Disclaimer : non non je ne touche rien pour raconter des âneries. Copyright à J.K. Rowling.
Un grand merci à la poignée de reviewers : Narum, Tsukiyo, Angelene Hysteria, Kloona et Peau-de-Nubuck ; ) Contente que ça vous ayez ri ! Et désolée pour la suite qui vient dix ans plus tard !
3. Le mot magique
Soulagé que le tourbillon maléfique Rampa et que l'océan de sagesse Aziraphale soient passés, le professeur Rogue se jeta dans le fauteuil de son bureau, passant une main fine dans sa chevelure fraîche. En cadence, il soupira longuement en se balançant sur son siège. Il lui manquait quelque chose. Il l'avait toujours connu, c'était un vide qui occupait son cœur. Une sensation étrange et familière à la fois qui revenait à intervalles réguliers le titiller comme une envie de retirer des points à ces braillards d'élèves. Mais qu'était-ce…
… des vacances ? se murmura-t-il à lui-même.
Depuis qu'il était devenu professeur, c'était clair, il n'avait pas eu une minute à lui. Non qu'il ait été submergé de travail, mais il consacrait tout son temps libre à effectuer des expériences troubles dans son sinistre cachot.
…hum… des amis ?
Il était entouré des meilleurs professeurs du pays, mais n'avait jamais vraiment creusé un lien affectif avec eux. Oh, il avait bien tenté d'apprivoiser une corneille des Terres Funestes d'Hadèssie, mais le volatile avait tenté de l'inciser à divers endroits du corps la première semaine, puis avait dépéri la seconde : ses plumes de jais avaient alors pris une teinte bleue marine et blanche et il s'était mis à siffler des shanties et à réclamer du rhum. Il avait même dérobé un os de dragon dans les réserves personnelles de son maître pour s'en faire une pipe. Pour abréger l'agonie sonore et visuelle de son propriétaire, il l'avait confié aux bons soins de Hagrid.
… mais que me manque-t-il donc ? réfléchit sévèrement le sorcier. Une nouvelle cape ?
Non, sa bonne vieille robe de sorcier ne nécessitait aucune concurrente.
…me mettre à l'écriture ?
Severus Rogue écarta cette pensée d'un geste ironique de la main.
Non, on n'écrit pas sans inspiration… se réprimanda-t-il.
Dans sa prime jeunesse il avait dévoré des recueils de poésie courtoise ( hum…il grimaça au souvenir tout frais de Rampa lui rappelant ces lectures mièvres ).
Je ne suis pas un gentil… se dit-il tout haut pour se rassurer. Pas un méchant non plus… Un… rom…antique ?
Le professeur se redressa dans son siège comme s'il suffoquait. Son cœur fit un roulement de tambour théâtral. Tatatatatataaaaaaam…
L'amour… chuchota-t-il aux poussières en suspension dans son bureau.
Les quelques couleurs qu'il avait durement acquises se retirèrent de son visage.
Ai-je bien prononcé ce mot ? fit-il, horrifié. Ce maudit elfe m'a ensorcelé !
A ces mots, crachés avec une rage immense, un coup retentit à la porte.
Quoi ! s'exprima violemment le sorcier.
La porte s'ouvrit toute grande, avec vue sur ce Legolas.
Ah par pitié… ronchonna Rogue.
Salut à toi, ô créature magique au teint délicat, commença fougueusement l'elfe. Je…
Regarde ce que tu as fait de moi ! hurla Rogue.
Oui ? fit l'elfe, rayonnant. J'ai changé un affreux gnome terreux aux cheveux gras comme du saindoux en un sorcier respectable à la distinction exemplaire. Une réussite, je m'en félicite encore.
Rogue s'était jeté sur Legolas, un poing serré brandi au-dessus de lui. En moins de temps qu'il n'en faut à la lumière du matin pour dissiper une ombre embusquée, Legolas avait repoussé son adversaire et, avec des gestes rapides et précis, avait encoché des flèches dans son arc pour les décocher sur Rogue. Le sorcier se retrouvait maintenant punaisé au mur, entre une tête de marcassin tonsuré empaillée et une carte des diverses plantes mortelles de la région.
Eurgh… sniurf…blagdamoi… protesta-t-il.
Ne t'avise pas de me menacer, sorcier, lança sèchement l'elfe, une lueur assassine dans le regard.
Pitié, libère-moi… implora Rogue, se sentant atrocement humilié.
L'elfe vint se planter face à lui et arracha méthodiquement les flèches, qu'il replaça soigneusement dans son carquois. Ensuite, il sourit et pointa du doigt la robe de sorcier de Severus.
Désolé pour ta cape, je te la repriserai avec du fil d'araignée si tu veux, proposa-t-il, secourable.
Rogue lui lança un regard en biais. Cet elfe de malheur avait complètement troué sa cape ! Une cape qu'il avait porté avec amour pendant un nombre incalculable d'années ! Aaaaah, encore ce mot… amour…
Euh… est-ce que… tu as fait de la magie elfique sur moi ? demanda-t-il, presque craintivement.
Legolas le regarda en clignant sottement des yeux, la bouche semi-ouverte.
Non ? fit-il encore plus bêtement.
Face à l'attitude agaçante de cette créature des bois, le professeur de Potions s'emporta.
Alors pourquoi, nom d'un poil de barbe de crabe velu des fosses abyssales de Mu ( il déglutit et respira profondément ), pourquoi est-ce que je suis devenu…
Arche du sourcil droit de l'elfe, accompagné d'un sourire encourageant.
Pourquoi je suis devenu…aaaah…sensible !
Legolas renversa sa longue chevelure blonde en arrière et rit à gorge déployée.
Cela s'appelle, mon cher ami, dans le langage commun des humains, une crise identitaire, dite aussi crise de la quarantaine amorcée par la remise en question de soi.
Gngueuh ? fit la mâchoire du professeur en se décrochant sèchement.
Rien de dramatique là-dedans, Severus, c'est un stade que beaucoup traversent. Cela signifie que tu cherches à retrouver ton vrai toi.
Retrouver mon vrai moi ? cingla le sorcier, son scepticisme reprenant le dessus. Je ne me suis pas perdu, je sais encore qui je suis, où je suis.
C'est un concept, cher Severus… non, laisse ça de côté. Bon, toujours est-il que ce n'est pas la fin des haricots ! Tu as besoin de passer en revue tes passions, d'exprimer tes amours premières…
BOUHOUHOUH ! explosa en sanglots son interlocuteur.
Legolas s'approcha de lui pour lui tapoter l'épaule.
Laisse tes émotions aller… C'est le mot amour qui te perturbe ?
HEUHEUHEUHEUH ! s'effondra de plus belle notre homme.
Tu n'aimes pas ce mot ?
HAAAHAHA ! répondit-il.
L'amour, pour un elfe, est l'ultime beauté de la nature. Alors aime, sois l'amour !
Sniiiirfl, renifla-t-il gracieusement.
C'est loin d'être mal, Severus, c'est même le but recherché par tous, qu'ils soient hommes, elfes, nains, trolls ou ascaris…
Le professeur leva un regard verdâtre sur le parleur.
Nous sommes tous des créatures de l'amour…
Smiirfleum, renifla en écho le sorcier.
Allez, sois brave et affronte cette réalité, lui ordonna gentiment Legolas.
Rogue sécha ses larmes d'un geste fugitif et fixa l'elfe dans les yeux.
Je veux qu'elle m'aime… fit-il en souriant faiblement. Je veux qu'elle soit ma muse, que mes poèmes soient des incarnations de sa beauté. Je veux qu'elle soit à mes côtés. Je veux être un artiste aussi !
Legolas souriait à pleines dents.
Alors va, grand dadais, va trouver l'amour.
Severus Rogue, pris de gratitude, donna une puissante accolade à l'elfe et quitta son bureau avec l'imposante stature d'un sorcier qui sait où il va ( même sa robe déchiquetée était masquée par la joie qu'il irradiait ). L'elfe se passa une main sur le front.
Eh ben, c'est qu'il a failli m'énerver celui-là, avec ses tourmentes à la noix. Je veux bien rendre service, mais pas jouer les confidents pour autant, grommela-t-il avant de s'enfuir par la fenêtre du bureau.
Une bonne chasse à l'Uruk-hai lui ferait le plus grand bien. Son arc avait tendance à s'empoussiérer ces temps-ci. Et, tant qu'à faire, une traque aux orques !
Pendant ce temps-là, dans les cachots…Rogue faisait les cent pas dans sa salle de cours, momentanément déserte. Dans un coin, un chaudron bouillonnait grossièrement en émettant des fumerolles vertes. Du coin d'une poutre, une araignée à fourrure observait ce qui se tramait au-dessous d'elle. Le professeur qui enseignait depuis des lustres ( bien ternis, les lustres ) sa matière mangée aux mites subissait les affres de l'amour. Vision d'horreur. Enfin, pour une araignée habituée à côtoyer un affreux choucas mal remplumé d'humeur exécrable du soir au matin. Un affreux choucas aux cheveux aussi suintants que les replis de son âme perverse, aux habituelles normes de communication situées entre l'aboiement et le grognement, aux vêtements aussi sombres que les sous-sols de l'Enfer.
L'araignée –baptisée du petit nom de Sataniak par l'abominable Rogue des neiges carbonées –secoua sa tête aux nombreux globes oculaires et chercha les erreurs qui s'étaient subrepticement glissées dans le tableau.
Premièrement : notre homme n'avait pas juré une seule fois depuis son arrivée.
Deuxièmement : notre homme avait les cheveux…vas-y tu peux le dire…argh…aaaah…propres.
Troisièmement : cf premièrement, et chipotez pas !
Quatrièmement : notre homme ne portait pas ses vêtements habituels, il les avait confiés à un elfe de maison pour reprisage. Comble de malheur : il arborait à la place une élégante tunique verte sombre, un pantalon noir et des souliers vernis.
Sataniak inspira profondément l'odeur familière de moisi et de vieux grimoires à forte teneur en acariens. Horreur des horreurs ! La salle sentait le propre. Le propre, créfieu ! Dans un cachot ! Le propre, le neuf, le frais… ! Quelle calamité ! L'araignée, ébranlée jusque dans les tréfonds de son âme méandreuse, se carapata dans son trou, mais elle y découvrit frémissante de frayeur un pot-pourri senteur océane. Son cœur d'araignée fit un bond dans sa poitrine velue et se tordit violemment avant de battre à tort et à travers. Ulcérée, Sataniak, résidente des cachots depuis l'an de grâce 1357, et compagne de jeu de Severus Rogue lorsque celui-ci s'éternisait sur la correction des copies des élèves, prit ses clics et ses clacs et quitta son trou.
Severus Rogue, trop absorbé dans ses pensées, ne l'entendit même pas trottiner jusqu'à la porte et s'enfuir tristement dans le couloir. Le professeur de Potions, anormalement agité, mâchait l'intégrale de sa pharmacopée pour adoucir son haleine. Il y était parvenu depuis belle lurette déjà, mais pour un cœur énamouré il n'est jamais trop de précautions. Pour tester les effets de son haleine, il soufflait sur une plante-cobaye, qui en retour lui tirait la langue narquoisement.
Rhaa, fichue tige à pétales ! ronchonna-t-il ( dommage pour Sataniak, elle aurait pu alléger sa peine, bien qu'avant le Grand Changement c'aurait été plus senti, du genre « Maudite création de la nature ! Je vais te faire avaler ton pollen par les pistils ! » puissance 4, en d'autres termes, baguette à l'appui et mine furibarde ).
Le professeur reposa la Tirelangue sur une étagère et lui tapota doucement les feuilles, lui promettant un lustrage lorsque son emploi du temps le lui permettrait. La plante, partie pour mordre la main manucurée du sorcier, frémit et s'en mordit les pétales, terrorisée. Un bain dans une solution acide eut été préférable… Tirelangue la Timorée regarda Rogue se diriger vers son placard secret où résidait l'essentiel de son fourbi et pria les divinités végétales pour que ce ne soit pas une graine. Non, le sorcier jeta son dévolu sur un miroir en bronze. Il attrapa la poignée et contempla son reflet dedans.
Miroir, miroir, dis-moi si je suis présentable pour courtiser ma dulcinée ? fut sa requête.
Atchouuuuu… ! fut la réponse soudaine. Hum ? Oui ? Quoi ? Qui…qui me parle ?
Le miroir avait posé sa question d'une voix pincée. Il gardait les yeux clos.
Severus Rogue, professeur émérite de Potions à Poudlard.
Ah ? C'est toi, vieux bougre ! rétorqua le miroir enchanté. Quoi, tu voulais quoi ? Toi, présentable ?
L'objet consentit à battre des paupières pour apercevoir Rogue, mais les ouvrit tout grand lorsqu'il vit l'individu en question.
C'est une farce ? lança le miroir, sur la défensive. Où est ce vieux sagouin de Severus ? Vous êtes son successeur ?
C'est moi, voyons, répondit calmement le sorcier. Réponds, je te prie, gentil miroir.
Gentil ? s'offusqua l'objet en toussotant avec un bruit de métal. Tu me parles ? Je suis un objet enchanté de rang 11, classé hautement maléfique par les Hautes Instances des Contes de Fées. Je suis un objet de vanité, que les méchantes reines utilisent afin de s'entendre dire des mensonges sur leur soi-disant beauté. Alors garde-toi de me traiter de gentil !
Oh, excuse-moi, miroir, fit Rogue, penaud.
Le miroir haussa un sourcil inquiet.
Tu es sûr que tout va bien pour toi, sorcier ?
Oui, oui, dit-il rêveusement.
Euh…ah…bon…dans ce cas… tu es à tomber par terre, un séducteur né, lâcha le miroir, avant de rajouter précipitamment : ne le prends pas comme une flatterie, c'est un point de vue purement objectif qui vient de je-ne-sais-où ! C'est pas de ma faute à moi, je suis programmé pour déblatérer des inepties à des inconnus. Alors dis-toi que tu n'es pas obligé de croire tout ce qui sort de ma bouche. Sur ce, salut ! Remets-moi où tu m'as trouvé, veux-tu ?
Severus s'exécuta et sourit dans le vide. Il était rassuré : il faisait un amant présentable. Attrapant son courage à deux mains, il se plaça face à son bureau et sonda les dalles du sol avec ses souliers. Tonk. Lestement, il s'accroupit pour retirer la pierre qui dépassait de l'ensemble. Dans un bruit de tombeau ouvert par un hôte vampirisé, le sorcier leva la dalle et la posa de côté. Dans sa cache se trouvaient de vieux ouvrages recouverts de l'incontournable couche de poussière collante. Il nettoya un des livres et caressa sa couverture de cuir de yack. Il s'agissait des Poèmes enflammés à la dame courtisée, par Gourgandine de la Roseromance.
Avec la fébrilité de ses jeunes années, le professeur Rogue ouvrit le livre et huma l'odeur de vieux papier renfermé. Un délice, l'essence du rat de bibliothèque qu'il avait été dans sa jeunesse.
Ah ! Que ne me donnez-vous un soupir,
Que mon amour pour vous puisse adoucir,
Si de vous je ne reçois rien de pire,
Alors n'aurai-je aucune raison de mourir.
Aimez-moi, aimez-moi !
Oh ! Comme de vous ce regard me contente,
L'espoir que seul je ne serai plus sous ma tente,
Et qu'après maints tourments mon attente,
Sois close et que de votre amour je me sustente.
Aimez-moi, aimez-moi !
Uh ! Quand bien même vous fîtes de moi votre cloporte,
De ces futilités et cruelles épreuves peu m'importe,
Pourvu que des fausses rumeurs le vent ne colporte,
Et qu'ainsi je vous exprime la passion que je vous porte.
Le sorcier referma le livre de poèmes avec un claquement sec, ému jusqu'aux larmes. Quelle femme, cette Gourgandine ! Faire rimer « cloporte » avec « la passion que je vous porte »… Une poétesse incontestable. Une puissance évocatrice hors norme. Muni de ce livre, il pourrait faire succomber toutes les damoiselles du royaume. Mais cette frivolité ne l'intéressait pas, une seule femme lui suffirait. Avec un sourire immense aux lèvres, le professeur Rogue quitta ses cachots en sifflotant une ballade irlandaise.
