L'envol du phoenix
Toujours compatible avec Entre et Lune et Etoile "à Cruz près".
Toujours relu avec attention par Alixe, Dina, LaPaumée et Fée Fl(é)au
8. La religion du touriste
Deux pêcheurs le récupérèrent le lendemain, dérivant sur le fleuve. Entre temps, il avait trouvé la gourde d'eau et les quelques vivres déposées au fond de la pirogue, et en était presque venu à bout. Il avait aussi failli renverser l'embarcation en essayant d'en prendre le contrôle avec la gaffe – définitivement trop lourde et trop longue pour le corps de Cyrus. Les eaux boueuses et tumultueuses l'avaient incité à être patient.
Les pêcheurs crurent immédiatement son histoire - il s'était échappé pendant l'attaque de sa maison par les orpailleurs. Visiblement, c'était courant, et l'attaque récente un peu plus en amont était connue.
« Tu faisais quoi chez les Indiens ? », avait demandé le plus vieux des pêcheurs, une fois qu'ils l'eurent fait passer dans leur pirogue. Ils avaient pris en remorque son embarcation, la leur était équipée d'un moteur moldu, dont la taille impressionnait Sirius.
« J'accompagnais ma mère... Elle étudie les plantes », avait répondu Cyrus avec des larmes dans la voix tout à fait crédible.
Les deux hommes s'étaient furtivement entre-regardés comme s'il venait de leur livrer l'information qui manquait.
« La police te cherche », avait commenté le plus petit avec une petite grimace de commisération.
L'information avait saisi Cyrus et l'avait fait trembler. La police moldue ou magique provoquait en lui une inquiétude profonde et totalement incontrôlable.
« Tu vas devoir être fort », avait sèchement asséné le premier pêcheur.
Et une nouvelle interprétation avait germé dans l'esprit de Sirius
« Ma mère ? », avait-il demandé étrangement ému. En portugais -Minha mãe? - c'était la chose la plus étrange qu'il ait jamais dite. « Minha mãe » ne pouvait avoir pour devise une chose aussi stupide que « Toujours Pur » en français, estimait-il assez amèrement
« Tu as un père ? », avait gentiment questionné le second pêcheur alors qu'ils prenaient de la vitesse sur le fleuve.
Cyrus avait acquiescé par pur réflexe, et Sirius s'était demandé, finalement pour la première fois, comment ses retrouvailles avec Remus allaient avoir lieu. Puisque le plan prévoyait leurs retrouvailles... si le plan tenait encore... s'il avait jamais tenu...
« C'est bien », avait conclu l'homme et aucun des deux ne lui avaient plus adressé la parole jusqu'à leur arrivée au village.
Après, ils n'avaient pas perdu de temps à l'amener au poste de police et à réclamer une récompense pour avoir trouvé l'enfant recherché. Sirius n'arrivait pas à retenir (de) Cyrus de trembler en entendant ça, mais aucun des adultes n'avaient semblé y prêter attention. Les pêcheurs étaient trop occupés à argumenter en faveur de leur récompense et le brigadier à les calmer en promettant de voir ce qu'il pourrait faire. Ce dernier obtint le départ des pêcheurs après plusieurs minutes de tractations et regarda Cyrus pour la première fois avec l'air de se demander s'il valait vraiment tous les efforts de rédaction de rapport qu'il allait devoir accomplir. Il dût arriver à la conclusion que oui puisqu'il l'invita dans un soupir à s'asseoir.
« Dis-moi donc ton nom, mon garçon. »
« Cyrus Lupin », balbutia le jeune garçon qui aurait préféré un lit ou un repas à de nouvelles questions. « Cyrus Mélanio Coelhio Lupin », il développa se souvenant des usages.
Le brigadier soupira de nouveau, presque déçu par la confirmation qu'il était bien l'enfant rescapé de l'attaque des orpailleurs.
« Et d'où viens tu ? »
« D'un village plus loin... plus haut sur le fleuve », répondit Cyrus en se rendant compte qu'il n'en connaissait pas le nom. Sans doute voulut par le plan, grinça Sirius.
« Que faisais-tu dans un endroit aussi perdu ? », questionna le brigadier avec une curiosité sincère.
« J'accompagnais ma mère, Laelia Coelhio... Elle... elle étudie les plantes... On venait d'arriver...hier... non... avant-hier en fait »
De nouveau le brigadier soupira en secouant la tête, toujours avec un mélange d'ennui et d'incrédulité.
« Et toi tu, es parti, tout seul, sur une pirogue ? »
« On a été attaqués... des Mol... des orpailleurs... Elle m'a fait partir », répondit Cyrus en luttant contre les larmes. Laelia l'avait même assommé pour y parvenir - sinon jamais il ne l'aurait laissée !
« Elle aurait mieux fait de partir avec toi », estima froidement le brigadier.
Cyrus sentit les larmes chaudes couler sur ses joues et ne fit rien pour les retenir.
« Elle est... ?»
« Sa collègue a formellement identifié son corps », répondit le brigadier.
Sa collègue ? Le coeur de Sirius fit un bond et ses lèvres formèrent le nom :
« Aesthélia ? »
« Aesthélia Marin Da Silva », confirma le brigadier après un oeil sur son cahier. « Elle est revenue hier et a donné l'alerte... Elle t'a déclaré manquant... peut-être enlevé par les orpailleurs – ce qui aurait été une première, je lui ai dit - mais te voilà... Tu corresponds à la description. »
« Elle va venir me chercher ? », s'enquit Cyrus de sa petite voix pointue. L'espoir et l'innocence étaient énormes, ils remplissaient la pièce.
Le brigadier eut l'air sidéré par la question.
« Je n'ai aucune information de la sorte. »
« Mais... parce qu'elle ne sait pas que je suis là », essaya Cyrus, désemparé. « Sinon, elle viendrait : c'est ma marraine... Surtout maintenant que ma mère... »
« Nous verrons cela », le coupa le brigadier avec un nouveau soupir fatigué. « Reste à établir que tu es bien celui que tu prétends. Nous avons parlé de ta mère, où est ton père ? »
« Mon père », répéta Cyrus avant de se souvenir. « En Écosse, mon père vit en Écosse. »
«En Écosse ? », répéta le brigadier avec l'air de prendre les puissances supérieures à témoin de l'ampleur de l'épreuve qui lui était infligée. « Tu saurais le contacter ? Une adresse ? Un numéro? Un fax ?»
Cyrus sentit ses yeux s'écarquiller tout seuls. Un colibri ne serait sans doute pas une réponse au goût du brigadier moldu. Il secoua la tête avant d'avoir un nouvel espoir : « Mais Aesthélia doit savoir ! Vous devez lui demander ! »
Quand l'homme se tourna vers sa machine à écrire sans lui répondre, Sirius se redemanda si tout ça avait été prévu par le fameux plan dont Nymphadora lui avait rabattu les oreilles, et Cyrus se remit à pleurer.
oo
Faute d'alternative, on l'installa dans une cellule – sans en fermer la porte. Seule une grille le séparait de la salle principale du petit poste de police moldu, et Sirius décida que les prisons amazoniennes gagnaient haut la main contre Azkaban. On lui proposa une douche qui était la bienvenue ; on lui donna à manger – ce qui n'était pas superflu - et on lui proposa la seule lecture du poste de police compatible avec son âge : une bible. Malgré la satisfaction de ses besoins physiques et spirituels supposés, Cyrus était relativement morose – fondamentalement triste de l'absence de Laelia et s'ennuyant ferme quand, par hasard, il l'oubliait quelques minutes.
La nuit vint finalement, terrible, les cauchemars de Sirius entrecoupant ceux de Cyrus qui voyait la maison au bord du fleuve inlassablement s'écrouler en flammes sur Laelia. Aucune tentative de raisonnement de Sirius ne réussit à calmer l'angoisse et le chagrin qui faisait trembler Cyrus de la tête aux pieds. Vers quatre heures du matin, le planton faute de meilleure idée alla chercher le prêtre du village.
« Il est comme possédé, Don Ignacio », expliquait l'homme, « Il hurle, il se débat, il change de voix, parfois il a comme une voix d'adulte et il parle une drôle de langue ! »
« Je vais voir cela, Bento, tu as bien fait de venir me chercher », répondit un homme plutôt grand, plutôt blond, plutôt raffiné pour ce village de front pionnier amazonien. Il entra résolument dans la cellule ou Cyrus tremblait roulé en boule dans un coin de la couchette et s'assit. « Petit ? Je suis le père Ignacio, le curé de ce village... On m'a dit que tu avais vécu des choses bien terribles... »
Cyrus ne réagit pas et Sirius ne lui en tint pas rigueur. Qu'il soit ou non bien intentionné que pourrait ce prêtre moldu pour lui ?
« Comment t'appelles-tu ? »
« Il s'appelle Cyrus, Don Ignacio. »
« Merci Bento », soupira le prêtre ravalant assez ostensiblement une once d'agacement. « Et tu as quel âge, Cyrus ? »
Cette fois, le planton resta prudemment muet – ou bien il ne connaissait pas la réponse - et le silence s'installa. Cyrus décida qu'il se débarrasserait peut-être plus vite de l'homme s'il pensait qu'il avait juste du chagrin.
« 9 ans... j'aurais dix ans en juin, le 21 », récita-t-il.
L'information lui refit penser à Laelia qui avait tant tenu à ce qu'il sache tous ces mensonges par coeur et de nouvelles larmes lui montèrent aux yeux. Il aurait tant voulu que tout ceci fut vrai. Que Remus vienne le chercher et soit ce père rêvé qu'il avait en tête de façon floue. Il en avait des souvenirs, comme s'il le connaissait vraiment. De nouveaux mensonges, soupirait Sirius mais sans chercher à l'en empêcher.
« Tu es croyant, Cyrus ? Tu es baptisé ? », questionna encore le prêtre, gentil et solennel, « Je vois une chaîne à ton cou.. » Avant que Cyrus ou Sirius aient le temps de réagir, il tendit la main et tira la médaille d'argent et de rubis qu'il avait même oublié porter. « Je vois », murmura étrangement le prêtre avec une brève inspiration de surprise.
Cyrus le dévisagea pour la première fois, sans oser respirer, incapable de savoir ce que le prêtre entendait par là. La médaille faisait-elle de lui un sorcier ? Un adorateur de ce diable dont les Moldus avaient si peur? Il l'ignorait.
« Ta maman était... comme toi ? », questionna le prêtre toujours étonnamment gentil et solennel.
Cyrus se contenta d'acquiescer trop inquiet pour mentir, ce qui fit soupirer Sirius.
« Et ton Papa ? », insista Don Ignacio.
Au nouvel hochement de tête de Cyrus, le prêtre se redressa.
« Bento, pouvez vous nous apporter du lait chaud ? Je suis sûr que ça aidera notre jeune ami à s'endormir après que j'ai prié avec lui pour l'âme de sa maman. »
« Bien sûr, Don Ignacio », accepta immédiatement le planton en s'éloignant.
« Cyrus, je connais ces médailles », reprit le prêtre beaucoup plus bas, presque dans un souffle. « J'ai fait mon séminaire dans une école jésuite qui accueillait des jeunes gens... gratifiés des mêmes dons...selon moi, divins... que toi. »
« Vraiment ? », commenta un peu étourdiment Cyrus dépassé par ce nouveau développement. Était-ce un piège ? - s'interrogea-t-il vaguement. Mais Sirius essayait parallèlement de se rappeler ce qu'il savait sur la formation des sorciers au Brésil, des relations avec l'église catholique, et ça gênait sa réflexion.
« As-tu besoin de moi pour contacter ta famille, Cyrus ? », questionna très directement le prêtre.
« Oui », avoua Cyrus pendant que Sirius se demandait si le plan prévoyait l'intervention de ce prêtre et se sentait impuissant à mesurer les risques pris par son double de neuf ans.
« Où est ton père ? »
« En Écosse – il vit en Écosse », répondit Cyrus avec l'envie que très vite toute cette histoire se termine.
« En Écosse ? », s'étonna le prêtre. « Je ne sais pas si mes... contacts sauront le joindre ! »
« C'est le directeur de Poudlard, une école, ça ne doit pas être si difficile », estima Cyrus avec une vague de confiance naïve qui fit sourire Sirius.
Le prêtre hocha la tête, un peu dubitatif, et reprit :
« Quel est le nom de ta mère ? »
« Coelho... mais... mais je ne crois pas qu'il lui reste tant de famille que cela... »
« Il y a tant de Coelho dans ce pays », confirma Don Ignacio dans un soupir.
« Mais sa...sa collègue, Aesthelia Marin Da Silva, elle est à la fois connue et elle saura contacter mon père », insista Cyrus, soutenu par Sirius. « Elle ne doit pas être trop loin, la police l'a interrogée ! »
« Je vais voir ce que je peux faire », commenta le prêtre. « J'aurais peut-être besoin de ton médaillon... pour prouver ton identité... »
« C'est tout ce qui me reste de... », s'alarma Cyrus en portant ses deux mains à son cou.
« Je m'en rends compte », le rassura Don Ignacio. « Je vais commencer sans, mais il se peut que je revienne te le demander. J'entends Bento qui revient, agenouille-toi à côté de moi. »
Cyrus obéit en souhaitant de toutes ses forces que ce Moldu providentiel réussisse à contacter Aesthelia.
ooo
Don Ignacio revint deux jours plus tard. Un matin, tôt. Après une nouvelle nuit hagarde où Cyrus et Sirius s'étaient réveillés et consolés mutuellement sans beaucoup d'efficacité mais sans alarmer le planton.
« Tu n'as pas bonne mine », constata le prêtre l'air sincèrement désolé. « La mort et la séparation sont des épreuves pour tous les humains... »
Cyrus craignit un instant qu'il lui redemande de s'agenouiller sur le sol pouilleux de la cellule, mais l'homme s'assit plutôt sur le bout de sa couchette.
« J'ai parlé de toi », commença-t-il avec un air entendu, puis il sembla hésiter et Cyrus n'y tint plus :
« Vous venez me chercher ? », proposa-t-il.
« Tous les gens à qui j'ai parlé... pensent... estiment qu'il est important que tu arrives par des voies... habituelles en Angleterre auprès de ton père », répondit-il, et sa répugnance faisait tellement écho à celle de Cyrus que Sirius eut l'impression qu'il avait induit la réaction du Moldu. « Peut-être comprends-tu mieux que moi pourquoi ? Es-tu trop jeune pour... »
« Non », le coupa Cyrus, étouffé par des larmes dont il n'aurait pas su dire la provenance. «Aesthélia dit ça ? »
Le prêtre acquiesça sobrement en posant une main sur son épaule.
« Tu vas être emmené en bateau à Manaus, où tu seras placé dans un orphelinat quelques jours, le temps que la demande de rapatriement arrive aux autorités... Tu vas faire un long voyage en avion », expliqua Don Ignacio avec une empathie infinie. « Tu sais ce qu'est un avion?»
Cyrus se contenta d'acquiescer, coaché par Sirius qui lui répétait qu'au bout de cette nouvelle et stupide épreuve, il y aurait Remus, Harry et sans doute des réponses. Et que si elles n'y étaient pas, il allait leur faire leur fête à tous autant qu'ils étaient...
« Aesthelia m'a demandé de te dire... qu'elle savait que tu ne comprendrais peut-être pas pourquoi elle ne venait pas... mais que c'était pour le mieux... que si le... destin le voulait, vous vous reverriez.. d'une façon ou d'une autre – elle a répété ça plusieurs fois », proposa le prêtre l'air relativement gêné de ce développement.
« J'imagine », murmura Sirius quand il eut avalé la douleur, et Cyrus acquiesça. Le prêtre parût étrangement rasséréné par leur réaction.
« Elle a dit que tu prennes soin de ton médaillon », ajouta-t-il. « Que tu le gardes comme une promesse, a-t-elle ajouté », affirma-t-il.
« C'est gentil » balbutia Cyrus sans oser risquer une interprétation de cette promesse rapportée.
« Tu ne dois pas perdre espoir, Cyrus », conclut gravement le prêtre en se levant et en lissant sa soutane qui ressemblait finalement beaucoup à une robe de sorcier. « Tu dois penser à ton père qui t'attend, à ta mère qui t'a fait partir... Même si tout cela est douloureux, le sens de tes épreuves viendra ! »
« Oui, Don Ignacio », accepta Cyrus dépassé par les autres possibilités.
Le prêtre se leva, un peu pesamment, et fit mine de sortir de la cellule puis se ravisa pour donner une dernière recommandation.
« Il faudra cacher ce médaillon, Cyrus – il peut attirer des convoitises »
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On vint chercher Cyrus quelques heures plus tard et avec moins d'explications sur son sort que Don Ignacio n'en n'avait données. Entre temps, il avait attaché son médaillon autour de sa taille – et la chaîne s'était adaptée comme promis par Aesthelia. Perdre le médaillon n'était pas une possibilité, il s'en était convaincu après le départ du prêtre. Non seulement en raison d'Aesthelia mais aussi parce qu'il était convaincu qu'il était une pièce centrale du plan.
On le mit donc avec deux policiers dans un bateau à vapeur où il dormit par intermittence, la lumière semblant tenir les cauchemars à respect. Les deux policiers jouèrent aux cartes en buvant de la bière avec le capitaine du rafiot sans s'inquiéter de lui. Ils le réveillèrent quand même pour le faire manger des haricots noirs qui prouvaient bien comme on était loin d'Azkaban. Encore loin, corrigea Sirius en se demandant si le plan, tant vanté, n'allait pas le ramener droit dans la cellule qu'il avait quittée. Ce n'était pas ce qu'il venait de vivre au Brésil qui l'amenait à faire une confiance excessive à Dumbledore ou à Remus. Mais à qui d'autres ? questionnait Cyrus le coeur serré.
A la descente du bateau à Manaus, les deux policiers le remirent à des collègues qui le conduisirent dans une voiture de police défoncée jusqu'à l'orphelinat Paolo Freire. Aucun des policiers ne fut hostile, brutal ou malveillant tout au long du trajet, mais personne ne fut particulièrement chaleureux non plus. Ça ne dérangea ni Cyrus, ni Sirius qui avaient besoin de temps pour avaler les derniers développements. L'indifférence fait moins mal que l'abandon, crois-moi, jugeait Sirius. De quoi Aesthelia a-t-elle peur pour refuser de me revoir ? Que j'exige de rencontrer Cruz ? Regrette-t-elle finalement que je ne sois pas mort à Azkaban ? Regrette-elle d'avoir participé à cette mascarade de plan ? Peut-être a-t-elle peur de ne pas suivre le plan - se risqua Cyrus parmi les pensées amères et circulaires de Sirius. Il l'aurait peut-être convaincu s'il avait eu plus de temps. Sirius aimait le croire.
Le personnel de l'orphelinat se montra à peine plus curieux sur son histoire ou les traumatismes qu'il avait pu subir.
« Le Consulat d'Angleterre nous a contactés ; ils t'ont réservé un vol après-demain pour Londres. Tu vas retrouver ton père ; j'imagine que c'est le mieux pour toi », avait commenté le directeur avant de le conduire à un groupe de garçons de son âge dans le réfectoire. « Cyrus est en transit ici, il vient de perdre sa mère », l'avait-il laconiquement présenté. « Soyez gentils avec lui.»
En croisant les regards au mieux indifférents, au pire hostiles et calculateurs, de la dizaine de garçons qui l'observaient, Cyrus avait su qu'aucun ne serait sans doute "gentil" avec lui. Sirius lui dit de ne pas baisser les yeux, et c'est donc un peu raide qu'il écouta l'aîné de la bande, sans doute le chef, affirmer son autorité :
« Tout le monde ici a, au mieux, perdu ses parents », lui rappela-t-il comme s'il s'attendait à ce qu'il revendique un statut spécial « Tu finiras par te rendre compte que c'est souvent mieux que d'avoir une famille dont on a honte... voire qui te rend la pareille ! »
C'était tellement proche du discours que Sirius avait servi à ses amis et ses ennemis que Cyrus en eut les larmes aux yeux. Parce que c'était faux, jugea l'enfant sans que l'adulte (n')y puisse quoi que ce soit.
« Si tu ne le comprends pas très vite, tu seras toujours le larbin des autres », ajouta un autre qui devait être son lieutenant. Il se méprenait sans doute sur les causes de ses larmes mais Cyrus ne lui répondit pas .
« Tu as perdu ta mère comment ? », s'intéressa un petit râblé avec une curiosité pour le malheur des autres qui rappelait l'attirance du Détraqueur pour la joie.
« On a été attaqués par des orpailleurs », raconta Cyrus la gorge serrée. « Elle m'a fait fuir... »
Qu'elle se soit sacrifiée pour lui en rendit certains dubitatifs voire jaloux, il le vit bien. Personne ne commenta tout de suite en tout cas.
« Ils sont cools, les orpailleurs », jugea finalement le lieutenant peut-être par provocation. « Ce sont des hommes ! Des vrais.»
« Ils seront riches », renchérit un autre qui n'avait dû jamais connaître l'opulence si on en jugeait par sa maigreur constitutive.
« Ils n'attendent pas qu'on leur donne ; ils prennent ! », estima un autre avec une rancœur épaisse.
« Mais les Indiens ne leur avaient rien fait ! », se risqua quand même Cyrus par fidélité pour Laelia et Aesthelia.
« T'en fais un beau d'Indien, tiens ! », le jaugea le chef du début et toute la tablée rit de cette assertion. « C'est donc chez les Indiens que tu repars ? »
« Non », soupira Cyrus, cherchant à mesurer s'il pouvait mentir et arrivant à la solution que non. Dans un lieu comme cet orphelinat, les choses se savaient sans doute en moins de deux jours « Je vais en Angleterre... retrouver mon père ».
Sans doute ne pouvait-il pas plus clairement affirmer sa différence avec la dizaine de garçons réunis autour de la table. Leur révéler qu'il était un sorcier aurait élevé un mur moins difficile à surmonter, estima-t-il assez lucidement.
« Un touriste », décréta le plus âgé de la table, et plus personne ne lui adressa la parole.
Dans le lit de toile rêche où il se réfugia après dîner, prenant garde que personne n'entrevoie son médaillon quand il quitta son pantalon, il se dit que c'était comme si le Brésil, cette terre promise, le rejetait. Sirius aurait pu y construire une autre vie s'il avait fait d'autres choix. Mais ces choix étaient derrière lui : Aesthelia ne lui proposait pas de fonder une famille avec lui. Ce temps-là était révolu. Même pas de rencontrer sa fille. Il ne savait pas ce qu'il pourrait réussir en étant Cyrus. Il était si fragile et si innocent ! Est-ce que Remus avait un plan ? Il avait intérêt, décida-t-il en attendant que tous les souffles se soient faits réguliers dans le dortoir pour oser fermer les yeux.
ooo
Le prochain retourne vers l'Angleterre...
