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Chapitre n°116 :

Prakith


En entendant le bip discret émis par la console, Bane sut que le Triumph approchait enfin de sa destination finale.

Le voyage pour Prakith avait pris plus longtemps qu'il ne l'avait prévu. Les déplacements dans le Noyau Profond étaient toujours dangereux, car les étoiles denses et les trous noirs au cœur de la galaxie créaient des puits gravitationnels capables de gauchir l'espace-temps. Dans des conditions aussi extrêmes, les voies hyperspatiales devenaient instables, et elles pouvaient se déplacer et même s'effondrer sans signe avant-coureur.

Le dernier itinéraire connu pour atteindre Prakith s'était ainsi effondré sur lui-même, presque cinq cents plus tôt, et depuis, personne n'avait pris la peine d'en établir un nouveau. La chose se produisait fréquemment pour les mondes du Noyau Profond. S'ils n'étaient pas assez riches en ressources ou en gisements directs, les dangers pour trouver de nouvelles voies hyperspatiales d'accès ne justifiaient tout simplement pas l'effort.

Dans les siècles qui avaient suivi la disparition des anciennes routes hyperspatiales, Prakith avait été quasiment oublié du reste de la République. Même les voyages dans les systèmes voisins étaient risqués, et Bane s'attendait à trouver un monde en état de stagnation depuis qu'il avait été coupé du reste de la société. Le commerce interplanétaire était le moteur de la culture intergalactique, et sans lui, les populations périclitaient tandis que le niveau technologique avait tendance à régresser à des degrés variables.

L'isolement de Prakith avait également permis aux Jedi d'effacer des archives galactiques toute mention de Darth Andeddu et de ses partisans, bien que la planète elle-même soit citée dans de nombreuses sources anciennes. Bane les avait toutes compilées, sans oublier un certain nombre de cartes de navigation totalement périmées, dans l'espoir de localiser ce monde perdu.

Il n'était pas impossible d'emprunter des voies hyperspatiales non cartographiées, mais le processus était lent et dangereux. Bane avait été forcé de modifier le plan de vol à de multiples reprises, effectuant des centaines de petits sauts, allant d'une étoile à sa proche voisine, choisissant parmi une liste de routes hyperspatiales potentielles que générait l'ordinateur de bord sophistiqué du Triumph.

Même s'il contenait le meilleur programme qu'on pouvait trouver, l'ordinateur demeurait loin de l'infaillibilité. Il fonctionnait d'après des probabilités et des hypothèses théoriques, découlant des données collectées précédemment et de mesures astronomiques opérées durant le vol. Il était impossible de prédire la stabilité inhérente à un itinéraire donné jusqu'à ce que le vaisseau l'établisse en l'empruntant. En conséquence, chaque étape du voyage comportait potentiellement une conclusion désastreuse.

Le voyage dans un espace non cartographié relevait plus de l'art que de la science, et Bane se fiait autant à son instinct qu'aux calculs mathématiques. En se restreignant à des sauts plus courts, il prolongea la durée du voyage, mais il put aussi minimiser les risques que le Triumph finisse déchiqueté dans un puits gravitationnel ou écrasé dans l'effondrement d'une voie hyperspatiale.

Ce n'était pas la première fois qu'il bravait les périls du Noyau Profond. Dix ans plus tôt, il s'était aventuré sur la planète Tython, afin d'y récupérer l'Holocron de Belia Darzu. Le fait qu'il se rendait désormais sur Prakith pour s'y approprier un autre Holocron – celui créé par Darth Andeddu, cette fois – ne lui paraissait cependant pas relever d'une simple coïncidence.

Ce que les ignorants attribuaient à la chance ou au destin, était souvent l'œuvre de la Force. Certains l'appelaient sort ou hasard, même si ces termes étaient bien trop simplistes pour traduire l'influence subtile mais d'une portée considérable qu'ils recouvraient. La Force était vivante, elle imprégnait la trame même de l'univers, et s'écoulait dans chaque créature. Énergie touchant et influençant tout être vivant, par les flux et les reflux de ses courants, ceux de la Lumière comme ceux des Ténèbres, elle modelait les schémas de l'existence.

Bane avait passé sa vie à étudier ces schémas, et il en était venu à comprendre qu'on pouvait les manipuler et les exploiter. Il savait désormais qu'avec l'affaiblissement du pouvoir du Côté Obscur, les talismans créés par les anciens Sith tendaient à se perdre – mais, avec le temps, le cycle s'inverserait, et à mesure que le pouvoir du Côté Obscur croîtrait, les chances de retrouver ces trésors perdus reviendraient à la surface. Pendant ces périodes, il suffisait d'un individu ayant assez de sagesse pour les sentir, et la force de passer à l'action.

Bane avait maîtrisé ces talents, mais il n'était pas certain de pouvoir en dire autant de son apprentie. Zannah était intelligente, rusée, et ses pouvoirs dérivés du Côté Obscur pouvaient même se révéler plus grands que ceux de son Maître. Toutefois, possédait-elle une vision suffisante pour guider les Sith à travers le va-et-vient des marées invisibles de l'Histoire ?

Il aurait aimé savoir si elle avait progressé dans son enquête sur Doan. Il escomptait rentrer sur Ciutric avant elle, mais il avait sous-estimé les difficultés de navigation à travers le Noyau. À son retour, il était fort possible qu'elle soit déjà arrivée. Elle comprendrait alors qu'il lui avait confié cette mission pour l'éloigner, et elle s'attendrait à une trahison dès son retour. L'affrontement qu'il appelait de ses vœux pourrait enfin se produire.

La console de navigation bipa une nouvelle fois, et la vue extérieure du cockpit passa du blanc éblouissant de l'hyperespace au système de Prak – un petit soleil rouge, entouré de cinq planètes minuscules. Passant en pilotage manuel, Bane descendit vers la troisième planète, un monde largement couvert de volcans en activité, avec des lacs de lave en fusion et des plaines de soufre en cendres.

À l'entrée dans l'atmosphère, les scanners indiquèrent la présence de plusieurs petites cités dispersées sur la surface inhospitalière. La plus proche se situait à sept cents kilomètres plus au nord, mais Bane prit la direction opposée, vers une vaste chaîne montagneuse qui s'étirait selon un axe est-ouest le long de l'équateur de la planète.

Il ignorait si le culte d'Andeddu existait encore, mais dès sa sortie de l'hyperespace, il avait estimé que la forteresse avait sans doute subsisté. Il pouvait sentir sa présence à la surface de ce monde, un noyau d'énergie dont les pulsations venues du cœur des montagnes étaient pour lui comme la lumière intermittente d'un phare.

Alors qu'il se rapprochait, son vaisseau détecta une petite installation en bordure de la chaîne montagneuse. De façon surprenante, un faisceau d'atterrissage émettait un signal sur les canaux standards. Cela signifiait la présence d'un spatioport toujours en activité, même s'il était probable qu seules les navettes allant d'un point à l'autre l'utilisaient, et non des appareils venus d'un autre monde.

Bane eut confirmation de sa théorie lorsqu'il posa le Triumph sur la petite aire occupant le bord de l'installation. La seule personne qu'il trouva sur le site était un vieil homme, assis sur une chaise à l'extérieur d'un poste de douanes délabré. Il observa avec curiosité Bane qui descendait de son appareil, mais sans faire seulement l'effort de se lever.

- On ne voit pas beaucoup de visiteurs, ces temps-ci, dit-il au Seigneur Noir lorsque celui-ci se fut approché. Vous êtes de Gallia ?

D'après ses recherches, Bane savait que Gallia était l'une des cités les plus importantes de Prakith. L'homme supposait qu'il en était natif. L'idée que quelqu'un d'extérieure à leur système puisse venir sur leur planète n'effleurait visiblement pas l'esprit des habitants de ce système, et Bane ne voyait aucune raison de compliquer la situation en révélant la vérité.

- Exact, dit-il. Je viens de Gallia. Je cherche des renseignements sur les disciples de Darth Andeddu.

L'homme se pencha en avant sur sa chaise et cracha devant lui, sur le sol.

- Nous n'aimons pas parler d'eux par ici.

Il fixa un regard méfiant sur Bane, cracha une seconde fois, se renversa contre le dossier de sa chaise pour croisa les bras.

- Je n'ai rien d'autre à vous dire. Retournez à Gallia. Vous n'êtes pas le bienvenu ici.

Bane aurait pu insister, mais il n'entrevoyait aucun bénéfice à intimider ou même à torturer un vieillard certes irritable, mais surtout insignifiant. Il tourna donc les talons et se mit à marcher en direction des bâtiments qu'on apercevait à l'horizon. Là-bas, il en était sûr, quelqu'un lui apprendrait ce qu'il voulait savoir.