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Chapitre n°112 :
La distraction idéale
Le bureau personnel de Bane, très différent de sa bibliothèque privée nichée au fond de la propriété, était une ruche bourdonnante d'activité électrique incessante. Même déserte, la pièce était illuminée par le déferlement d'images des bulletins d'informations que diffusait l'HoloNet, la lueur des données sur les écrans reproduisant les cours de la Bourse sur douze planètes, et les terminaux où défilaient les communications privées filtrés à travers le réseau d'informateurs que Zannah et lui avaient constitué au fil des ans.
Si l'opulence et l'extravagance étaient partout présentes dans la vaste demeure, il avait dépensé plus dans cette pièce que dans n'importe quelle autre. Avec tous ces terminaux, holoprojecteurs et écrans de contrôle, elle ressemblait plus à une salle de communications de spatioport qu'au repaire d'une personne chez elle. Il n'y avait pourtant pas d'étalage grandiose de richesses ici, plutôt un hommage à l'efficacité et au pragmatisme. Chaque appareil avait été soigneusement sélectionné pour traiter le volume monstrueux de données arrivant dans cette pièce – des milliers chaque heure, toutes enregistrées et stockées pour analyse et utilisation ultérieures.
Le bureau renforçait l'illusion que Zannah et lui étaient des entrepreneurs fortunés, obsédés par l'étude des nouvelles venues des coins les plus reculés de la galaxie, et à la recherche de toute opportunité profitable. Jusqu'à un certain point, d'ailleurs, c'était vrai. Chaque crédit dépensé dans cette pièce était un investissement qui, au final, rapporterait cent fois la mise. Durant les dix dernières années, Bane avait utilisé les renseignements qu'il accumulait pour accroître sa fortune de manière très significative – même si, pour un Seigneur Sith, la richesse matérielle était seulement un moyen, et non une fin en soi.
Il avait compris que le pouvoir découle du savoir, et sa vaste fortune lui avait permis de rassembler la collection inestimable d'enseignements des Sith anciens, qu'il conservait en sécurité dans sa bibliothèque privée. Pourtant, il s'intéressait à plus que les secrets oubliés du Côté Obscur. Depuis les couloirs du Sénat de la République, jusqu'aux conseils tribaux sur les planètes les plus reculées de la Bordure Extérieure, le pivot de tout gouvernement était l'information. L'Histoire était façonnée par des individus qui avaient compris qu'être bien informés, pour contrôler et exploiter, pouvait aider à vaincre n'importe quelle armée.
Bane en avait lui-même eu la preuve. La Confrérie des Ténèbres avait été détruite non pas par les Jedi et leur Armée de la Lumière, mais par les plans soigneusement mis au point par un seul homme. D'anciens parchemins et manuscrits pouvaient déverrouiller les secrets du Côté Obscur, mais pour abattre les Jedi et la République, Bane devait d'abord et surtout connaître tout sur ses ennemis. Le réseau d'agents et d'intermédiaires qu'il avait créé avec le temps constituait un élément-clé de son plan, mais ce n'était pas suffisant. Les individus étaient faillibles, leurs rapports parfois empreints de partialité, ou incomplets.
Dès que cela était possible, il préférait se fonder sur les données pures, issues du réseau de renseignement tissé sur chaque planète de la République. Il avait besoin d'être au courant de chaque détail de chaque plan avancé par le Sénat et le Conseil Jedi. S'il voulait espérer un jour modeler et manipuler les événements galactiques afin de provoquer la chute de la République, il devait savoir, en temps réel, ce que l'ennemi faisait et anticiper ses mouvements suivants.
La complexité de ses machinations requérait une attention constante. Il lui fallait réagir aux changements imprévus dès qu'ils se produisaient, ce qui altérait le déroulement de ses plans à long terme. Plus important encore, il devait être en mesure de saisir les occasions inattendues qui émergeaient afin d'en tirer le meilleur parti. La situation sur Doan en fournissait un excellent exemple.
Bane n'avait jamais accordé beaucoup d'attention à cette petite planète minière de la Bordure Extérieure. Cela avait changé trois jours plus tôt, lorsqu'il avait remarqué une réclamation financière soumise au Sénat pour approbation par un représentant de la famille royale de Doan.
Bane consultait régulièrement les rapports budgétaires du Sénat. De par la loi, tout document financier passant par les canaux officiels de la République était consultable... contre une certaine somme, cela allait sans dire. Le coût était élevé, et en règle générale, le résultat était une liste fastidieuse de règles douanières, impôts prélevés en conformité avec les traités économiques, ou appels de fonds pour des projets divers et des groupes d'intérêt. De temps à autre, néanmoins, un élément réellement significatif se détachait de cette masse de données. Dans le cas présent, c'était une requête d'une seule ligne pour le remboursement des frais engagés par la famille royale de Doan afin d'assurer le rapatriement sur Coruscant de la dépouille d'un Jedi, un Céréen nommé Medd Tandar.
Il n'y avait pas d'autres détails, mais les rapports budgétaires s'intéressaient rarement au pourquoi. Bane, si. Qu'était allé faire un Chevalier Jedi sur Doan ? Et surtout, comment était-il mort ?
Bane avait activé ses sources pour tenter de trouver des réponses à ses interrogations. Il lui fallait se montrer très prudent, dès qu'il était question des Jedi. Pour survivre, les Sith devaient impérativement rester dans l'ombre – mais, à travers une longue chaîne de bureaucrates, serviteurs et informateurs rétribués, il avait rassemblé suffisamment de preuves pour estimer que la situation méritait une enquête plus approfondie.
Il avait donc demandé à Zannah de venir.
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~oOo~
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Assis derrière son bureau, au milieu des écrans et des holoprojecteurs, il l'entendait qui approchait dans le couloir, au claquement des talons de ses bottes qui rythmaient sa marche. Posé sur le côté gauche du bureau, se trouvait un disque de données contenant tous les renseignements compilés sur Medd Tandar et sa visite sur Doan. Il voulut le prendre, et arrêta subitement son geste. Pendant un bref instant, sa main resta suspendue dans l'air, frémissante de ce tremblement involontaire. Il ramena vivement son bras et cacha sa main sous le rebord du meuble, au moment où son apprentie entrait dans la pièce.
- Vous m'avez demandée, Seigneur Bane ?
Elle ne montra qu'elle avait aperçu le tremblement, mais il était certain du contraire. Le dupait-elle en prétendant ne rien remarquer de sa faiblesse dans l'espoir qu'il baisserait la garde ? Ou se réjouissait-elle secrètement tout en attendant son heure, lorsque le Côté Obscur aurait fait pourrir le corps de son Maître ?
Zannah était plus jeune que lui de seulement quinze ans, mais si le Côté Obscur prélevait sur elle un tribut physique aussi lourd, cela ne se voyait pas encore, d'autant qu'à la différence de son Maître, elle n'avait jamais été infestée par les orbalisks. Plusieurs dizaines d'années s'écouleraient avant que la corruption du Côté Obscur ne l'affaiblisse.
Ses cheveux blonds bouclés étaient toujours longs et soyeux, sa peau douce et satinée, d'une texture parfaite. De taille moyenne, elle avait un corps de gymnaste mince, souple et fort. Elle portait un pantalon noir moulant et une veste sans manches rouge brodée d'argent, une tenue à la fois élégante – selon les critères en vogue sur Ciutric – et pratique, car elle ne gênait nullement les mouvements.
La poignée de son sabre-laser à double-lame pendait à sa ceinture. Ces dernières années, elle ne s'était jamais présentée devant Bane sans cette arme. La poignée courbe de la propre arme du Seigneur Noir était accrochée à sa taille. Il aurait été insensé de se trouver désarmé et vulnérable en présence de l'apprentie qui avait juré de le tuer un jour.
Je l'attends toujours, ce jour, songea-t-il.
- J'ai besoin que tu te rendes dans la Bordure Extérieure, sur une planète appelée Doan, où un Jedi a été assassiné il y a trois jours standards.
- Tout être capable de tuer un Jedi mérite notre attention, approuva-t-elle. Savons-nous qui est l'auteur de ce crime ?
- C'est ce qu'il te faudra découvrir.
Zannah acquiesça, et la réflexion lui fit légèrement plisser les yeux.
- Que faisait un Jedi sur une planète insignifiante de la Bordure Extérieure ?
- C'est une autre inconnue qu'il te faudra découvrir.
- Les Jedi vont envoyer l'un des leurs pour enquêter, remarqua-t-elle.
- Pas dans l'immédiat, affirma Bane. La famille royale de Doan fait appel à des faveurs politiques pour retarder l'enquête. Ils ont préféré envoyer un émissaire auprès du Conseil Jedi, sur Coruscant.
- La famille royale doit être riche. Les faveurs de ce genre sont très coûteuses. Une petite planète, peu connue, et pourtant une famille royale fortunée. Il y a des ressources importantes ? Des mines ?
Elle avait toujours su assembler les éléments épars pour en tirer un sens. Elle aurait fait un successeur de valeur, si seulement elle avait possédé l'ambition nécessaire pour le devenir.
- La planète a été exploitée presque jusqu'à son noyau. Il ne reste plus que quelques kilomètres carrés de terre habitable à sa surface. Toute la nourriture est importée, la majeure partie de la population vit et travaille dans les mines.
- Charmant tableau, marmonna-t-elle. Je pars cette nuit.
Bane acquiesça, ce qui marquait son approbation tout autant que le terme de l'entretien. Ce fut seulement lorsque l'apprentie referma la porte derrière elle qu'il osa reposer sa main tremblante sur le bureau.
La mort d'un Jedi présentait toujours de l'intérêt pour lui, mais à dire vrai, il était beaucoup plus impatient de découvrir l'Holocron d'Andeddu que les résultats de la mission confiée à Zannah.
Par chance, ce petit mystère survenu sur Doan offrait la distraction idéale. L'enquête dans la Bordure Extérieure garderait son apprentie occupée au loin, pendant qu'il braverait les routes dangereuses de l'hyperespace jusqu'au Noyau pour s'y approprier l'Holocron. Si tout se déroulait selon son souhait, il serait revenu longtemps avant qu'elle ne lui présente son rapport, et elle ne saurait rien de son escapade.
Confiant en son plan, Bane affecta toute sa concentration à calmer le tremblement qui parasitait toujours sa main – mais, malgré toute sa force, toute sa discipline mentale, les muscles continuèrent de frémir. De frustration, il ferma le poing et l'abattit une fois sur le bureau. Le coup laissa une légère marque en creux dans le bois.
