.


Chapitre n°137 :

Féroces retrouvailles


Zannah avait glissé dans un sommeil agité, et elle en fut tirée par le bip lent et régulier qu'émettait la console de contrôle. En examinant sa source, elle constata qu'il s'agissait d'un appel de détresse longue distance. Toutefois, au lieu d'être relayé sur un maximum de longueurs d'onde, celui-ci provenait du canal privé du Victory – et à part elle-même, une seule personne connaissait cette fréquence.

Intriguée, elle décrypta le message. Il ne comportait que cinq mots : Ambria. Le campement du guérisseur.

Sa première pensée fut que Bane lui tendait un piège et essayait de l'attirer là-bas, puis cette explication lui parut improbable. L'émetteur du message était évident. S'il cherchait à la piéger, pourquoi se trahir ainsi, puisque la manœuvre la mettrait forcément sur ses gardes ?

Peut-être voulait-il simplement régler les choses une bonne fois pour toutes. Avant de s'endormir, Zannah avait réfléchi à ce qu'il lui avait dit dans les moments précédant leur duel, dans les couloirs de la Prison de Pierre.

En substance, seul le plus fort méritait de diriger les Sith, et le titre de Seigneur Noir ou de Dame Noire devait être gagné de haute lutte, arraché à la toute-puissance du Maître précédent.

Si Bane croyait toujours en la Règle des Deux, s'il estimait toujours que c'était la clé de la survie et de la domination future des Sith, alors ce message avait valeur de défi. C'était une invitation adressée à son apprentie, pour qu'elle vienne sur Ambria afin qu'ils terminent ce qu'ils avaient commencé dans la Prison de Pierre.

Elle devait le reconnaître, il valait mieux cette solution que de passer des années à se pourchasser mutuellement à travers la galaxie, à tendre des traquenards et à travailler à la destruction de l'autre. Bane avait réinventé l'Ordre Sith afin que leurs ressources et leurs efforts se focalisent sur leurs ennemis, plutôt que sur leurs pairs. Lorsque l'apprenti défiait le Maître, la Règle voulait que tout se décide en un seul affrontement : c'était rapide, propre et définitif.

Mais l'unité de l'Ordre s'était déjà fissurée. Ils n'étaient plus Maître et apprentie, mais rivaux pour le statut suprême. Dans les faits, ils étaient en guerre l'un contre l'autre, et tant qu'ils vivraient tous deux, les Sith seraient divisés. Dans ces circonstances, était-il donc si difficile de croire que Bane souhaitait un duel à mort sur Ambria dans le seul but de régler ce conflit, pour le bien de l'Ordre ? S'il respectait la Règle qu'il avait instaurée, ce message était à prendre au pied de la lettre.

Mais qu'en était-il de l'Holocron d'Andeddu ?

Au départ, elle avait pensé qu'il recherchait la vie éternelle pour contourner la Règle des Deux en vivant à jamais. À présent, elle n'en était plus aussi certaine. L'immortalité constituerait-elle une violation des principes qui fondaient la Règle des Deux ? En admettant que les secrets contenus dans l'Holocron évitent à Bane les effets débilitants du vieillissement, elle ne pensait pas qu'ils l'empêcheraient de tomber au combat. Si elle était suffisamment forte pour le vaincre, elle mériterait toujours son titre de Dame Noire, exactement comme Bane l'avait voulu lorsqu'il l'avait trouvée, encore enfant, sur Ruusan.

Elle se demandait désormais si l'Holocron était une précaution visant à assurer la puissance de l'Ordre. Bane voyait peut-être en cet objet magique une protection contre l'ascension au trône Sith d'un candidat indigne de la charge, uniquement parce que le Maître précédent aurait été diminué par l'âge.

Zannah se pencha sur la console, et composa l'itinéraire pour Ambria. Elle se demandait pourquoi Bane avait choisi le campement du guérisseur comme théâtre de leur affrontement final.

Ce monde baignait dans les énergies du Côté Obscur. Durant les dix premières années de son apprentissage, Zannah avait habité en compagnie de Bane près du Lac Natth – mais il ne la faisait pas revenir à leur ancien camp. Il l'attendait là où Caleb avait vécu.

Par deux fois, le Seigneur Noir avait failli mourir en ce lieu. Y avait-il un rapport avec son choix ? Existait-il une autre explication ?

Il était toujours possible qu'elle soit en train de se jeter tête la première dans la gueule du loup. Ambria était un monde très peu peuplé. Il y serait très facile d'y tendre un piège sans que personne ne remarque rien.

Pourtant, son instinct lui disait que Bane n'agissait pas ainsi. Et si son instinct se trompait pour quelque chose d'aussi important, alors elle méritait ce qui l'attendait sur cette planète.

D'une façon comme d'une autre, se dit-elle alors que le vaisseau effectuait le saut dans l'hyperespace, tout sera bientôt fini.

.

~oOo~

.

La nuit sur Ambria avait cédé la place à la chaleur étouffante du jour. Au lever du soleil, Bane et Cognus s'étaient retirés à l'abri, dans la cabane. Le Seigneur Noir s'était assis en tailleur sur le sol pour méditer et rassembler ses forces, en vue de l'arrivée de Zannah.

- Elle va probablement débarquer avec une armée, fit l'Iktotchi.

- Non. Elle sait que nous devons nous affronter seul à seule.

- Je ne comprends pas.

- Il fut un temps où les Sith étaient aussi nombreux que les Jedi, mais, à la différence des Jedi, ceux qui servaient avaient pour seul rêve la chute de leur Maître. Cette ambition était naturelle, car telle est la voie du Côté Obscur. C'est ce qui nous motive, ce qui nous rend aussi forts, mais c'est aussi ce qui risque de nous détruire si nous ne contrôlons pas la chose comme il convient. Dans l'ancienne tradition, un meneur Sith puissant finissait renversé par les forces combinées de plusieurs Sith moins forts. C'était inévitable, et ce cycle s'est répété encore et encore. Et chaque fois, l'Ordre s'affaiblissait notablement. Les plus forts étaient tués, et les fables s'entre-déchiraient dans des guerres de succession mesquines. Pendant ce temps, les Jedi restaient unis et tranquilles, car ils savaient que leurs ennemis étaient trop occupés à se combattre les uns les autres pour être un jour en mesure de les vaincre.

- Mais vous avez trouvé un moyen de briser ce cycle, intervint Cognus.

- Désormais, tous nos actes sont en accord avec la Règle des Deux, expliqua Bane. Un Maître, un apprenti. C'est l'assurance que le Maître ne sera destitué que par un successeur qui mérite de prendre sa place. Zannah sait que, si elle veut diriger, devenir Dame Noire des Sith, elle doit prouver qu'elle est plus forte que moi en me battant seule.

Cognus acquiesça.

- Je comprends, Maître. Je n'interviendrai pas.

Comme si cet échange avait été un signal, le rugissement des moteurs d'une navette balaya le campement. Ils se levèrent tous les deux, et s'avancèrent dans la chaleur du désert vers l'appareil de Zannah qui se posait.

Elle sortit du vaisseau quelques secondes plus tard. Tout comme Bane l'avait prédit, elle était seule.

Il marcha vers elle, tandis que Cognus se tenait près de la cabane. Il fit halte au centre du campement. Zannah vint se placer à mi-distance entre lui et les navettes. Elle posa un regard soupçonneux sur l'Iktotchi, qui se tenait toujours en retrait.

- Elle n'interviendra pas, affirma Bane.

- Qui est-ce ?

- Une nouvelle apprentie.

- Elle vous a prêté allégeance ?

- Elle est loyale envers les Sith, répondit-il.

- Je veux apprendre la voie du Côté Obscur, lança Cognus à l'adresse de Zannah. Je veux servir sous les ordres d'un véritable Seigneur Sith. Si vous l'emportez sur Bane, je vous prêterai allégeance.

Zannah inclina la tête, et observa l'Iktotchi d'un regard perçant pendant un moment, puis elle signifia son approbation d'un hochement de tête.

- Qui gît dans ces tombes ? demanda-t-elle à Bane.

- La fille de Caleb et sa garde du corps. C'est elle qui m'a fait enlever et m'a emprisonné. Elle s'est réfugiée ici après l'effondrement de la Prison de Pierre.

Il ne donna pas plus de détails. Zannah n'avait pas besoin de savoir qui était Lucia, ni les liens qu'elle avait eus avec lui.

- Je me suis demandée pour quelle raison vous aviez choisi cet endroit pour notre rencontre, marmonna Zannah. J'ai pensé que, peut-être, ce campement avait une signification symbolique pour vous.

Bane secoua négativement la tête.

- La dernière fois que nous étions ici, vous étiez trop faible pour tenir debout, lui rappela son apprentie. Vous étiez sans défense, et vous avez cru que je vous avais trahi auprès des Jedi. Vous avez dit que vous préfériez mourir, plutôt qu'être prisonnier jusqu'à la fin de vos jours. Vous avez voulu que je vous ôte la vie, mais j'ai refusé.

- Tu savais que j'avais encore beaucoup à t'enseigner, répliqua Bane. Tu as fait le serment de ne pas me tuer avant d'avoir appris tous mes secrets.

- Et ce jour est arrivé.

Zannah alluma les lames jumelles de son arme.

En réponse, Bane sortit son propre sabre-laser, et la lame étincelante jaillit de la poignée courbe dans un bourdonnement bas.

Les deux adversaires se mirent en position et commencèrent à tourner lentement face à face.

- Je vous ai surpassé, Bane, dit Zannah. À présent, je domine.

- Alors, prouve-le.

Il se rua sur elle, et le combat commença.