Disclaimer : voici le chapitre qui clôt les déboires de Severus Rogue. Je n'ai qu'une chose à dire : bonne lecture ! Et merci à tous les reviewers !
5. Des bienfaits de la méditation
La limace promenait ses globes oculaires au bout de ses antennes télescopiques, scannant les alentours anormalement calmes. D'ordinaire, la Forêt Interdite grouillait de créatures aussi peu cousines que sangliers à crête, lucioles charbonneuses et belettes transformistes. Mais cette nuit-là, l'air ne résonnait pas des grattements, feulements, grognements de la faune locale. Sleurp étrange sleurp, se dit la vénérable limace, imprégnant de sa viscosité les basses branches d'un antique chêne.
- Ommmmm…
La limace stoppa sa reptation, sur le qui-vive. Jetant un œil par devant et l'autre à 138°, le gastropode cherchait à localiser la source du bruit.
- Oooommmmeuuuuuuuh awaaaaammmmeuh… poursuivait le son mystérieux, faisant frissonner les feuilles d'un figuier mutant.
De plus en plus intriguée, la petite limace finit par arrêter la danse de ses antennes sur une masse sombre qui se découpait à peine sur le tapis d'humus de la forêt. Les cheveux remontés en un chignon sur le haut du crâne, un sorcier méditait, assis en position du lotus. Son visage pâle semblait flotter au dessus du sol, masque de sereine amertume refoulée. Fascinée, la petite bête gluante s'approcha pour contempler cet inconnu de sa vision globuleuse.
L'individu ne bougeait pas d'un poil. La mâchoire serrée ( mais sereine ), affranchie de sa grille de cheveux, prenait l'air nocturne. Son corps, que l'on devinait déshabitué des lancers de troncs, n'en était pas moins harmonieux. L'étoffe verte qu'il revêtait frémissait sous sa concentration. Ses narines, dilatées au possible, sondaient toutes les fragrances de la forêt, tandis que le bout de sa langue humide goûtait la brise molle qui soufflait. Au passage de la limace sur la branche basse, une feuille morte se détacha et tomba en louvoyant entre les particules de poussières en suspension.
Malade d'appréhension, la créature visqueuse retint sa respiration. Elle redoutait de déranger l'homme dans sa méditation. La feuille poursuivait sa descente flasque, elle allait atterrir sur le chignon-boule du sorcier dans un fragment de seconde. Mais au moment où la feuille aurait dû s'écraser avec un froissement terrible sur la coiffure parfaite, une onde d'énergie la repoussa avec douceur. Dans une virevolte digne des meilleurs acrobates, la feuille alla se poser sur un coussin de sphaigne, sans bruit.
En admiration, la petite curieuse vit que le sorcier était toujours aussi immobile qu'une statue. Il offrait un portrait admirable. On aurait dit une peinture inspirée d'une fée des bois. La tentation était trop forte. Se dandinant comme une anguille, la limace bifurqua de la branche principale pour s'aventurer le long d'une ramille qui avait l'audace de s'approcher du nez de l'homme. Avec un « uiiip » d'excitation, la limace étendit son long cou puis, d'un bond calculé, elle projeta sa minuscule bouche sur le bout du nez du sorcier. Ravie de son baiser baveux, la bestiole tangua de bonheur. Puis ce fut la confusion. L'incompréhension. Le schisme.
Emergeant de sa quête spirituelle aux confins du soi retrouvé, Severus Rogue sauta d'un coup sur ses jambes, faisant voler autour de lui des torsades de feuilles mortes et les pans de sa tunique verte, les deux bras tendus en un seul et ultime but : tenir fermement sa baguette, tel un sabre fougueux.
- Chaaaaaa-mouuuu-rrraïlleeeee ! brama-t-il en tranchant l'air de sa baguette, luttant contre des ennemis invisibles.
Pendant des secondes qui semblèrent des éons à la petite limace, le professeur éconduit déchargea toute sa frustration sur les branches du chêne, qui reçut, outre des coups de baguette, des sortilèges aussi irréversibles que « la frondaison à plume », « l'écorce-pelure » ou « le lierre chatouilleur ». et pendant tout ce temps-là, le sorcier fouissait le sol du bout de ses chaussures avec la sauvagerie d'un marcassin abandonné, faisant voler des mottes de terre et des larves juteuses autour de lui. Bientôt, la belle peau d'albâtre exfoliée perdit de son lustre pour prendre une teinte terreuse ; les cheveux de jais, soyeux à souhaits, suintèrent de sébum, et la mine paisible du samurai improvisé se contorsionna en un embrouillamini de traits tourmentés, hargneux au possible, et furieux comme jamais.
La belle œuvre féerique s'était muée en une fureur incarnée. Débecquetant. Sanglotant à gros jus, la limace préféra slalomer entre les plumes pelées de l'arbre qui riait convulsivement au moindre de ses mouvements. Elle voulait oublier. Oublier qu'un jour elle avait pu succomber au charme animal d'un professeur de Potions. Oublier que pour elle l'amour ne signifierait que grignoter des fruits blets les soirs d'automne dans les serres du Professeur Chourave.
Les yeux lançant des éclairs, Severus Rogue en avait enfin fini avec son duel ésotérique. Maintenant qu'il avait purgé les canaux coagulés de son cœur brisé, il était redevenu en phase avec lui-même. Le Rogue d'antan. Celui qui se terrait dans son cachot, à concocter des potions occultes et à tancer les élèves à la moindre incartade. Surtout s'ils étaient à Gryffondor. Et portaient balafre en front.
- Tt tt tt, réprouva une langue vexée, quelque part dans une bouche appartenant à quelque créature nichée dans les hauteurs quelque peu sombres des arbres.
Vif comme le cobra, Severus Rogue tourna son regard vers la frondaison.
- Ah, voyez-vous ça, Legolas Vertefeuille, gronda amicalement le sorcier, rengainant sa baguette qui haletait des étincelles falotes. On a fini de malaxer des gens pour leur faire prendre une personnalité qui n'est pas leur ?
L'elfe fronça les sourcils, ses tresses blondes pendouillant devant son nez.
- Quel gâchis, Sevy ! dit Legolas en atterrissant gracieusement aux cotés de celui qui fut son cobaye. Tu avais pourtant tout le potentiel requis pour devenir une icône. Les sorcières du monde entier auraient vite renié leur amourette pour ce flanc de Gilderoy Lockhart pour te faire une haie d'honneur au palais des séducteurs. Une pitié que je n'aie pas jeté mon dévolu sur cette vieille carne de Minerva Kalagall.
Les sourcils de Severus firent un plongeon subit.
- McGonagall ? questionna-t-il, une pointe de dédain dans la voix. Oué, mais bon. On ne peut pas espérer obtenir grand chose d'une face de fesse fripée de fétu de foin fané à froufrous foncés, non plus.
Legolas décocha un drôle de regard à son ami. Quelque chose dans l'éclat chatoyant de sa chevelure dorée se voila. Les larmes salines aux bord des yeux, l'elfe tira de son carquois une petite lyre argentée, finement cisaillée de motifs végétaux. Ses doigts fins se mirent à courir magistralement sur les cordes translucides. La musique emplit bientôt toute la forêt, et les oiseaux de proie interrompirent leurs chasses pour prêter une oreille attentive au chant antique qui s'éleva de la bouche de l'elfe, les champignons ôtèrent bagues et chapeaux dans une révérence émue.
¨¨¨
Ce que disent ces mots,
Point ne sont ses pensées.
Perclus de puissants maux,
Ses sens saignent, blessés.
¨¨¨
Si grief fut jamais plus grand,
Que je sois pétrifié céans.
Car de cette âme pure
S'écoule une meurtrissure
Si salement sordide,
Qu'elle n'a plus rien de candide.
¨¨¨
O, vous, forces élémentaires,
Faites à cet homme don d'apaisement,
Pour que cette plaie puisse se taire,
Et cesse ainsi de suinter assidûment.
¨¨¨
Qu'un cœur soit malmené
Par les jeux de…aïlle, mon nez !
¨¨¨
La lyre de Legolas produisit un crissement horrible qui s'accompagna de la rupture d'une corde. Rendu furieux par la destruction de son instrument et par la marque de semelle ondulée qui commençait à s'imprimer sur son nez en voie d'inflation, l'elfe sauta sur ses pieds, toutes jambes écartées, son teint pâle renvoyant l'éclat de sa fureur. Les yeux abrités sous leurs sombres stores de sourcils froncés, la créature elfique se retenait de bondir sur Severus Rogue pour lui enfoncer ses chausses dans les narines.
- Prends sur toi, prends sur toi, marmonnait-il avec un rictus haineux. Ce sorcier sort d'un sérieux souci sentimental. Sers-lui de pansement. Ceinture son insipide déception. Soigne son…
- Tu veux t'battre ? Hein ? T'veux t'batt' ? l'interrompit Severus, les cheveux en pagaille, la mine défaite, sautillant comme un jeune coq.
Legolas secoua la tête, choqué. Voilà que cet imbécile de sorcier lui proposait un duel. A mains nues, qui plus est. Qu'adviendrait-il d'une crevette comme lui face à son athlétique carrure ( certes soigneusement dissimulée derrière des vêtements cintrés ) ? Il préférait regagner son monde, tiens. Au moins, s'il se prenait le bec avec Gimli le Maître Nain, il aurait une vraie raison de s'énerver. La rivalité qui opposait les nains aux elfes était immémoriale. Même si seuls les ancêtres des deux parties avaient eu des raisons de s'en prendre les uns aux autres, le conflit s'était transmis de génération en génération pour devenir habitude.
- Tu me tournes le dos, pointe-oreilles ? Reviens, poltron ! Reviens voir de quel bois je me chauffe ! Je suis Severus Rogue, on ne se défile pas impunément devant moi ! Reviens, petit cueilleur de gouttes de rosée ! Viens te mesurer à moi !
Le laissant débiter ses inepties, Legolas adopta une foulée rapide pour regagner la fenêtre sur son monde. Au moins, en Terre du Milieu, personne ne lui reprocherait d'avoir lavé les cheveux d'un orc, fut-ce même à l'épée. Pendant ce temps-là, les yeux injectés de sang, le professeur de Potions poursuivait son discours à pleins poumons. Il fallut le cri strident de Minerva McGonagall pour qu'il cesse tout son, pantelant et hagard. Il n'y avait pas à avoir de doute là-dessus, un timbre aussi discordant mêlé de modulations grincheuses n'honoraient que l'organe d'une sorcière au monde : Minerva. En un quart de tour, le sorcier reflua vers l'école, défonça la porte du hall d'un coup de pied bien assené, faisant friser les moustaches de Miss Teigne au passage. Mettant à contribution ses muscles ischio-jambiers, Rogue gravit les marches qui le séparaient des appartements de sa dulcinée.
D'un « alohomora » bien senti, il déverrouilla la porte de sa chambre et bondit sur le tapis en peau de coelacanthe verni qui trônait au centre de la pièce. Les lunettes tressautant sur l'arête de son nez, Minerva McGonagall tapait frénétiquement du balai sur le sol, envoyant des brindilles à tout va. Tout échevelée sous son bonnet écossais, la sorcière produisait d'étranges borborygmes quand elle ne hurlait pas « va t'en de là, maudite bestiole ! Va traîner tes guêtres ailleurs avant que je ne fasse de ton dos un coussin pour mes pieds calleux ! »
L'imaginant aux prises avec quelque monstre échappé de la cabane d'Hagrid, Severus se tint prêt à réduire l'intrus en engrais pour plante d'ornement. Enfin, il le vit. Ou plutôt il la vit. Mais que…
- Poussez-vous donc de là, Severus ! brama la sorcière en lui rentrant son coude anguleux dans les côtes flottantes. C'est à moi que revient l'honneur d'écraser cette saleté !
Et, levant son balai, Minerva McGonagall s'apprêta à assener le coup de grâce à la créature aculée entre sa penderie et le mur couvert de tapisseries mettant en scène un grand champ de blés mûrs piqué d'immondes fleurs bordeaux. Avec la détente d'un elfe provoqué, Rogue leva la main pour l'empêcher d'abattre son balai. Il y laissa quelques éclairs de douleur dans les phalanges.
- Mais qu'est-ce qui vous prend, Severus ! chargea la directrice de Gryffondor. Vous n'allez pas défendre cette horreur sur pattes, tout de même !
Le professeur de Potions se planta face à sa collègue, ses cheveux de nouveau sales lui servant d'œillères. Du bout des lèvres, il dit :
- Ne… levez… jamais…plus… votre… balai… sur… ma… Sataniak.
Minerva McGonagall chancela comme si elle avait reçu une gifle. Prudente, elle jeta son balai dans un coin de la chambre, où il tomba sur les dalles froides en tintant. Mieux valait ne pas s'approcher de Cerbère quand il allait vous chercher des gentillesses pareilles au fond de sa gorge. Pour adopter une contenance, la sorcière émit une toux sèche.
- Heum heum. Loin de moi l'idée de vous chasser, Severus, mais j'allais me mettre au lit.
Rogue acquiesça d'un hochement de tête raide, tout amour évaporé de son cœur fêlé. Il se tourna vers la malheureuse araignée velue, gratouilla l'arrière de ses huit yeux et l'emporta dans ses paumes ouvertes, puis quitta la pièce. Minerva, dans un froufroutement de robe de chambre, s'enferma à clef une fois qu'elle se fut assurée qu'il avait bien tourné dans le couloir.
- Pfiou, grommela-t-elle en ôtant ses lunettes. Quelle mouche l'a donc piqué ?
Poudlard perdait-il les pédales ? Après la sérénade au luth de ce tombeur de pacotille la nuit passée sous son balcon ( sa robe de chambre se souvenait encore des épines des rosiers grimpants ), voilà que Rogue s'improvisait défenseur d'araignées poilues. En secouant la tête, Minerva McGonagall s'approcha de son furet empaillé pour lui tapoter la tête. Ce qu'elle aurait aimé qu'il soit toujours en vie ! Malheureusement, il s'était fait gober comme une abeille par un coelacanthe, celui-là même qui lui servait de tapis, un jour qu'elle pêchait tranquillement le long des côtes d'Afrique du Sud. Elle préférait s'abandonner au sommeil, ça lui ferait oublier combien le monde était cruel…
...-...-...-...-...-...
Sataniak fut réintégrée dans ses logements, le pot-pourri fraîcheur marine qui polluait son trou désintégré dans les chaudrons de Rogue, et l'ordre rétabli dans la vie du professeur. Aaaaah, enfin il se sentait libre. A nouveau claquemuré parmi ses fioles et ses bocaux pleins à ras bord de bêtes visqueuses, les vapeurs méphitiques de ses potions élisant domicile dans ses cheveux, Severus Rogue était heureux. Avec un ricanement contenté, il avisa le tas de copies des Gryffondor qui attendait, tout tremblant d'appréhension au centre de son bureau. Son encrier éructant de rouge en frémissait d'impatience. Parfait. Il allait passer une délicieuse soirée.
Fin
