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Courage, c'est la dernière dizaine de chapitres de ce tome ! Du coup, vous allez avoir droit à un sacré enchaînement d'événements qui vont conduire doucement à un final grandiose et perturbant...


Chapitre n°130 :

Un fantôme du passé


Bane sentait encore les effets résiduels des drogues dans son organisme. Il avait fait ce qu'il pouvait pour les anéantir avec le brasier du Côté Obscur, mais les Sith étaient beaucoup moins accoutumés à la purification intérieure que les Jedi. Les produits chimiques encore en lui cesseraient d'agir naturellement, avec le temps.

Et jusque-là, il ne disposerait pas pleinement de tous ses talents. Il serait un peu moins rapide, en pensées comme en actes, et moins efficace dans le maniement du pouvoir de la Force – et il n'avait toujours pas son sabre-laser.

Malgré ces inconvénients, il ne doutait pas de sa victoire dans quelques minutes. Les sirènes hurlaient toujours dans le complexe carcéral, mais il savait qu'aucun garde n'essaierait de le traquer. Les quelques mercenaires qui avaient survécu à ses assauts battaient en retraite, laissant la fille de Caleb sans défense.

La vengeance nécessitait parfois d'agir avec froideur et calcul. Dans certaines circonstances, il convenait de faire preuve de prudence, de patience, mais il arrivait aussi que le châtiment ne puisse attendre, et que l'action doive s'alimenter à la source de la fureur et de la haine. Elle avait alors besoin de brûler de la chaleur de l'émotion animale.

La paix est un mensonge, il n'y a que la passion. Par la passion, je gagne la puissance. Par la puissance, je gagne le pouvoir.

Il sentait qu'il s'approchait de l'endroit où Serra se terrait. Il allongea le pas dans les couloirs vides, pour qu'arrive plus vite l'instant de sa vengeance.

Par le pouvoir, je gagne la victoire. Par la victoire, mes chaînes sont brisées.

Il s'était montré négligent, et faible. Il s'était laissé capturer. Il avait permis qu'on le transforme en victime. Pour ces fautes, il avait souffert – mais à présent, il était fort, de nouveau. Et c'était désormais au tour de quelqu'un d'autre de connaître la souffrance.

- Dess ! cria une voix derrière lui.

La mention du nom qu'il avait abandonné vingt ans plus tôt stoppa net le Seigneur Sith. Il se retourna lentement, et se retrouva face à la femme à la peau mate qui l'avait aidé à se libérer.

Elle avait le souffle court, comme si elle avait couru. Son pantalon était déchiré au genou gauche, où du sang imbibait le vêtement. Son visage exprimait un mélange d'émotions contradictoires : peur, désespoir, – et pourtant aussi – espoir.

- Tu te souviens de moi, Dess ? Je suis Lucia.

Une seconde, Bane considéra la femme devant lui sans comprendre. Puis, il repensa à sa jeunesse. À une époque où il n'était pas encore Darth Bane, Seigneur Noir des Sith, mais Dessel Heldane, un simple mineur d'Apatros.

Bien que profondément enfouis, ces souvenirs étaient toujours présents en lui. Les corrections que Hurst, son père, lui infligeait toutes les semaines. Les longues journées de labeur, passées à extraire le cortosis de la roche dans l'atmosphère irrespirable et poussiéreuse que créait son marteau-piqueur. Le voisin de palier, aussi... Son évasion d'Apatros, et son entrée dans l'unité de la Marche Obscure.

C'était comme essayer de se rappeler un rêve après s'être réveillé. Ces scènes appartenaient à la vie d'un autre, elles ne lui semblaient pas réelles. Mais, alors que son esprit faisait un bond dans le temps, d'autres souvenirs firent surface : les longues nuits de garde sur Trandosha, les marches forcées à travers les forêts de Kashyyyk.

La résurrection de ces fantômes du passé fit jaillir le visage d'Ulabore, l'officier commandant aussi cruel qu'incompétent qui, sans le savoir, avait dirigé Dess vers les Sith et l'avait mis sur la voie de sa véritable destinée. Mais il y avait aussi d'autres visages – les hommes et les femmes de son unité, ses frères et sœurs d'armes. Il se remémorait le regard bleu et le rictus suffisant d'Adanar, son meilleur ami, mais également une jeune femme soldat aux grands yeux, une sniper nommée Lucia.

Bane était intelligent, et prévoyant. Il avait eu la sagesse et l'ambition nécessaires pour redéfinir l'Ordre Sith, afin que celui-ci entame sa longue ascension vers la domination galactique. Il avait planifié à peu près toutes les situations concevables qu'il pourrait rencontrer un jour – et pourtant, il n'était pas préparé à ceci.

Il le savait, bon nombre des anciens soldats ayant servi dans les armées de Kaan étaient devenus mercenaires ou gardes du corps, mais il n'avait jamais envisagé l'éventualité de croiser le chemin de quelqu'un qui l'aurait connu avant son passage du Côté Obscur. Après avoir rejoint les Sith, il s'était interdit de s'interroger sur ce qu'il était advenu des gens de son passé. Il lui avait fallu apprendre à survivre seul, et à ne compter sur personne d'autre que sur lui-même. Tout attachement à une famille ou à des amis constituait une faiblesse, une chaîne qui vous entravait et vous rabaissait.

Et maintenant, une personne tout droit sortie de cette vie qu'il s'était donné tant de mal à oublier, se dressait entre lui et sa vengeance. Elle était un obstacle sur son chemin, mais un obstacle qu'il pouvait aisément balayer. Il se savait capable de l'anéantir aussi facilement que les gardes à l'extérieur de sa cellule.

Au lieu de quoi, il demanda :

- Pourquoi m'as-tu aidé ?

- Nous avons servi ensemble dans la Marche Obscure, répondit-elle comme si cela expliquait tout.

- Je sais qui tu es.

Elle hésita, comme si elle attendait de lui qu'il en dise plus. Devant son silence, elle reprit :

- Tu m'as sauvé la vie sur Phaseera. Tu as sauvé la vie de toute l'unité, et pas seulement ce jour-là. Tu étais de chacune de nos bataille pour veiller sur nous, pour nous protéger.

- J'étais un imbécile à cette époque.

- Non ! Tu étais un héros. Tu m'as sauvé la vie plus de dix fois. Comment pouvais-je ne pas t'aider ?

Tout d'abord, il pensa que c'était une idiote sentimentale aveuglée par une noblesse irrationnelle, et qui débitait des inepties. Cependant, lorsqu'il se rendit compte de ce qu'il se passait réellement, tout commença à faire sens. Elle l'avait libéré en espérant gagner ses faveurs. Elle voulait quelque chose. C'était pour cette raison qu'elle avait trahi la fille de Caleb – pour son avantage personnel. Mais le hurlement continu des sirènes lui rappela que le temps allait bientôt manquer.

- Que veux-tu ? demanda-t-il.

- Je veux... s'il te plaît... je t'en supplie... Laisse vivre Serra.

Sa requête n'avait aucun sens. Si la vie de Serra était en danger, c'était uniquement à cause de ce que Lucia avait fait.

- Pourquoi ? À quoi me servirait de l'épargner ?

La jeune femme ne répondit pas immédiatement. Elle cherchait quelque chose à offrir, mais elle n'avait rien.

- Regarde au fond de ton cœur, Dess. Repense à l'homme que tu as été. Je sais que tu t'es tourné vers le Côté Obscur pour survivre. Devenir un Sith était pour toi le seul moyen de survivre. Je t'en prie, Dess, je sais qu'une partie de celui que tu étais vit toujours en toi.

- Mon nom n'est pas Dess, répliqua-t-il en se dressant de toute sa taille, de sorte qu'il dominait Lucia. Je suis Darth Bane, Seigneur Noir des Sith. Je ne ressens ni pitié, ni gratitude, ni remords. La fille de Caleb doit payer pour ce qu'elle m'a fait subir.

- Je ne te laisserai pas faire, déclara Lucia.

Elle se campa solidement sur ses deux pieds, et se prépara à l'affrontement.

- Tu ne pourras pas m'arrêter, la prévint-il. Ton sacrifice ne la sauvera pas. Es-tu décidée à perdre la vie sans raison ?

Lucia ne bougea pas d'un pouce.

- J'ai déjà dit que je te devais la vie. Si tu veux la prendre maintenant, c'est ton droit.

L'esprit de Bane revint à sa première rencontre avec Caleb, sur Ambria. Le guérisseurs avait eu la même attitude que Lucia à présent, en dépit de sa certitude de ne pas être de taille face au Sith. Mais Caleb savait qu'il avait quelque chose qui intéressait Bane, alors que la jeune femme ne pouvait prétendre détenir ce genre d'atout. Rien ne pouvait empêcher le Seigneur Noir de souffler la flamme de cette vie en un instant.

Il commença à rassembler en lui le Côté Obscur, et le pouvoir monta lentement. Cependant, avant qu'il ne puisse le déchaîner, il fut frappé par un mur de Force retentissant qui jaillit d'un couloir sur sa gauche. Par réflexe, il dressa un bouclier défensif qui absorba le plus gros du choc, mais il fut tout de même repoussé contre le mur opposé, qu'il percuta violemment. Il en eut le souffle coupé.

Lucia ne fut pas aussi chanceuse. Incapable de faire appel à la Force pour se protéger, elle fut arrachée du sol et rejetée dans le couloir. Son crâne heurta la pierre une dizaine de fois, tandis qu'elle ricochait contre les murs et le plafond, puis elle fut réduite à l'état de poupée sanguinolente et désarticulée. Son corps retomba enfin trente mètres plus loin, à l'endroit où le couloir faisait un coude à quatre-vingt-dix degrés.

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~oOo~

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Bane fut debout en un instant, et il se tourna vers son adversaire.

- Vous n'avez pas pu vous résoudre à la tuer, fit Zannah d'une voix lourde de mépris. Vous êtes devenu faible. Rien d'étonnant à ce que vous ayez tenté de violer la Règle des Deux.

Elle se tenait immobile, son sabre-laser au poing. Son bras était tendu devant elle, et les deux lames se trouvaient à l'horizontale. C'était une posture défensive, l'une de celles destinées à se prémunir d'une attaque soudaine venant d'un ennemi armé. Elle ignorait donc qu'il n'avait pas récupéré son propre sabre-laser.

- J'ai vécu selon les préceptes de la Règle des Deux depuis que je l'ai créé, répliqua-t-il. Tout ce que j'ai fait l'a été en accord avec elle.

Zannah secoua la tête.

- Je sais que vous vous êtes rendu sur Prakith. Je sais que vous recherchiez l'Holocron d'Andeddu. Je sais que vous vouliez connaître le secret de la vie éternelle.

- Je l'ai fait par nécessité. Je t'ai enseigné tout ce que je savais sur le Côté Obscur. Des années durant, j'ai attendu que tu me défies, mais tu te satisfaisais très bien de travailler dur dans mon ombre, pour rester mon apprentie jusqu'à ce que les ravages de l'âge me dépouillent de mon pouvoir.

Toute pensée pour Lucia avait disparu, de même que les souvenirs de son passé. La seule chose dont il se souciait désormais, c'était de l'affrontement, car il savait que le sort des Sith dépendrait de son issue.

- Tu n'es pas digne de devenir Dame Noire, Zannah. C'est pour cette raison que je suis allé sur Prakith.

- Non, répliqua-t-elle avec un calme froid. Vous ne ferez pas de moi la responsable. Vous avez affirmé que vous me formiez pour qu'un jour, je vous succède. Vous m'avez dit que mon destin était de devenir Dame Noire, et maintenant, vous voulez vivre à jamais. Vous voulez vous accrocher au titre de Seigneur Noir des Sith et me priver de ce qui me revient de droit !

- Ce titre, il faut le gagner, rétorqua Bane. Tu voulais attendre pour l'obtenir par forfait.

- Vous m'avez enseigné la patience, lui rappela-t-elle. Vous m'avez appris à prendre mon temps.

- Pas pour cela ! tonna Bane. Seul le plus fort a le droit de diriger les Sith ! Le titre de Seigneur Noir ou de Dame Noire doit être conquis, arraché à la poigne toute-puissante du Maître !

- C'est bien pourquoi je suis ici, dit Zannah avec un sourire sinistre. J'ai trouvé mon propre apprenti. Je suis prête à embrasser ma destinée.

- Tu crois vraiment pouvoir me vaincre ?

Bane porta la main à sa hanche, feignant ainsi de s'apprêter à prendre son sabre-laser. Sa seule chance de survie était de la tromper et de l'obliger à faire marche arrière.

Le regard de Zannah suivit son geste. Il gardait la main ouverte, et sa large paume dissimulait l'endroit où l'apprentie aurait normalement dû apercevoir la poignée du sabre-laser accrochée à sa ceinture. En esprit, il s'efforça de projeter l'image de son arme suspendue juste derrière ses doigts.

Zannah ne bougeait pas. Elle conservait la même attitude défensive, et son front se plissa tandis qu'elle calculait ses chances. Puis, ses yeux s'arrêtèrent sur la main gauche de Bane qui tremblait très légèrement.

- Vous vous êtes laissé capturer par des mercenaires...

Elle fit lentement tournoyer son sabre-laser, et avança d'un pas avec assurance.

Immobile, Bane ferma le poing gauche pour que ses ongles mordent dans la paume et fassent cesser le tremblement.

- Vous n'avez pas pu vous résoudre à tuer la femme qui se dressait sur votre chemin...

Zannah progressa encore d'un pas, en faisant passer tranquillement son arme d'une main à l'autre. Si le Maître Sith avait eu son sabre-laser, le moment aurait été idéal pour une attaque-surprise.

Voyant qu'il ne faisait rien, elle renversa la tête en arrière et éclata de rire.

- Vous vous êtes même laissé piéger dans ces murs sans votre arme !

Elle se rapprocha encore, et il répondit en reculant.

Les deux lames du sabre-laser gagnèrent de la vitesse dans leurs évolutions circulaires.

Elle avait une dernière chose à dire, avant de se jeter sur lui :

- Ton heure a sonné, Bane.