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Chapitre n°102 :
Savoir convaincre
Sur Ambria, le campement de Caleb se trouvait à moins de cent kilomètres du leur, et pourtant, Zannah ne l'avait jamais rencontré. Elle ne connaissait son existence que par ce que Bane lui en avait raconté. Il lui avait dit que le guérisseur était puissant dans la Force, mais qu'il ne puisait pas en elle comme le faisaient les Sith ou les Jedi. Le Côté Lumineux et le Côté Obscur ne signifiaient rien pour lui : il s'adressait directement au pouvoir de la nature.
À l'époque, les paroles de son Maître lui avaient semblé incompréhensibles, mais lorsque le Loranda se posa non loin de la cabane misérable que Caleb appelait son logis, elle commença à comprendre. Un pouvoir certain imprégnait ces lieux, un pouvoir qui lui parlait, mais dans une langue qui ne lui était pas familière.
Elle le sentit dans l'atmosphère dès que les portes de la soute s'ouvrirent, et elle le décela sous ses pieds lorsqu'ils touchèrent le sol. À chaque pas qu'elle faisait, la terre lui paraissait vibrer et émettre une sorte de bourdonnement, trop bas pour être entendu, mais assez profond pour qu'elle le sente dans ses dents et ses os.
Darovit venait derrière elle, tout en dirigeant la civière avec ses manettes de contrôle. Elle flottait à côté de lui, chargée du corps toujours inconscient de Bane.
- Cet endroit est extraordinaire, souffla Darovit. Je n'ai jamais éprouvé pareille sensation. C'est tellement... brut.
Même s'il n'avait pas le pouvoir d'un Jedi ou d'un Sith, son cousin était lui aussi en affinité avec la Force. Zannah se demanda s'il était possible qu'il partage le talent de Caleb, puis décida que cela ne changeait rien aux raisons de leur présence ici. Quatre jours s'étaient écoulés depuis leur départ de Tython, et Bane s'était de plus en plus affaibli. S'ils ne trouvaient pas de l'aide pour lui ici, son Maître mourrait.
Sa première impression des lieux n'était pas très bonne. De plus, dix ans auparavant, le guérisseur avait d'abord refusé de soigner son Maître. Bane avait fini par obtenir sa coopération en menaçant la vie de la fille du guérisseur. S'ils le trouvaient, aurait-il la même attitude ?
- Hé ! cria Darovit, et sa voix parut bien faible dans l'immensité des plaines arides qui les entouraient. Hé, ho !
Zannah approcha lentement de la cabane et écarta la couverture à l'entrée. La seule chose visible était une paillasse posée dans un coin. Elle recula et scruta le désert autour du camp, pour discerner si Caleb aurait pu se rendre ailleurs. Darovit fit de même, et formula la seule conclusion logique :
- Il n'y a personne ici.
Ce n'était pas seulement Caleb qui manquait, Zannah dut l'admettre. Où étaient les produits médicinaux que le guérisseur devait utiliser pour soigner ceux qui venaient demander son aide ? Où se trouvaient les éléments les plus basiques – nourriture, eau, bois pour le feu –, dont il avait forcément besoin pour survivre ?
Caleb était venu sur Ambria dans le but d'échapper à la guerre entre les Jedi et les Sith. Malheureusement pour lui, le conflit avait fini par le rattraper sur cette planète isolée.
Pourtant, le guérisseur avait conservé une neutralité inébranlable, refusant de soigner les partisans du Côté Obscur, comme ceux de la Lumière. Seul Bane l'avait obligé à faire une exception. Mais peut-être, avec la fin de la guerre, avait-il renoncé à ses habitudes de solitaire, et était retourné sur son monde de naissance, où il avait réintégré la société galactique ? C'était là une possibilité, parmi d'autres, qui aurait expliqué sa disparition.
Il pouvait aussi être mort. Dix ans s'étaient écoulés depuis la visite de Bane ici, et même si Caleb n'était alors pas un vieillard, il était toujours possible qu'il lui soit arrivé malheur par la suite. Ambria était un monde qui pouvait, à l'occasion, se révéler rude et dangereux, à moins que le guérisseur n'ait été victime d'une maladie que même lui ne pouvait soigner. S'il était mort de causes naturelles, il n'avait pas fallu longtemps aux divers charognards hantant le désert pour faire disparaître sa dépouille, sans laisser aucun indice de sa fin.
Il était clair qu'ils ne trouveraient aucune aide ici, mais il était tout aussi inutile d'aller ailleurs. Bane disposait d'un répit d'un jour, tout au plus, avant que les toxines des orbalisks n'atteignent un taux de concentration mortel dans ses tissus. Zannah s'immobilisa. Elle était incapable de seulement penser à ce qu'elle devait faire. Puis, un autre détail de l'histoire narrée par son Maître lui revint à la mémoire.
Caleb avait voulu cacher sa fille à Bane. Le Sith n'avait pas eu grand mal à la découvrir, dissimulée dans la cabane. Il n'y avait aucun autre endroit où échapper à la vue – dix ans plus tôt, en tout cas.
- Attends-moi ici, dit-elle à Darovit.
Elle le laissa veiller sur Bane, prostré sur sa civière, retourna à l'intérieur de la cabane et bougea le matelas, dévoilant une petite trappe dans le sol. Avec la Force, elle l'ouvrit d'un coup, et fut récompensée de son intuition en voyant un petit homme qui levait les yeux vers elle, du fond d'une petite cave.
Son visage n'exprimait pas la peur, ni même la colère. Enfin, pas exactement. Il avait plutôt l'air las, comme s'il savait que sa découverte allait mener à un échange long et ennuyeux.
- Dehors, fit Zannah en reculant et en posant la main sur la poignée de son sabre-laser.
Sans un mot, il gravit la courte échelle de son sous-sol, et émergea dans la cabane. C'était un homme mince et de taille moyenne, qui semblait proche de la cinquantaine. Ses cheveux noirs et raides coulaient sur ses épaules, et sa peau était tannée par dix années passées sous le soleil brûlant d'Ambria. Rien en lui n'indiquait un homme de pouvoir, et pourtant, Zannah pouvait sentir la sérénité particulière qui l'habitait.
- Savez-vous qui je suis ? lui demanda-t-elle.
- Je le sais depuis que votre Maître et vous avez établi votre campement sur ce monde, répondit-il avec calme.
- Et connaissez-vous la raison de ma présence ici ?
- J'ai senti votre arrivée. C'est pour cela que je me suis caché.
Elle jeta un coup d'œil par la trappe béante, et remarqua que la cave comportait quantité de petites étagères encombrées de bouteilles, sacs, jarres et bourses qui contenaient les remèdes et les produits médicinaux qu'il utilisait. Elle nota aussi un grand nombre de rations de survie empilées dans un coin, ainsi que quelques petits récipients carrés.
- Quand l'avez-vous creusée ? demanda-t-elle.
- Peu de temps après ma première rencontre avec votre Maître, répondit-il. Je craignais qu'il revienne un jour, et j'ai voulu que ma fille dispose d'un endroit où se cacher.
Soudain, l'homme sourit à la jeune femme, mais il n'y avait ni joie ni malice dans cette expression.
- Mais, à présent, ma fille est grande, poursuivit-il. Elle a quitté ce monde, pour ne jamais revenir, alors vous n'avez aucun pouvoir sur moi.
- Voulez-vous dire que vous vous refusez à aider mon Maître ? demanda Zannah sans même prendre un ton menaçant.
- Cette fois, il n'y a rien que vous puissiez faire pour m'y obliger, répliqua-t-il.
Derrière ces mots, elle détecta une intense satisfaction. Elle comprit qu'il se préparait à ce jour depuis dix ans.
- La guerre entre les Jedi et les Sith est finie, lui dit-elle. Mon Maître n'est plus un soldat, rien qu'un homme ordinaire qui a besoin de votre aide.
L'homme arbora de nouveau ce sourire froid.
- Votre Maître ne sera jamais ordinaire, même si, très bientôt, il mourra.
Un simple regard à sa main couverte de cicatrices convainquit Zannah que la torture ne le ferait pas changer de position, et elle savait que toute tentative de le dominer par l'emploi de la Force serait vouée à l'échec – la volonté de Caleb était trop fort pour qu'elle plie à la sienne.
- Je peux vous donner des crédits. Vous serez plus riche que vous ne pouvez l'imaginer.
D'un geste, il désigna sa cabane.
- Quel usage un homme tel que moi ferait-il d'une fortune ?
- Et votre fille ? fit Zannah. Pensez à ce qu'un tas de crédits pourrait améliorer dans son existence.
- Même si je voulais mon enfant accepte votre « tas de crédits », je ne pourrais jamais trouver le moyen de le lui faire parvenir. Afin d'assurer sa protection, j'ai insisté pour qu'elle change d'identité en quittant cette planète. J'ignore son nom actuel et où elle se trouve.
Zannah essaya alors une manœuvre désespérée :
- Si vous n'aidez pas mon Maître, je traquerais votre fille. Je finirai par la retrouver, je la torturerai et je la tuerai, jura-t-elle en insistant bien sur chaque mot. Mais avant, je la forcerai à regarder pendant que je torturerai et tuerai tous les êtres qui lui sont chers.
Caleb grimaça. Il n'était nullement impressionné par cette menace creuse.
- Allez-y, alors. Allez la traquer et laissez-moi tranquille. Nous savons tous les deux que jamais vous ne la trouverez.
Une fois encore, il avait le dessus. Sans une identité ni même une description physique, il serait impossible de dénicher une femme qui pouvait habiter n'importe lequel des centaines de milliers de mondes que comptait la République.
Irrité, Zannah regarda encore sa main. C'était la preuve qu'elle ne parviendrait pas à le briser par la douleur physique, aussi brutale qu'elle puisse se montrer.
Mais sans autre solution en vue, elle décida de tenter sa chance quand même.
Elle se servit de la Force pour soulever Caleb du sol. Ses pieds pendaient à seulement quelques centimètres du sol, mais sa tête effleurait le toit pentu de sa cabane. Elle se mit à serrer, en appliquant une pression progressive sur ses organes internes pour les écraser peu à peu. C'était une douleur atroce, que bien peu d'êtres avaient la malchance de connaître. Elle prit cependant soin d'épargner ses poumons, car elle voulait qu'il puisse respirer et parler.
- Vous savez comment mettre un terme à vos souffrances, fit-elle d'un ton froid. Dites que vous allez soigner mon Maître.
Il grogna et hoqueta, mais secoua la tête.
- Zannah ! Qu'est-ce que tu fais ?
Curieux de savoir ce qui lui prenait autant de temps, Darovit était entré dans la cabane. À présent, il se tenait sur le seuil, et contemplait avec horreur la scène.
- Cesse immédiatement ! lui cria-t-il. Tu es en train de le tuer ! Repose-le !
Avec un grondement de colère, elle relâcha son étreinte et laissa Caleb s'effondrer à terre. Darovit se précipita pour voir s'il n'avait rien, mais l'homme secoua encore la tête et le repoussa d'un geste. Il se remit sur ses mains et ses genoux, puis redressa le torse et posa les mains à plat sur ses cuisses tout en prenant de profondes inspirations.
Darovit se tourna vers la jeune femme.
- Pourquoi as-tu fait ça ? lui demanda-t-il sèchement.
- Il a refusé de nous aider, répondit-elle, presque sur la défensive.
- Je ne libérerai pas ce montre dans la galaxie une seconde fois, déclara Caleb entre ses dents serrées, car la douleur ne l'avait pas encore quitté. Il n'y a rien que vous ne pouvez faire pour m'obliger à le sauver.
Zannah s'approcha de lui et posa un genou à terre.
- Je peux user de mes pouvoirs, invoquer vos pires cauchemars et leur donner vie sous vos yeux, murmura-t-elle. Je peux vous rendre fou de terreur, et vous transformer en une épave aliénée et délirante pour le restant de vos jours.
Ces propos choquèrent beaucoup plus Darovit que Caleb, dont le sourire exaspérant reparut.
- Et si vous le faites, répondit-il placidement, votre Maître mourra quand même.
Zannah le dévisagea d'un regard étincelant de rage. Puis, elle se releva d'un bloc et sortit en coup de vent de la cabane, laissant Darovit et Caleb seuls.
