.

Petite info complémentaire : la planète Serenno est celle de laquelle est issu le Comte Dooku.


Chapitre n°82 :
Dix ans plus tard

[An 1 045 après J.C. / -990 avant Yavin]


Située dans la Bordure Extérieure, Serenno était l'une des planètes les plus riches de la République. C'était aussi un foyer très actif pour les sentiments antirépublicains et les mouvements séparatistes radicaux, souvent subventionnés en secret par la fortune de diverses familles nobles qui souhaitaient ardemment se libérer du joug politique imposé par le Sénat Galactique.

Et pourtant, malgré ces tendances révolutionnaires sous-jacentes – ou peut-être à cause d'elles –, le grand marché ouvert de Carannia, la capitale planétaire, avait gagné la réputation d'être un centre exemplaire du mercantilisme interstellaire. Des commençants de vingt espèces différentes se côtoyaient sans heurts sous les tentes et les auvents d'un millier d'étals. De l'aube au crépuscule, les cris des marchands proposant des denrées importées de tous les coins de la galaxie se mêlaient aux offres de prix vociférées par les clients. Même les personnages influents et les privilégiés bravaient la populace qui grouillait sur la place, et ils se fondaient volontiers dans la foule chahuteuse, pour se frayer tant bien que mal un chemin dans les allées, à la recherche de quelque trésor introuvable ailleurs.

Zannah se tenait immobile dans un coin isolé de la place, et elle s'efforçait de ne pas se faire remarquer. La tâche n'était pas des plus aisées, car si elle était de taille moyenne, sa beauté frappait immanquablement les esprits. Elle devait donc prendre certaines précautions lorsqu'elle ne souhaitait pas attirer les regards appréciateurs des hommes, ou les coups d'œil envieux des autres femmes. Aujourd'hui, elle était vêtue d'une ample cape noire qui la recouvrait de la tête aux pieds, et brouillait les contours de son corps mince et athlétique. La capuche était rabaissée pour dissimulée sa longue crinière blonde et, dans le même temps, elle masquait ses traits et l'éclat féroce de ses prunelles.

Elle s'était également drapée dans une légère aura d'insignifiance, une illusion du Côté Obscur qui lui permettait de cacher sa nature véritable lorsqu'elle s'aventurait dans un lieu public. Elle n'en devenait pas invisible au regard de quiconque l'aurait recherchée mais, tant qu'elle ne focalisait pas la curiosité d'autrui sur sa personne, elle pouvait passer inaperçue. La grande majorité des badauds à l'esprit faible ne se souviendrait même pas d'elle.

En dépit de ces précautions, elle notait parfois un regard qui s'attardait un peu trop. Il y avait quelque chose chez elle, une vivacité et une dureté dans sa façon de se mouvoir, et même de se tenir, qui la distinguait de la multitude anonyme.

Malgré tout, il lui était beaucoup plus facile de ne pas se faire remarquer que ce ne l'était pour son Maître. En dix ans, les orbalisks qui s'étaient attachées au torse de Bane s'étaient développés jusqu'à presque recouvrir l'intégralité de son corps. Ses pieds, ses mains et son visage étaient encore épargnés par l'infestation, et uniquement parce qu'il faisait tout pour qu'il en soit ainsi : il portait tout le temps des gants et des bottes spéciaux, et dans son sommeil, il revêtait un casque spécial ressemblant à une cage, qui empêchait les parasites d'envahir son visage.

Capes et couches de vêtements ne pouvaient cacher complètement ce qu'il était devenu. Quiconque entrevoyait les carapaces luisantes sous sa tenue s'en souvenait à jamais. C'était pourquoi il quittait rarement leur camp de base, sur Ambria. Il se reposait sur son apprentie pour être ses yeux et ses oreilles dans le monde extérieur. Il comptait sur elle pour endosser le rôle d'agent de sa volonté, pour coordonner et surveiller le déroulement des plans complexes qu'il ourdissait dans l'ombre.

C'était justement la raison de sa présence ici, ce jour. Elle attendait un jeune Twi'lek, qu'elle connaissait sous le nom de Kelad'den. Il était peu probable que ce soit là sa véritable identité, mais après tout, lui-même ignorait tout du nom réel de la jeune femme – quand bien même ils étaient amants.

Kel était un révolutionnaire de la veine politique, un soi-disant combattant libre qui se disait en lutte contre la tyrannie. C'était un membre influent d'un groupe extrémiste déterminé à abattre la République. Il avait fallu à Zannah plusieurs mois pour gagner sa confiance, mais il avait fini par succomber. La nuit précédente, alors qu'ils reposaient ensemble sous les draps rêches de sa couche, dans l'appartement que louait la jeune femme, le Twi'lek avait promis de la rencontrer le lendemain à midi sur la place, et de la mener à l'une des réunions clandestines de son organisation.

D'après la position du soleil dans le ciel clair de l'après-midi, il était évident que Kelad'den était en retard. Impassible, Zannah continuait cependant de guetter son arrivée. Elle avait appris les vertus de la patience dès le commencement de ses études...

- Rainah !

Dans le brouhaha du marché, une voix venait de crier le faux nom qu'elle avait adopté pour toutes ses missions. Après un moment, elle repéra Kelad'den dans la foule, qui lui faisait signe de le rejoindre de l'autre côté de la place.

Le teint des Twi'leks pouvait être de maintes nuances, mais Kel appartenait à l'ethnie extrêmement rare des Lethans à peau rouge. Comme la plupart d'entre eux, il était indéniablement séduisant, le corps élancé, large d'épaules, avec un ventre plat et des membre déliés. Il portait un pantalon noir ajusté et une tunique brun clair flottante, ouverte sur son torse musclé. Des traits parfaitement symétriques de son visage émanait une sensualité diffuse, avec ces lèvres pleines et ces yeux de braise qui semblaient vous happer si vous les fixiez trop longtemps. Ses lekkus fermes s'enroulaient autour de son cou et ses épaules, avant de descendre de façon suggestive dans l'échancrure de sa tunique.

- Rainah ! lança-t-il encore.

Quelques badauds s'arrêtèrent et le dévisagèrent avec curiosité. Zannah jura sourdement, et fendit rapidement la foule pour le rejoindre.

- Parle moins fort, siffla-t-elle dès qu'elle fut auprès de lui. Tout le monde nous regarde !

- Eh bien, qu'ils nous regardent donc ! répliqua-t-il d'un ton rogue, bien qu'en baissant la voix à son tour. Ce ne sont que des roturiers, et ce qu'ils peuvent bien penser n'a aucune importance pour moi.

Kel appartenait à une famille importante. En plus d'être un Lethan, il était issue d'une lignée prestigieuse dans la caste guerrière des Twi'leks. Depuis sa plus tendre enfance, on lui avait dit et répété qu'il était spécial, et tout naturellement, il avait grandi avec la certitude de ceux qui l'entouraient lui étaient inférieurs.

Il arrivait à Zannah d'admirer cette arrogance aristocratique. C'était un signe de pouvoir – il se savait supérieur, et il n'avait pas peur de le montrer –, mais c'était aussi une grande faiblesse. Dès les premiers temps, elle avait découvert à quel point Kel était facile à manipuler si l'on usait de la flatterie ou de défis à sa fierté naturelle, et elle exploitait sans vergogne cette faille pour accomplir sa mission.

- Tu es en retard, lui fit-elle remarquer, et je n'aime pas attendre.

- Je ne devrais même pas être ici, rétorqua-t-il avec hauteur.

- Désolée, fit-elle aussitôt en se collant à lui et en passant les bras autour de son cou. Je commençais à croire que tu étais en compagnie d'une autre admiratrice... Si jamais je te découvre avec une autre femme, je lui arracherai le cœur.

Kel la plaqua contre lui.

- Tu es plus que suffisante pour n'importe quel homme, lui murmura-t-il à l'oreille.

Un frisson parcourut l'épine dorsale de Zannah. Elle l'embrassa à pleine bouche, puis se dégagea de son étreinte.

- Nous n'avons pas le temps pour ces choses maintenant, protesta-t-elle. Tes amis nous attendent.

Kel passa une langue avide sur ses lèvres, comme s'il goûtait encore son baiser. Avec un hochement de tête, il lui prit la main.

- Allons-y.

Il l'entraîna dans la marée humaine.