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On peut dire que Bane ne l'aura pas vue arriver, celle-là.
Chapitre n°89 :
Les Assassins de l'Ombre
La nuit était tombée sur Ambria, mais Bane ne pensait pas à dormir. Assis en tailleur au centre de ce qui restait de leur campement, il attendait le retour de Zannah avec le matériel qui leur permettrait de tout rebâtir. Et pendant qu'il attendait, il méditait sur son dernier échec avec l'Holocron.
Il n'existait pas de solution facile à son dilemme. S'il s'investissait trop, son corps le trahirait, et il commettrait des erreurs dans les réglages minutieux de la matrice. S'il progressait trop lentement, pour économiser ses forces, il serait incapable de terminer avant que le réseau cognitif ne commence à se dégrader. Les deux facteurs s'opposaient, et Bane s'était creusé la tête pour trouver un moyen d'équilibrer les exigences en temps et en efforts.
Lors de sa dernière tentative, il avait atteint les limites de son pouvoir et avait oscillé au bord de l'épuisement intégral – mais même s'il n'avait pas commis l'erreur décisive qui avait fait s'effondrer la matrice, il n'était pas sûr qu'il aurait pu effectuer les derniers réglages à temps.
Plus il analysait le processus, et plus il se sentait frustré. Il avait échoué aux deux extrémités du spectre, car il n'avait pas réussi à terminer sa tâche dans le temps imparti et il avait manqué de la force nécessaire pour la terminer sans faire d'erreur.
Se pouvait-il qu'il y ait, dans le processus, un autre élément essentiel dont il n'avait pas saisi l'importance ? Existait-il un secret de plus, attendant d'être percé, qui lui permettrait enfin de créer un Holocron, afin qu'il puisse transmettre sa sagesse et son savoir à son successeur ? Ou l'échec venait-il uniquement de lui ? Son pouvoir était-il insuffisant, tout simplement ? Sa maîtrise du Côté Obscur était-elle inférieure à celle des anciens Seigneurs Sith, tels que Freedon Nadd ?
C'était une hypothèse plutôt déplaisante, mais Bane s'obligea à la considérer. Il avait lu les biographies des grands Seigneurs Sith : beaucoup d'entre elles étaient parsemées d'exploits presque trop incroyables, et même si ces récits étaient véridiques, même si certains de ses prédécesseurs avaient eu la capacité d'utiliser le Côté Obscur pour détruire des mondes entiers ou transformer des soleils en novæ, il avait toujours l'impression que son pouvoir égalait celui de maints d'entre eux qui avaient créé leur propre Holocron.
Mais quelle proportion de votre pouvoir est gaspillée pour les parasites qui infestent votre corps ?
La question surgit à son esprit, et elle était posée par la voix de son apprentie. Zannah avait exprimé ses craintes quant à l'effet que les orbalisks pouvaient avoir sur lui – et peut-être voyait-elle juste.
Il avait toujours pensé que les inconvénients posés par les orbalisks – la souffrance constante, la modification de son apparence corporelle – étaient largement compensés par les bénéfices qu'il tirait de ces créatures. Ils le soignaient, le rendaient physiquement plus fort, et le protégeaient de toutes sortes d'armes. À présent, il commençait à remettre en question toute cette théorie. S'il était vrai qu'à travers eux, il pouvait canaliser son pouvoir pour améliorer ses capacités de façon temporaire, à long terme, il n'était pas impossible qu'ils l'affaiblissent. Ils se nourrissaient à chaque seconde de l'énergie sombre qui coulait dans ses veines. Après une décennie d'infestation, était-il envisageable que son aptitude à puiser dans la Force ait été subtilement diminuée ?
Il y avait encore peu, il aurait balayé cette idée ridicule d'un revers de main, mais ses échecs répétés avec l'Holocron l'avaient forcé à réévaluer la relation symbiotique qu'il entretenait avec les étranges crustacés. Il les sentait en ce moment même, qui se gorgeaient de la Force déferlant dans ses veines.
Soudain, les orbalisks s'agitèrent. Ils tremblèrent et tressautèrent contre sa peau. Leur faim insatiable s'accrut, comme en réponse à la présence voisine d'une nouvelle source de pouvoir issu du Côté Obscur.
Bane regarda autour de lui. Il s'attendait à voir Zannah approcher du camp, dans l'éclat argenté de la pleine lune. Il ne vit rien, ne détecta rien – pas même les petites créatures et les insectes qui sortaient la nuit pour trouver de la nourriture, voletant dans les airs ou rampant dans le sable. La conscience habituelle qu'il avait du monde environnant semblait anormalement atténuée – ou dissimulée !
Il bondit sur ses pieds et décrocha le sabre-laser de sa ceinture. Sa lame prit vie dans un sifflement rageur. Une explosion de lumière rouge inonda les alentours immédiats, et anéantit les illusions qui voilaient des ennemis jusqu'alors invisibles.
Huit silhouettes drapées de rouge encerclaient le campement, leur identité cachée derrière la visière de leurs casques. Chacune tenait dans ses mains un long bâton métallique, que Bane identifia comme étant une pique de force, l'arme traditionnelle des Assassins de l'Ombre.
Spécialement formés sur Umbara à l'art de tuer des adversaires sensibles à la Force, les Assassins de l'Ombre pariaient sur l'approche furtive et la surprise. Révélés par le sursaut d'énergie déclenché par Bane, ils perdirent subitement leur meilleur atout – et malgré leur nombre, le Seigneur Sith n'hésita pas.
Il bondit en avant, et d'un arc de son sabre-laser, régla son sort au premier intrus avant qu'il – ou elle – n'ait le temps de réagir. Sa victime s'écroula, coupée en deux, juste au-dessus de la taille.
Les sept autres convergèrent aussitôt vers lui en braquant leurs piques pour délivrer les décharges électriques mortelles stockées dans l'extrémité de leur arme. Bane ne prit même pas la peine de parer leur attaque. Il se fiait à son armure d'orbalisks pour le protéger, et sa stratégie était simple : l'offensive.
Cette tactique inattendue prit deux autres Assassins par surprise, lorsqu'ils s'avancèrent imprudemment et arrivèrent à portée de sa riposte circulaire. Éviscérés latéralement, ils s'écroulèrent à l'unisson.
Les cinq tueurs restants frappèrent Bane presque simultanément, et leurs piques de force envoyèrent un million de volts dans son corps. Les orbalisks absorbèrent la plus grande partie de la charge, mais ce qu'il en resta suffit à le faire trembler de la tête aux pieds.
Le Seigneur Sith tituba et tomba à genoux, mais au lieu de se précipiter pour l'achever, les Assassins restèrent où ils se trouvaient. L'idée que n'importe quelle créature moins massive qu'un bantha puisse endurer une frappe directe d'une pique de force chargée à son maximum était inconcevable – et le Sith en avait reçu cinq en même temps. Leur erreur d'appréciation laissa à Bane la seconde nécessaire pour chasser les effets résiduels de l'assaut et se remettre debout, ce qui ne manqua pas de stupéfier et d'horrifier ses ennemis.
- Zannah avait raison à votre sujet, fit une voix derrière lui.
Il fit volte-face et découvrit un homme de taille réduite et vêtu de noir, d'une bonne cinquantaine d'années, qui se tenait immobile à la lisière du campement. Il brandissait un sabre-laser à la lame verte, mais à sa façon de le tenir, il était évident que l'inconnu n'avait jamais suivi d'entraînement sérieux au maniement de cette arme particulière.
À ses côtés, se trouvait la propre apprentie de Bane qui, elle, n'avait pas activé son sabre-laser.
Le Seigneur Sith gronda devant cette trahison, et sa fureur naissante, alimentée par les fluides des orbalisks, enflamma tout son corps.
- Cette nuit est celle de votre mort, dit l'homme en s'élançant pour attaquer.
Dans le même temps, les cinq adversaires en rouge se ruèrent vers lui. Bane se retourna et tendit sa main paume ouverte vers eux, pour frapper avec le pouvoir du Côté Obscur. Comme chez les Jedi et les Sith, l'une des premières techniques que les Assassins de l'Ombre apprenaient consistait à créer une barrière de Force. Cependant, si leur adversaire était assez puissant, une attaque concentrée pouvait percer cette barrière – et Darth Bane, Seigneur Noir des Sith, était indubitablement assez puissant.
Deux des cinq Assassins furent stoppés net, et ils s'écroulèrent comme s'ils venaient de heurter un mur invisible. Deux autres, sans doute plus faibles et moins aptes à se défendre contre le pouvoir de Bane, furent projetés en arrière. Seul le cinquième resta et poursuivit sa charge – mais sans ses frères à ses côtés pour harceler et distraire son ennemi, il se retrouva être la seule cible du courroux de Bane. Incapable de se défendre face à l'enchaînement sauvage de coups que lui porta le Seigneur Sith, il s'effondra au sol après quelques secondes, touché à la tête et au torse par une demi-douzaine de blessures fatales.
Pendant que les quatre autres se remettaient sur pied, Bane fit de nouveau face à leur chef. Prudemment, l'homme en noir avait stoppé sa course et accumulait la Force. Lorsque Bane marcha vers lui, l'homme projeta un long éclair indigo. Bane arrêta l'éclair avec son sabre-laser, dont la lame absorba toute l'énergie. En représailles, il frappa avec une dizaine de décharges, qui s'arquèrent et convergèrent sur l'homme depuis toutes les directions. L'autre sauta haut et en arrière pour esquiver ces projectiles électriques mortels. Il se reçut sur ses pieds dix mètres en arrière. Un petit cratère fumant marquait l'endroit où il s'était tenu un instant auparavant.
- Zannah ! cria-t-il. Faites quelque chose !
Mais l'apprentie de Bane ne bougea pas. Elle restait à l'écart et observait la scène.
Les Assassins fondirent sur Bane de nouveau, mais au lieu de les repousser avec la Force, il laissa son corps devenir la manifestation physique du pouvoir tumultueux du Côté Obscur. Et, alors qu'il se déplaçait comme un tourbillon, sa lame parut frapper partout en même temps. Elle tailla ses ennemis en pièces.
Les quatre Assassins moururent tous dans cette attaque, même si l'un d'eux réussit à porter un unique coup avec sa pique de force avant d'avoir la gorge ouverte, si profondément qu'il en fut presque décapité. Dans son état de fureur, Bane sentit à peine la décharge.
Une nouvelle fois, il tourna son attention vers l'homme en noir. Il marcha lentement vers lui. L'autre était paralysé par la certitude de sa fin imminente.
- Zannah ! cria-t-il encore en brandissant son sabre-laser à la verticale devant lui, comme s'il s'agissait d'un talisman capable de tenir à distance le démon qui approchait. Maître ! Aidez-moi !
Bane porta un coup descendant avec sa lame, qui trancha le bras armé de son adversaire au niveau du coude. L'homme hurla et tomba à genoux. Un instant plus tard, il se tut, alors que le Seigneur Sith lui transperçait la poitrine.
Bane fit ressortir sa lame. Tandis que le cadavre de l'homme basculait face la première dans la poussière, il fit face à son apprentie. Zannah restait immobile, à le regarder.
- Tu m'as trahi ! rugit-il, avant de se ruer sur elle.
