16 | La protection du sang
« Tu vas te soumettre ! », hurla la Voix, emplissant tout l'espace autour de lui et en lui, s'engouffrant dans le vide laisser par le reflux de la douleur.
« Non », gémit Cyrus tout autant par refus de l'idée que de la douleur qui allait revenir. Combien de temps tiendrait-il ? Fallait-il même tenir ?
«Endoloris », souffla un Mangemort – Quirrel ou Queudever, quelle importance ?
Dans certains moments de fièvre, Cyrus en était venu à croire qu'ils étaient plus que deux. Sirius pensait que non, il pensait que c'était la douleur, la peur, le manque de sommeil et de nourriture qui amenaient Cyrus à croire cela. Ça ne changeait rien, cela non plus.
Le sort toucha l'enfant de plein fouet, l'entraînant dans une nouvelle spirale de douleur pure. Il n'y avait rien à faire, il l'avait déjà compris, que d'endurer et d'essayer de ne pas perdre la raison. Et Sirius n'était pas meilleur que lui face au défi que cela représentait. La douleur ramenait l'injustice, la trahison, le découragement, Azkaban. Et se transformer en labrador cette fois n'était pas une option – Queudever, moins décevant dans la traitrise que dans l'amitié, s'en était assuré dès les premières minutes.
Cyrus disposait même d'une aide, d'une ressource, que Sirius n'avait pas, avait-il rapidement découvert. Quand la douleur le submergeait, si souvent que ça paraissait tout de même impossible, l'enfant serrait dans sa main la médaille qui pendait à son cou – celle offerte par cette vie brésilienne qu'il aurait tant aimé vivre. « Sauvez-moi, sauvez nous ! Quelqu'un ! », priait-il en portugais mentalement alors que son corps hurlait.
Sirius en pleurait avec sincérité : « J'aurais dû les supplier de te laisser vivre ta vie d'enfant, loin de tout ça ! »
Queudever et Quirrel, eux, ne remarquaient rien.
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C'était un conseil de guerre – c'était comme cela que Remus l'avait qualifié quand il était venu le chercher chez Hagrid. Ils allaient tenir un conseil de guerre.
Il y avait là, autour de son père, Severus, Minerva et Tonks - qui l'avait serré dans ses bras comme si son animal de compagnie venait de mourir. Harry l'avait laissé faire, content d'être inclus dans ce conseil restreint, content d'être dans la même pièce que son père adoptif. Il était aussi curieux de voir comment cette guerre annoncée allait s'organiser.
Pour l'instant, la bataille paraissait un peu inexistante, faute de combattants. Tous attendaient Albus, ayant épuisé les actions à mener de leur propre initiative. Et Remus était le plus pessimiste de tous :
« Je ne veux pas paraître défaitiste, Minerva mais je ne vois pas ce qu'il pourra faire. Nous avons fouillé ce château des douves aux greniers, sans négliger un passage, une salle effondrée, en enrôlant les fantômes, les tableaux et Peeves et nous n'avons rien trouvé. Quirrel a disparu sans laisser aucune trace. Aucune. Les défenses de Poudlard ont enregistré le passage du portoloin mais sans être capables de donner une direction... »
Il n'avait pas dormi depuis deux jours. Il paraissait maigre et torturé, comme un lendemain de pleine lune. Et c'est en partie ma faute, s'angoissait Harry depuis le canapé où il tentait de se faire oublier. L'enfant observait avec une certaine angoisse que Minerva ne trouvait rien à répondre et que Tonks avait l'air aussi désolée que son père. Severus allait peut-être, espérait-il, les secouer quand la cheminée du bureau directorial crépita pour laisser apparaître le visage de monsieur Rusard.
« Professeur Lupin, excusez moi de vous déranger : une dame demande à vous voir », leur apprit-il quand Remus eut pris sur lui-même pour venir se placer devant la cheminée, dans son axe de vision
« Une mère d'élève ? », s'enquit Severus avec un ton qui indiquait que, dans ce cas là, il allait recevoir lui-même la visiteuse et qu'elle avait intérêt d'avoir de bonnes raisons de venir les importuner. Le directeur adjoint s'était déplacé pour venir au côté de Remus, faisant preuve d'une initiative qu'il se permettait très rarement dans l'exercice de leurs fonctions officielles.
« Non, elle dit être l'amie du professeur Lupin... son nom est Aesthélia Da Silva », corrigea le concierge avec déférence et curiosité. « Mais si vous êtes en réunion, je vais lui demander d'attendre. »
« Conduisez-la à moi, Monsieur Rusard », indiqua sobrement Remus quand le nom brésilien eut fini de tourner dans la pièce avec son lot de nouvelles questions.
« Attention Lupin, rien ne prouve que ce soit elle. C'est peut-être un leurre ! », objecta Severus quand le feu eut repris son apparence normale.
« Mais qui la connaît en dehors de nous ? », objecta Remus.
« Qui pouvait en vouloir à Cyrus ? », contra Tonks l'air encore plus inquiète que précédemment.
« Qui nous prouve que ce n'était pas Harry qui était visé ? », répéta Severus pour la énième fois.
Les deux dernières questions étaient sans réponse depuis deux jours, Harry le savait. C'était en raison d'elles qu'il devait en permanence porter sa baguette sur lui et que Linky dormait dans sa chambre après avoir jeté un sort les liant l'un à l'autre de manière indéfectible. Restait que tous semblait savoir qui était la visiteuse, sauf Harry. Mais il n'osa poser aucune question de peur qu'on l'envoie à Hagrid ou à Linky.
La porte du bureau s'ouvrit alors sur Monsieur Rusard qui s'effaça ensuite devant une grande femme brune vêtue d'une cape de voyage. Harry sentit tout le monde sur ses gardes dans la pièce.
« Aesthélia », fut la seule à murmurer Tonks en guise de salut ou de confirmation.
Quand la porte du bureau se fut refermée sur un Monsieur Rusard plus que déçu de ne pas en savoir plus, la nouvelle venue s'avança avec grâce et distinction et une certaine curiosité pour les lieux. Tous sursautèrent quand une silhouette plus juvénile apparut dans son sillage, comme une extension de sa cape. Sans doute en raison de la chaleur, la deuxième silhouette repoussa sa lourde capuche qui la couvrait d'un geste enfantin, dégageant un visage qui aurait pu être celui de Cyrus s'il avait été une fille, jugea Harry avec une surprise inquiète. La fillette d'une dizaine d'années avait le même nez aquilin, les mêmes yeux gris et de longs cheveux noirs brillants légèrement ondulés qui lui descendaient jusqu'aux milieu de dos. Au même instant, son père et son conseil de guerre pointèrent leur baguette sur les deux nouvelles arrivées.
« Magiam revelio », murmura Severus, cherchant ouvertement à vérifier qu'il n'y avait pas de sortilège transformant l'apparence des deux arrivantes.
« Où est Cyrus ? », questionna la femme sans sembler s'inquiéter de leur réaction collective. Presque la prenant comme la réponse à la question qu'elle était venue poser, estima Harry avec une certaine fascination.
« Qui est-ce, Aesthélia ? », rétorqua Remus en désignant la fillette de sa baguette.
« Tes yeux ne te mentent pas, Remus. Où est Cyrus ? »
« Qu'est-ce que tu t'imagines faire ? Les présenter l'un à l'autre ? », s'effara le Directeur de Poudlard. « Pourquoi n'as tu jamais rien dit !? C'est monstrueux quelque part ! »
Aesthélia eut un geste évasif de la main.
« Dis-moi déjà où il est, et nous parlerons d'avenir... »
« Je ne sais pas », soupira Remus, en baissant sa baguette, imité avec un instant d'hésitation par les autres. Severus fut le dernier à cesser de les menacer. Personne n'alla cependant jusqu'à la ranger dans les étuis qu'ils portaient tous sur eux, Harry le savait.
« Il s'est enfui ? », vérifia la nouvelle venue sur un ton égal. La possibilité lui paraissait digne d'être évoquée et elle le faisait sans jugement de sa part. Pour Harry, qui semblait bien le seul à ne pas connaître cette femme, cette réaction disait qu'elle connaissait Cyrus. Ou Sirius. Et l'apparence de la fillette prit une nouvelle signification.
« Il a été enlevé par un portoloin caché dans un jouet – un cerf-volant... nous ne sommes pas sûrs que le portoloin lui était destiné... », finit par répondre Remus à regret.
Aesthélia opina comme si aucune de ces informations ne lui étaient étrangères. Son regard les évitait tous quand elle serra la main de la fillette qui s'était rapprochée d'elle.
« Cruz, dis-leur », la pressa-t-elle doucement.
L'enfant eut l'air de formuler sa phrase mentalement avant d'ouvrir la bouche.
« Cyrus est en danger. Il est torturé. Ils sont trois. Un rat, un homme, une voix. Il a peur. Il appelle au secours... », elle semblait réciter une leçon.
« Comment... ? », murmurèrent en même temps Remus, Minerva et Severus.
« La médaille ! », s'exclama Tonks, sur un ton d'espoir ravi qui tranchait avec l'atmosphère sombre qui régnait sur la pièce. «La médaille que vous portez tous !»
Aesthélia opina.
« Elle a brûlé sur ma peau comme sur celle de Cruz il y a deux jours. Mais moi, je n'ai jamais entendu Cyrus. Seule Cruz l'entend. Il l'appelle au secours. Le sang qu'ils partagent favorise sans doute leur communication... J'ai décidé de venir vérifier par moi-même ce qu'il se passait. »
« Cyrus, et non... ? », osa Severus.
« Cruz dit que c'est un enfant qui l'appelle... Ils communiquent d'esprit à esprit, il est quasiment impossible de mentir dans ces conditions », explicita la nouvelle arrivée avec patience. «Peut-être que Sirius ne pense pas à cette possibilité - je ne sais pas s'il s'en rappelle ni où en est leur équilibre, mais... la médaille est à Cyrus, symboliquement... Il y a d'autres explications mais celle-ci me paraît la plus probable. »
« Elle sait... maintenant ? », souffla Tonks alors que Severus marmonnait quelque chose sur l'importance de la symbolique.
« Il fallait bien... expliquer... », admit la femme en serrant l'enfant contre elle
« J'espère d'abord un frère caché... mieux qu'un père jamais vu et devenu enfant », soupira alors Cruz montrant les limites de sa maîtrise grammaticale de l'anglais.
« C'est plus compliqué que cela, Cruz », commenta Remus avec un peu de tristesse.
«Si nous ne le retrouvons pas, ce sera à jamais malheureusement beaucoup plus simple, Lupin», le gourmanda Minerva.
Pendant cet échange, les yeux gris de la fillette s'étaient arrêtés sur Harry et l'observaient.
« Tu es Harry ? Il pense à toi. Il est content que toi pas là... que tu ne souffres pas », elle lui affirma et Harry ne sut pas quoi répondre. Il resserra par réflexe ses doigts autour de la baguette d'aubépine rangée dans la poche de la robe de sorcier qu'il portait. Sa présence le rassurait plus qu'il n'aurait aimé l'avouer.
« Je ne pense pas qu'ils cherchent à le tuer. Cruz parle mal anglais mais ce qu'elle me décrit en portugais ressemble à de la torture. Ils cherchent à le briser, à le rendre malléable et utilisable, je dirais », commenta alors Aesthélia. « Ils veulent donner son corps à la Voix. »
« Bon courage à eux », marmonna Tonks sans que personne n'ait la force de réagir.
« Est-ce que la médaille permet de lui parler ? », s'enquit Remus d'une voix pressante où se mêlait l'espoir et la crainte.
« Théoriquement oui, mais Cyrus ne sait pas l'utiliser », regretta ouvertement Aesthélia. « Il envoie des messages sans le savoir. »
« Dommage. »
« Mais le pouvoir de la médaille ne s'arrête pas là... »
« Tu veux dire qu'elle peut le localiser ? », questionna Remus avec un nouvel espoir.
« Trouve-moi une carte d'Angleterre, voire d'Europe... et un bassin d'eau pure de pluie », confirma Aesthélia en levant ses deux bras pour détacher sa médaille de son cou. Sa fille l'imita.
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« La maison Jedusor », identifia Albus quand il arriva. Ils avaient avant une localisation assez large et ils avaient des éléments visuels livrés par Cruz. « La maison du père moldu de Tom Jedusor... Il n'y a malheureusement pas beaucoup de questions à se poser ! »
« Qui ? », osa Harry.
« Voldemort », répondit Remus en le serrant contre lui comme pour lui demander de l'excuser de confirmer ce qu'il avait déjà deviné.
« Il faut y aller », s'exclama Tonks. « Ils sont deux, et nous sommes... »
« Vous n'irez pas sans moi et Cruz », indiqua Aesthélia avec fermeté.
« Nous avons besoin du lien de la médaille », reconnut Albus. « Mais je m'en voudrais de vous mettre en danger, Aesthélia... »
« En venant ici, j'ai déjà fait ce choix, professeur. Pendant des années, j'ai essayé d'oublier mais... la vérité est venue à moi, n'est-ce pas... Sirius est innocent... et cet enfant, Cyrus,... il est encore plus innocent... et comme si ça ne suffisait pas, Cruz qui n'est pas moins innocente qu'eux est la seule à pouvoir nous guider... J'ai passé trop de temps en forêt pour ne pas laisser la magie me montrer la voie, professeur. Les signes sont là... Nous devons jouer notre rôle... »
Albus acquiesça avec déférence avant de se tourner vers le directeur de Poudlard qui semblait étrangement ému par la sortie de Aesthélia :
« Remus, à qui confiez vous Poudlard ? »
« Vous voulez dire Harry, Albus ? »
« Non, Remus. Vous savez que, comme Cruz peut-être, il doit être là. Il est le seul à pouvoir affronter Voldemort... ou nous permettre de le faire pour lui... mais il doit être là. »
« Moi ? », s'étonna franchement Harry. Sa main droite était toujours sur sa baguette qui s'était mise à brûler à chaque fois que le nom de celui qui avait tué ses parents avait été prononcé. Un peu comme sa cicatrice quand Quirrel lui avait parlé... l'idée lui revint en mémoire et il se demanda si c'était important.
« Il ne saura pas », balbutia Remus, éperdu.
« La vérité est que vous voudriez lui éviter cela et nous tous ici partageons votre désir. Malheureusement, nos désirs sont un luxe un peu extravagant... »
« Rien ne nous y oblige », s'obstina Remus. « je ne le sacrifierais pas... »
« Remus, le sacrifice de James et de Lily, cette cicatrice sur son front nous obligent », indiqua Albus allant jusqu'à soulever la frange du jeune garçon.
« Ma cicatrice... elle a brûlé quand Quirrel nous a donné le deuxième cerf-volant », souffla alors Harry sans trop savoir d'où lui venait la nécessité de le dire. « Je n'avais jamais ressenti un truc pareil... et là... ma baguette, elle a brûlé quand vous avez parlé de Jedusor et de Voldemort... à chaque fois»
« Ta cicatrice ? », releva Severus.
« Ta baguette ? », releva Dumbledore.
« La baguette de Regulus Black », expliqua Remus avec un certain agacement.
« Intéressant », jugea Albus en regardant la baguette que Harry avait sortie de son propre chef.
« Albus ! Comme Severus, je... », intervint Remus.
« Remus, j'ai toujours pensé que la cicatrice de Harry le liait à Voldemort – je ne sais plus combien de fois nous en avons parlé quand il était petit », rappela Albus sans quitter son successeur des yeux.
« Quirrel n'est pas Voldemort ! »
« Non et c'est encore plus intéressant... portait-il sur lui quelque chose qui le lie lui-même à Voldemort – ce n'est pas la marque des Mangemorts qui le gêne – nous le saurions déjà... »
Minerva s'éclaircit la gorge doucement, Tonks parut embarrassée et Severus singulièrement immobile. Harry se demanda ce qu'il ne comprenait pas.
« Mais cette baguette... qu'elle réagisse elle-aussi... à la simple mention d'un nom... c'est une donnée intéressante. D'où la sortez-vous ? »
« Ma mère l'a récupérée avec quelques objets square Grimmaurt », livra Nymphadora. « Elle a dû se battre de haute lutte avec un des elfes qui adorait Regulus... »
« Et vous l'avez donnée à Harry ? »
« La baguette m'a choisi », intervint l'intéressé. « Il y en avait dix et celle-là m'a choisi ! »
« Regulus... », répéta Albus comme si le nom allait lui livrer la solution. « C'était un garçon timide, désireux de bien faire, encombré par un patronyme et un frère... »
« Regulus était un Mangemort », intervint Remus reprenant les mots de Sirius lui-même, Harry le nota avec intérêt.
« Tous les Mangemorts ont été des enfants, tous ont eu des qualités et des défauts avant de faire de mauvais choix », estima Albus. « Ce qui me semble important, quand je me souviens de lui, c'était que c'était un garçon méthodique et consciencieux. Je ne pense pas que sa baguette réagisse par hasard... ou alors d'autres réagiraient », il ajouta. Harry remarqua que Severus approuvait silencieusement le raisonnement de son grand-père.« Ni même qu'elle choisisse Harry par coïncidence... »
« Albus », soupira Remus.
« Vous êtes un spécialiste en magie noire, Remus, vous savez comme moi... », reprit Grand-père Albus avec une bonne volonté et une compassion peut-être trop visibles pour son jeune successeur.
«Tu as dit que la magie a peut-être voulu que j'aie cette baguette... Sirius n'était pas d'accord», se rappela Harry à voix haute.
« Ça se vérifie, Remus », plaida grand-père Albus sans le regarder.
« Uniquement si la baguette prouve quoi que ce soit », finit par répondre Remus, la voix rauque comme s'il avait trop hurlé pendant des heures.
« Vous serez seul juge... »
« Si seulement je faisais confiance à mon jugement », répondit Remus en serrant un Harry sidéré contre lui.
« Reste Poudlard », insista Severus. Il ne resterait pas derrière – Harry le comprit sans doute en même temps que tous les autres dans la pièce.
« Minerva ? », souffla Remus, et la directrice de Gryffondor acquiesça.
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« Voilà, je sens que tu deviens raisonnable », dit la Voix. « Ouvre moi ton esprit maintenant ! Cesse de lutter ! Tu ne fais que reculer l'inévitable ! »
« Non ! », se braqua de nouveau Cyrus malgré son épuisement. Sirius était son seul atout, son refuge, son espoir. Si la Voix entrait dans sa tête, elle le verrait sûrement.
Le Doloris vint immédiatement. Cyrus avait l'impression que les Mangemorts eux-mêmes ne prenaient plus la peine de prononcer le sort. Ou il ne les entendait plus.
Dans le brasier éblouissant de la douleur, il y avait un moment où le temps était suspendu. Où la réalité cessait d'être importante. Le corps disparaissait, restait l'esprit et ses dernières défenses. Sirius en profitait quand il en était capable pour lui prodiguer des encouragements : il lui disait qu'il tenait pour Harry, pour Remus, pour tout ce qui devait et pouvait encore être sauvé. Généralement, Cyrus avait l'impression d'être immergé dans cette lumière et c'était sa seule sensation. Mais cette fois, il y avait un miroir au milieu de la lumière. Ou une flaque d'eau ou une Pensine. Le reflet, quel qu'il soit, contenait l'image de Sirius – un homme adulte, vêtu d'un manteau de cuir noir et projetant une présence solide et rassurante. Cyrus eut envie de se jeter dans ses bras en lui demandant de le protéger. Quand il voulut le faire, contre toute possibilité logique, l'image avait changé. Il y avait une fillette, comme si le reflet lui renvoyait sa propre image mais d'un sexe différent. La folie, songea Sirius avec un mélange d'effroi et d'acceptation. La folie court dans mon sang.
« On va venir, Cyrus », dit alors la fillette avec un ton étonnamment sérieux. « On sait où tu es... Il nous manque des choses mais on est en chemin... Tiens bon, je voudrais te connaître... »
Le noir total remplaça la lumière l'instant d'après.
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« Tu sais qu'une Pensine peut contenir les souvenirs de quelqu'un – c'est son usage le plus connu et courant », expliquait Grand-père Albus à Harry. « Mais nous aimerions plutôt chercher à connaître... à retrouver les souvenirs de ta baguette... »
« Une baguette a des souvenirs ? », s'effara Harry.
« Bien sûr. Comme une mémoire humaine, ils ne suivent pas obligatoirement un ordre chronologique mais plutôt un ordre d'importance en fonction de ce que le sorcier qui l'utilisait a vécu. Cette baguette t'a choisi. Elle a peut-être des choses à te dire et à te montrer... »
« A propos de... Voldemort ? », s'enquit Harry parce que c'était la seule liaison logique. Voldemort ou ce qu'il en restait – sa voix avait enlevé Cyrus. Peut-être par erreur. Maintenant elle voulait prendre le corps de son frère, parrain et ami – pour remplacer le corps que lui Harry, lui avait enlevé quand il avait quinze mois. Grand-père avait dit que sa cicatrice le liait à lui. Tout semblait les lier, en fait.
« Aussi étrange que cela puisse paraître », confirma Albus, « je dois reconnaître que je l'espère de tout mon cœur. »
Instinctivement, l'enfant regarda Remus qui rongeait son frein de l'autre côté de la table sur laquelle reposait la Pensine. Il avait besoin de son autorisation et de ses encouragements.
« Essaie, Harry. Personne ne sait ce à quoi tu arriveras. Essaie, simplement », finit par articuler Remus d'une voix un peu atone.
« Tu vas juste tenir ta baguette au dessus de la Pensine. Ce qui est important c'est que tu ne penses à rien, que tu la laisses utiliser ta magie pour communiquer ses souvenirs et ses expériences... elles devraient apparaître à la surface de l'eau », l'instruisit Albus sans attendre. « Comme Remus l'a souligné, nul ne sait exactement ce que nous pourrons voir et encore moins ce que nous serons capables d'interpréter, mais aller au secours de Cyrus sans avoir le maximum d'informations... »
C'est pour Cyrus, décida de retenir Harry. Le reste était trop compliqué voire inquiétant. La baguette donnerait peut-être une information qui permettrait de sauver Cyrus. Et c'était tout ce qui était important. Il tendit donc la mince baguette d'aubépine au dessus de la Pensine en essayant de vider son esprit de toutes pensées personnelles. Après tout, ce ne serait pas désagréable de ne plus revoir en boucle la disparition de Cyrus, de ne plus s'en vouloir d'avoir été berné par Quirrel ou de s'interroger sur cette femme venue du Brésil et sa fille.
La première image qui apparut à la surface lisse et calme de la Pensine fut un visage inconnu – encore qu'il arborait une certaine ressemblance avec Sirius, remarqua Harry dans un deuxième temps. Il paraissait jeune – pas autant que lui ou Cyrus ou la mystérieuse Cruz, mais plus que Remus. A peu près de l'âge de Nymphadora – est-ce que son père allait l'épouser ? Non, il ne fallait pas penser à cela ! Le visage se troubla à la surface de la Pensine mais revint.
« Regulus », souffla Remus.
« Plus âgé que la dernière fois que je l'ai vu », confirma Grand-père.
« Peu de temps avant sa mort », estima Remus.
Le sorcier avait l'air fatigué, il se regardait avec peu de complaisance dans un grand miroir et pointait la baguette d'aubépine contre son reflet en articulant des paroles silencieuses mais que bizarrement peut-être Harry répéta à haute voix : « Avada Kedavra »
« Il se serait suicidé ? », souffla Nymphadora avec une certaine angoisse dans la voix. Peut-être à cause de la nature même du sortilège dont Harry vient de prononcer la formule. L'enfant savait qu'il s'agissait d'une magie interdite.
« Ou il en aura eu l'envie », corrigea Remus.
« Regardez sa main ! », les interrompit Albus avec une fascination palpable.
« Elle est noire, comme carbonisée », jugea Nymphadora.
« A quoi a-t-il joué ? », marmonna Remus avec répulsion.
« Sans doute à nous sauver tous », jugea Albus. « Il a détruit ou tenté de détruire un objet contenant tellement de magie noire qu'il l'a payé de sa main... au moins de sa main... Je pense qu'il se savait perdu... »
« Les Black possédaient des monceaux d'objets de magie noire », rappela Remus sur un ton où se mêlaient défiance et entêtement, et l'image conjurée par Harry vacilla avec la certitude d'avoir le soutien de son père.
« Beaucoup trop anciens pour provoquer une telle réaction », estima Albus. « Ça fait neuf ans que je cherche combien il y en a et ce qu'ils sont devenus. J'en ai réunis deux sans savoir de combien je m'approchais de la solution. Je ne me suis pas risqué à essayer de les détruire mais Regulus Black... oui. »
« Détruire quoi Albus ? », se risqua Remus – il y avait maintenant quelque chose comme de la circonspection dans son ton, estima Harry.
« Les objets que Voldemort, dans sa grande folie, a sans aucun doute créés pour assurer sa pérennité ; se garantir de multiples possibilités de revenir tous nous hanter... », développa Albus en ayant l'air d'un professeur qui espère mettre ses élèves sur la voie de la bonne réponse lors d'un contrôle difficile. Comme il comprit que personne ne se risquerait à donner à haute voix la réponse, il le fit lui-même : « Des Horcruxes... »
Comme si les paroles de Albus avaient été entendues par la baguette de Harry, une série d'images défilèrent très vite sur la surface de l'eau, comme des nuages poussés par une brise de printemps : une bague gravée, un médaillon, un espèce de livre ancien relié de cuir ; un elfe de maison s'enfuit dans les recoins d'un grenier, dans des ruines, dans un endroit sombre dont les murs avaient l'air de pierre brute ; un énorme serpent – d'une taille difficile à croire... des mains décharnées jaillirent d'une eau sombre et inquiétante... un flacon, petit, et son étiquette étonnamment lisible : venin de basilique, et puis la surface de l'eau de pluie contenue dans la Pensine redevint paisible et claire. Harry essuya machinalement une perle de sueur sur son front qu'il ne se rappelait pas avoir transpirée.
« Clémente Cerridwenn » souffla Tonks. « Quel sens donner à tout cela ! »
« Il y a quelques éléments assez limpides », avança Albus. « J'aimerais bien que Androméda nous le confirme mais je pense que cet elfe est le même que celui qu'elle a dû affronter pour récupérer la baguette de Regulus. Quant au venin de Basilic aussi difficile soit-il à trouver, il est connu pour être une des seules substances capables de détruire un Horcruxe... »
« Vous voulez dire que Regulus a détr... », commença Tonks, sidérée.
« Mais avons-nous le temps, Albus ? », questionna âprement Remus. « Pendant ce temps, Sirius... »
« Croyez-vous qu'il ne voudrait pas savoir Harry libéré à tout jamais de... »
« Ne prononcez pas le mot prophétie, Albus ! »
« J'allais dire vengeance ou vindicte – je ne crois pas que Voldemort sache pardonner. »
« Mais le laisser entre leurs mains ! »
« Je ne dis pas que nous avons beaucoup de temps, Remus, mais nous devons mettre toutes les chances de notre côté. Nymphadora, il va vous falloir montrer cette Pensine à votre mère. Connait-elle ces objets ? Confirme-t-elle l'identité de l'elfe ? Pourrait-elle retourner le voir ? »
« Je m'en occupe », accepta immédiatement Tonks avant de se rendre compte que Remus désapprouvait. « Je serai revenue d'ici ce soir. »
« Et nous n'irons pas là-bas avant de pouvoir bénéficier de la faveur de la nuit », commenta Albus. « Ceci nous laisse quelques heures pour détruire les objets que je possède personnellement... »
« Combien ? Vous ne m'en avez jamais parlé ! », prostesta Remus à la grande angoisse de Harry.
« Deux : la tiare de Rowena Serdaigle et la Coupe de Helga Poufsouffle... Ne vous énervez pas, Remus. J'ai voulu réunir les objets des fondateurs, l'épée, le diadème, la coupe.. et quand j'ai trouvé ces deux derniers objets, j'ai su qu'ils n'étaient pas... qu'ils avaient été altérés... mais les détruire... d'abord c'étaient des objets historiques. Ensuite, ils étaient dépositaires d'une magie noire, certes, mais malgré tout extrêmement rare... Les détruire sans comprendre me répugnait... Enfin, tout me portait à les croire extrêmement bien protégés eux-même. J'ai décide de prendre le temps d'en apprendre plus sur comment les détruire – j'ai eu longtemps la faiblesse de croire que je pourrais peut-être... protéger les objets eux-mêmes de la destruction... J'espérai encore et toujours avancer dans mes connaissances, découvrir une nouvelle solution... mais aujourd'hui nous n'avons plus ce temps. »
« Il en avait créé cinq », commenta Severus dans le silence tendu qui suivait.
Harry vit Nymphadora compter sur ses doigts, les sourcils froncés et se rendit compte qu'il avait perdu le compte des objets évoqués par son grand-père et entrevus dans la Pensine.
« C'est un chiffre intéressant... j'espère qu'il n'y en a pas plus... », commenta Albus.
« Plutôt six, si le serpent en est un», remarqua lugubrement Minerva, et Nymphadora acquiesça. « Combien Regulus en aura détruits ? »
«Autant de questions que je me pose moi aussi », regretta ouvertement Albus.
« Vous avez besoin de Harry pour les détruire ? », questionna Remus d'une voix rauque. Il serrait les épaules de Harry devant lui comme s'il avait peur qu'on l'arrache à lui.
« Non, je ne pense pas. Nous avons besoin de lui face à Voldemort... malheureusement...Je ne pense pas qu'il serait sage de penser le contraire », répondit lentement l'ancien directeur de Poudlard. Il y avait du regret et du chagrin dans sa voix, mais une volonté de convaincre aussi.
« Mais les détruire l'affaiblira ? », vérifia encore Remus.
« C'est un peu plus qu'une hypothèse. »
« Mais si Androméda confirme... »
« Si nous en localisons d'autres, nous les détruirons... si Regulus ne l'a pas fait... », promit Albus. Il y avait une note de supplication dans sa voix.
« Nous serons là-bas à la tombée de la nuit ? », continua son jeune successeur, d'une voix qui oscillait entre dureté et désespoir.
« Oui, je vous invite à prendre un peu de repos en attendant, Remus. Vous n'êtes pas... »
« C'est une folie, Albus. »
« Une de plus, Remus, simplement, une de plus. »
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Le 17 s'appelle "La maîtrise du destin"...
