Chapitre 3 : Réveil instinctif
Jamais Alex n'oublierait le moment où Yassen ouvrit les yeux.
Il s'était attendu à ce que son hôte batte les paupières, s'éveille petit à petit et prenne son temps avant de lui adresser quelques mots, comme n'importe qui aurait pu le faire après avoir été plongé dans le coma.
Mais Yassen Gregorovich n'était pas n'importe qui.
Le Russe ouvrit les yeux.
Puis, sans reconnaître l'endroit où il était, il sut qu'il n'avait pas été amené dans cette chambre de son plein grès.
Son regard darda d'un côté à l'autre, il prit connaissance de son environnement en cinq secondes: il était allongé sur un lit deux places, en face d'une armoire à quatre portes, à sa droite se trouvait une lampe de chevet posée sur une table de nuit à deux tiroirs.
A sa gauche il y avait une autre table de nuit similaire sur laquelle quelqu'un avait posé un verre et une bouteille d'eau. Yassen avait soif, mais il était hors de question pour lui de consommer un produit sans savoir d'où il provenait et qui l'avait apporté.
Il nota qu'il n'avait plus son arme. Et il nota aussi, avec étonnement cette fois, qu'il avait été blessé.
Ce fut une véritable leçon pour Alex de voir que l'instinct de tueur du Russe prenait le dessus en ces circonstances. Il ne put s'empêcher encore une fois, d'admirer la maîtrise de Yassen.
-Alex, fit Yassen comme s'il avait seulement remarqué sa présence.
Le jeune homme essaya de prendre un ton assuré.
-Comment vous vous sentez-vous ?
-Où suis-je ? Fit Yassen en ignorant sa question.
Alex poussa un soupir. Le Russe n'avait pas l'intention de répondre à ses questions tant qu'il aurait les siennes à poser.
-Vous êtes chez moi, déclara Alex. Vous avez été blessé alors je vous ai emmené ici.
-Damian t'a relâché? S'étonna de nouveau Yassen.
Ce fut au tour d'Alex d'être surpris. Il avoua à contrecœur :
-Damian est mort, Yassen. L'opération Vol d'Aigle est terminée.
Alex ne sut de quelle manière le Russe allait réagir. Il y eut un long silence.
Puis Yassen se redressa.
-C'est regrettable, dit-il en plongeant son regard dans celui du jeune espion.
Alex était déçu.
Apparemment Yassen n'avait aucun souvenir des derniers moments de sa mission.
Il ne se souvenait pas de s'être réjoui en apprenant la mort de son employeur, il ne se souvenait probablement pas d'avoir parlé de John Rider.
Pire, il considérait Alex comme responsable de son échec. Son unique échec : Alex avait entendu dire que Yassen était le meilleur dans son domaine, qu'il ne commettait jamais d'erreur.
-Je ne vous veux aucun mal, assura Alex.
Yassen jeta un regard sur sa blessure puis reporta son regard sur Alex.
Le jeune homme fut offusqué par sa présupposition.
-C'est Damian qui vous a tiré dessus ! Hurla Alex.
Un doute perçait toujours dans le regard de Yassen ce qui provoqua l'emportement de l'adolescent :
-Je vous ai sauvé la vie! J'ai menti au MI6 pour vous. Tout le monde vous croit mort ! J'ai pris des risques pour vous faire hospitaliser et vous ramener ici !
Ce flot de parole l'épuisa mais l'effet ne fut pas manqué.
Les traits de Yassen se détendirent. Il n'était plus sur ses gardes. Et quand il s'adressa de nouveau à Alex, ce fut d'une voix plus douce.
-Je ne me souviens de rien Alex. Je sais que nous étions dans l'avion et que Damian avait insisté pour vous veniez, toi et ton amie. Mais pour le reste...
Yassen secoua doucement la tête.
Alex s'était calmé. Il prit une chaise et s'approcha du Russe. Il lui raconta tout, excepté le moment où Yassen lui avait confessé qu'il connaissait son père.
Bien sûr, c'était cet aveu qui avait conduit l'adolescent à cacher la survie du Russe à tout le monde. Mais Alex ne voulait pas forcer les choses. Après tout le Russe lui avait parlé de John Rider parce qu'il se croyait mourrant. S'il avait su qu'il survivrait, il n'aurait jamais rien dit.
Alex ne perdait pas espoir.
Yassen avait eu de l'estime pour lui avant de lui avouer son lien avec John. Peut-être qu'il parviendrait à gagner sa confiance et faire en sorte que le Russe lui dise la vérité sans qu'il ait besoin de le lui rappeler qu'il la connaissait déjà.
Quand il eut fini son récit, Yassen observa Alex :
-Pourquoi as-tu fais ça ? Je suis ton ennemi, finit par demander Yassen.
-Dans l'avion, vous avez refusé de titrer sur moi, dit Alex.
Yassen eut un rictus.
-Et en fin de compte c'est moi qui me suis fait tiré dessus.
Puis il poussa un soupir :
-Tu as caché mon existence, ce qui me rend vraiment service. Je t'en remercie. Mais comme je te l'ai dit autrefois, il vaut mieux que nos chemins ne se croisent plus. Retourne à vie. Tu ne fais pas parti de ce monde, petit Alex.
C'était ce que craignait le plus Alex, que le Russe s'en aille en le laissant à ses interrogations. Il tenta de l'en dissuader comme il put.
-Et vous qu'allez-vous faire ? Vous êtes libre maintenant. Vous pouvez faire tout ce que voulez. Vous pouvez même rester ici, ajouta Alex avec espoir.
Yassen lui adressa un regard interloqué.
-Pourquoi voudrai-je rester ici ?
Alex ne sut que répondre. Venant de lui, ça paraissait grotesque.
Yassen bascula la tête contre ses oreillers. Il était fatigué, il avait mal mais c'était supportable.
Il planifiait déjà son départ. Il pouvait dormir à l'hôtel dès ce soir.
-Vous avez une dette envers moi...murmura Alex.
Yassen se redressa malgré-lui.
-Je te donnerai de l'argent, proposa Yassen.
-Je ne veux pas d'argent, déclina poliment Alex. Je veux que vous restiez ici.
-Et si je refuse ? Fit Yassen bien qu'il connaissait déjà la réponse.
-Dans ce cas je préviendrai le MI6.
-Tu me fais chanter ? Demanda Yassen d'une voix dénuée d'émotion.
Alex hocha la tête.
-Vous serez bien, ici, insista t-il.
-Tu as prévu de te venger ?
-J'ai déjà eu mille occasions de le faire. Ce n'est pas ce que je veux.
-Alors que veux-tu ?
-Juste que vous restiez.
Yassen sentait qu'Alex lui cachait quelque chose mais qu'il s'obstinait à garder le secret. Il le découvrirait tôt ou tard.
-Tu te mets en danger inutilement, petit Alex. Tu ne devrais me contraindre à rester chez toi.
Yassen le menaçait mais Alex n'était pas dupe. Il parlait à l'homme qui avait prit une balle pour lui sauver la vie. Yassen ne lui ferait jamais de mal. Il le lui avait dit mais il ne s'en rappelait pas.
-Vous me ferez jamais de mal. Vous n'y arrivez pas, pas vrai ? Fit Alex en souriant.
Contre toute attente, Yassen lui retourna son sourire :
-Je n'en aurai pas besoin.
Il renversa sa tête contre son oreiller et continua d'une voix égale:
-Ta gouvernante s'en chargera pour moi lorsqu'elle saura que tu m'as amené ici.
