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Chapitre n°108 :

Ciutric IV


Darth Bane, Seigneur Noir des Sith, repoussa les couvertures et fit passer ses jambes hors de son lit, pour poser les pieds sur le marbre froid du sol. Il inclina la tête d'un côté, puis de l'autre, et força légèrement pour chasser la raideur dans son cou et ses épaules à la musculature puissante.

Enfin, il se leva en poussant un grognement perceptible. Après une profonde inspiration, il vida lentement ses poumons et leva les bras au-dessus de sa tête pour étirer ses deux mètres. Il sentit le craquement de chaque vertèbre qui se décoinçait, alors que ses doigts effleuraient le plafond.

Satisfait, il baissa les bras et prit le sabre-laser posé sur la table de chevet richement décorée. La poignée courbe lui était un contact rassurant, familier, solide. Pourtant, la tenir ne parvint pas à faire cesser le très léger tremblement de son autre main. Avec une grimace, il ferma le poing, et ses ongles s'enfoncèrent dans sa paume – une façon sommaire mais efficace de se maîtriser.

En silence, il se glissa hors de sa chambre, puis dans les couloirs de la demeure qu'il appelait désormais son foyer. Des tapisseries aux teintes lumineuses ornaient les murs, et des tapis colorés se succédaient sous ses pieds, tandis qu'il passait de pièce en pièce devant le mobilier sur mesure, les exceptionnels objets d'art et de nombreux autres signes de richesse évidente. Il lui fallut presque une minute pour traverser tout le bâtiment, et arriver à la porte qui ouvrait sur le parc entourant sa propriété.

Pieds et torse nus, il frissonna en contemplant la mosaïque abstraite dans la cour dallée, à la lumière des lunes jumelles de Ciutric IV. La chair de poule le gagna, mais il ignora la fraîcheur de la nuit et alluma son sabre-laser pour commencer à pratiquer les mouvements agressifs du Djem So.

Ses muscles et ses articulations protestèrent lorsqu'il enchaîna avec soin une série de coups. Taille. Feinte. Botte. La plante de ses pieds claquaient doucement sur les dalles de la cour, créant un rythme qui accompagnait la progression de chaque attaque ou retraite face à son adversaire imaginaire.

Les derniers vestiges du sommeil et de la fatigue s'accrochaient à son corps, et éveillaient cette petite voix qui le pressait d'abandonner l'entraînement pour retrouver le confort de son lit. Bane la fit taire en récitant mentalement le début du Code Sith : « La paix est un mensonge. Il n'y a que la passion. »

Dix années standards s'étaient écoulées depuis qu'il avait perdu son armure en orbalisks. Dix années depuis que son corps avait été brûlé, presque à en être méconnaissable, par la puissance dévastatrice de la Foudre Sith qu'il avait lui-même déclenchée. Dix années depuis que Caleb le guérisseur l'avait ramené de la frontière de la mort et que Zannah avait massacré Caleb et le Jedi venus les trouver.

Grâce aux manœuvres de Zannah, les Jedi croyaient maintenant les Sith éteints. Bane et son apprentie avaient passé la décennie suivant ces événements à perpétuer ce mythe. Ils avaient vécu dans l'ombre, accumulé les ressources et rassemblé leurs forces pour le jour où ils riposteraient.

En ce jour glorieux, les Sith révéleraient leur existence en mettant fin à celle de leurs ennemis.

Bane était conscient qu'il ne vivrait peut-être pas assez longtemps pour connaître ce triomphe. Il avait dépassé la quarantaine, et déjà, les premières cicatrices de l'âge laissaient leur marque sur son corps. Pourtant, il s'était voué à l'idée qu'un jour, même si c'était dans deux siècles, les Sith – ses Sith – régneraient sur la galaxie.

Tout en continuant à négliger les souffrances qui allaient toujours de pair avec la première moitié de ses entraînements nocturnes, il accéléra les enchaînements. L'air sifflait et grésillait sous les entailles invisibles que lui infligeaient la lame écarlate devenue une extension de sa volonté indomptable.

Il offrait toujours un spectacle imposant. Les muscles puissants, forgés pendant sa jeunesse dans les mines d'Apatros, roulaient sous sa peau et jouaient à chaque coup de son sabre-laser – mais une infime partie de la force brute, qui avait été sienne jadis, s'était évanouie.

Il effectua un bond spectaculaire sur place, et son sabre-laser décrivit un arc au-dessus de sa tête, avant de s'abattre à la verticale dans un coup suffisamment violent pour couper un ennemi en deux. Ses pieds heurtèrent la surface dure de la cour avec un bruit sec lorsqu'il retomba. Il se déplaçait toujours avec une grâce féroce et une intensité terrifiante, et son arme fendait toujours l'air à une vitesse stupéfiante lorsqu'il exécutait les figures martiales. Pourtant, il était très légèrement plus lent qu'il ne l'avait été autrefois.

Le vieillissement était un processus subtil, mais inéluctable. C'était un fait que Bane acceptait – ce qu'il perdait en force et en rapidité, il pouvait aisément le compenser par l'expérience, le savoir et la sagesse –, mais l'âge n'était pas la cause du tremblement qui affectait parfois sa main gauche.

L'ombre d'un nuage sombre et chargé de la menace d'un orage féroce passa sur l'une des deux lunes. Bane s'interrompit, et envisagea brièvement d'écourter son rituel pour éviter l'averse imminente, mais il s'était bien échauffé, à présent, et le sang circulait furieusement dans ses veines. Les douleurs mineures s'étaient estompées, effacées par l'afflux d'adrénaline que procurait un entraînement physique aussi poussé. L'heure n'était pas venue d'arrêter.

En sentant une bourrasque froide, il s'accroupit et s'ouvrit à la Force pour qu'elle déferle en lui. Il s'en servit pour accroître sa conscience, au point d'englober chaque goutte d'eau tombant du ciel, avec pour objectif de ne pas en laisser une seule le toucher.

Il pouvait sentir le pouvoir du Côté Obscur se développer en lui. Comme toujours, le phénomène ne fut d'abord qu'une faible étincelle, une lueur et une chaleur vacillantes. Muscles tendus, il nourrit ce point de lumière de sa propre passion, puis laissa sa colère et sa fureur la transformer en un brasier impatient d'être lâché.

Lorsque les premières gouttes vinrent s'écraser sur les dalles de pierre de la cour, Bane explosa dans l'action. Délaissant le style surpuissant du Djem So, il adopta celui plus rapide du Soresu. Son sabre-laser se mit à tracer des cercles étroits au-dessus de sa tête, dans une succession de mouvements destinés à intercepter les décharges de blasters ennemies.

Le vent forcit en hurlant, et les quelques gouttes devinrent très vite une averse drue. Corps et esprit ne faisant plus qu'un, il canalisa le pouvoir infini de la Force contre la pluie. De petits nuages de vapeur sifflante se formèrent, à mesure que sa lame arrêtait les gouttes. Il se contorsionnait et virevoltait pour esquiver les quelques-unes qui avaient réussi à pénétrer sa défense acharnée.

Durant les dix minutes qui suivirent, il s'opposa au déluge et savoura le pouvoir du Côté Obscur. Et soudain, aussi brusquement qu'elle avait commencé, l'averse cessa, puis le nuage fut emporté par la brise. Bane éteignit son sabre-laser. Il avait le souffle court et sa peau nue luisait de sueur, mais pas une seule goutte de pluie ne l'avait atteint.

Ces averses soudaines et nocturnes étaient presque quotidiennes sur Ciutric, en particulier ici, au cœur de la forêt luxuriante qui bordait les alentours de la capitale, Daplona. Cet inconvénient mineur était toutefois très tolérable, en comparaison de tous les avantages qu'offrait la planète.

Située dans la Bordure Extérieure, loin du siège du pouvoir galactique et des regards indiscrets du Conseil Jedi, Ciutric IV avait la chance de se trouver au confluent de plusieurs routes commerciales hyperspatiales. Les vaisseaux faisaient souvent escale sur la planète, ce qui avait créé une société industrielle réduite mais aux profits substantiels, centrée sur le commerce et le transport.

Plus important encore pour Bane, ce flux constant de visiteurs venus de tous les coins de la galaxie lui donnait un accès facile aux contacts et aux informations, ce qui lui avait permis de mettre sur pied un réseau d'informateurs et d'espions qu'il pouvait superviser personnellement.

La chose aurait été impossible si son corps était resté couvert d'orbalisks. L'armure vivante l'avait rendu quasiment invincible dans les duels, mais son apparence monstrueuse l'avait également obligé à rester caché aux yeux de tous.

À l'époque, ses projets d'accroître sa fortune, son influence et son pouvoir politique avaient été paralysés par sa difformité physique. Contraint à une existence solitaire s'il ne voulait pas que les Jedi aient vent de sa présence, il avait dû recourir aux services d'émissaires et d'intermédiaires. Il s'était également reposé sur Zannah, qui était devenue ses yeux et ses oreilles. Tous les renseignements qu'il obtenait passaient par elle. Elle effectuait également chaque tâche, contrôlait chaque avancée. Il en avait résulté, pour lui, l'obligation d'agir avec plus de prudence, et cela avait ralenti l'exécution de ses plans.

La situation était différente aujourd'hui. Il demeurait un individu impressionnant, mais pas plus que bien des mercenaires, chasseurs de primes ou soldats à la retraite. Comme il portait la tenue traditionnelle de leur monde d'adoption, c'était surtout par sa taille qu'il se distinguait, et même cette particularité physique, si elle était remarquable, n'avait rien d'unique. Il pouvait donc se fondre dans la foule, interagir avec ceux qui détenaient des informations, et forger des relations avec des alliés politiques de poids.

Il n'avait plus à rester caché, car il était maintenant capable de dissimuler sa véritable personne sous une autre identité. À cet effet, Bane avait acheté une petite propriété en périphérie de Daplona. Sous le déguisement de Sepp et Allia Omek, frère et sœur ayant fait fortune dans l'import-export, lui et Zannah avaient cultivé avec grand soin leurs nouvelles identités, pour se faire une place dans les cercles influents de la planète, aussi bien dans le domaine social, économique ou politique.

Leur propriété était assez proche de la cité pour qu'ils aient facilement accès à tout ce que Ciutric offrait, mais assez isolée pour que Zannah poursuivre en toute discrétion sa formation de Sith. La stagnation et l'autosatisfaction étaient les graines d'où germeraient la destruction ultime des Jedi, par l'intérieur. En tant que Seigneur Noir, Bane devait veiller à ce que son propre Ordre évite de tomber dans le même piège. Il était donc nécessaire non seulement de former son apprentie, mais aussi de continuer à développer ses propres talents et connaissances.

Une bourrasque vint refroidir la pellicule de sueur sur la peau de Bane. La séance physique du soir était terminée, et l'heure était venue de s'atteler au travail réellement important.


Ne faites pas attention à moi, je bave, c'est rien, c'est pas grave x')