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Chapitre n°105 :
Acculés
Pour l'œil inexercé de Zannah, son Maître paraissait beaucoup mieux lorsqu'il rouvrit les yeux deux jours plus tard. Cette fois, il fut capable de tourner lentement la tête d'un côté, puis de l'autre. Il observa l'intérieur de la cabane, et vit son apprentie.
- Que s'est-il passé ? demanda-t-il.
Sa voix était encore faible et rocailleuse.
- Caleb vous a soigné, lui dit-elle, avant d'arranger l'oreiller pris à bord du Loranda. Il vous a sauvé.
Quatre jours auparavant, elle aurait eu beaucoup de mal à croire une telle affirmation. Caleb avait regardé Zannah pendant qu'elle programmait le drone-messager et l'envoyait aux Jedi, puis il l'avait prévenue : Bane risquait fort de ne pas survivre au traitement.
Elle avait tout d'abord pensé qu'il s'agissait peut-être d'un stratagème, une excuse avancée par Caleb pour masquer ses agissements s'il décidait de laisser mourir son Maître... ou de le tuer. Aussi avait-elle gardé un œil vigilant sur le guérisseur, pendant qu'il s'occupait de Bane. Même si elle savait qu'il y avait cent façons de mettre un terme à l'existence du Sith sans qu'elle ait le moindre indice de ce qu'il faisait, elle tablait sur sa présence pour le dissuader de tenter toute manœuvre sournoise.
À présent, elle se rendait compte à quel point ses craintes avaient été vaines. Caleb était un homme de parole. Il respectait encore des notions aussi ridicules que l'honneur. Il avait promis d'aider Bane si elle alertait les Jedi, et puisqu'elle avait rempli sa part du marché, il avait tout fait pour remplir la sienne.
Zannah avait d'abord suggéré que son Maître soit transporté dans l'aire médicale du Loranda pour ses soins, mais Caleb avait refusé. Il avait affirmé que les énergies puissantes qui imprégnaient la terre autour de son campement donnaient de la force à son traitement. Darovit avait approuvé, et Zannah, ayant elle-même décelé le pouvoir diffus des lieux, avait cédé.
Le guérisseur avait commencé par faire boire de force à Bane un liquide nauséabond qu'il avait concocté dans sa marmite, afin de contrecarrer les effets des toxines libérées par les orbalisks. Darovit avait expliqué à la jeune femme que le poison tuait Bane peu à peu, en le dévorant de l'intérieur, mais ce fut seulement lorsqu'ils avaient entrepris de détacher les orbalisks, en commençant par les carapaces calcinées de ceux qui avaient péri, que Zannah avait compris l'ampleur des souffrances de son Maître.
Ce qui se trouvait en-dessous des parasites ne pouvait plus être appelé peau. Ce n'était même plus de la chair, à proprement parler, mais une sorte de pulpe constituée d'ichor noir et vert déversé par les parasites, mélangé à du pus suintant et aux tissus sanguinolents du propre corps de Bane. À voir ces dommages, il était évident, même pour quelqu'un de parfaitement incompétent en médecine comme Zannah, que seul son lien avec la Force maintenait en vie le Seigneur Noir. Ses plaies dégageaient une odeur de viande avariée, et évoquaient la gangrène.
L'étape suivante consista à ôter les orbalisks toujours vivants. Zannah devina que la solution était l'électricité. Caleb avait préparé un gel gluant et hautement conducteur sur le feu, dont il avait ensuite enduit la carapace externe de chaque orbalisk. Ensuite, il avait pris une longue aiguille fine, reliée à une cellule énergétique prélevée sur le Loranda, et l'avait insérée dans un minuscule orifice situé à l'extrémité du crâne chitineux de l'orbalisk. La pointe de l'aiguille perça la partie molle du corps qui se trouvait en-dessous, et transmit une décharge électrique puissante pour assommer la créature.
En réaction, celle-ci lâcha une petite quantité de produits chimiques solvants, qui affaiblirent l'adhésif avec lequel le parasite s'arrimait à l'hôte. Ainsi, on pouvait le décrocher de ses chairs. Les orbalisks, encore étourdis, étaient alors jetés dans un grand réservoir rempli d'eau et connecté à une autre cellule énergétique du Loranda. Une dose finale d'électricité les tuait. Le processus devait été réitéré point par point pour chaque parasite de la colonie qui avait envahi le corps de Bane, et il avait demandé plusieurs heures à Caleb et Darovit.
Les chairs sous les orbalisks vivants étaient pâles et inégales, avec des plaies ouvertes suppurantes, mais elles semblaient bien moins abîmées que ce qu'on avait trouvé sous les parasites morts.
Une fois que Bane fut totalement débarrassé de l'infestation, Caleb enduisit tout son corps d'un baume et l'enveloppa, de la tête aux pieds, dans des bandages qu'il fallut changer toutes les quatre heures pendant les deux premiers jours, avec une nouvelle application du baume à chaque fois.
Zannah fut très impressionnée par les talents de Caleb. Bane n'avait été qu'une masse de tissus morts ou infectés lorsque le guérisseur avait commencé les soins, et quand enfin on lui ôta ses derniers bandages, son corps ravagé avait comme ressuscité. Sa peau était à présent d'un rose vif, d'une souplesse inhabituelle et d'une extrême sensibilité, mais elle devait reprendre sa couleur et sa texture normale dans les prochaines semaines.
- Caleb m'a sauvé ? murmura Bane. Comment as-tu fait pour le convaincre de me soigner ?
Zannah hésita. Elle ne savait pas ce qu'elle devait lui dire. Si Darovit et Caleb étaient sortis de la cabane, ils pouvaient rentrer à tout moment. Mais quelle importance s'ils la surprenaient en train de parler du drone-messager ? Ce qui était fait était fait. Son Maître était encore trop faible pour se lever, et les Jedi ne devaient plus être qu'à un jour d'Ambria.
- Nous avons dû avertir les Jedi de votre présence ici. J'ai envoyé un message leur annonçant qu'un Seigneur Sith avait tué cinq Jedi sur Tython. Je leur ai dit que vous vous trouviez sur Ambria, en compagnie de Caleb, et que vous étiez blessé, sans défense. Ils viennent vous chercher.
La colère brilla dans les yeux de Bane et il essaya de s'asseoir, mais il ne parvint qu'à relever sa tête de quelques centimètres de l'oreiller, avant de la laisser retomber. Se rendant compte de son impuissance, son Maître la couva d'un regard accusateur.
- Tu as révélé mon existence, dit-il. Tu m'as trahi.
- Il fallait que je vous garde ne vie, expliqua-t-elle en reprenant l'argument qui l'avait poussée à prendre sa dernière décision. Vous avez encore tant de choses à m'enseigner.
- Et comment serait-ce possible, maintenant ? répliqua-t-il d'une voix enrouée par la colère. Les Jedi ne le permettront jamais.
Zannah ne pouvait pas lui fournir de réponse. Bane ferma les yeux, accablé par la défaite, ou bien pour réfléchir, elle n'aurait su le dire. Du dehors, lui parvenaient les voix basses de Darovit et Caleb qui discutaient près du feu.
Quelques secondes passèrent, et Bane rouvrit les yeux. Son regard était illuminée par une intensité féroce.
- Darth Zannah, tu es mon apprentie, mon héritière. Tu peux encore revendiquer ce qui est à toi de droit. Tu peux encore te hisser au rang de Seigneur Sith.
Il parlait plus clair et plus fort, maintenant. Les forces lui revenaient lentement. Zannah se demanda si les deux hommes à l'extérieur pouvaient l'entendre.
- Prends ton sabre-laser et abats-moi ! Revendique ton titre, massacre les autres, fuis cet endroit avant l'arrivée des Jedi, et cherche un nouveau disciple. Maintiens notre Ordre en vie.
Zannah secoua la tête. Caleb avait déjà envisagé ce scénario, et il avait fait en sorte qu'il ne puisse pas se réaliser.
- Notre vaisseau a été mis hors-service, et les Jedi seront là dans quelques heures. Même je fuis dans le désert, ils me retrouveront avant que j'aie pu quitter cette planète.
- Je n'aurais jamais pensé que tu pourrais me décevoir autant, lui dit-il en tournant la tête de dégoût. Je n'aurais jamais pensé que serait toi qui anéantirais les Sith.
Elle ne dit rien pour sa défense, et quelques secondes plus tard, il se retourna vers elle. Son regard s'arrêta sur le sabre-laser accroché au ceinturon de la jeune femme.
- Je ne veux pas vivre en étant prisonnier des Jedi, murmura-t-il comme s'il avait pris conscience que d'autres pouvaient l'entendre. Tu peux l'empêcher avant qu'ils n'arrivent.
Zannah secoua la tête. Elle n'avait pas l'intention de le tuer maintenant, alors qu'elle avait pris toute cette peine pour le sauver.
- Tant que vous êtes en vie, il y a toujours un espoir, Maître, dit-elle à mi-voix, car elle craignait ce que Darovit ou Caleb pourraient penser s'ils surprenaient ces propos. Et il se peut que les Sith se relèvent à nouveau.
Bane fit non de la tête, ce qui exigea de lui un effort considérable.
- Les Jedi ne me laisseront jamais une chance de m'échapper. Ils sentiront mon pouvoir, et ils me garderont sous la surveillance constante d'une dizaine de Chevaliers Jedi jusqu'à ce que le Sénat décide de me faire exécuter pour mes crimes. Tue-moi maintenant, pour qu'ils ne puissent pas m'imposer leur justice.
Zannah avait passé les deux derniers jours au chevet de Bane, à guetter son réveil. Il était maintenant clair qu'il s'en tirerait, mais elle avait voulu parler avec lui pour s'assurer qu'il avait conservé tous ses esprits. Elle avait voulu avoir la preuve que toutes ses facultés – son intelligence, sa ruse – avaient survécu à l'épreuve. Elle venait de l'obtenir, et assez ironiquement, c'était en l'entendant affirmer qu'il préférait mourir.
- Un Sith ne se rend jamais, Maître, lui dit-elle.
- Et seul un fou accepte un combat qu'il lui est impossible de remporter, rétorqua-t-il. Les Jedi seront bientôt là. Agis maintenant, frappe, tue-moi !
Mais elle ne le voulait pas. Son Maître tenta de se lever, et sa fureur lui donnez assez de force pour qu'il arrive presque à s'asseoir. Puis, il bascula en arrière sur l'oreiller, complètement épuisé.
Alors qu'il glissait une fois de plus dans l'inconscience, Zannah se rendit compte qu'il avait raison. Les Jedi allaient débarquer, et si elle n'agissait pas très vite, elle n'en aurait plus la possibilité. Elle se leva et prit son sabre-laser. Elle savait que le bourdonnement de sa lame alerterait les deux hommes dehors, mais c'était sans importance. Lorsqu'ils comprendraient ce qu'elle faisait, il serait trop tard.
MAIS QUE VA-T-ELLE FAIRE, BON SANG ?!
