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Chapitre n°120 :
Des secrets bien gardés
Le trajet de retour de Prakith à Ciutric IV prenait encore plus longtemps que l'aller. Il aurait dû se dérouler plus rapidement, puisque Bane avait déjà défini les routes hyperspatiales qui le mèneraient hors du Noyau Profond, mais durant les heures passées sur le monde volcanique pour arracher l'Holocron d'Andeddu à ses disciples, un certain nombre de voies empruntées pour venir avaient bougé et étaient devenues instables.
Deux s'étaient déjà effondrées, ce qui avait obligé Bane à recalculer les paramètres de son voyage. Sur le plan statistique, les risques qu'une telle chose se produise en un laps de temps aussi restreint étaient infinitésimaux – mais les statistiques étaient souvent battues en brèche lorsque la Force influait sur le cours des événements. Il existait un trop grand nombre d'exemples de personnes entrées en possession d'objets Sith puissants qui avaient été victimes d'infortunes improbables, pour n'y voir que de simples coïncidences.
Beaucoup croyaient les talismans du Côté Obscur porteurs d'une malédiction. D'autres affirmaient qu'ils étaient dotés d'une forme de vie propre, comme si les matériaux inanimés composant une bague, une amulette ou un Holocron possédaient une conscience intelligente. Ceux qui étaient assez ignorants pour croire à de telles superstitions auraient déclaré que l'Holocron d'Andeddu s'opposait à Bane. Ils auraient affirmé que les routes hyperspatiales effondrées constituaient la preuve que l'esprit avide de vengeance d'Andeddu, dans la pyramide de cristal, cherchait à détruire le voleur qui avait violé son sanctuaire.
Bane savait que l'Holocron ne contenait aucune malveillance. C'était un simple outil, dépositaire de savoir. Pourtant, il comprenait également que les effets de la Force pouvaient se faire sentir à des distances extraordinaires. Une tempête de violence tournoyait autour des objets imprégnés de la magie des anciens Sith, et le fort pouvait chevaucher cette tempête pour atteindre des sommets, tandis que le faible était balayé dans son sillage et détruit.
L'Holocron d'Andeddu était un talisman au pouvoir indéniable. Bane sentait les vagues d'énergie du Côté Obscur qui en émanaient. Il n'était pas impossible que la fragile matrice du Noyau Profond ait été subtilement altérée par ces vagues pendant son voyage d'arrivée, ce qui avait pu déstabiliser les voies hyperspatiales. Il établit un itinéraire comptait près d'une centaine de sauts brefs, pour minimiser le danger en passant le plus de temps possible dans l'espace normal. Le trajet du retour lui prendrait presque deux fois plus longtemps que l'aller, mais mieux valait se montrer prudent que de risquer l'écrasement instantané de son vaisseau à cause de l'effondrement d'un couloir hyperspatial affaibli.
Heureusement, il connaissait un moyen de s'occuper.
- Le transfert d'essence est le secret de la vie éternelle, lui dit l'hologramme.
Assis, jambes croisées sur le plancher de son appareil, Bane contemplait l'Holocron posé devant lui. Une image tridimensionnelle de Darth Andeddu, haute de vingt centimètres, était projetée juste au-dessus de la pointe de la pyramide.
- Le corps physique s'affaiblira toujours, pourtant ce n'est qu'une enveloppe, ou un vaisseau, poursuivit l'hologramme. Lorsque le temps sera venu, il sera possible de transférer ta conscience, ton esprit, dans un nouveau vaisseau, comme je l'ai fait avec cet Holocron.
Bane savait que la projection qui s'adressait à lui n'était pas l'esprit mort de l'ancien Seigneur Sith, mais seulement une personnalité simulée nommée « gardien ». Tout Holocron en possédait un. Guide virtuel programmé, qui avait les traits de personnalité de son créateur d'origine, le gardien veillait sur les informations contenues dans l'objet.
L'apparition du gardien était souvent un reflet de celui du créateur de l'Holocron – ou, tout du moins, de l'image que le créateur voulait donner de lui-même. Bane se souvenait que la gardienne de l'Holocron de Belia Darzu avait souvent changé d'apparence, en accord avec son héritage.
Son propre Holocron projetait une image de Bane, toujours revêtu de son armure d'orbalisks. Bien que les parasites se soient révélés impossibles à utiliser dans la vie réelle, l'aspect horrible de son corps recouvert de l'infestation était visuellement plus impressionnant et intimidant. Il donnait aussi une indication des sacrifices auxquels on devait consentir afin d'atteindre le véritable pouvoir du Côté Obscur, et c'était là une leçon précieuse pour quiconque voudrait suivre ses enseignements.
Plus important encore, les orbalisks dissimulaient son apparence et son identité véritables. Que l'Holocron tombe entre les mains des Jedi alors qu'il était encore en vie, et ils seraient incapables de le distinguer de l'image du gardien. Un point d'autant plus crucial, maintenant qu'il était sur le point d'apprendre les secrets de la vie éternelle – mais, avant tout, il devait triompher du personnage qui se tenait devant lui, aussi petit qu'imposant.
Andeddu avait choisi de se représenter sous l'aspect d'un homme pourtant une lourde armure, baignant dans un violent halo de lumière rouge et orangée. Sur sa tête était posée une coiffure haute et plate, qui évoquait celle d'un grand prêtre, à la base cerclée d'une fine couronne en or incrustée de gemmes. Son visage était creusé, presque squelettique.
Depuis quatre jours, Bane jouait aux jeux du gardien pour tenter d'accéder aux secrets de la vie éternelle. Il avait fouillé l'Holocron, et accompli en moins d'une semaine ce qui aurait pu prendre des mois, peut-être même des années. Il avait enduré les leçons fastidieuses, écouté les interminables délires philosophiques de l'image holographique. Il n'avait rien appris de nouveau sur la Force, quoique les propos du gardien lui en aient révélé beaucoup sur la personnalité et les croyances de Darth Andeddu.
Comme beaucoup d'anciens Sith, il était cruel, arrogant, égocentrique et peu perspicace. Ses leçons étaient à l'image de celles que les instructeurs de Bane lui avaient données à l'Académie Sith, sur Korriban. Or, il les avait rejetées depuis des années pour cause d'imperfection. Il avait dépassé le cadre de leurs enseignements. Sa compréhension du Côté Obscur avait évolué. En instaurant la Règle des Deux, il avait inauguré une nouvelle ère pour les Sith. Il avait transcendé la compréhension limitée d'hommes tel qu'Andeddu, et il en avait plus qu'assez d'écouter la litanie inepte du gardien.
- Montre-moi le rituel du transfert d'essence, ordonna-t-il.
- Le rituel est rempli de dangers, déclama l'hologramme. Le tenter provoquera la destruction du vaisseau actuel. Ton corps sera consumé par le pouvoir du Côté Obscur.
Exaspéré, Bane serra les dents. Il avait entendu ces mises en garde au moins une douzaine de fois auparavant.
- Choisis ton nouveau vaisseau avec soin. Si tu optes pour un être vivant, sache que son propre esprit te combattra lorsque tu tenteras de prendre possession de son corps. Si c'est sa volonté la plus forte des deux, tu échoueras et ta conscience sera jetée au néant, condamnée à une éternité de souffrances et de tourments.
La mention du néant ramenait toujours Bane à la bombe mentale, et aux centaines de Sith et de Jedi piégés à jamais dans sa détonation. Cela lui rappelait ce qu'il avait accompli, et ce qu'il était.
- Je ne suis pas un étudiant quelconque que terroriserait le pouvoir inimaginable du Côté Obscur, répliqua-t-il sèchement. Je suis le Seigneur Noir des Sith.
- Ton titre ne signifie rien pour moi, railla le gardien. Je décide de qui est digne d'apprendre mes secrets, et tu n'es pas encore prêt. Tu ne le seras peut-être jamais.
Ces derniers jours, Bane était arrivé à ce stade à trop de reprises. Il n'avait pas l'intention de laisser le gardien le contrarier une fois de plus.
Il ramassa l'Holocron avec sa main droite, en ignorant le tremblement trop familier de la gauche. Il existait un autre moyen d'obtenir le savoir qu'il convoitait, mais c'était un chemin parsemé de grands périls.
Dans l'élaboration de son propre Holocron, il avait développé une connaissance approfondie du fonctionnement des talismans. Chacun était unique, et contenait tout ce que son créateur avait appris tout au long de son existence – mais il existait des similitudes qu'on retrouvait chez tous, et celui qu'il étudiait ne faisait pas exception à cette règle.
Les structures étaient toutes semblables, mais il était toutefois possible de passer outre la volonté du gardien... mais uniquement si la personne était suffisamment puissante pour survivre à cette manœuvre. Si la volonté de Bane se trouvait insuffisante, ou si le pouvoir de l'Holocron d'Andeddu dépassait ses aptitudes à le maîtriser, et son esprit serait détruit. Le talisman dévorerait son identité, et transformerait son corps en une coquille vide. C'était un pari désespéré, mais il ne voyait aucun autre moyen d'obtenir ce dont il avait besoin – pas à temps pour l'aider contre Zannah.
- Si tu refuses de me donner ce que je veux, cria-t-il à l'hologramme, alors je le prendrai !
Avec l'aide de la Force, il plongea sa conscience dans les rouages les plus profonds de la pyramide, alors que le gardien poussait un hurlement rageur d'impuissance. Se projetant directement dans la pierre de faîte, Bane laissa sa détermination envahir le talisman pyramidal, tout comme il avait envahi la forteresse vouée au culte d'Andeddu sur Prakith.
Pendant un bref instant, il sentit le brasier du pouvoir piégé à l'intérieur qui menaçait de consumer son identité. Il accueillit la douleur sans résistance, s'en nourrit et la métamorphosa en la faisant communier avec toute la frustration et la colère ressenties au fil des ans, pour produire une tempête déchaînée d'énergie du Côté Obscur. Ensuite, progressivement, il entreprit d'imposer un ordre au chaos et de l'asservir à sa volonté.
Grâce à la Force, Bane effectua des ajustements très précis dans la matrice cristalline de l'Holocron. Il manipula la disposition des filaments, les tordant, les tournant et les déplaçant selon des modifications imperceptibles, tout en allant de plus en plus profond dans les données à la recherche de ce qu'il désirait. Par bien des aspects, c'était comme pirater la sécurité d'un ordinateur, même si dans le cas présent, la manœuvre était un million de fois plus complexe.
À chaque changement, l'image du gardien clignotait et protestait, mais Bane ne se souciait nullement des souffrances artificielles de la simulation. Il œuvra ainsi pendant de nombreuses heures, le corps en sueur, jusqu'à parvenir enfin à son but : le rituel du transfert d'essence – le secret de la vie éternelle que détenait Andeddu.
Accompagné d'une dernière poussée de Force, il projeta son esprit et se saisit de ce qu'il cherchait. S'il n'avait compté que sur l'aide du gardien, il lui aurait fallu des semaines pour obtenir et utiliser les informations indispensables – mais Bane était allé droit à la source. Le savoir se déversa directement de l'Holocron dans son esprit, brut et sans filtre. Des milliers d'images envahirent son esprit, dans une explosion de visions, de sons et de pensées qui lui firent lâcher la pyramide. Elle tomba sur le sol, et la connexion se rompit.
L'hologramme du gardien s'évanouit, laissant Bane seul à bord de son vaisseau, assis en tailleur sur le plancher. Il était affaissé vers l'avant, et il respirait par à-coups. Ses vêtements étaient trempés de sueur, l'épuisement faisait frissonner son corps.
Lentement, il se mit debout et se dirigea vers le siège du pilote. Il se déplaçait du pas vacillant d'un homme qui a bu trop de vin mandalorien, et il dut poser la main contre la cloison pour conserver l'équilibre. La tête lui tournait, noyée qu'elle était dans les secrets qu'il avait arrachés aux tréfonds de l'Holocron.
Alors qu'il s'effondrait dans son siège, la console de contrôle se mit à biper en sourdine. Il mit plusieurs secondes à se rendre compte que son saut dans l'hyperespace arrivait à son terme – mais il en restait encore beaucoup à effectuer.
Il lui fallait définir la prochaine partie de son itinéraire, mais il n'était pour le moment pas en état de s'atteler à cette tâche, pas tant que son esprit encore embrouillé luttait pour appréhender tout ce qu'il venait d'apprendre. Il avait besoin de temps pour analyser ces informations, et classer toutes les données afin qu'elles acquièrent un semblant de rationalité.
Il activa le pilotage automatique. Il se satisferait très bien de laisser son vaisseau naviguer au ralenti dans l'espace, pendant qu'il récupérait. Ceci fait, il ferma les yeux et laissa les ténèbres du sommeil l'envelopper.
