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Chapitre n°114 :

Doan


Selon l'opinion de Zannah, de tous les mondes qu'elle avait visités – de Ruusan, dévasté par la guerre, aux déserts mornes d'Ambria et aux plaines grises désolées de Tython –, Doan était de loin le plus inhospitalier. La surface entière de la planète avait été éventrée dans une quête sans fin de nouveaux minerais. Faune et flore étaient inexistantes. Partout où portait son regard, elle ne voyait que roc et poussière. C'était un monde laid, ravagé, qui aurait dû être dépourvu de toute vie. Pourtant, les campements de mineurs grouillaient d'êtres désespérés, qui grattaient et griffaient le sol pour en extraire de quoi mener une existence misérable, au mieux.

En les observant, elle ne put s'empêcher de les comparer à son Maître, qui avait grandi sur un monde semblable à Doan : Apatros, une planète riche en cortosis, propriété de la Compagnie Minière de la Bordure Extérieure, une firme célèbre pour traiter ses employés sous contrat comme des esclaves. Mais, alors que son enfance remplie de brutalité et son apprentissage impitoyable dans les mines d'Apatros avaient appris à Bane comment lutter pour survivre et avaient forgé son esprit indomptable, les rustres pitoyables qu'elle avait rencontrés sur Doan étaient faibles, et ils ne méritaient rien d'autre que la servitude. Bane avait de l'ambition. Bane avait la force. Il avait réussi à se hisser au-dessus de sa condition et à sortir de son environnement. Par la seule puissance de sa volonté, il avait brisé les chaînes de son enfance et s'était façonné un tout autre destin. Il était parti de rien et s'était élevé au rang de Seigneur Noir des Sith.

Il était temps que Zannah fasse de même. Elle ne se permettrait pas de finir comme ces épaves pathétiques – brisées, apeurées et réduites en esclavage.

Par le pouvoir, je gagne la victoire. Par la victoire, mes chaînes sont brisées.

Restait le problème du choix de son propre apprenti, bien sûr, mais pour l'heure, elle devait se concentrer uniquement sur la raison de sa présence ici. Ses recherches lui avaient appris qu'elle n'était pas la seule à s'intéresser au Jedi mort. Un homme à la longue chevelure argentée – en qui certains avaient vu un mercenaire, d'autres un chasseur de primes – était passé ici deux jours plus tôt, et avait posé les mêmes questions qu'elle. Depuis, elle suivait ses traces. Elle parlait aux personnes avec qui il était entré en contact, et par le charme, la corruption ou la menace, elle leur soutirait les mêmes renseignements qu'elles avaient donné à l'homme.

Elle commençait à se faire une idée assez précise des motivations qui avaient amenées Medd Tandar ici. Tous les mineurs savaient qu'une petite cache, contenant des bijoux, avait été mise au jour dans un site d'excavation, et que le Jedi était venu sur Doan dans l'espoir d'acquérir cette découverte. Zannah ne voyait qu'une seule raison pour qu'un Jedi s'intéresse à quelques babioles trouvées dans une tombe oubliée d'un monde aussi insignifiant de la Bordure Extérieure.

Son Maître n'était donc pas le seul à mener des recherches obsessionnelles pour localiser les anciens objets Sith disséminés dans la galaxie.

Elle avait tout d'abord pensé que l'homme qui s'était renseigné sur le compte de Medd avant elle était un autre Jedi, envoyé pour terminer la mission du mort.

Cependant, d'après les histoires de terreur et de torture qu'il employait afin d'obtenir des renseignements, il était rapidement devenu évident qu'il ne s'agissait ni d'un Jedi, ni de quelqu'un travaillant pour l'Ordre Jedi. Sa piste avait abouti dans une cantina délabrée, dans l'un de ces campements de mineurs apparemment sans fin – mais elle avait trouvé l'établissement fermé, et Quano, son propriétaire Rodien, absent. Sans autre témoin oculaire, Zannah avait alors décidé de s'en remettre à elle-même pour dénicher d'autres indices.

La nuit était tombée, enveloppant tout dans une obscurité presque totale. Elle testa la porte, et se rendit compte que quelqu'un avait brisé le loquet. Rien d'étonnant avec la pauvreté environnante. Elle entra et détecta aussitôt l'odeur faible d'un corps en décomposition. Elle alluma un bâtonnet éclairant, et la pièce s'emplit d'une lumière d'un vert fade. Elle put tout juste discerner deux cadavres au sol.

Elle s'accroupit auprès du plus proche, et effectua un examen rapide. La chaleur poussiéreuse et sèche de Doan, combinée au manque d'aération des lieux, avait partiellement momifié le corps et ralenti le processus de décomposition. La cause de la mort était évidente : une décharge de blaster en pleine poitrine. Le mort tenait toujours à la main sa propre arme.

Ce n'était pas Quano, visiblement, car le cadavre était celui d'un humain, et il ne correspondait nullement à la description faite de l'homme qu'elle traquait. D'après les vêtements et la musculature épaisse, il s'agissait sans aucun doute d'un mineur. Elle parvint aux mêmes conclusions avec le second corps. Un autre mineur, mort de la même manière.

Poursuivant son examen de l'endroit, elle remarqua l'étagère vide derrière le bar. Néanmoins, les cercles clairs dans la couche de poussière lui indiquèrent qu'elle ne l'était pas récemment, et que des dizaines de bouteilles y avaient été alignées. Quiconque avait commis l'effraction avait volé tout l'alcool... et laissé les deux cadavres où ils gisaient.

Une fouille plus poussée de la pièce ne révéla aucune trace du Rodien, ou même de l'homme aux cheveux argentés.

Lorsqu'elle entendit quelqu'un qui tripotait la porte, Zannah masqua la lueur du bâton éclairant sous sa cape et s'accroupit, devenant une statue parfaitement immobile que l'obscurité dissimulait – du moins l'espérait-elle.

La porte grinça en s'ouvrant, et une silhouette sombre s'avança lentement entre les tables en direction du comptoir au fond de la salle. Zannah attendit d'être sûre que l'intrus était seul, puis elle se releva et écarta le pan de sa cape. La lumière vert pâle baigna les lieux de nouveau.

Un Rodien se figea, et la considéra avec des yeux agrandis par la peur.

- Quano, je présume ?

- Quoi, toi ? demanda-t-il.

Son Basic à peine passable était encore plus difficile à comprendre à cause de la panique qui déformait sa voix. Il remarqua alors l'étagère vide, et son visage se crispa sur une expression de colère maussade.

- Toi voler tout alcool de Quano !

- Je n'ai rien volé du tout. Je suis seulement venue ici pour vous poser quelques questions.

Les épaules du Rodien s'affaissèrent. Avec un soupir, il s'assit jambes croisées sur le sol et baissa la tête d'un air accablé.

- Encore questions. Toi Jedi aussi ? Comme autre ?

Il parlait comme s'il avait compris qu'il était condamné, et qu'il avait renoncé à tout espoir d'échapper à son destin.

- Un Jedi ? Vous parlez de Medd Tandar, le Céréen ?

- Non. Autre. Humain. Longs cheveux blancs.

- C'est lui que je cherche, justement, mais qu'est-ce qui vous fait penser que c'est un Jedi ?

- Lui avoir sabre-laser. Donné Quano ça.

Le Rodien tourna la tête de côté et désigna sa joue. Sans le moindre geste brusque pour ne pas l'effrayer, Zannah s'approcha suffisamment pour distinguer sa cicatrice. Dans l'éclairage défaillant du bâtonnet, elle ne pouvait en avoir l'absolue certitude, mais la brûlure ressemblait fort à celle qu'aurait pu laisser un sabre-laser.

Elle savait décrypter l'attitude des gens. Ce Rodien se comportait comme un chien battu, qui se tasse sur lui-même en attendant le coup suivant, mais il suffisait de lui montrer un peu de compassion pour qu'il réagisse comme si on venait de lui sauver la vie.

- Il vous a torturé, mon pauvre, susurra-t-elle en feignant la sympathie alors même qu'elle réfléchissait furieusement à l'identité de l'homme aux cheveux argentés.

Un Jedi n'aurait jamais blessé quelqu'un sans une très bonne raison. Celui qui avait laissé cette marque n'appartenait pas à leur Ordre, et pourtant, il était en possession d'un sabre-laser. Par ailleurs, il savait suffisamment bien le manier pour effleurer la joue de Quano sans lui entailler accidentellement la moitié du crâne. Elle avait entendu parler des Jedi Noirs, ces Chevaliers Jedi renégats qui s'étaient éloignés des enseignements de leurs Maîtres pour embrasser le pouvoir du Côté Obscur. Se pouvait-il que sa proie en soit un ?

Mais le plus important était de définir si Bane était déjà au courant de ce détail. Son Maître lui taisait souvent bien des choses, et elle avait appris à partir du principe qu'il en savait toujours plus qu'il n'en disait – mais s'il était au courant de la présence d'un Jedi Noir sur Doan, pourquoi avait-il envoyé Zannah enquêter sur cette planète ? Était-ce une sorte de dernière épreuve ? Était-elle censée prouver sa valeur en retrouvant et en tuant ce rival potentiel ? Ou Bane cherchait-il à tester l'homme aux cheveux argentés qui, s'il se montrait suffisamment fort pour vaincre Zannah, deviendrait le nouvel apprenti de son Maître ?

- Lui vouloir renseignements, geignit Quano.

- Je suis désolée, Quano, dit-elle doucement en posant une main sur l'épaule du Rodien, mais moi aussi j'ai besoin de renseignements. Il faut que je sache ce que vous lui avez dit.

Tout en parlant, elle employa une légère poussée de Force afin d'orienter la volonté du tenancier dans son sens.

- Toi ami lui ?

- Non, répondit-elle, et ce simple mot accentua encore la manipulation mentale. Il n'est pas mon ami.

Bane essayait peut-être de lui forcer la main, pour qu'elle passe à l'acte. Et s'il l'avait mise sur la piste d'un apprenti de qualité afin de l'inciter à le défier ?

- Toi vouloir tuer lui ? demanda Quano d'une voix où perçait l'excitation.

- C'est une possibilité, dit-elle avec un sourire chaleureux.

À moins que je n'en fasse mon apprenti... s'il ne me tue pas.

- Mais, avant toute chose, il faut que je le retrouve, ajouta-t-elle.

- Lui plus là. Parti, deux jours déjà. Quitté Doan.

- Il est venu ici pour chercher quelque chose, n'est-ce pas ?

Le Rodien approuva d'un hochement de tête.

- Chose mineur avoir déterrée. Lui prendre. Tuer mineurs. Après, Quano fuir.

- Et depuis, vous vous cachez, devina Zannah. Alors, pourquoi êtes-vous revenu à la cantina ?

Le tenancier hésita, et son regard alla vivement du visage de la jeune femme au petit blaster fixé à son poignet, et dont le bout du canon était visible sous la manche.

- Je ne vous ferai aucun mal, Quano, lui affirma-t-elle. Je ne suis pas comme lui. Je ne pense pas qu'il reviendra, mais j'ai besoin de savoir autre chose. Quand cet homme a quitté Doan, où est-il allé ?

Elle remarqua le tressaillement du Rodien avant qu'il ne réponde :

- Quano pas savoir. Être vérité.

- Et je vous crois, dit-elle en lui tapotant gentiment la main, mais je parie que vous connaissez des gens qui pourraient m'aider à l'apprendre, n'est-ce pas ?

Le tenancier se contorsionna de gêne, mais une autre incitation discrète de la Force lui fit surmonter ses réticences.

- Quano avoir ami, spatioport. Lui savoir, peut-être.

- Nous pouvons aller le voir ?

- Toi vouloir aller maintenant ?

Zannah lui sourit une fois encore. Elle savait que cela aiderait à étayer le rapport qu'elle avait établi.

- Vous pouvez prendre vos crédits dans le coffre d'abord, si vous voulez.