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Chapitre n°93 :
Tython
Le Mystic subit une secousse lorsqu'il jaillit de l'hyperespace. Une énorme planète se rapprocha et emplit le champ de vision de Darth Bane. Le vaisseau n'en était qu'à quelques milliers de kilomètres, et le Sith distinguait l'épaisse couche de nuages gris qui masquaient sa surface. Il vérifia l'ordinateur de navigation, pour avoir confirmation que c'était bien Tython.
Comme toutes les planètes dans le Noyau Profond, Tython était enveloppé de mystère et de légendes. Certains récits affirmaient que les Jedi avaient visité ce monde pendant l'ère de la Grande Chasse, trois mille ans plus tôt, afin de la nettoyer des redoutables Terentateks, des créatures monstrueuses qui se nourrissaient du sang des êtres sensibles à la Force.
D'autres légendes, beaucoup plus anciennes, faisaient de Tython le lieu de naissance de l'Ordre Jedi, quelque vingt-cinq mille ans en arrière. Des prêtres et des philosophes de ce monde avaient la capacité de puiser dans une énergie mystique qu'ils nommaient Ashla. Ce pouvoir représentait toute la compassion et toute la miséricorde de l'univers. Un groupe rival trouvait sa force en Bogan, la manifestation des passions brutes et des émotions incontrôlées.
On racontait qu'une grande guerre entre les deux groupes s'était ensuivie, dont les adeptes d'Ashla étaient sortis vainqueurs. Les premiers Chevaliers Jedi seraient nés d'après les survivants du conflit, et auraient créé les premiers sabres-lasers lors de leurs cérémonies d'initiation. Toujours selon la légende, bien des années se seraient écoulées avant que certains de ces Jedi quittent Tython et bravent l'instabilité des tracés hyperspatiaux pour aller répandre leur croyance dans les mondes situés au-delà du Noyau Profond. Et alors qu'ils se mêlaient à d'autres civilisations, Ashla et Bogan devinrent plus simplement les Côtés Lumineux et et Obscur de la Force.
Bane ignorait si la légende était vraie, mais même dans ce cas, elle prouvait seulement la supériorité du Côté Obscur et sa conquête inévitable de la Lumière – car, bien que les partisans d'Ashla aient prétendument défaits ceux de Bogan, le Côté Obscur avait fini par prévaloir. Tython, vénéré par beaucoup comme le lieu de naissance de l'Ordre Jedi, était maintenant un bastion du pouvoir du Côté Obscur, et la planète où se trouvait la forteresse secrète de Belia Darzu.
Il n'était pas impossible que d'autres personnes vivent encore sur Tython, Bane en était conscient – des descendants des premiers Jedi qui avaient survécu des millénaires durant à l'isolation du Noyau Profond, mais il ne voyait aucun intérêt à les rechercher, en admettant qu'ils existent. Avec les informations contenues dans la carte de données d'Hetton, il avait pu se diriger droit sur la forteresse de Belia.
Il pesa sur les commandes, et le Mystic plongea dans l'atmosphère de ce monde. Lorsqu'il eut traversé la couche de nuages, il vit que la surface de la planète était d'un gris cendreux, des plaines nues s'étendaient à l'infini sous les nuées grisâtres d'un ciel dépourvu de soleil.
Il stabilisa la trajectoire de l'Infiltrateur à quelques centaines de mètres au-dessus du sol et fonça vers le seul relief visible à l'horizon : une citadelle massive, flanquée de deux tours et construite entièrement en duracier.
Le bâtiment était de forme carrée, chacun de ses côtés long de cent cinquante mètres. Les murailles extérieures culminaient à trente mètres au-dessus du sol, et le seul accès était un portail de vingt mètres de large serti dans la façade. Les tours s'élevaient à chaque angle de celle-ci, qu'elles dépassaient de dix mètres supplémentaires.
Alors qu'il n'était plus qu'à quelques centaines de mètres de distance, un tir de barrage de canons ioniques fusa des tours. Le Sith inclina le Mystic de quatre-vingt-dix degrés à droite, et évita de justesse cette attaque inattendue. À l'exception de ses technobêtes, la forteresse de Belia était supposée vide.
Il décrivit un cercle complet et ramena le chasseur dans l'alignement de la façade, non sans régler le système de visée pour qu'il se bloque sur la première des deux tours. Les canons rugirent de nouveau, et Bane esquiva par une série de tonneaux tout en ouvrant le feu avec les lasers du Mystic. Lorsqu'il la survola en trombe, la tour n'était plus qu'un amas de scories fumantes.
Les senseurs du chasseur n'avaient détecté la présence d'aucune forme de vie pendant son passage. Les canons ioniques faisaient probablement partie d'un système automatisé de défense encore en fonction, après plus de deux siècles. Cette théorie se confirma vingt secondes plus tard, lorsqu'il utilisa exactement la même manœuvre pour éliminer la seconde tour : les défenses automatisées étaient très prévisibles.
Il fit encore deux fois le tour de la citadelle, le temps d'effectuer un scan visuel et un autre avec ses senseurs pour vérifier qu'il n'existait pas d'autre menace. Puis, il posa son appareil sur la plaine désolée, à courte distance de l'entrée.
Le sabre-laser au poing, il sauta au bas du cockpit et s'avança prudemment jusqu'à se trouver face au portail noir. C'était une porte anti-explosion géante sans poignées, charnières ou panneau de contrôle visibles. Concentrant son pouvoir, il plaça la paume de sa main gauche contre sa surface lisse. Le portail explosa et se déchira vers l'intérieur, dans une déflagration qui se répercuta le long du grand hall sombre menant à l'intérieur de la forteresse.
Bane s'avança d'un pas méfiant. Il guettait tout piège qui pourrait se déclencher. S'il sentait le pouvoir du Côté Obscur en ce lieu, il ne détectait aucun danger immédiat pour lui.
À la lumière de bâtonnets éclairants, il explora la forteresse salle par salle, en soulevant des nuages de poussière accumulées au cours des siècles. C'était avant tout une base militaire, et le plus gros de l'espace était occupé par les quartiers et les réfectoires nécessaires pour loger une armée de partisans, mais toutes ces pièces étaient désertes. Il n'y trouva même pas la vermine et les insectes auxquels on aurait pu s'attendre – mais peut-être étaient-ils tenus à l'écart par l'énergie du Côté Obscur qui imprégnait l'air.
En s'aventurant plus loin, il arriva aux laboratoires d'alchimie de Belia. Des vases à bec scellés et contenant des liquides aux couleurs singulières occupaient de longues tables métalliques. Des cuves vides, connectées par des serpentins en verre censés distiller ou décanter des mélanges, étaient alignées contre les murs. Dans une salle, les cœurs et les cerveaux d'une douzaine d'espèces différentes flottaient dans de grands récipients transparents, conservés à jamais dans un fluide d'embaumement clair. Un autre labo regorgeait de notes et de croquis, qui retraçaient les efforts de Belia pour transformer des créatures vivantes en hybrides organico-droïdes.
Bane prit le temps de parcourir quelques documents, avant de reprendre son exploration. Il n'avait pas réussi à déchiffrer ces griffonnages ésotériques. Il fallait qu'il trouve les archives de Belia – et, il l'espérait, l'Holocron chargé de toutes ses connaissances – s'il voulait comprendre quelque chose à ces expériences.
Vers l'arrière de la bâtisse, un escalier étroit menait aux niveaux souterrains. Hetton n'avait pas fourni de plan de la forteresse, mais Bane pouvait sentir le pouvoir qui émanait des niveaux inférieurs. Il ne faisait guère de doutes que la source de l'énergie sombre qui planait dans l'air, comme une fumée invisible, était située en bas de ces marches. C'était là, il le savait, qu'il trouverait le sanctuaire de Belia.
Il descendit sans bruit l'escalier. Du pied de celui-ci partait un long couloir étroit, se terminant par une petite porte en bois de style ancien. Un rai de lumière fluorescente pâle filtrait au ras du sol. À la différence de la porte extérieure, ici, les générateurs fournissaient toujours de l'énergie à la pièce située derrière cette porte – autre signe que l'endroit était d'une réelle importance.
Bane fit halte devant le panneau. Il était incapable se sentir ce qui l'attendait de l'autre côté, sa conscience de la Force était submergée par une concentration massive du pouvoir du Côté Obscur. Il inspira lentement, poussa doucement la porte, et contempla fixement le spectacle, dans une horreur fascinée.
La chambre était immense. Isolé au centre, se dressait un piédestal surmonté d'une petite pyramide : l'Holocron de Belia Darzu. Ce n'était pourtant pas cette vision qui retenait l'attention de Bane – le reste de la salle avait été complètement envahi par une armée de technobêtes.
Elles semblaient provenir de toutes les espèces imaginables. C'était là une ménagerie d'humanoïdes et d'animaux de tous les coins de la galaxie, qui avaient été victimes des technovirus de Belia. Jadis combinaisons mutantes de chair et de technologie, presque tous les tissus vivants s'étaient putréfiés et avaient disparu. Il ne restait que des bandes de peau desséchée et des tendons qui adhéraient encore aux os, maintenus en place par des baguettes métalliques, des câbles et des morceaux de métal tordus.
Les avant-bras et les mains de ces créatures qui avaient sur deux jambes avaient été transformés en lames plates, qui saillaient de leurs coudes. Les plus imposantes, tel le bantha technobête qu'il voyait de l'autre côté de la salle, s'étaient muées en engins de guerre, avec des blasters incorporés à leurs épaules, et leur cuir remplacé par une armure constellé de piques.
D'après les recherches d'Hetton, Bane savait que les technovirus s'attaquaient aux lobes frontaux du cerveau, et transformaient leurs victimes en des automates stupides, incapables des fonctions mentales supérieures, ce qui était un sort peu enviable pour tout être doué d'intelligence auparavant. Les créatures dans cette salle étaient dans un état encore pire. Malgré les années, ce qui restait de leur cerveau avait été conservé en vie par l'action des nanogènes des technovirus, mais la dégradation inévitable à long terme avait diminué leurs capacités motrices et les avaient réduits à des enveloppes de métal momifiées.
Bane imagina, qu'en un temps lointain, cette armée réunie dans la chambre avait dû arpenter les couloirs et les pièces de la place forte, pour la protéger de toute attaque et complaire aux besoins de la maîtresse des lieux. Avec la mort de Belia, empoisonnée par les assassins de l'Ordre de Mecrosa lorsque son alliance avec eux avait été rompue, ils avaient erré sans but ni réflexion. Avec le temps, l'énergie sinistre émanant de l'Holocron les avait peu à peu attirés dans cette salle. Mus par un instinct primaire, ils n'avaient pu qu'obéir à cet appel jusqu'à ce que, un par un, l'intégralité de l'armée se soit rassemblée ici.
Un silence surnaturel enveloppait la scène, car les cordes vocales de ces créatures infortunées s'étaient désintégrées depuis des centaines d'années. Les seuls sons audibles étaient le ronronnement bas des articulations mécaniques, et le raclement du métal sur le sol de pierre tandis qu'ils se déplaçaient au ralenti dans une confusion totale. De temps à autre, deux d'entre eux entraient en collision avec des bruits creux, et ils s'écartaient avec des mouvements patauds pour se diriger vers l'Holocron, au centre de la salle. Malgré l'attraction que la pyramide exerçait sur tous, aucun d'entre eux n'osait s'en approcher à moins de trois mètres. Ils se massaient à cette distance en un cercle irrégulier et lâche. C'était une armée de morts vivants, attendant des ordres qui jamais ne viendraient.
Bane alluma son sabre-laser et pénétra dans la salle. Les technobêtes ignorèrent sa présence. Toute leur attention allait vers l'Holocron. Tout en se frayant lentement un chemin dans leur masse en direction du centre de la salle, il essaya d'estimer leur nombre. Cinquante ? Cent ? Impossible à dire. Leurs corps de métal rouillé et de chairs momifiées semblaient tous se fondre en une seule et effrayante entité.
Arrivé devant le piédestal, au milieu de leur cercle, il marqua un temps. Il ignorait ce qui arriverait lorsqu'il s'approprierait l'Holocron. Les créatures s'inclineraient-elles devant lui et le reconnaîtraient-elles comme leur nouveau maître, ou l'assailliraient-elles dans un élan général de fureur pour protéger l'idole qu'elles adoraient ? Il n'y avait qu'une façon d'en avoir le cœur net.
