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Chapitre n°118 :
Un manoir sur Nal Hutta
Zannah n'avait jamais posé le pied sur Nal Hutta, mais de réputation, elle connaissait bien cette planète. Les clans Hutts dirigeants avaient entièrement couvert la surface de Nar Shaddaa, la lune voisine, d'un paysage citadin sans fin – mais Nal Hutta demeurait, en grande partie, sous-développée. De nature principalement marécageuse, les terres de cette planète avaient été empoisonnées par la pollution que déversaient, sans aucun contrôle, les centres industriels présents partout, et la surface de ce monde était devenue un cloaque fétide que seuls des insectes mutants trouvaient accueillant. Bilbousa, la capitale, se recroquevillait sous un ciel qu'alourdissait perpétuellement un épais brouillard huileux parsemé de nuées sombres aspergeant de pluies acides les bâtiments salis et grêlés au sol.
La laideur physique de ce monde trouvait un reflet fidèle dans sa corruption. L'espace Hutt n'avait jamais fait partie de la République, et les lois que le Sénat édictait n'y avaient aucune valeur. Le peu de règles en vigueur ici-bas, l'étaient par la volonté des clans tout-puissants qui contrôlaient Nar Shaddaa, de sorte que Nal Hutta était devenue un havre pour les contrebandiers, les pirates et les marchands d'esclaves.
Mais la protection contre les lois de la République avait un prix. Les Hutts considérant que toutes les autres espèces leur étaient inférieures, les résidents étrangers sur Nar Shaddaa et Nal Hutta devaient s'acquitter d'une taxe mensuelle conséquente auprès de l'un des clans aux commandes, pour avoir le privilège de rester sous leur tutelle. La somme était soumise à des variations extrêmes, et il n'était pas rare qu'elle double ou triple sans avertissement. Dans de tels cas, ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas s'en acquitter avaient une fâcheuse tendance à disparaître, et tous leurs biens étaient alors confisqués par le clan au pouvoir, en accord avec les lois Hutts.
Ce préjugé envers les autres espèces aurait pu gêner Zannah dans sa quête de renseignements. Les autorités spatioportuaires de Nal Hutta montraient une méfiance très nette à l'encontre des étrangers qui posaient trop de questions, et il était très improbable qu'elle puisse acheter leur collaboration avec des crédits, quelle que soit la somme proposée. Heureusement pour elle, cependant, le réseau d'informateurs et d'agents qu'avait créé Bane incluait plusieurs membres de haut rang du clan des Desilijic, l'une des factions les plus importantes et les plus stables chez les Hutts. Sous son habituelle identité d'Allia Omek, Zannah put se servir de ces contacts – en même temps que l'immatriculation du vaisseau enregistrée dans le datapad du peu regretté Pommât – pour remonter la piste de l'homme aux cheveux argentés qu'elle avait suivie depuis Doan.
Elle apprit ainsi son véritable nom – Set Harth –, de même que la rumeur persistante prétendant qu'il était un ancien Jedi. Elle découvrit également qu'il était incroyablement riche, et bien qu'aucune personne à qui elle parla ne soit en mesure de lui révéler la source de cette fortune, tous ses informateurs s'accordèrent sur le fait que l'origine de ces fonds était très certainement douteuse. Sur Nal Hutta, ce genre de singularité provoquait généralement l'admiration.
Au cours de son enquête, elle découvrit un autre fait intéressant : Set Harth était un personnage incontournable de la scène sociale. Bien que la cité soit un trou nauséabond écrasé par la main-mise des clans de Nar Shaddaa, les résidents non-Hutts de Bilbousa couraient des soirées d'un luxe extravagant, durant lesquelles on se livrait sans retenue à tous les plaisirs. Set Harth ne manquait jamais de participer à ces fêtes, et il en organisait lui-même plusieurs chaque année.
La chance voulut qu'il soit à l'une de ces beuveries ce soir-là, ce qui permit à Zannah de s'introduire tranquillement chez lui afin de mieux comprendre l'homme qui, peut-être, deviendrait son apprenti.
Sa première impression fut que, à bien des égards, sa demeure ressemblait à celle de Bane sur Ciutric IV. C'était moins un logis qu'un temple de l'élégance et du luxe, pour lequel on n'avait reculé devant aucune dépense. Le lustre en cristal dalonien donnait le ton dans l'entrée, et il réfléchit la lumière du bâtonnet éclairant de Zannah dans une symphonie de nuances turquoise. Les couloirs étaient dallés de marbre, et bon nombre de pièces qu'elle visita étaient décorées de tapis wrodiens, chacun étant l'œuvre de générations successives de maîtres artisans. La salle à manger pouvait aisément accueillir vingt convives à sa table, taillée dans du bois de greel écarlate. Le bureau, dans le salon d'études de Set, était encore plus extravagant. Elle reconnut dans ce meuble en chêne kriin très rare le travail des grands ébénistes d'Alderaan.
Mais le mobilier n'était rien en comparaison des œuvres d'art coûteuses qui ornaient chaque pièce. Set avait un goût certain pour les pièces les plus originales, et Zannah était presque certaine que chacune était une création unique. Elle vit des statues de Jood Kabbas, le célèbre sculpteur Duros, des paysages du plus connu des peintres d'Antar IV, Unna Lettu, ainsi que plusieurs portraits qui trahissaient le style à nul autre pareil de Fen Teak, le maître Muun.
Le propriétaire des lieux était manifestement quelqu'un qui préférait les meilleures choses dans la vie. Sur Ciutric, la propriété de Bane était supposée donner la même impression au visiteur, mais les œuvres d'art et le mobilier hors de prix faisaient partie d'une façade et concouraient à confirmer le déguisement de l'entrepreneur galactique ayant fait fortune. Dans le cas de Set, en revanche, elle n'était pas certaine que tout cet étalage soit aussi calculé. Il y avait ici une vibration singulière, celle de la sincérité. Plus elle examinait les lieux, et plus Zannah commençait à croire que le Jedi Noir ne jouait pas un rôle – sa demeure était réellement le reflet de sa personnalité. Set adorait dépenser sa fortune dans les biens matériels. Il avait besoin de l'attention et de la jalousie que tout ce luxe inspirait à autrui.
Cette constatation donnait à réfléchir. Bane professait que la richesse n'était qu'un moyen pour atteindre d'autres sommets. Les crédits n'étaient rien d'autre qu'un outil, et amasser une fortune simplement une étape incontournable sur le chemin menant au pouvoir véritable. Le matérialisme, cet attachement aux biens physiques au-delà de leur valeur pratique, constituait un piège, une chaîne invisible qui liait le sot à sa propre cupidité. Set avait encore à apprendre cette leçon, apparemment.
C'est pourquoi il a besoin d'un Maître. Il lui faut quelqu'un pour lui enseigner la vérité sur le Côté Obscur.
Poursuivant son exploration, elle gravit un large escalier courbe menant à l'étage. Elle laissa courir sa main sur la rampe du balcon qui surplombait la salle à manger en contrebas, puis elle se dirigea vers l'arrière de la demeure. Elle y trouva la bibliothèque de Set. Des centaines de livres s'alignaient le long des murs, mais la plupart étaient des romans écrits dans le seul but de distraire – des œuvres qu'elle-même n'aurait jamais envisagé de lire. Une étagère ranima toutefois ses espoirs : elle contenait une collection de guides et de manuels techniques, rédigés par des experts et touchant à plus de deux douzaines de domaines différents. Si Set les avait tous lus et étudiés, c'était un homme au vaste savoir, et doté de talents multiples.
Au fond de la bibliothèque, elle repéra une porte très simple. Au-delà, elle pouvait sentir le pouvoir du Côté Obscur. Il l'attirait, pareil aux vibrations d'un moteur que l'on perçoit à travers un plancher. Elle s'approcha à pas prudents et sentit le pouvoir grandir. Il ne venait pas d'une personne, ou d'une créature, elle le savait. Cette présence lui rappelait les pulsations d'énergie invisibles qu'elle avait senti émaner des cristaux, lorsqu'elle avait confectionné son sabre-laser.
Elle eut la surprise de constater que la porte n'était pas verrouillée. Set était manifestement certain de ne craindre aucune visite, mais il n'avait sans doute jamais envisagé la venue d'une Sith. La pièce au-delà était petite et simple, au contraire de toutes les autres. On n'y trouvait aucune œuvre d'art, et le mobilier s'y résumait à une unique vitrine placée contre le mur du fond. À la lueur du bâtonnet éclairant, elle découvrit les bijoux qui y étaient exposés : bagues, colliers, amulettes, et même plusieurs couronnes – chaque objet imprégné du pouvoir du Côté Obscur.
Zannah avait déjà vu des collections semblables. Dix ans plus tôt, Hetton, un noble de Serenno sensible à la Force et obsédé par le Côté Obscur, lui avait montré le même trésor d'objets Sith, les lui offrant dans l'espoir qu'elle le prenne pour apprenti malgré son âge avancé. Malheureusement pour Hetton, pas plus ses babioles que ses gardes – pourtant bien entraînés – n'avaient pu le sauver lorsqu'il avait dû affronter le propre Maître de Zannah. Bane lui avait fait une démonstration du vrai pouvoir du Côté Obscur, dans une leçon qui avait coûté la vie au vieil homme.
Bane collectionnait les trésors des anciens Sith, lui aussi, mais il préférait la sagesse contenue dans les textes anciens. Zannah savait qu'il considérait avec un certain mépris anneaux, amulettes et autres colifichets. L'étincelle du Côté Obscur qui scintillait dans ces objets était pareille à une seule goutte de pluie tombant dans l'océan de pouvoir qu'il maîtrisait déjà. Il ne voyait aucun intérêt à augmenter ses capacités avec ces bijoux clinquants que les sorciers Sith avaient créés, des siècles plus tôt. Le Maître de Zannah pensait que la véritable puissance devait venir de l'intérieur, et il avait instillé cette croyance dans l'esprit de son apprentie. Apparemment, c'était une autre leçon qu'elle devrait enseigner à Set Harth, si toutefois il se révélait digne de devenir son élève.
Zannah se figea lorsqu'elle sentit une présence soudaine dans la demeure. Son recours à la Force lui confirma ses soupçons : Set était rentré de sa soirée, et il était seul. Elle éteignit son bâtonnet éclairant, et laissa la Force la guider pour se diriger d'un pas assuré, dans l'obscurité, vers l'entrée.
