendre correctement à l'arrière, mais elle ne pouvait pas dormir là-bas. Pas avec tous les cadavres.

Elle avait sorti Wend et Irtanna du cockpit quelques minutes après leur mort. Tirer Wend de son siège avait presque paru impossible, mais son taux d'adrénaline était encore très haut après son affrontement avec Irtanna, et elle avait réussi à le traîner dans la coursive jusqu'à la soute où gisaient déjà son père et son frère.

Pour Irtanna, la manœuvre s'était révélée plus compliquée. La femme avait le corps mince et athlétique d'un soldat, et elle faisait deux fois le poids de Zannah. Dans un premier temps, la fillette n'avait même pas pu bouger le corps, et lorsqu'elle avait compris qu'elle devrait faire appel à la Force, l'excitation du combat s'était déjà dissipée. Il lui avait alors été plus difficile d'en appeler au Côté Obscur. Chaque fois qu'elle voulait puiser dans sa colère, sa conscience s'interposait. Au lieu de la sensation familière de chaleur, elle n'éprouvait que culpabilité et doute. Des visions de Bordon et de ses fils, allongés côte à côte dans la soute, obscurcissaient ses pensées et entravaient sa concentration.

Elle s'était efforcée de bloquer ces images et de laisser le Côté Obscur s'écouler à travers elle, mais elle n'y était parvenue qu'en partie. Finalement, elle avait plus fait confiance à la détermination et à l'effort qu'au pouvoir de la Force. Elle n'avait pas ménagé sa peine, et avait réussi à traîner Irtanna sur un demi-mètre, avant de devoir s'arrêter pour reprendre son souffle. Ce fut ainsi que, peu à peu, elle avait tiré le corps jusqu'à ce qu'Irtanna repose avec les autres.

Il y avait eu très peu de sang versé. À l'exception du premier tir oblique reçu par Bordon, toutes les plaies avaient été cautérisées par la chaleur des décharges de blaster. Et pourtant, cette absence de sang n'avait pas rendu moins troublant le spectacle des cadavres. Leurs yeux sans vie continuaient de fixer le vide, ce qui avait poussé Zannah à se pencher et à fermer leurs paupières d'une main tremblante au contact de ces peaux moites. Toujours insatisfaite, elle avait fouillé un peu partout et fini par dénicher des couvertures, qu'elle avait étendues sur les corps. Même sous ces linceuls improvisés, leurs traits demeuraient reconnaissables, mais elle ne pouvait rien faire de plus. Elle n'était revenue dans la soute qu'une fois, pour collecter autant de rations alimentaires que possible, afin de les rapporter à l'avant, et elle s'était obligée à ne pas baisser les yeux sur les formes indistinctes alignées à ses pieds.

Durant les sept jours suivants, elle avait prié pour la fin de son voyage autant qu'elle l'avait redoutée, quand elle retrouverait son Maître et entamerait sa formation aux voies des Sith. Elle ne quittait jamais le poste de pilotage, sauf pour se rendre à la salle d'eau du vaisseau. Chaque fois qu'elle essayait de dormir, elle sombrait dans une somnolence agitée et hantée par des cauchemars où elle revivait son accès de folie meurtrière.

À chaque réveil, elle ouvrait une ration et mangeait un peu de nourriture, et son corps regagnait peu à peu ce qu'il avait perdu pendant les dernières semaines sur Ruusan – mais les rations étaient destinées à des adultes, et jamais elle ne réussissait à les terminer. Lorsque sa faim était apaisée, elle lançait ce qu'il restait de la ration dans la coursive, en direction de la soute. Après quelques jours, l'odeur d'une dizaine de repas à moitié mangés commença à dégager un arôme douceâtre et écœurant, qui planait dans l'air tel un voile invisible, mais Zannah accueillit l'odeur de la nourriture pourrissante avec reconnaissance, car celle-ci masquait la puanteur croissante des cadavres en décomposition à l'arrière.

Pour lutter contre l'ennui, elle tenta d'imaginer ce que serait son avenir en tant d'apprentie de Bane. Elle passa en revue tout ce qu'il lui avait promis. Malgré tout, ses pensées revenaient toujours à l'équipage décimé du Star-Wake, et chaque fois que cela lui arrivait, elle se demandait ce que son Maître penserait d'une telle faiblesse.

Le signal sonore de l'autonav retentit de nouveau, et elle consulta les données affichées : d'ici cinq minutes, le vaisseau entrerait dans l'atmosphère. Il lui fallait maintenant déterminer les coordonées de l'atterrissage.

Zannah se redressa sur son siège, fronça les sourcils et étudia l'écran. Elle avait espéré que les systèmes automatisés qui avaient mené le vaisseau de Ruusan à Onderon seraient également programmés pour effectuer cette manœuvre. Malheureusement, il semblait bien que cette tâche lui incombait... et elle ignorait tout de la procédure adéquate pour poser cet engin en toute sécurité.

Elle enfonça une touche, et « ZONES D'ATTERRISSAGE » s'afficha sur l'écran, avant qu'une longue liste de lieux inconnus et de coordonnées ne se mette à y défiler. Elle n'avait aucune idée de la signification précise de ces chiffres, ni lesquels sélectionner.

Alors qu'elle regardait fixement les données sur l'écran, la navette entrait dans l'atmosphère et elle sentit les secousses familières des turbulences. Partagée entre frustration et panique, elle se mit à enfoncer des touches au hasard sur le tableau de bord. Elle ne cessa que lorsque l'autonav émit deux bips : « DESTINATION ACCEPTÉE ».

Avec un soupir de soulagement, elle se laissa aller contre le dossier de son siège et boucla son harnais de sécurité. Elle essaya de voir au-delà du tableau de bord, mais elle était trop petite pour apercevoir autre chose que des kilomètres carrés de forêt verdoyante dans toutes les directions. Elle avait manifestement choisi une zone située dans l'une des parties les moins civilisées de ce monde.

Une interrogation d'importance lui traversa l'esprit. Le pilote automatique savait-il comment se poser au beau milieu d'une forêt, ou allait-il la pulvériser contre la cime des arbres ?

Comme s'il lisait dans ses pensées, l'autonav tinta avec insistance. Elle lut les informations affichées : « Conditions suboptimales détectées pour la zone d'atterrissage choisie. Recherche du site alternatif correct dans les environs. »

Le vaisseau s'inclina légèrement sur le côté, et entama une longue courbe pour survoler la forêt à altitude constante à la recherche d'un endroit dégagé où se poser.

« Zone alternative d'atterrissage détectée », lui affirma l'écran de contrôle quelques secondes plus tard, et le nez de l'appareil s'abaissa pour la descente finale.

Elle entendit un bruit sourd, suivi du staccato des branches qui cinglaient la coque externe du Star-Wake lorsque celui-ci plongea à travers les feuillages peu denses en direction du sol. Une seconde plus tard, il gîtait violemment sur un côté en percutant le tronc d'un arbre trop épais pour être cisaillé par le vaisseau. Il y eut ensuite une série de secousses brutales alors que l'appareil glissait sur le sol, avant de s'immobiliser enfin.

Secouée mais indemne, Zannah déboucla le harnais de sécurité et ouvrit le panneau de sortie. Alors qu'elle descendait la rampe de débarquement du vaisseau, elle remarqua qu'elle se trouvait au bord d'une vaste clairière qui avait été taillée dans la forêt afin de créer un cercle dégagé d'environ deux cents mètres de diamètre. À sa grande surprise, elle constata aussi que quelqu'un se tenait immobile au centre de cet espace nu – et ce quelqu'un lui faisait signe de le rejoindre.

Elle approcha, mais fit halte à quelques mètres de l'inconnu.

- Celui qui conduit ton appareil doit être le plus mauvais pilote de la galaxie, dit l'homme en la détaillant du regard.

Il pouvait avoir la trentaine, bien que ce soit difficile à dire à cause de sa maigreur. Ses longs cheveux cuivrés étaient emmêlés, et une barbe rousse dévorait la moitié de son visage. Il portait un pantalon ample et un blouson court en cuir élimé sur une chemise déchirée, qui avait sans doute été blanche avant toute cette crasse et ces taches non-identifiables. Il était chaussé de lourdes bottes fatiguées. De sa personne émanait une odeur acre.

- Qu'est-ce qui ne va pas, petite ? demanda-t-il. Tu ne parles pas le Basic ? J'ai dit que ton pilote est le pire que j'aie jamais vu.

- Personne ne pilote mon appareil, répondit Zannah d'un ton méfiant avec un coup d'œil en arrière au vaisseau maintenant distant de plus de trente mètres. Il était en mode automatique.

- Ça explique tout, fit-il en hochant la tête. Le système auto n'est bon que pour se poser sur une piste en perna. Ici, il ne vaut pas une bouse de bantha.

Il fit un pas vers elle, et instinctivement, Zannah recula d'autant. Elle jugeait pour le moins suspecte la présence de cet homme qui l'attendait au centre d'une clairière, en pleine forêt, mais ce n'était pas l'étrangeté de la situation qui l'inquiétait. Elle cherchait désespérément un moyen de l'empêcher de découvrir les cadavres dans la soute du Star-Wake.

- Pourquoi te sers-tu du pilote automatique, petite ? Tu n'as pas un pilote avec toi ?

Elle secoua la tête.

- Non. Il n'y a personne d'autre à bord. Seulement moi.

- Seulement toi ? répéta-t-il, l'air étonné. Tu en es bien sûre ?

- Je l'ai volé, répliqua-t-elle d'un ton bravache.

Si elle réussissait à le convaincre qu'elle avait été seule dans le vaisseau, peut-être n'irait-il pas à l'intérieur découvrir les corps.

L'homme laissa échapper un ricanement bas.

- Tu l'as volé, tu dis ? fit-il avant d'ajouter d'une voix forte : Il semble que nous avons là une jeune voleuse !

Une dizaine d'hommes et de femmes émergèrent de l'orée de la clairière. Tous étaient humains, et la plupart paraissaient avoir à peu près l'âge de l'inconnu face à Zannah. Comme lui, ils étaient vêtus de tenues en piteux état. Plusieurs étaient apparus derrière l'homme à la tignasse rousse, mais d'autres avaient surgi derrière Zannah, et s'interposaient entre elle et le vaisseau – et à la différence du premier, ces nouveaux venus étaient tous armés de vibrolames et de blasters. La fillette jeta des regards furtifs de tous les côtés, et elle se rendit compte qu'elle était presque encerclée.

- Comment... comment m'avez-vous trouvée ?

- Des éclaireurs ont aperçu ton appareil qui survolait la région, répondit le roux. Nous en avons déduit que si tu voulais te poser, ce sera ici, sur notre aire d'atterrissage.

- Une aire d'atterrissage ? répéta Zannah, et un instant la surprise lui fit oublier la dangerosité de sa situation. Vous avez créé cette clairière pour que des vaisseaux s'y posent ?

- Qui a parlé de vaisseaux ? fit l'autre avec un rictus narquois.

Il porta deux doigts à ses lèvres et poussa un sifflement suraigu qui fit sursauter Zannah.

L'air au-dessus de leurs têtes fut soudain agité par une bourrasque violente, et une grande ombre cacha le soleil. Zannah leva les yeux et découvrit avec stupéfaction quatre énormes reptiles ailés qui fondaient du ciel. Ils se posèrent de l'autre côté de la clairière. Les créatures étaient harnachées avec une bride et des rênes, et chacune portait sur son dos une selle assez large pour accueillir trois personnes en même temps.

- Vous êtes des Chevaucheurs de Bêtes, fit-elle dans un souffle en se remémorant la mise en garde de Tallo quand elle avait mentionné Onderon pour la première fois.

- Du clan de Skelda, précisa l'homme. Et comme je te l'ai déjà dit, tu te trouves sur nos terres.

- Je... je suis désolée, je ne savais pas.

- Peu importe que tu l'aies su ou non. Si tu veux te servir d'une aire d'atterrissage appartenant au clan de Skelda, tu dois nous payer pour le droit d'accès.

Du coin de l'œil, Zannah nota que les autres se rapprochaient sensiblement.

- Je n'ai pas d'argent, dit-elle en reculant d'un pas.

- Aucun problème, fit l'homme roux. Nous nous contenterons de ton vaisseau.

La fillette tourna les talons et s'élança vers la forêt, mais l'autre s'était attendu à cette réaction, et il était très vif. Il la rattrapa après quelques mètres seulement, et d'une bourrade dans le dos, il la précipita au sol. Son poids la plaqua à terre. L'instant suivant, il était rejeté en arrière dans l'air.

Il se reçut rudement, à cinq mètres de là, et le choc de sa chute lui coupa le souffle. Zannah se remit debout. Les autres membres du clan s'étaient précipités vers elle quand elle avait tenté de fuir. À présent, ils reculaient tous, leurs armes brandies au-dessus de leurs têtes. Ils la contemplaient avec des yeux écarquillés où se lisaient l'incrédulité et la crainte.

Elle se retourna vers leur chef en l'entendant qui riait. Il se releva et lui adressa un clin d'œil moqueur.

- On dirait bien que nous avons là une petite Jedi en formation, railla-t-il assez fort pour que ses compagnons l'entendent. Qu'est-ce qui t'amène sur Onderon, petite Jedi ? Tu as décidé de fuir ton Maître ?

- Je ne suis pas une Jedi, répliqua froidement Zannah.

- Exact, petite. Tu ne sais pas comment contrôler tes pouvoirs, pas vrai ? Ils ne se manifestent que quand tu es furieuse ou effrayée. N'ai-je pas raison ?

Zannah serra les dents et ses yeux s'étrécirent, mais elle ne répondit pas.

- Écoute, petite, dit-il en tirant une courte lame de sa botte et en marchant lentement vers elle. Nous sommes douze et tu es toute seule. Tu crois avoir le dessus ?

- Peut-être, fit-elle d'un ton de défi.

- Et eux ? demanda-t-il en tournant la tête dans la direction des monstres ailés, sans cesser d'avancer à pas prudents. Un seul ordre de n'importe lequel d'entre nous, et les drexls arracheront net ta jolie tête blonde de ton corps. Tu penses vraiment que tes pouvoirs suffiront à les stopper ?

- Non, reconnut-elle.

Au fond de son esprit, elle éprouva une curieuse sensation, comme si quelqu'un l'appelait par la pensée.

- Alors, il est temps de laisser tomber, petite, dit l'homme roux avec un sourire cruel. Tu es toute seule.

Il ne se trouvait plus qu'à quelques pas d'elle, avec sa lame pointée devant lui. Zannah lui sourit en retour.

- Non, je ne suis pas seule.

À peine avait-elle prononcé ces mots, qu'une ombre les recouvrit tous les deux. L'homme eut juste le temps de lever les yeux, avant d'être arraché de terre par les serres d'un drexl beaucoup plus imposant que les quatre autres. Le monstre poussa un cri qui fit trembler le sol sous les pieds de Zannah, et remonta dans les airs en un arc de cercle fulgurant. La silhouette familière de Darth Bane chevauchait avec assurance l'encolure de la créature.