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Chapitre n°134 :
De retour sur Ambria
Bane était très conscient d'avoir frôlé la mort de la main de Zannah dans la Prison de Pierre. Pourtant, il était toujours vivant, et c'était la preuve de son pouvoir et de sa résistance. Il était entré là en prisonnier, mais il était ressorti plus puissant encore qu'à son arrivée. L'Holocron d'Andeddu était perdu, probablement enseveli dans l'effondrement du complexe. Peu importait, car il en avait déjà extrait son savoir le plus précieux – le secret du transfert d'essence. Et bien que son apprentie soit encore vivante, il était très possible qu'il ait déjà trouvé sa remplaçante.
Il observa l'Iktotchi avec grande attention, tandis qu'elle réglait les commandes de la navette et effectuait des ajustements subtils afin de garder le cap, lorsqu'ils quittèrent le calme du vide intersidéral pour entrer dans les turbulences de l'atmosphère d'Ambria.
Elle lui avait dit s'appeler la Chasseuse, et exercer depuis cinq ans la profession de tueuse à gages indépendante, ce qui lui permettait d'affiner son aptitude à identifier et exploiter les faiblesses de ses cibles. Il était difficile de contester les résultats : au cours de ses brèves rencontres avec le Seigneur Sith, elle avait déjà démontré une louable ambition et un potentiel remarquable. Sa réussite était d'autant plus impressionnante qu'elle n'avait jamais reçu de formation spécifique à la voie du Côté Obscur. Tout ce qu'elle faisait, elle le faisait naturellement, par pur instinct. Son pouvoir était un diamant brut.
Sa capacité à troubler la Force chez autrui était une autre preuve de sa force. Elle n'avait jamais appris cette technique rare et difficile. Elle la lâchait simplement contre ses ennemis en recourant à sa volonté. Une arme frustre, mais efficace.
C'était cependant son autre talent qui intriguait réellement le Seigneur Noir.
- Comment m'avez-vous retrouvé sur Ciutric ? demanda-t-il, alors que la navette se rapprochait de la surface désertique de la planète.
- Mes visions, expliqua la Chasseuse. Si je me concentre, elles me permettent de voir des images, des gens, des endroits. Parfois, j'entraperçois le futur, même s'il ne se réalise pas toujours.
- Le futur est en perpétuelle évolution, fit Bane. Il est constamment modelé par la Force et par ceux qui ont le pouvoir de contrôler la Force.
- Il m'arrive aussi d'avoir des visions du passé, des échos de ce qui a été. Je vous ai vu sur Ambria, avec une jeune femme blonde.
- Mon apprentie.
- Elle est toujours en vie ?
- Pour l'instant.
À l'horizon, ils virent la première lumière du soleil d'Ambria qui s'étirait vers eux. Alors que les rayons dorés touchaient le nez de la navette, Bane ne put s'empêcher de se demander jusqu'où iraient les aptitudes de l'Iktotchi si elle suivait une formation appropriée.
S'il avait la sagesse d'interpréter les événements et d'anticiper leurs conséquences les plus probables, il avait rarement fait l'expérience de véritables visions concernant l'avenir. Il était capable de manipuler la galaxie autour de lui, et de la diriger inexorablement vers une ère où tous s'inclineraient devant les Sith, mais c'était une lutte pour garder tout en mouvement. Ses plans à long terme pour l'anéantissement des Jedi et la maîtrise de la galaxie étaient soumis à des fluctuations incessantes, et réagissaient à des événements inattendus et totalement imprévisibles, qui altéraient le paysage social et politique.
Chaque fois que cela arrivait, Bane devait battre en retraite et attendre de pouvoir évaluer les changements afin de réagir comme il convenait – mais si la Chasseuse apprenait à contrôler son pouvoir, les Sith s'en seraient plus réduits à la seule réaction. Ils pourraient anticiper et prédire ces changements aléatoires, et s'y préparer longtemps avant qu'ils ne surviennent.
Et il existait une possibilité encore plus grandiose. Bane savait que le destin n'était pas prédéterminé. Il y avait de multiples futurs possibles, et la Force permettait à l'Iktotchi de voir seulement quelques exemples de ce qui serait peut-être. Si elle parvenait à apprendre comment effectuer un tri dans ces visions, en séparant les différentes lignes temporelles divergentes, ne se pouvait-il pas qu'elle réussisse également à les contrôler ? Aurait-elle un jour le pouvoir de modifier l'avenir rien qu'en y pensant ? Utiliserait-elle le pouvoir de la Force pour façonner la trame même de l'existence, et faire se réaliser les visions de son choix ?
- Dans le hangar, vous m'avez dit que vous m'attendiez, remarqua Bane, qui voulait mieux comprendre son talent. Vos visions vous avaient dit que j'arrivais ?
- Pas exactement. J'ai eu le pressentiment de... quelque chose. J'ai senti que ce moment serait important, mais sans savoir ce qui allait se passer. Mon instinct m'a dit que j'avais tout intérêt à attendre.
- Votre instinct s'est-il déjà trompé ?
- Rarement.
- Est-ce pour cette raison que nous sommes sur Ambria ? Parce que vos visions et votre instinct vous ont dit que la fille de Caleb viendrait ici ?
- La princesse m'a rencontrée ici, lorsqu'elle m'a engagée pour vous retrouver, répondit la tueuse. Cet endroit me hante. Je n'ai pas eu besoin de visions pour savoir que c'est ici qu'elle se précipiterait.
Le Seigneur Noir sourit. Elle était aussi intelligente que talentueuse.
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~oOo~
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Quelques minutes plus tard, le vaisseau se posa en bordure du campement de Caleb, à côté d'un petit module de secours.
Dès qu'il débarqua, Bane se rappela du pouvoir qui était pris au piège sous la surface d'Ambria. La Force avait jadis dévasté cette planète, avant que son pouvoir ne soit enfermé par un ancien Maître Jedi dans les profondeurs du Lac Natth. Ce monde était désormais un lieu de convergence des deux Côtés, l'Obscur et le Lumineux.
Il aperçut une tombe fraîchement creusée à quelques mètres, mais il ne lui accorda pas un regard de plus. Les morts ne l'intéressaient pas.
Il traversa le camp à longues enjambées, en direction de la cabane délabrée. La Chasseuse marchait à ses côtés.
Avant qu'il ait atteint la porte, la princesse émergea du pauvre abri pour l'affronter. Elle était sans arme, et seule, mais à la différence de leur confrontation dans la Prison de Pierre, il ne sentit aucune peur en elle. Il émanait de sa personne une sérénité, une paix intérieure qui rappela à Bane sa première rencontre avec son père.
L'état d'esprit du Seigneur Sith avait également évolué. Il n'était plus motivé par un désir inextinguible de vengeance sanglante. Dans la Prison de Pierre, il avait eu besoin de tirer de la force de sa colère, afin de survivre et vaincre ses ennemis. À présent, il ne courait aucun danger. Ayant eu le temps de réfléchir à la situation, il en était venu à la conclusion qu'il n'était pas indispensable de tuer la princesse – pas si ses talents pouvaient lui être utiles.
Ils se campèrent face à face, et se dévisagèrent un moment sans parler. Ce fut Serra qui rompit le silence :
- Vous avez vu la tombe en vous posant ? J'ai enterré Lucia, la nuit dernière.
Devant le mutisme de Bane, elle leva lentement une main pour essuyer l'unique larme qui avait débordé de son œil, avant de poursuivre :
- Elle vous a sauvé la vie. Cela ne vous fait rien qu'elle soit morte ?
- Les morts n'ont pas de valeur pour les vivants, répliqua-t-il.
- C'était votre amie.
- Quoi qu'elle ait été, elle ne l'est plus. Elle n'est plus maintenant que de la chair pourrissante et des os.
- Elle ne méritait pas un tel sort. Sa mort a été... vaine.
- La mort de votre père a été vaine, fit Bane. Il possédait un talent précieux. Par deux fois, il m'a sauvé la vie, alors que nul autre n'aurait pu me guérir. Si j'avais eu le choix, je l'aurais laissé en vie, au cas où j'aurais encore besoin de ses services.
- Il ne vous aurait jamais aidé volontairement, répliqua Serra.
Il y avait de la colère dans sa voix, bien que ces paroles aient la tonalité sans réplique de la vérité.
- Pourtant, il m'a aidé, lui rappela Bane. Il était utile. Je pourrais vous trouver utile, vous aussi, si vous possédez ses talents.
- Mon père m'a appris tout ce qu'il savait, reconnut-elle, mais, tout comme lui, je n'aiderai jamais un monstre tel que vous.
Elle s'adressa alors à l'Iktotchi, qui était restée silencieuse à côté du Sith.
- Si vous suivez cet homme, il vous détruira. J'ai vu quelles récompenses obtiennent ceux qui empruntent la voie du Côté Obscur.
- Le Côté Obscur me donnera le pouvoir, rétorqua la Chasseuse avec assurance. Il me guidera vers ma destinée.
- Seuls les fous croient cela, dit la princesse. Regardez-moi. J'ai cédé à la haine. Je l'ai laissée me posséder. Mon désir de vengeance m'a coûté tout ce qui comptait pour moi, et tous les êtres qui m'étaient chers.
- Le Côté Obscur dévore ceux qui n'ont pas le pouvoir de le contrôler, approuva Bane. C'est une tempête féroce d'émotion, qui annihile tout sur son passage. Il ravage ceux qui sont faibles et indignes de lui, mais ceux qui sont forts peuvent chevaucher les vents de la tempête, et atteindre des sommets inimaginables. Ils peuvent libérer leur vrai potentiel, et briser les chaînes qui les retenaient. Alors, ils peuvent dominer le monde autour d'eux. Seuls ceux qui ont le pouvoir de contrôler le Côté Obscur sont capables de connaître la véritable liberté.
- Non, répondit Serra en secouant doucement la tête. Je ne crois pas à cela. Le Côté Obscur est le côté du Mal. Vous êtes le Mal, et jamais je ne vous servirai.
Il y avait un défi tranquille dans sa voix, et Bane sentit que rien de ce qu'il pourrait dire ou faire ne la convaincrait jamais. Un instant, il envisagea de tenter sur elle le transfert d'essence, mais il renonça aussitôt. Le rituel consumerait sa forme physique, et s'il échouait à investir le corps de la princesse, son esprit serait pour toujours pris au piège du néant. Elle avait la même volonté d'acier que son père, et il n'était pas certain d'être suffisamment fort pour la soumettre.
Il n'avait pas besoin de le faire maintenant. Il lui restait encore nombre d'années avant que son corps actuel ne le trahisse complètement. Mieux valait patienter, et trouver un technicien capable de créer un corps de clone, ou bien choisir quelqu'un de plus jeune et de plus innocent.
- Elle ne nous est d'aucune utilité, Maître, déclara l'Iktotchi, tandis qu'une lueur d'impatience brillait dans ses yeux. Puis-je la tuer pour vous ?
Il donna son accord d'un simplement hochement de tête, et la Chasseuse s'avança lentement vers l'autre femme. Bane sentit que la tueuse aimait savourer la mise à mort, qu'elle se régalait de la peur et des souffrances de ses victimes – mais Serra ne fit rien pour se défendre. Elle ne tenta pas de fuir, elle n'implora pas qu'on l'épargne. Elle resta parfaitement immobile, prête à affronter son sort en silence.
Voyant qu'elle ne tirerait aucune satisfaction de la fille de Caleb, la Chasseuse mit fin à la vie de Serra.
