Chapitre 5 : N'attends rien de moi
Yassen se réveilla avec une sensation de flottement. Il peinait à ouvrir les yeux malgré son envie de se lever.
Il mit à l'épreuve toute sa volonté pour pouvoir se redresser :
-Restez couché, ça ne sert à rien de vous fatiguer.
Il reconnut la voix. Il s'agissait de la gouvernante d'Alex.
Il se souvenait de s'être disputé avec elle hier. Et puis...Yassen se souvint aussi qu'elle lui avait appris qu'Alex était au courant pour John Rider.
Son regard balaya la chambre dans un mouvement circulaire. La grande fenêtre était ornée de rideaux opaques tirés. Il sentait une brise d'air frais.
La première fois qu'il s'était réveillé dans cette chambre , Yassen avait eu envie d'ouvrir les rideaux. Il aimait être plongé dans le noir par moment mais la plupart du temps, il gardait ses rideaux ouverts, même lorsqu'il dormait.
Ce n'était pas une question de goût. La raison était bien plus pragmatique : dans le cas où il aurait eu besoin de s'enfuir par la fenêtre, il valait mieux ne pas perdre de temps à ouvrir des rideaux.
-Où est Alex ? Demanda Yassen d'une voix faible.
Le son de sa propre voix le surprit. Il passa sa main sur son cou.
Jack s'approcha de lui pour déposer une bouteille d'eau près de la table de chevet.
C'était inutile car Yassen n'allait pas y toucher.
-A l'école, répondit-elle.
Yassen ne comprenait pas. Il lui semblait impossible qu'il soit resté couché depuis si longtemps.
Face à la surprise du Russe, elle expliqua :
-Vous vous êtes évanoui. Vous avez dormi toute la nuit. Vous vous souvenez ?
Yassen hocha la tête. Son mal de tête se fit plus intense.
-Yassen, fit Jack en s'approchant de lui en baissant le regard, ce que je vous ai dit hier ...
-A propos du père d'Alex ?
Elle approuva du chef avant de poursuivre :
-Si Alex ne vous l'avait pas dit, c'est sans doute qu'il souhaitait que vous vous en rappeliez de vous même. Je crois que s'il insiste pour que vous restiez ici c'est parce que vous êtes le seul à pouvoir lui parler de son père. Mais il ne veut pas vous obliger à le faire.
Yassen traduisit sa pensée :
-Il veut que sa vienne de moi.
Il poussa un soupir. S'il pouvait revenir en arrière, il effacerait ce moment. Il garderait ce secret pour lui. Il regrettait.
-Je ne lui dirai pas que je m'en souviens, finit par décider Yassen.
Une partie de Jack voulait respecter le choix du Russe mais elle pensait surtout à Alex :
-Il vous fait confiance, il ...
La jeune femme s'interrompit en l'observant.
Une expression de douleur brisa le masque froid du Russe. Mais ce n'était pas dû à une douleur physique.
C'était plus profond. Comme une blessure qui ne pourrait jamais cicatriser même après des années.
-Je n'oublierai jamais John Rider. Ça fait déjà quatorze ans qu'il a disparu mais une partie de moi ne l'a toujours pas accepté. Pour Alex ça doit être pire. Je ne veux pas qu'il ressente cette douleur.
Jack resta silencieuse.
Elle n'aurait jamais qu'un comme tel que lui pouvait témoigner de l'empathie. Sa méfiance envers Yassen demeurait tout de même, pourtant, elle comprenait peu à peu qu'il avait sa vision du monde.
Elle n'était pas d'accord avec lui et elle ne le serait peut être jamais. Mais elle respectait ses choix.
-Je ne lui dirai rien non plus. Essayez de vous reposer, dit-elle en regagnant la porte.
Quand Alex revint de l'école sa première préoccupation fut pour Yassen.
-Alors ?
Jack était en train de ranger la cuisine.
Ce lieu était l'endroit où elle et Alex se retrouvait le plus souvent. Il y avait un long comptoir qui servait de plan de travail et de table à manger. Alex aimait s'y installer aussi pour faire ses devoirs. Jack était bonne cuisinière bien qu'elle ne passait pas plus de dix minutes à préparer ses plats.
-Alors quoi ? Dit-elle en faisant comme si de rien n'était.
Alex s'impatienta ce qui fit sourire intérieurement sa gouvernante.
-Comment va t-il? Demanda Alex en dirigeant son regard vers l'escalier.
Jack ferma la porte du frigo et prit son temps pour répondre.
-Je n'en sais rien. Je ne lui ai pas demandé.
Alex fit la moue et adressa ses reproches à Jack :
-Mais tu avais promis de t'occuper de lui !
Jack se prépara un thé et demanda à Alex s'il en voulait un. Il refusa et puis demanda un chocolat chaud.
Une fois sa tasse en main, elle se décida enfin à lui parler :
-Je me suis occupée de lui lorsqu'il était inconscient mais je ne suis pas sa gouvernante. Je suis là pour m'occuper de toi mais pas d'un adulte !
-Je peux prendre soin de moi, déclara une voix d'un ton ferme.
Jack sursauta en renversant une partie de son thé sur le comptoir.
Il fallait vraiment que le Russe perde cette fâcheuse habitude d'arriver sans faire le moindre bruit.
-Tant mieux, reprit Jack. Pourquoi vous êtes vous levé ?
Yassen ne prit pas la peine de lui répondre, son regard se porta sur Alex qui le dévisageait, puis il finit par s'adresser à lui :
-J'aurais besoin d'une paire de ciseaux, de compresses et d'un désinfectant.
Alex ne s'attendait pas à une telle demande.
Le Russe s'adressait à lui comme s'il était sous ses ordres. Sans s'expliquer. Il avait l'habitude de commander sans exposer ses raisons.
-Il faut que je retire les fils de mes points de suture, expliqua Yassen.
Ce fut plus fort qu'elle, Jack s'interposa.
-Vous devriez aller dans un hôpital.
Yassen cligna des paupières avant de répondre :
-Ce serait prendre un risque inutile.
Alex était du même avis que Jack mais il se doutait qu'un homme de la trempe de Yassen préférait se débrouiller seul plutôt que de faire appel à autrui.
-Le nécessaire se trouve dans l'armoire la salle de bain, dit Alex.
Le Russe se dirigea vers les escaliers sous le regard inquiet de Jack.
Assis sur le bord du lit, torse nu, Yassen avait déjà retiré plusieurs fils chirurgicaux mais il en restait un dernier qui était situé dans le dos. Il ne pouvait le retirer sans aide.
Il entendit des pas survenir et espéra que ce soit Alex.
Mais c'était sa gouvernante.
Malgré leur dispute, Yassen n'avait aucun ressentiment à son égard.
Néanmoins, contrairement à la présence d'Alex, celle de Jack le mettait mal à l'aise car il n'avait pas l'habitude de côtoyer des personnes qui ne faisaient pas parties de son monde mais qui connaissait sa véritable identité.
-Je vais vous aider, dit tout simplement la jeune femme en s'approchant de lui.
Yassen plongea son regard dans le sien. Il était sur le point de décliner sa proposition.
Cependant, il comprit qu'il ne pourrait pas y arriver seul. Il tendit une sorte de scalpel à Jack et se retourna en lui exposant son dos mutilé par endroit.
Jack était contente que Yassen ne puisse pas voir son visage.
Elle aurait eu du mal à lui cacher son regard horrifié lorsqu'elle découvrit l'ensemble des cicatrices qui parcouraient le corps de Yassen.
Elle espérait qu'il ne pouvait pas sentir le tremblement qui venait de s'emparer de ses mains. C'était sans compter sur la perspicacité de son hôte qui devina tout de suite qu'elle était troublée.
Elle dut prendre sa respiration à plusieurs de reprise avant de s'y mettre.
-Dites- le moi si je vous fais mal.
Le malaise que ressentait le Russe était d'une autre nature. Il n'avait pas l'habitude que l'on s'occupe de lui. Alors que Jack prenait son temps pour y aller en douceur, l'attente lui parut une éternité.
-J'ai presque fini, l'informa Jack, sentant que le Russe commençait à s'agiter.
Elle voulut poser une compresse sur la blessure mais Yassen se retourna vivement et attrapa son t-shirt avant qu'elle ne puisse esquisser le moindre geste.
-Ça devrait aller, dit-il pour lui-même.
Jack ne s'attarda pas, elle s'attendait à aucun remerciement.
Alors elle fut surprise en entendant Yassen souffler :
-Merci.
Elle se leva et informa le Russe que le dîner allait bientôt être servi.
Mais Yassen ne vint pas les rejoindre.
Malgré sa volonté de rester indifférente au Russe, ce détail inquiétait Jack. Yassen ne mangeait rien de ce qu'elle préparait.
Lorsqu'il était encore malade, Alex lui avait apporté ses repas mais depuis que Jack était revenue, Yassen n'avait plus touché aucun plat.
Elle ne l'avait jamais vu en train de cuisiner mais des boîtes de conserves vides finissaient dans les ordures.
La situation durait depuis plusieurs jours, Yassen ne touchait pas à son assiette et descendait uniquement pour s'en débarrasser.
Un matin, alors qu'Alex était en classe, elle croisa le Russe dans la cuisine. Elle ressentit le besoin de l'interroger à ce sujet.
-Je ne peux pas manger quelque chose qui a été préparé par quelqu'un d'autre que moi. On pourrait essayer de m'empoisonner, répondit simplement Yassen sans la regarder.
Jack se figea en écoutant son explication. Elle ne pouvait pas croire ce qu'elle venait d'entendre.
-Mais lorsque je n'étais pas là, vous avez bien mangé ce qu'Alex vous a préparé ?
-Alex n'a aucune raison de vouloir ma mort. Il a eu plusieurs fois l'occasion de me tuer mais il ne l'a pas fait.
Le visage de la jeune femme s'empourpra. Yassen avait le don de la mettre en colère comme personne même lorsqu'il faisait preuve d'honnêteté.
-Et selon vous, j'ai des raisons de vouloir vous tuer ? Demanda t-elle abasourdie.
Il s'autorisa enfin à lui accorder à un regard furtif.
-Interpol a mis ma tête à prix pour plus d'un million de dollars. N'importe qui pourrait tuer pour cette somme, déclara le Russe presque amusé.
-Je vais tuer cet homme, annonça Jack à Alex quand celui-ci revint du collège.
L'adolescent se mit à sourire. Sa gouvernant était incapable de faire du mal à une mouche.
-Dans ce cas tu vas devoir faire appel à un professionnel. Tu crois que Yassen accepterait un contrat sur sa tête ?
Il explosa de rire, ce qui irrita davantage sa gouvernante.
-Il le pourrait bien s'il était sur de pouvoir encaisser sa récompense, railla Jack.
Alex ne comprenait pas ce qu'elle avançait. Elle lui expliqua ce que le Russe venait de lui apprendre.
-Interpol a mis sa tête à prix pour des millions de dollars. Dans l'esprit de ce tordu, cela fait des millions de raisons pour quiconque de vouloir sa mort. Et ça l'amuse, on dirait !
-C'est pour ça qu'il refuse de manger ce que tu cuisines ? Il pense que tu pourrais le tuer pour de l'argent ? Reformula Alex.
Elle hocha la tête en guise de réponse.
Alex haussa les épaules en retour.
-Il ne sait pas ce qu'il rate. ta cuisine est délicieuse. Parfois il me demande de lui acheter de l'eau dans des bouteilles de verres et des boites de conserves. Si ça lui. suffit, on devrait le laisser faire comme bon lui semble, annonça Alex.
En voyant le visage de Jack, il crut bon d'ajouter :
-Ne t'en fais pas Jack, quand il te connaîtra mieux, il saura que tu es incapable de commettre un meurtre même pour tout l'or du monde.
-Je crois que c'est le genre d'homme qui n'acceptera jamais de faire confiance à qui que ce soit, déclara Jack dans un soupir.
