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Qui est donc ce bonhomme surprenant ?


Chapitre n°88 :

Hetton


- Mon père est décédé alors que je n'étais encore qu'un bébé, fit Hetton à voix si basse que Zannah dut tendre l'oreille pour l'entendre dans le claquement de leurs pas sur le sol de marbre. Écrasée par les responsabilités de chef de famille, ma mère a laissé aux serviteurs le soin de m'élever. Ils étaient au courant de mes dons particuliers, bien des années avant que cela n'arrive aux oreilles de ma mère.

- Peut-être craignaient-ils ce qu'elle pourrait leur faire s'ils lui en parlaient, suggéra la jeune femme.

Elle et Hetton étaient seuls, à présent. Après sa démonstration dans la salle du trône, il avait tenu à l'emmener voir sa vaste collection de manuscrits et d'artefacts Sith dans son sanctuaire privé, au bout d'une aile de l'immense demeure. Il avait également insisté pour que ses gardes ne les accompagnent pas. Afin de meubler le long trajet à travers la succession interminable de couloirs et de halls, il s'était mis à lui narrer son histoire personnelle.

- Ma mère était une femme forte, très intimidante, reconnut Hetton. Peut-être les serviteurs avaient-ils peur d'elle. Quelle que soit la raison, j'avais déjà plus de vingt ans quand elle a enfin découvert mon affinité avec la Force.

- Comment a-t-elle réagi ?

- Elle a vu dans mes aptitudes un outil dont nous pourrions nous servir pour accroître la fortune de notre Maison. Elle ne s'intéressait pas aux Jedi – pas plus qu'aux Sith d'ailleurs –, mais elle voulait trouver quelqu'un qui m'enseigne comment mieux maîtriser mes dons. C'était bien des années avant que la Confrérie des Ténèbres n'accède au pouvoir, lui précisa-t-il avant de reprendre son récit. Après nombre d'enquêtes discrètes et le versement de quantité de pots-de-vin, elle a finalement jeté son dévolu sur un Duros nommé Gula Dwan.

- Il est devenu votre Maître ?

- Maître est un titre qu'il n'a jamais mérité, répliqua Hetton avec un soupçon d'amertume. Ce n'était qu'un chasseur de primes doublé d'un assassin, qui avait la chance d'être né avec la capacité d'entrer en contact avec la Force. Au fil du temps, il avait glané une compréhension sommaire des techniques les plus basiques pour accéder au pouvoir, ce qui lui permettait de faire léviter de petits objets et d'effectuer d'autres tours du même acabit, mais il n'avait jamais prêté allégeance aux Sith ou aux Jedi. Gula n'était le serviteur que de celui qui le payait le plus cher, et ma famille pouvait lui offrir plus de crédits qu'il n'en avait jamais rêvé.

Ils étaient arrivés devant une autre double-porte de dimensions impressionnantes, mais celle-ci était verrouillée de l'intérieur. Son hôte posa une paume sur le bois et ferma les yeux. Zannah perçut le murmure doux de la Force, puis les serrures cédèrent et la porte s'ouvrit sur le sanctuaire intime d'Hetton.

La pièce était mi-bibliothèque, mi-musée. Des rayonnages croulaient sous les manuscrits anciens et les rouleaux de parchemin, et des alignements infinis de vieux datapads s'étiraient le long des murs. Un terminal et un grand écran de contrôle occupaient un coin. Plusieurs longues vitrines se succédaient au centre de la pièce. Y étaient exposés les trésors Sith qu'Hetton avait passé trois décennies à acquérir : d'étranges amulettes luminescentes, de petites dagues incrustées de pierres précieuses, diverses pierres et cristaux rares, et les poignées d'au moins une douzaine de sabres-lasers différents.

- L'enseignement de Gula m'a fourni une base sur laquelle construire, mais la majeure partie de ce que j'ai appris provient des livres et des manuscrits que vous avez devant vous, fit Hetton non sans une certaine fierté.

Ils longèrent les vitrines, et Zannah partagea son attention entre ce que lui racontait le chef séparatiste et l'étalage de ces étranges objets Sith. Elle sentait les traces faibles de l'énergie du Côté Obscur qui s'attachaient encore aux artefacts, souvenirs presque effacés du pouvoir incroyable qu'ils avaient recelé.

- Très tôt dans mon apprentissage, j'ai reconnu en Gula le mystificateur qu'il était. À ma demande pressante, ma mère a utilisé la fortune et les ressources de notre maison pour fouiller la galaxie à la recherche de tout enregistrement, objet ou bijou associé, même de loin, au Côté Obscur, afin que je puisse approfondir mes études sans avoir à me reposer exclusivement sur mon prétendu Maître. Comme vous vous en doutez, ce qui nous fut apporté n'était en général d'aucun intérêt, mais avec le temps, quelques pièces rares et de valeur ont fini par tomber en ma possession.

Il se tourna vers les rayonnages, et passa une main caressante sur la tranche des volumes serrés là.

- Le savoir qu'il y a ici m'a permis de surpasser rapidement Gula. Lorsque ma mère s'est rendue compte qu'il ne nous était plus d'aucune utilité, elle l'a fait assassiner.

Zannah ne put cacher son étonnement. Hetton eut un rire feutré devant cette réaction.

- Ma mère était une femme motivée par l'ambition et un sens pratique impitoyable. Elle avait œuvré dur pour que Sith et Jedi ignorent tout de mon existence. Si Gula était autorisé à quitter notre service, il était inévitable qu'un jour, il révélerait le plus grand secret de notre maison.

- Une mort nécessaire, approuva Zannah en songeant que, sans aucun doute, Bane aurait agi de même.

Puis, une intuition lui vint, dont elle voulut confirmation :

- C'est vous qui l'avez tué, n'est-ce pas ?

Hetton lui sourit :

- Vous êtes aussi perspicace que vous êtes puissante. Lorsque l'ordre est venu de ma mère, j'ai été plus qu'heureux de l'exécuter. Gula était devenu un véritable fardeau, et un frein à mes propres recherches sur le Côté Obscur.

- Vous parlez de votre mère comme si elle n'était plus, nota la jeune femme. Que lui est-il arrivé ?

Le visage d'Hetton s'assombrit.

- Il y a une quinzaine d'années, lorsque Kaan a commencé à mettre sur pied sa Confrérie, ma mère m'a vivement incité à révéler ma véritable nature et à rejoindre leur cause. Elle pensait qu'ils réussiraient dans leur projet de détruire la République, et elle souhaitait allier notre Maison au nouveau pouvoir émergent dans la galaxie, mais j'ai refusé de m'associer au culte de Kaan. Il prêchait que tous ceux qui suivraient le Côté Obscur le serviraient en égaux – une démocratie Sith, en quelque sorte. Ce concept me répugnait, car il était à mes yeux une perversion de tout ce que j'avais étudié, tout ce en quoi j'avais foi. Quoi qu'il en soit, ma mère raisonnait toujours en termes de gouvernements et d'alliances politiques. Avec mes études du Côté Obscur, j'avais transcendé des intérêts aussi ordinaires, mais elle ne pouvait pas comprendre mes objections. En fin de compte, je me suis trouvé dans l'obligation de l'éliminer.

Cette fois, Zannah ne fut pas surprise.

- Elle aurait ignoré vos souhaits et tenté de forger une alliance avec la Confrérie, dit-elle pour lui montrer qu'elle comprenait et approuvait son geste meurtrier. Elle leur aurait dévoilé vos dons. Vous n'aviez pas d'autre choix que de la supprimer.

- Je l'ai empoisonnée durant son sommeil, expliqua Hetton avec peut-être un peu de regret. Sa mort a été paisible. Je n'ai jamais voulu qu'elle souffre. Je ne suis pas un monstre, après tout.

Il y eut un moment de silence, lorsqu'il laissa ses pensées s'attarder sur ce qu'il avait fait. Puis, il secoua la tête, mena la jeune femme vers le terminal, et reprit :

- Avec l'effondrement de la Confrérie et la réforme de l'Ordre Jedi, je suis devenu plus audacieux. À côté de ma quête de savoir et d'artefacts des anciens Sith, j'ai également entrepris de rassembler une armée de partisans. Sous la bannière séparatiste, j'ai attiré des individus dotés de talents uniques pour me servir. Nous étions unis par notre haine de la République et des Jedi, pourtant j'hésitais toujours à leur révéler mon but véritable : la résurrection des Sith ! Et vous voilà, conclut-il.

Il éjecta une carte de données d'un lecteur du terminal.

- Le moment n'aurait pas pu être mieux choisi.

Zannah n'était pas très sûre de ce qu'il sous-entendait par là, mais avant qu'elle ne puisse lui poser la question, il plaça la carte dans ses mains.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle.

- Connaissez-vous le nom de Belia Darzu ? fit-il.

Lorsqu'elle eut répondu négativement, il expliqua :

- Elle a été Seigneur Noir des Sith, et elle a régné il y a plus de deux siècles. Elle avait étudié l'Alchimie Sith. On raconte qu'elle avait appris les secrets du mechu-deru, l'aptitude à transformer la chair d'êtres vivants en métal et en mécanismes. Elle s'est servie de ce pouvoir pour créer une armée de technobêtes, des hybrides d'êtres organiques et de droïdes, assujettis à sa volonté.

Zannah gardait un vague souvenir d'une mention des technobêtes dans ses études, mais le nom de Belia Darzu n'éveillait aucun écho dans sa mémoire.

- Nombreux sont ceux qui croient aussi qu'avant sa mort, elle a découvert le secret de la fabrication des Holocrons Sith, ajouta Hetton.

Les pensées de la jeune femme revinrent immédiatement à Bane et à ses échecs successifs dans le même domaine.

- Finalement, Belia a été trahie et assassinée par ses propres disciples, poursuivit son hôte. Une fin assez commune dans les histoires que j'ai lues. Avec elle ont disparu tous ses secrets, même si certains pensent qu'une partie importante de ses découvertes serait encore présente dans les archives de sa place forte sur Tython.

- Tython ? s'exclama Zannah, qui connaissait ce nom. Ce n'est pas l'un des mondes du Noyau Profond ?

Le Noyau Profond était un petit ensemble d'étoiles extrêmement denses, réunies dans un trou noir, au centre même de la galaxie. De façon typique, les mondes du Noyau Profond – des planètes telles que Tython – apparaissaient seulement dans les mythes et les légendes, ou dans les récits échevelés d'explorateurs à moitié fous qui affirmaient les avoir visités. Des masses solaires instables, d'énormes poches d'antimatière et des puits gravitationnels assez puissants pour gauchir le continuum espace-temps rendaient virtuellement impossible toute cartographie balisée des tracés hyperspatiaux dans cette région.

- Je sais ce que vous pensez, dit Hetton. Moi aussi, j'ai été sceptique, au début, mais plus j'en ai appris sur le compte de Belia, et plus j'ai trouvé de preuves étayant la théorie que sa forteresse se trouvait effectivement sur Tython.

- Même si c'est vrai, objecta-t-elle, personne ne sait comment atteindre Tython.

- Moi, je sais, répondit Hetton avec un sourire rusé. Lors de mes recherches, j'ai découvert les coordonnées d'un tracé hyperspatial oublié depuis longtemps, qui plonge dans le Noyau Profond, mais je n'ai jamais osé entreprendre ce voyage. Je craignais que les défenses de la forteresse de Belia ne soient impénétrables... et puis, je vous ai rencontrée.

- Je ne vois pas le rapport, fit Zannah.

- Pendant de nombreuses années, j'ai étudié le Côté Obscur, mais mon pouvoir a atteint un palier. Je n'améliorerai plus mes connaissances seul. J'ai besoin d'un nouveau Maître, un Maître qui détient le pouvoir de pénétrer les défenses de la forteresse de Belia et de s'approprier ses secrets.

- Vous voulez devenir mon apprenti ? demanda Zannah, incrédule.

- Tout ce que je sais sur Belia Darzu, y compris le tracé hyperspatial permettant d'atteindre Tython, tout est sur cette carte, dit-il très vite. Je vous l'offre en signe de respect et d'admiration, et comme preuve du sérieux de ma proposition.

- Vous êtes au moins deux fois plus vieux que moi ! s'exclama Zannah, toujours incapable d'appréhender complètement la tournure bizarre que prenaient les événements.

- L'âge est de peu d'importance lorsqu'il s'agit de sujets en rapport avec la Force, lui affirma Hetton. Votre pouvoir est bien plus grand que le mien. Je vous demande de m'enseigner les voies du Côté Obscur. En retour, je vous offre l'accès à tout le savoir que j'ai amassé durant ces trente dernières années.

- Je ne suis moi-même qu'une apprentie, avoua-t-elle, et mon Maître nous tuerait tous les deux avant que je n'accepte votre offre. Pour que les Sith survivent, il ne peut y avoir qu'un Maître et un disciple.

- Alors, comment se perpétue la lignée Sith ? demanda Hetton, déconcerté.

- Lorsque j'aurai surpassé mon Maître, je le tuerai et prendrai sa place, expliqua-t-elle en répétant sans réfléchir les croyances que Bane lui avait inculquées pendant dix ans. Alors, je trouverai mon propre apprenti qui, un jour, à son tour, deviendra l'héritier du Côté Obscur.

Hetton demeura silencieux un moment, à examiner sous tous les angles le raisonnement qu'elle venait de lui exposer.

- Peut-être que ce jour est venu, dit-il doucement. Ensemble, nous pourrions mettre fin au règne de votre Maître.

Cette suggestion déclencha l'hilarité de la jeune femme. Piqué au vif, Hetton fronça les sourcils une seconde.

- J'ai plus de ressources à ma disposition que vous ne l'imaginez peut-être, dit-il.

Il leva une main et claqua des doigts. Deux de ses gardes rouges apparurent à ses côtés, comme s'ils s'étaient subitement matérialisés. La main de Zannah plongea vers son sabre-laser. Avait-elle été attirée dans un traquenard ? Elle ne pouvait comprendre d'où les gardes étaient venus aussi soudainement, et bien qu'ils soient drapés dans leur grande cape rouge, elle aurait dû sentir leur présence à travers la Force.

Les gardes ne firent cependant pas mine de l'attaquer, et après un instant, elle se détendit et posa sur Hetton un regard interrogateur.

- Comme je vous l'ai dit, j'ai recruté des sujets possédant des talents uniques, expliqua-t-il. Entre autres, huit anciens étudiants de l'Académie Sith d'Umbara.

Par Bane, Zannah savait que ces étudiants étaient formés aux meilleures techniques de l'assassinat et de la furtivité. On leur enseignait comment utiliser la Force pour masquer leur présence à toute forme de détection. C'était pourquoi elle n'avait pas réussi à les sentir dans cette pièce.

- Si vous m'acceptez comme disciple, mes gardes vous jureront allégeance eux aussi, dit Hetton. Vous aurez sous vos ordres une escouade de huit tueurs impossibles à détecter et à stopper.

Silencieuse, Zannah réfléchit à tout ce qu'il venait de dire pendant plusieurs minutes.

- Nous ne pouvons courir le risque que les Jedi apprennent notre existence, dit-elle enfin. Si vous devenez mon disciple, vous devrez laisser tout ceci derrière vous.

- Je ne pouvais pas rester encore très longtemps ici, de toute façon, lui rappela Hetton. D'ici peu, les Grandes Maisons découvriront que je suis le fondateur du Front de Libération Anti-République. Ils saisiront tous mes biens et me condamneront comme traître. J'ai déjà commencé le transfert de ma bibliothèque sur des cartes de données, en préparation de ma fuite.

Mentalement, Zannah compara tout ce qu'elle savait de la Force et du pouvoir de Darth Bane, avec Hetton et ses huit Assassins de l'Ombre. Elle s'efforça de déterminer lequel des deux camps prédominait, et elle ne parvint pas à prédire lequel survivrait à une telle confrontation – mais elle décida qu'elle voulait le savoir.

- Combien de temps pour que vos Assassins et vous soyez prêts ?

- Nous pouvons partir dans l'heure.

- Et après avoir supprimé Bane, nous irons sur Tython ?

- Il sera fait selon votre volonté, Maître, fit Hetton en s'inclinant.