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On reprend Bane là où on l'avait laissé... non pas dans le lit de Zannah, bande de pervers, mais après sa séance d'entraînement au sabre-laser.
Chapitre n°110 :
L'avenir de l'Ordre
En une douzaine de pas, Bane gagna la petite annexe située à l'arrière de la propriété, après son entraînement nocturne. La porte était verrouillée avec un système de sécurité à code. Il composa celui-ci, et pénétra dans ce qui lui servait de bibliothèque privée.
Il s'agissait d'une seule pièce carrée de cinq mètres de côté, éclairée par un plafonnier. Les murs disparaissaient derrière les rayonnages surchargés de parchemins, manuscrits et tomes. C'était le fruit d'années de recherches, et une collection exceptionnelle de documents traitant des enseignements des anciens Sith. Au centre de la pièce, se trouvaient une large estrade et un petit piédestal sur lequel était posé le plus grand trésor du Seigneur Noir : son Holocron.
Pyramide de cristal à quatre côtés et assez petite pour tenir dans la paume de la main, l'Holocron contenait la totalité des connaissances de Bane. Tout ce qu'il avait appris sur le Côté Obscur, tous ses enseignements, toute sa philosophie, y avait été transféré et enregistré pour l'éternité. C'était l'héritage qu'il laisserait, une façon de partager une vie entière de sagesse avec ceux qui viendraient après lui dans la lignée des Seigneurs Sith.
À sa mort, l'Holocron reviendrait à Zannah, si du moins elle prouvait un jour qu'elle était assez forte pour le remplacer et devenir Dame Noire – mais Bane n'était plus du tout certain que ce jour viendrait.
Sous une forme ou une autre, les Sith existaient depuis des milliers d'années, et ils avaient toujours mené une guerre sans merci aux Jedi... et entre eux. À maintes reprises, les manœuvres des adeptes du Côté Obscur avaient été contrecarrées par leurs propres rivalités et leurs luttes intestines pour accaparer le pouvoir.
Un thème commun était récurrent dans la longue histoire de l'Ordre Sith. Tout grand leader se trouvait inévitablement renversé par une alliance formée entre ses disciples – et lorsque leur chef suprême ne se montrait pas assez fort, les Sith sous sa domination se retournaient les uns contre les autres, ce qui avait pour effet d'affaiblir un peu plus l'Ordre.
De tous les Seigneurs Sith, seul Bane avait compris la futilité inévitable de ce cycle, et lui seul avait été assez fort pour le briser. Sous sa direction, les Sith avaient ressuscité. Aujourd'hui, ils n'étaient qu'au nombre de deux : un Maître et une apprentie – le premier pour incarner le pouvoir, la seconde pour le convoiter.
Ainsi, la lignée des Sith découlerait toujours du plus fort, du plus digne. La Règle des Deux instaurée par Bane constituait l'assurance que le pouvoir du Maître et de l'apprenti grandirait de génération en génération, jusqu'à ce que les Sith soient enfin capables d'exterminer les Jedi, et ainsi d'ouvrir une ère galactique nouvelle.
C'était pourquoi Bane avait choisi Zannah comme apprentie, car elle avait le potentiel de dépasser un jour les aptitudes de son formateur – et ce jour-là, elle le remplacerait et deviendrait Dame Noire des Sith, puis elle choisirait à son tour un apprenti. Bane mourrait, mais les Sith continueraient de vivre.
C'était du moins ce qu'il avait cru, mais à présent, le doute le taraudait. Deux décennies avaient passé depuis qu'il avait ramassé la fillette de dix ans sur un champ de bataille de Ruusan, et pourtant, Zannah semblait toujours se satisfaire de seulement servir. Elle s'était montrée avide d'apprendre, et son affinité avec la Force était exceptionnelle. Tout au long de ces années, Bane avait suivi ses progrès avec la plus grande attention, et à l'heure actuelle, il aurait été bien incapable de dire qui d'elle ou de lui survivrait à la confrontation.
Mais la répugnance de la jeune femme à le défier avait fini par intriguer son Maître, et il se demandait si elle avait l'ambition dévorante nécessaire pour devenir Dame Noire des Sith.
En entrant dans la bibliothèque, il tendit le bras gauche pour refermer la porte derrière lui, et le tremblement de sa main ne put lui échapper. Il claqua la porte d'un geste brusque, puis serra involontairement le poing, une fois de plus.
Les années commençaient à réclamer leur dû, mais ce n'était rien comparé à celui que son corps payait déjà pour avoir utilisé le Côté Obscur de la Force pendant des dizaines d'années. Il ne put que sourire de cette ironie sinistre : grâce au Côté Obscur, il avait accès à un pouvoir quasi-infini, mais celui-ci exigeait un tribut accablant. La chair et les os ne possédaient pas assez de résistance pour supporter l'énergie insondable que dégageait la Force. Le feu inextinguible du Côté Obscur le rongeait, le dévorait, atome après atome. Son corps était en train de céder, après des décennies passées à concentrer et à canaliser ce pouvoir.
Sa condition physique était d'autant plus préoccupante que les effets de l'armure en orbalisks subsistaient en lui. Les parasites l'avaient tué sournoisement, tout en lui accordant les bienfaits d'une force et d'une vélocité incroyables. Ils avaient poussé son corps bien au-delà de ses limites naturelles, le vieillissant prématurément et intensifiant la dégénérescence qui accompagnait toujours l'usage de la puissance dispensée par le Côté Obscur. Si aujourd'hui, il ne portait plus sur lui les orbalisks, les ravages qu'ils avaient causés ne pouvaient être endigués.
Les premières manifestations externes de sa santé déclinante avaient été discrètes – ses yeux s'étaient quelque peu renfoncés dans les orbites, sa peau avait pâli et s'était abîmée plus qu'il n'était normal à son âge. L'année qui venait de passer, toutefois, avait été le théâtre d'une dégradation plus prononcée, qui avait culminé avec ce tremblement intempestif de sa main gauche, lequel devenait de plus en plus fréquent.
Et il n'y avait rien qu'il pût faire pour remédier à cela. Si les Jedi pouvaient puiser dans le Côté Lumineux pour soigner blessures et maladies, le Côté Obscur était une arme, et le frêle ou le maladif ne méritaient pas d'être guéris. Seuls les forts méritaient de survivre.
Il s'était efforcé de dissimuler ce tremblement à son apprentie, mais Zannah était trop vive d'esprit, trop maligne pour ne pas avoir remarqué une preuve de faiblesse aussi flagrante chez son Maître. Peut-être même était-ce la raison qui l'avait poussée à briser une barrière symbolique entre eux, quelques semaines plus tôt. Malgré l'alcool aidant, elle devait déjà le penser plus facile à manipuler à sa guise.
Bane avait alors espéré que le tremblement serait le catalyseur dont Zannah avait besoin pour oser le défier. Pourtant, même maintenant, alors que son corps montrait des signes évidents de sa vulnérabilité croissante, elle paraissait se satisfaire du statu quo. Agissait-elle par crainte, indécision, ou peut-être compassion pour lui ? Bane n'aurait pu le dire, mais aucune de ces explications n'était acceptable chez la personne destinée à assumer son héritage.
Il y avait une autre explication envisageable, bien sûr, et c'était la plus troublante de toutes. Il était possible que Zannah ait remarqué la subtile détérioration de ses capacités physiques, et qu'elle ait tout simplement décidé d'attendre. Dans cinq ans, son corps ne serait plus qu'une carapace en ruine, et elle pourrait se débarrasser de lui sans presque courir de risques.
Dans maintes autres circonstances, Bane aurait admiré une telle stratégie, mais dans ce cas précis, elle allait à l'encontre du principe fondamental sur lequel reposait la Règle des Deux. Un apprenti se devait de gagner de haute lutte le titre de Seigneur Noir, il devait l'arracher au Maître lors d'un affrontement où tous deux iraient à l'extrême limite de leurs capacités. Si Zannah avait pour projet de ne le défier que lorsqu'il serait affaibli par la maladie et l'infirmité, alors elle n'était pas digne de lui succéder. Et pourtant, Bane ne souhaitait pas provoquer lui-même la confrontation. S'il échouait, les Sith seraient dirigés par un Maître qui n'acceptait ni ne comprenait le principe-clé sur lequel le nouvel Ordre avait été bâti. S'il était victorieux, il se retrouverait sans apprenti, et son corps usé le trahirait longtemps avant qu'il n'ait eu le temps d'en choisir et d'en former correctement un autre.
Il n'y avait donc qu'une solution : trouver un moyen de prolonger sa propre vie. Il fallait qu'il découvre comment régénérer son corps, ou comment le remplacer. Un an plus tôt, il aurait pensé la chose impossible – aujourd'hui, il n'était plus de cette avis.
Il prit un ouvrage épais sur l'un des rayonnages. Le cuir de la reliure en était craquelé, le temps avait rendu les pages jaunâtres et friables. Il le déposa avec des gestes précautionneux sur le piédestal, puis l'ouvrit au passage marqué le soir précédent.
Comme la plupart des livres de sa bibliothèque, celui-ci avait été acheté à un collectionneur privé. La galaxie pouvait bien croire les Sith disparus, le Côté Obscur exerçait toujours une attraction irrésistible sur l'esprit des gens des deux sexes et de maintes espèces, et le marché noir de tout ce qui avait rapport avec les Sith était encore florissant chez les riches et les puissants.
Les efforts des Jedi pour localiser et confisquer ces objets avaient eu pour résultat de faire monter les prix, et d'obliger les collectionneurs à recourir à des intermédiaires pour préserver leur anonymat, ce qui convenait parfaitement à Bane. Il avait réussi à constituer et agrandir cette bibliothèque sans crainte d'attirer l'attention sur lui – il n'était qu'un autre fétichiste des Sith, un collectionneur anonyme de plus, obsédé par le Côté Obscur et prêt à dépenser une petite fortune pour posséder des manuscrits et des objets d'art ou magiques interdits.
Dans leur grande majorité, ses acquisitions étaient sans grand intérêt : amulettes et autres bibelots au pouvoir négligeable, copies de deuxième main d'histoires qu'il avait lues pendant ses études sur Korriban, œuvres incomplètes rédigées dans des langues mortes indéchiffrables... mais, de temps à autre, il lui était aussi arrivé de tomber sur un petit trésor.
Le livre devant lui en était un exemple. L'un de ses agents l'avait acheté quelques mois plus tôt, et c'était un événement trop exceptionnel pour que l'on puisse l'attribuer à la seule chance. La Force se manifestait de façon souvent mystérieuse, et Bane avait la conviction que cet ouvrage était destiné à arriver entre ses mains, car il était la réponse à son problème.
Comme beaucoup d'autres livres de sa collection, c'était un récit historique fait par l'un des anciens Sith. La plupart des pages contenaient des noms, des dates et d'autres renseignements qui n'avaient aucune utilité pratique pour Bane, mais il y avait également une brève section où il était fait référence à un individu du nom de Darth Andeddu. Selon ce texte, Andeddu avait vécu des siècles durant, en recourant au Côté Obscur de la Force pour accroître sa longévité et conserver ses capacités physiques bien au-delà de ce que la nature accorde.
À la manière caractéristique des Sith avant les réformes de Bane, le règne d'Andeddu s'était terminé dans la violence, lorsqu'il avait été trahi et renversé par ses propres disciples – mais son Holocron, où étaient enfermés ses plus grands secrets, y compris celui de la vie quasi-éternelle, n'avait jamais été retrouvé.
Il n'y avait rien de plus. Moins de deux pages au total. Dans ce court passage, il n'était fait aucune mention de l'endroit ou de la période où Andeddu avait vécu, pas plus d'ailleurs que de ce qu'il était advenu de ses élèves après sa chute. Et ce manque même de précisions rendait le sujet passionnant.
Pourquoi y avait-il si peu de détails ? Pourquoi n'avait-il jamais lu le nom d'Andeddu auparavant, malgré toutes ses années d'études et de recherches ?
La seule explication logique était que les Jedi avaient tout fait pour éradiquer le souvenir d'Andeddu de la mémoire galactique. Au fil des siècles, ils avaient rassemblé tous les datapads, holodisks et textes écrits qui mentionnaient Darth Andeddu, puis ils les avaient mis sous clé dans les archives Jedi pour que ses secrets restent inconnus.
Mais, en dépit de leurs efforts, cette référence dans un vieux manuscrit oublié et sans valeur avait survécu, pour finir entre les mains de Bane. Ces deux derniers mois, c'est-à-dire depuis qu'il était entré en possession de ce livre, le Seigneur Noir avait terminé chaque entraînement martial nocturne par une visite à la bibliothèque, où il méditait sur le mystère entourant la disparition de l'Holocron d'Andeddu. En croisant les données de cet ouvrage avec tout le savoir accumulé dans les milliers d'ouvrages de sa collection, il s'était ingénié à assembler les pièces du puzzle, mais il avait toujours échoué.
Il refusait néanmoins d'abandonner sa quête. Tout ce pour quoi il avait travaillé, tout ce qu'il avait construit en dépendait. Il localiserait l'Holocron d'Andeddu, il découvrirait le secret de la vie éternelle, et celle-ci lui permettrait de trouver puis de former un autre apprenti.
Sans l'Holocron, il dépérirait inexorablement, et il finirait par mourir. Zannah s'arrogerait alors le titre de Seigneur Noir par défaut, ridiculisant ainsi la Règle des Deux et laissant le sort de l'Ordre entre les mains d'un Maître qui n'en était pas digne.
S'il ne réussissait pas à trouver l'Holocron d'Andeddu, les Sith étaient condamnés.
