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Chapitre n°117 :
Les adeptes d'Andeddu
Quelques heures plus tard, Bane remonta dans sa navette. Il avait obtenu les informations désirées. En dépit des affirmations du vieil homme, il avait trouvé des gens disposés à lui révéler ce qu'il savaient du culte étrange qui hantait les montagnes voisines.
Les disciples d'Andeddu étaient toujours actifs, la chose ne faisait guère de doute. À l'occasion, l'un d'eux descendait même dans la petite ville pour s'approvisionner. Il était tout aussi évident que les habitants de la cité considéraient leurs mystérieux voisins avec un mélange de peur et de mépris. On estimait leur nombre entre quelques dizaines et plus d'un millier, quoique Bane supposât la réalité plus proche de la première hypothèse. Hormis cela, tout ce qu'il put glaner ne fut que spéculations échevelées ou superstitions sans aucun fondement.
Attiré par le pouvoir caractéristique du Côté Obscur qui émanait de sa cible, Bane fit descendre le Triumph plus bas encore, et entreprit de louvoyer entre les hauts pics noirs. À mesure qu'il s'enfonçait au cœur des montagnes, il commençait à remarquer des signes d'une activité sismique récente. Certains sommets culminaient à plus de vingt mille mètres d'altitude, mais la plupart étaient moitié moins élevés, leur partie supérieure ayant explosé quand la lave en fusion avait fait éruption dans un déluge de feu et de fumée.
Il ne fallut pas très longtemps avant que la forteresse lui apparaisse. C'était une structure imposante, construite sur la plaine d'une vallée cachée au milieu des montagnes. Taillée dans l'obsidienne la plus noire, la pyramide à quatre côtés, haute de quelque deux cents mètres, avec son sommet plat, était moitié forteresse et moitié monument à la gloire d'un dieu autoproclamé.
D'après ce que lui avaient raconté les gens de la ville, Andeddu aurait effectivement été vénéré comme une divinité pendant sa longue, très longue existence, avant d'être renversé. Et même après la trahison qui avait entraîné sa mort, un petit culte de disciples fervents avait cru à la survivance de son esprit. Ils avaient continué à se préparer pour le jour où leur Maître reviendrait parmi eux.
L'isolement prolongé de Prakith, par rapport au reste de la galaxie, avait eu pour seul résultat de renforcer les certitudes de ses adeptes. Ceux qui vivaient aujourd'hui dans le temple étaient décrits par les gens à qui il parla comme des fanatiques, et Bane les soupçonnait d'être tous prêts à se sacrifier pour protéger l'Holocron d'Andeddu.
Il réduisit la vitesse de la navette et chercha un endroit où la poser. Des rubans de lave serpentaient depuis le sommet des pics, jusqu'à la vallée. Le pouvoir maléfique émanant de la forteresse gardait distance ces rivières mortelles, mais tout site d'atterrissage qu'il pouvait choisir représenterait un risque certain. Or, il n'avait pas l'intention de s'approprier l'Holocron pour ensuite revenir à son vaisseau et découvrir que l'appareil avait disparu sous un flot de lave.
Il restait une solution : le toit plat du temple, qui avait d'ailleurs sans doute été conçu au départ comme aire d'atterrissage. Il aurait préféré ne pas risquer d'alerter tous les occupants de la pyramide en débarquant là, mais il ne semblait pas avoir d'autre option. Il y avait un temps pour la subtilité, et un autre pour l'action directe. Il fit le tour du temple une fois, puis posa le Triumph sur l'aire.
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Sans perdre de temps, il sortit du cockpit et courut à l'extérieur, sabre-laser déjà brandi. À travers la Force, il sentait les disciples dans les différentes pièces du bâtiment sous ses pieds, qui se rassemblaient fébrilement pour affronter l'intrus.
Il survola son environnement d'un regard rapide. Le toit était un carré de trente mètres de côté, et à un angle, il aperçut une trappe. Celle-ci s'ouvrit au moment où il la repérait, et des individus qu'il supposa être des adeptes du culte d'Andeddu se déversèrent à l'extérieur. Ils furent bientôt deux dizaines, tous armés de vibrolames et de matraques.
En dépit de leur nombre, Bane sut immédiatement qu'ils ne représentaient pas une menace très sérieuse. Ils pouvaient vénérer l'un des anciens Sith, c'étaient des hommes et des femmes ordinaires. La Force ne coulait pas dans leurs veines. Ils n'étaient que de simples humains. Leur fureur s'alimenterait peut-être de l'énergie du Côté Obscur émanant du temple, mais Bane pourrait lui aussi puiser à la même source et laisser le pouvoir s'accumuler en lui jusqu'à ce qu'il le déchaîne contre ses ennemis.
Dix ans plus tôt, alors que son corps était inondé d'adrénaline par les orbalisks qui le recouvraient, il aurait accepté avec joie l'affrontement physique. Possédé d'une rage insensée, il se serait ouvert un chemin sanglant à travers leur groupe, taillant à loisir dans leur masse désemparée, tout en comptant sur les carapaces impénétrables des orbalisks pour le protéger des coups.
Mais il ne disposait plus de cette armure à présent. Il n'était plus invulnérable aux attaques physiques, et de plus, il n'était plus l'esclave de cette soif de carnage qui l'avait naguère submergé. Libéré de l'infestation des parasites, il pouvait se débarrasser de ses adversaires en utilisant la Force plutôt qu'en ne se fiant qu'à la force brute.
Il éteignit son arme, se tint parfaitement immobile, et regarda la horde s'approcher de lui pendant qu'il rassemblait ses forces. Il en appela au pouvoir du temple lui-même, et s'en nourrit pour densifier ses aptitudes tandis qu'il créait un champ mortel autour de son corps. Cela commença par un cercle étroit, qui se dilata rapidement pour s'étendre sur un rayon de dix mètres, avec le Seigneur Sith en son centre. L'air à l'intérieur de cette circonférence s'assombrit d'un coup, comme si la lumière venue du soleil rouge avait soudain baissé.
Enveloppé de cette pénombre sinistre, Bane attendit simplement l'assaut ennemi. Les premiers rangs des disciples qui se précipitaient sur lui hurlèrent de douleur en entrant dans le champ, car leur essence vitale était instantanément aspirée hors de leur être, et ils vieillirent de mille ans en seulement quelques secondes. Muscles et tendons s'atrophièrent en un éclair, leur peau se rida et se racornit sur leurs os. Yeux et langues se desséchèrent, les transformant en enveloppes momifiées, avant que leurs chairs durcies ne s'effritent pour ne laisser qu'un squelette et quelques mèches de cheveux.
L'effort nécessaire à la création d'une aura d'énergie pure aurait épuisé rapidement n'importe qui, même Bane, mais il était en mesure d'ingérer leur essence vitale dès qu'ils tombaient. Il se nourrissait de leurs énergies pour revitaliser ses forces déclinantes, et intensifier le champ en vue de la deuxième vague de victimes.
La masse des adeptes continuait de charger. Ceux qui se trouvaient dans les rangs intermédiaires avaient vu le sort de leurs compagnons, et tentaient désespérément de s'arrêter, mais l'élan de ceux derrière eux les poussait en avant et ils entraient dans le champ pour subir la même fin atroce que les premiers.
Seuls ceux venant en dernier eurent le temps de voir le danger et de prendre la fuite. Des quelque vingt ennemis qui l'avaient attaqué, il n'en restait plus à présent qu'une poignée. Ils reculèrent à distance prudent, l'arme brandie, incertains.
Bane mit un terme à leurs hésitations en abaissant le champ et en prenant son sabre-laser. Ses adversaires étaient trop lents et trop peu nombreux pour le mettre en danger, et leurs vibrolames primitives ne pouvaient même pas parer sa lame scintillante. Pourtant, complètement désemparés face à un ennemi supérieur, ils trouvèrent dans leur dévotion sans bornes à Andeddu la rage nécessaire pour attaquer l'envahisseur de leur temple sacré – mais Bane les abattit comme des chiens.
Aucun autre disciple du culte n'émergea de la trappe pour se jeter sur lui, mais le Seigneur Noir sentit la présence de près d'une centaine d'autres dans le temple sous lui. Ceux qu'il avait massacrés sur le toit étaient les guerriers, les gardiens envoyés là par les prêtres et les officiants, toujours blottis dans les chambres et les couloirs de la pyramide.
Les ennemis restants étaient potentiellement plus dangereux, car les prêtres d'Andeddu avaient sans nul doute atteint cette position hiérarchique grâce à leur affinité avec la Force. Leur formation était probablement limitée, et Bane savait qu'aucun parmi eux n'était assez puissant pour l'arrêter – mais ensemble, il n'était pas certain qu'ils ne parviennent pas à accumuler assez de pouvoir pour le submerger. Toutefois, il ne comptait pas leur laisser le temps de s'organiser afin d'unifier leurs forces.
Il parcourut rapidement la distance jusqu'à la trappe. Durant la bataille, quelqu'un l'avait verrouillée de l'intérieur. Il laissa la Force l'investir, éteignit son sabre-laser et l'accrocha à sa ceinture, avant de s'accroupir pour agripper la poignée à deux mains. Bandant la musculature massive de ses épaules, il arracha de ses gonds le panneau et le jeta au loin.
Il sauta dans l'ouverture. L'escalier était en fait une échelle verticale, et il se reçut souplement en bas, dans la forteresse d'Andeddu. Il ralluma son sabre-laser et s'engagea à longues enjambées dans le labyrinthe des couloirs. Le pouvoir de l'Holocron l'attirait depuis les chambres inférieures.
L'architecture intérieure du temple lui rappela l'Académie Sith sur Korriban, avec ses parois en pierre ancienne, ses épaisses portes de bois et les couloirs étroits éclairés par des torches qui crachotaient dans leurs supports. En parcourant ce dédale, il décela parfois la présence d'un ou deux individus recroquevillés dans leur chambre. La plupart ne bougeaient pas, trop heureux de le laisser poursuivre son chemin sans être inquiétés. Ils sentaient sa puissance, et ils savaient qu'interférer avec sa quête se serait immanquablement soldé par un trépas immédiat. Cependant, quelques-uns parmi les plus fanatiques oublièrent tout sens commun et voulurent s'interposer.
Bane répondit à chaque obstruction avec une efficacité brutale. Il coupa certains en deux d'un seul mouvement de son sabre-laser. Avec d'autres, il se servit de la Force pour leur briser la nuque. Lorsqu'il atteignit la chambre centrale de la forteresse, toute velléité d'opposition avait disparu. Tous ceux qui étaient encore vivants dans le temple s'étaient repliés dans les chambres les plus reculées pour échapper à son courroux dévastateur.
Ici, au cœur de la pyramide, ses disciples avaient érigé un sanctuaire à Andeddu. Des lampes placées à chaque coin illuminaient la salle d'un éclairage vert irréel. Les murs étaient décorés de fresques représentant le Dieu-Roi déchaînant son pouvoir sur les armées de ses adversaires, et un grand sarcophage en pierre trônait au centre de la chambre, son couvercle gravé d'une représentation du défunt Seigneur Sith.
Sur Korriban, dans la Vallée des Seigneurs Noirs, Bane avait cherché à localiser les anciens sites funéraires des Sith qui l'avaient précédé. Chacun de ceux qu'il avait trouvés était vide. Au fil des siècles, les Jedi avaient dépouillé ce monde de tout ce qui avait un sens pour le Côté Obscur, et ils avaient mis en sûreté ces trésors dans leur temple, sur Coruscant.
Ici, pourtant, Bane avait trouvé ce qui avait été perdu sur Korriban. Son isolement avait préservé cet endroit des pillages Jedi. Le sarcophage sur Prakith était resté intouché depuis des siècles. À l'intérieur, se trouvait la possession la plus chère au cœur du Seigneur Noir, qui n'attendait que d'être réclamée par quelqu'un digne de ses secrets.
En entrant dans la chambre, Bane remarqua l'odeur vaguement écœurante de l'encens qui traînait dans l'atmosphère confinée. Alors qu'il approchait du sarcophage, il sentit le parfum coller à tout son être, telle une brume invisible. Il trouva une prise au coin du sarcophage et réquisitionna toute sa puissance musculaire pour faire glisser le couvercle de côté. Le crissement de la pierre sur la pierre éveilla des échos torturés dans la chambre lorsque le couvercle céda sous ses efforts répétés, comme à regret.
À l'intérieur, le corps momifié d'Andeddu gisait sur le dos, mains crispées sur une petite pyramide en cristal placée sur sa poitrine. Bane plongea la main dans le cercueil, saisit le cristal et tira. Pendant un moment, il eut l'impression que le corps résistait à ses efforts et que les doigts décharnés refusaient de lâcher prise.
Il accentua la traction et finit par arracher l'Holocron à son défunt créateur. Alors, il fit demi-tour et quitta la chambre funéraire.
Sur le chemin du retour à la navette, seuls quelques adeptes d'Andeddu tentèrent de l'arrêter. Il les écarta comme s'ils n'étaient que des insectes importuns. Il s'attendait à en trouver quelques dizaines sur le toit, mais il n'y avait que son vaisseau au sommet de la pyramide. Apparemment, le bon sens et l'instinct de survie avaient prévalu sur leur dévotion envers Andeddu.
Il devait en être ainsi, songea-t-il. Les dirigeants du culte avaient compris une vérité fondamentale : les forts s'arrogent ce qu'ils veulent, et les faibles n'y peuvent rien. Ils n'étaient pas assez puissants pour l'empêcher de s'approprier l'Holocron d'Andeddu, en conséquence ils ne méritaient plus de le conserver.
Bane grimpa à bord du Triumph et prépara le décollage. Il se dit que si les adeptes du culte en avaient été dignes, il serait reparti avec plus que l'Holocron, car il aurait aussi emmené avec lui un nouvel apprenti.
Dans l'état actuel des choses, la quête d'un remplaçant de Zannah devrait attendre. Il avait obtenu ce qu'il était venu chercher. Il lui faudrait plusieurs jours pour emprunter les routes hyperspatiales qui lui permettraient de sortir du Noyau Profond, mais Bane accueillait avec sérénité cette épreuve. Elle lui donnerait le temps d'explorer l'Holocron en détail – et si tout se passait comme prévu, lorsqu'il arriverait chez lui, les secrets d'Andeddu seraient siens.
