20| Les modalités de l'héritage
« Je m'appelle Barbara Straightford, je suis votre avocat », annonça la grande jeune femme blonde en se dirigeant droit vers lui.
Se levant avec un temps de retard, Sirius lui tendit la main et fut surpris de la vigueur de la poigne. Une inquiétude sourde l'envahit. Mais dans quoi avait-il donc accepté de se lancer ? N'aurait-il pas dû poser plus de questions à Albus sur ses critères de sélection d'un bon conseiller juridique ?
« Je vois que je n'ai pas le choix», réussit-il à objecter en récupérant sa main.
« Oh, si bien sûr, vous pouvez choisir de quelqu'un de moins jolie, de moins décidée, de moins qualifiée et n'ayant pas follement envie de gagner ce procès », affirma la jeune femme avec un sourire étonnant.
« Voilà un curriculum vitae bien résumé », laissa-t-il échapper.
« Je vais sérieusement vous convaincre dès que nous nous mettrons à travailler », promit l'avocate.
« Je vous écoute », proposa Sirius en lui désignant un fauteuil en face du sien et de celui de Aesthélia qui n'avait rien dit.
« J'ai pour habitude de ne travailler qu'avec mes clients... », objecta la juriste avec aplomb et un regard sans ambiguïté vers Aesthélia.
« Ma femme peut rester... », affirma Sirius comme on se relève d'une vague qui vous a rejeté sur la plage.
« Votre femme ? Je n'ai vu aucune trace d'un mariage, moldu ou magique, dans votre dossier ! », riposta Straightford. Sirius eut l'impression confuse qu'elle allait produire dans l'instant l'ensemble des documents magiques le concernant existants, bulletins de Poudlard compris. C'était assez terrifiant.
« Ma fiancée alors.. », concéda-t-il presque à son corps défendant, tout de suite abattu d'avoir reculé. Peut-être n'avait-il plus l'envergure nécessaire pour le rôle ? Peut-être ne l'avait-il jamais eu. Son assurance était peut-être le dernier avatar de la condescendance stupide que ses parents lui avaient tristement léguée, et il serait bien inspiré de l'éliminer totalement comme une prétention inutile. « Aesthélia et moi aurions dû nous marier il y a dix ans... C'est une victime au même titre que moi, en quelque sorte », rajouta-t-il en guise de contre-attaque. La dernière idée était de Remus, et elle lui plaisait. Elle les mettait tous les deux dans une communauté de destin qui était bienvenue.
« Intéressant », jugea froidement l'avocate. « Mais, avez-vous besoin de son témoignage ? »
« Pardon ? »
« Allons-nous avoir besoin d'elle ? Peut-elle prouver que vous étiez innocent ? Pourquoi n'a-t-elle rien tenté il y a dix ans ? Que fait-elle ici ? », mitrailla Straightford sans attendre.
« Mademoiselle... », essaya d'endiguer Sirius.
« Maître. »
« Majesté si ça vous aide à mieux dormir ! », cracha Sirius, définitivement agacé. « Oui, sans elle, je ne serais pas là. Sans elle, je n'aurais pas tenu tant d'années à Azkaban, sans le furtif espoir que... et, surtout, je serai encore là-bas à écouter tomber les gouttes d'humidité et à me cogner la tête contre les murs ! »
« C'est elle qui vous a sorti de là ? », questionna factuellement Straightford peu impressionnée par son envolée lyrique sur le fluide et le dur.
Sirius regarda Aesthélia, vit qu'elle allait répondre et décida de le faire lui-même.
« Je... C'est en tout cas ce qu'elle est prête à raconter sous serment devant le Magenmagot... »
« Vraiment ? », questionna Straightford la tête penchée sur le côté.
« Tout à fait », affirma Aesthélia.
L'avocate s'assit enfin sur le fauteuil proposé par Sirius et prit le temps d'une réflexion qui parût étonnamment longue à Sirius.
« Alors épousez-la... maintenant, au plus vite. Épousez-la de manière à que personne ne puisse remettre en cause votre engagement envers elle et vice-versa. J'imagine qu'il y a des clauses spécifiques dans une famille comme la vôtre – respectez-les sans exception... », affirma l'avocate.
« Je n'ai beaucoup de respect pour les clauses familiales... », maugréa Sirius. Se marier, selon les rites des Black ? Maintenant, sans attendre ? Le vertige n'était pas loin .
« Vous voulez passer le reste de votre vie libre avec elle ? »
« Effectivement. »
« Faites ce que vous dit, monsieur Black », asséna Straightford. « Les Malefoy ne laisseront rien passer. Il faut qu'elle soit une Black aux yeux de tous, il faut que ce soit une belle histoire d'amour qui fasse pleurer la lectrice de Sorcière-hebdo – sinon, oubliez son témoignage et demandez lui de sortir ; nous trouverons une autre stratégie. »
«Nous avons une fille. Une fille de neuf ans... », lâcha Aesthélia, avant que Sirius ait pu décider de comment il voulait réagir. « N'est-ce pas assez pour témoigner de notre engagement mutuel aux yeux de la communauté magique ? »
« Où est-elle ? »
« Ici. En Angleterre à Poudlard », reconnut Sirius du bout des lèvres. C'était encore une fois le plan qu'il avait accepté, la couverture qui protégerait Albus et un peu Remus de la vindicte du Ministère. Comme si l'innocence de Cruz pouvait garantir celle des autres.
« Le jeune garçon apparu auprès de Lupin ? Je me disais aussi... très bien. Ne le prenez pas mal, madame, je suis sûre qu'il n'y a pas de doute à avoir, mais d'autres ne s'arrêteront pas aussi facilement. Il faut en faire votre héritière, Monsieur Black. Très vite, aujourd'hui même, avant que votre cousine n'agisse pour contrer tout cela », continua donc la grande blonde athlétique en frappant sa cuisse du plat de sa main à chaque point. A la voir on pouvait se demander si le droit n'était pas un sport de combat.
« Faire d'elle une Black », murmura Sirius, incertain.
« Qu'est-ce qui te gêne, Sirius ? », demanda Aesthélia en portugais. Il avait de la confusion dans ses yeux verts pâles.
« Pas ce que tu crois... », commença Srius en lui prenant la main.
« Si, pour une raison quelconque, c'est impossible, il faut changer de stratégie mais en accepter le prix », indiqua encore Barbara Straightford en anglais. Peut-être que leurs expressions lui suffisaient pour comprendre.
« Je sais », la coupa Sirius, excédé. « Mais vous oubliez, Maître, que j'ai été déshérité : le mariage, la reconnaissance, tout ça demande une autorité que j'ai perdue... »
« Les Gobelins disent le contraire. Ils disent que vous savez quoi faire pour rentrer dans vos droits... »
« Tu sais ? », s'enquit Aesthélia avec une certaine naïveté, voire un peu de reproche.
« Oui », reconnut sombrement Sirius. Il avait été élevé pour connaître ces stupides traditions et les perpétuer. Il s'était promis que jamais il ne prendrait ce rôle, et maintenant on lui présentait tout cela comme la voie de sa liberté.
« Mais tu ne veux pas... », constata son amour sans une once de jugement dans la voix.
« C'est... je me suis construit contre eux, Aesthélia, et là... Admettons que je... prononce ces... mots tant attendus... que je demande à rentrer dans mes droits et que cela me soit accordé... », essaya Sirius en se retournant vers l'avocate. Il avait l'impression que celle-ci serait arrivé d'une manière ou l'autre à ce qu'elle lui demandait. Aesthélia et Cruz étaient un prétexte.
« Je n'en ai aucun doute, Monsieur Black. Ne mettez pas de surnaturel là où il s'agit de droit – uniquement de droit... Vous êtes le dernier héritier direct, et nonobstant le dernier héritier mâle... Tout le système a été conçu pour assurer vos droits... Je crois même que la volonté de vos parents était que vous puissiez un jour revenir... », commenta Barbara Straightford comme une confirmation.
« En rampant... », grinça Sirius.
« Vous serez le chef de la famille et vous pourrez rétablir dans leurs droits tous ceux qui ont été écartés ou en éloigner d'autres... »
Se servir de tout cela, c'était ce à quoi il s'était dit prêt, hier même quand Remus était venu. Utiliser ces pouvoirs qui pouvaient lui être conférés pour ses propres fins. Etait-ce une ultime tentation ? Devait-il refuser ?
« Il faut des témoins et, si possible, un...maître de cérémonie... », réfléchit Sirius à haute voix.
« Remus ? », proposa Aesthélia.
« Ma chérie, il est clair que je ne vais pas passer devant cette opportunité de faire se retourner mon paternel dans sa tombe... mais il te faut aussi un témoin, si possible de sang pur, et c'est surtout le maître de cérémonie qui va nous manquer... »
« Il faut qu'il ou elle porte votre sang... ? », s'enquit Straightford que Sirius soupçonna, une fois de plus, d'en savoir plus sur tout cela qu'elle ne voulait bien le dire.
« Vues les circonstances... ce serait plus... moins attaquable... Je n'ai malheureusement pas un choix démentiel... Bellatrix est à Azkaban, Narcissa refusera... reste Androméda... », énuméra Sirius.
« Ce serait une double... réparation », proposa Barbara Straightford en le regardant droit dans les yeux sans aucune fausse honte.
oo
L'efficace Barbara Straghtford trouva rapidement des voitures et des chauffeurs pour les amener Square Grimmault. La première contenait le futur marié et Androméda qui avait accepté presque aussi vite que lui le rôle proposé. L'avocate les accompagnait. La deuxième voiture amenait Aesthélia accompagnée par Susan Smiley qui s'était spontanément proposée comme témoin quand toute la maisonnée de Albus avait été mobilisée autour du le projet. Les enfants, Remus, Tonks et Ted venaient dans la dernière. Sirius avait cru noter une certaine gêne entre Lunard et sa cousine, mais il n'avait pas eu le temps d'enquêter, pas plus que de trouver celui de parler à Harry qui avait ouvert des yeux de soucoupe en le découvrant grand et adulte. Tout cela allait trop vite.
D'ailleurs, ils étaient déjà en haut des escaliers - ceux qui venaient pour la première fois suivant les deux seules personnes qui pouvaient voir la demeure. C'est le ventre dur d'appréhension que Sirius posa sa main sur la poignée, s'attendant presque à une décharge douloureuse exprimant le rejet de chaque pierre de la maison. Mais la poignée obéit, et il n'eut plus qu'à pousser le vantail.
Ce n'étaient que de simples panneaux de bois, mais ils avaient une fois claqué derrière lui comme la fin d'une partie de sa vie. Il avait été chassé, déshérité, maudit. Il avait caché sa peine et son désarroi derrière une rage adolescente qui l'avait rendu sans peur et sans limites bien au-delà de la date de sa majorité. Elle l'avait façonné, fait de lui celui qu'il était. Celui que Aesthélia avait aimé - il ne devait pas l'oublier, se répéta-t-il pas, pour la première fois.
Il n'était revenu qu'une fois depuis, à la demande de sa mère, uniquement pour apprendre que son frère était sans doute mort. Il n'avait rien su dire ou faire pour alléger le chagrin de sa mère et, cette fois-là, il avait presque été soulagé quand la porte s'était refermée derrière lui. Comme un point final.
Il revenait aujourd'hui pour réclamer ses droits sur un tas de pierres incartable, des vantaux de bois écaillés, des coffres d'or trop remplis, un fonds bibliographique en matière de magie noire sans équivalent en Angleterre. Il venait en conquérant d'une certaine façon, décida-t-il sans savoir s'il assumait cette nouvelle position. Pouvait-on conquérir durablement un royaume qu'on méprisait ?
Un portrait en pied de sa mère avait été accroché dans l'entrée depuis son dernier passage. L'image de Walburga se mit à hurler avant qu'ils aient tous pénétré dans le hall d'entrée. «Honte», « déshonneur », « sangs mêlés » et «créature » - les mots qui se déversaient des lèvres sèches du portrait ravivèrent immédiatement des blessures anciennes et mal cicatrisées. Un instant, il n'eut qu'une envie : fuir immédiatement et abandonner à jamais tout espoir de retour.
« Fais la taire, Sirius », souffla Androméda, lui rappelant sa mission. Quelqu'un derrière eux tous avait fermé la porte et le bruit de la rue avait disparu. « Fais la simplement taire. »
« Bonsoir, Mère », commença-t-il donc incertain de savoir comment faire pour mener à bien cette simple tâche. Restait l'ironie. « Je suis moi aussi heureux de vous revoir en si bonne forme... »
« Tu n'as pas ta place ici ! Tu n'as même pas le droit de porter le nom de mes ancêtres ! », coassa le portrait.
Il n'était pas flatteur, ce portrait, estima Sirius bloquant ce que le rejet maternel pouvait lui inspiré. Il représentait sa mère à peu près telle qu'il l'avait vue pour la dernière fois - aigrie, désolée, sans espoir. Mais ce n'était qu'une représentation, non une vraie personne douée de liberté et de choix. Il avait au fond de son cœur d'enfant des souvenirs où sa mère, sans apparaître jeune, souriante et aimante, ne ressemblait pas à une menaçante harpie. Personne n'avait jugé bon de la peindre, malheureusement.
« Pourtant, cette maison a besoin d'un maître, cette famille a besoin d'un chef... », essaya-t-il, reprenant un argument qu'il avait dû entendre une fois par jour, enfant. Le culte de la hiérarchie de ses parents expliquait sans doute leur fascination pour un malade comme Voldemort.
« Un chef poursuit la ligné de ses ancêtres, il ne trahit pas son sang et... »
Bloquant tous les doutes qui pouvaient encore l'assaillir, Sirius chercha derrière lui la main de Aesthélia et celle de Cruz et les attira à ses côtés : « Je viens présenter ma famille, Mère, et la faire reconnaître en ses droits... »
L'affirmation bloqua l'antienne sur la pureté du sang et la trahison de Sirius de tous les principes dans lesquels il avait été élevé. Les yeux du portrait – si semblables aux siens – glissèrent sur Aesthélia avec méfiance mais sans commentaire désobligeant. Sirius se demanda si le portrait avait été enchanté pour juger de l'aura des visiteurs et évaluer leur pureté. Ça ne lui paraissait pas inconcevable. Les yeux se fixèrent ensuite durablement sur Cruz. Ils prirent alors une douceur, presque un émerveillement, que Sirius ne se rappelait plus leur avoir vu exprimer.
« Un héritier... Sirius... Tu... tu amènes un héritier... Il.. il te ressemble tellement ! »
Sirius regarda à son tour Cruz, habillée avec les vêtements de Cyrus. Androgyne. Ses yeux gris, immanquablement Black, étaient écarquillés, et il sera plus fort sa main pour essayer de la rassurer.
« Merci, Mère. Vous comprendrez que nous entrions et procédions à ce qui doit être fait... »
« Sirius... »
« Profitez de votre triomphe, Mère. Je ne vous demande que de traiter mes témoins avec... civilité ou au moins indifférence... »
Le silence qui suivit était peut-être sa première victoire.
« Elle m'a prise pour un garçon », murmura Cruz alors qu'il les guidait vers le salon.
« Elle aurait été moins gentille sinon », reconnut Sirius avant de s'arrêter et de regarder sa fille. Il n'allait pas lui mentir. En faisant d'elle son héritière légale, il la chargeait aussi de toute cette folie, de toute cette noirceur. Peut-être que Cruz avec le sang brûlant qui courrait dans ses veines, avec sa médaille d'or blanc et de rubis, saurait y amener un peu de lumière, espéra-t-il. « Dans quelques minutes, normalement, je serai le chef de cette famille, la maison me reconnaîtra comme tel, et nul n'aura plus besoin de mentir sur ses intentions ou son identité, je te le promets.»
Il les guida ensuite vers le salon sans rien dire de plus. La pièce était poussiéreuse et quand Lunard ouvrit les rideaux des pixies cherchèrent à s'échapper. Tonks prêta main forte à Remus pour les bloquer et les enfermer dans un sac improvisé à partir d'une vieille tenture.
«Cette maison est pleine de saloperies », annonça-t-il à haute voix à ses autres visiteurs. «Faites attention à ce que vous touchez... encore que cette pièce est sans doute parmi les plus saines », continua-t-il et le constat en imposa un autre : « Cruz, Harry, même si vous vous ennuyez à mourir, promettez moi de ne pas aller chercher l'aventure... vous risqueriez de trouver des choses au-delà de vos espérances ! »
Il était difficile de dire qui de sa fille ou de son filleul eut l'air le plus surpris de sa demande mais ils acquiescèrent tout les deux brièvement. Sirius décida de s'en contenter alors que Barbara Straightford sortait d'un sac les objets qu'ils étaient allés ensemble récupérer chez les Gobelins. Une coupe en bronze, un athamé, une épaisse chevalière en or. S'il croyait la légende familiale, l'athamé avait appartenu à Morgane elle-même. La facture était celte, il était bien obligé de le reconnaître. Les runes parlaient sans surprise de pureté et d'honneur. On ne pouvait enlever aux obsessions familiales une profonde ancienneté.
La chevalière était beaucoup plus récente. Elle portait les armes des Black. Sirius ne pouvait pas la regarder sans voir Orion, sa présence écrasante et souvent menaçante. La main qui portait cette chevalière s'était bien trop souvent levée sur lui pour qu'il ne reste pas une trace de crainte dans ses entrailles. Pourtant, il allait devoir la passer à son doigt, songea-t-il. Est-ce que ça suffirait pour briser le sortilège, pour affirmer sa liberté d'homme ? Sirius en doutait sincèrement. Il dégagea pourtant le dessus d'une table de bridge et y déposa les trois objets tels qu'il convenait de le faire selon les rites poussiéreux et obsessionnels de sa famille. Les autres se mirent en cercle autour de lui, et il n'eut bientôt plus de raison de ne pas faire ce qu'il était venu accomplir.
«Moi,Sirius Orion Black me présente aujourd'hui devant vous pour... prendre la suite de mon père, et de tous ses ancêtres avant lui... à la tête de cette... maison », articula-t-il avec difficulté. Enfant, il avait parfois pensé en s'endormant au jour glorieux où il serait effectivement le chef de la famille Black et il avait souri à cette pensée. Regulus avait été jaloux. Plus tard, il avait méprisé l'idée et professé qu'il récuserait son héritage. Puis il en avait été privé et il avait prétendu qu'il s'en réjouissait. Et il était là aujourd'hui. Regulus, son père, sa mère, ils étaient tous morts. Il ne restait que lui pour faire le tri.
« Par mon sang pur... transmis par mes... regrettés... parents, Orion et Walburga Black,... je... demande la reconnaissance de mes droits », termina-t-il en levant l'athamé et entaillant sa main gauche avec une fermeté qui le surprit lui-même.
Le sang tomba à goutte épaisses dans la coupe. Il eut l'impression de les entendre résonner en tombant. Quand le contenu lui parut suffisant, il prit la chevalière de son père et la laissa tomber dans la coupe. Il dut se forcer pour la repêcher et la glisser à son annulaire gauche. Il sentit immédiatement la magie qui traversait son corps. La blessure de sa main se referma et disparut même.
« C'est fait », murmura Androméda.
Incapable d'y croire totalement – ça ressemblait plus à un simulacre comme Regulus et lui avaient pu en jouer, enfants -, il se tourna vers la tapisserie où un trou béant marquait l'endroit où son nom devait figurer. La magie était là aussi à l'œuvre. Les fils se reconstituaient et son nom revint lisible, un peu plus neuf et brillant que les autres mêmes. Il sentit des larmes dans ses yeux et il inspira pour les repousser.
« Ok », souffla-t-il. Il chercha de sa main droite sa baguette dans sa poche – celle de la mère d'un loup-garou - et la saisit fermement. « Par les pouvoirs qui sont maintenant les miens, je demande que justice soit faire », énonça-t-il avec moins de difficulté que précédemment. A peine une once de timidité comme s'il s'attendait à ce que dans un grand rire moqueur, la maison tout entière lui fasse comprendre qu'il se leurrait sur son autorité. « Androméda Black n'a jamais trahi son sang en choisissant son mari. Qu'ils soient tous réinvestis dans leurs droits... »
De nouveau, les fils se nouèrent et le trou béant se reboucha. Le nom d'Androméda apparut le premier, puis celui de Edouard Tonks, avant qu'une branche se faufile entre les branche existante pour asseoir le nom de Nymphadora à peu près au même niveau que celui de Drago Malefoy.
«Cool », gloussa cette dernière. « J'ai toujours rêvé de figurer sur une vieille tapisserie moisie ! »
Un rire discret courut dans la petite assistance comme un vent de printemps qui venait utilement balayer la poussière accumulée.
« Nymphadora... », protesta gentiment Ted Tonks en lui désignant sa mère figée dans ses larmes.
« Elle a raison, Ted, n'attachons pas trop d'importance à tout cela », lâcha Sirius alors que Tonks était allée enlacer sa mère. « Ce n'est qu'un moyen, pas un but... Méda... tu te sens de... continuer ? »
« Évidemment, Sirius », se secoua sa cousine en essuyant rapidement ses larmes. « Tu as raison, c'est juste une petite satisfaction... Te marier va être plus légitimement un motif de célébration !», promit-elle, en venant se placer de l'autre côté de la table, en face de lui. « Que seuls les futurs époux et leurs témoins se placent en face de moi. Que les autres reculent un peu», indiqua-t-elle. « Bien. La tradition des Black fait appel aux magies les plus anciennes. Elle demande qu'au moment de leur union, les futurs époux s'exposent sans fard devant leur témoins et leur famille pour amener la preuve de leur sincérité. Placez donc maintenant vos baguettes sur votre cœur... »
Tout deux obéirent avec une once de nervosité. Miroir de leur intimidation, Androméda prit une grande inspiration avant de continuer : « Aesthélia Marin Da Silva, ton sang et ton cœur sont-ils purs ? »
« Oui », affirma son amour avec droiture et fierté. La baguette ne bougea pas.
« Jures-tu sur ton sang, ton âme et ton cœur de chérir, honorer et respecter Sirius Orion Black, ici présent, pour le restant de ta vie... »
« Oui », répondit Aesthélia avec une ferveur qui émut Sirius aux larmes – sans doute toute cette poussière !
« Jures-tu de prolonger sa lignée dans la pureté et l'honneur... ? », continua Androméda avec beaucoup de douceur, comme pour amoindrir le contenu terrifiant de ses paroles.
« Oui », souffla Aesthélia. Sirius ferma les yeux en entendant l'engagement – il disait son amour, tout ce à quoi elle continuait de se dire prête pour lui malgré ce qu'il lui avait fait subir. Méritait-il autant de bonne volonté ?
« Sirius Orion Black », reprit Androméda, et il ouvrit les yeux pour regarder sa cousine. «...légitime héritier de la maison Black, acceptes-tu pour épouse Aesthélia Marin Da Silva, ici présente ? »
« Oui », articula-t-il avec émotion. Ces paroles là étaient évidentes. Il aurait pu dire oui pendant toute la journée.
«Jures-tu sur ton sang, ton âme et ton cœur de la chérir, l'honorer et la respecter pour le restant de ta vie ? », continua sa cousine ses yeux dans les siens.
« Oui. » Cette question là aussi était facile. Mais Sirius connaissait la cérémonie et savait que la suivante lui poserait plus de difficulté.
« Jures-tu de prolonger avec elle la lignée des Black dans la pureté et l'honneur... ? », énonça Androméda avec une infinie compassion. Elle aussi savait combien cet engagement là lui serait difficile à prendre.
Sirius regarda autour de lui : Remus, Harry, Cruz, Nymphadora... Est-ce que ce sacrifice à ses principes permettrait de les protéger tous autant qu'il aspirait à le faire ?
« Oui », s'entendit-il répondre sans avoir eu le temps de savoir qu'il avait décidé de le faire. Un peu comme il avait pris la potion il y avait quelques semaines. Sa voix lui parut sèche et métallique, mais sa baguette ne dénonça pas de doute ou de mensonge.
« Alors, au nom de la famille Black dont... j'ai… l'honneur de porter le sang, je vous déclare unis par les liens du mariage », enchaîna Androméda les yeux brillants. « Vous pouvez échanger vos alliances. »
Sirius sentit la main de Remus sur son bras. Son autre main lui tendait un coffret avec un anneau qu'il avait aussi récupéré dans le coffre de sa famille. Il était d'or blanc, et c'était ce qui lui avait fait le choisir parmi la profusion de bijoux amassée par les générations de Black qui l'avaient précédé. Il glissa sans à-coup au doigt de Aesthélia. À son tour, elle lui présenta un anneau d'or fin quelle était sortie acheter avec Susan Smiley alors qu'il allait à Gringotts. Sa main tremblait, et elle dut s'y reprendre à deux fois pour y arriver. Ils se sourirent ensuite et Androméda dut répéter deux fois qu'ils pouvaient maintenant s'embrasser.
« Oh », dit la voix de Cruz alors qu'ils s'exécutaient, maladroits et tremblants comme des adolescents. Dans un meilleur ensemble, ils se tournèrent tous les deux vers elle, mais leur enfant regardait la tapisserie. Le nom d'Aesthélia était apparut sous celui Sirius ; une branche s'était créée portant une première ramification avec le nom de Cruz.
« Te voilà légitime héritière », commenta Sirius en l'attirant contre lui, contre eux. « N'en déplaise à ma chère maman... »
« Mais si... si vous avez un fils... », s'inquiéta brusquement l'enfant.
« J'espère bien trouver cinq minutes pour rendre tout ce cirque inutile pour chacun de mes descendants – quel que soit leur nombre », déclara alors Sirius avec ferveur et sincérité. Androméda lui sourit et il sut qu'il avait trouvé les bons mots.
ooo
Ted et Barbara installèrent des victuailles qui constituaient une sorte de vin d'honneur. Les conversations se nouèrent et Sirius et Androméda allèrent ensemble rétablir Alphard sur la tapisserie. C'est à peu près à ce moment là que Aesthélia se rendit compte que Cruz avait disparu. La seconde d'après, Harry était aussi manquant.
« Ça sent la connerie », commenta Tonks pour eux tous.
Sirius sortit le premier, suivi par Remus et Tonks qui arrêta Aesthélia.
« Je veux venir ! »
« Nymphadora a raison, Aesthélia – reste là, sous la protection d'Androméda... »
« Sirius ! » protesta-t-elle encore.
« Je te la ramène tout de suite », promit ce dernier en refusant de croire qu'il pouvait en être autrement. Sa femme le regarda s'éloigner tellement désemparée qu'il sentit une sorte de colère l'envahir. Ne pourraient-ils donc jamais cesser deux secondes de s'inquiéter pour quelqu'un ? Cruz et Harry ? Pourquoi étaient ils partis en exploration alors qu'il leur avait expressément expliqués qu'ils devaient rester auprès d'eux ?
« Moi, à leur âge, je crois que je serais montée », livra alors sa cousine, et les deux hommes acceptèrent l'idée. Ils avalèrent quatre à quatre l'escalier jusqu'au premier étage, pour se retrouver sans autre indice, jusqu'à ce que Remus pointe vers sa droite. Srius perçut alors une voix aiguë, comme celle d'un elfe, et un concert de voix humaines variées.
« La galerie », indiqua-t-il prenant la tête de leur petit groupe. La galerie des portraits était loin d'être l'endroit le plus dangereux de la maison, mais nul ne pouvait totalement prévoir la réaction de vieux tableaux livrés à eux-mêmes depuis des années, sans compter les saletés qui avaient pu s'installer dans les coins. « Est-ce que Harry a sa baguette ?»
« Non », regretta Remus. « On a décidé ensemble qu'il avait fait assez de magie récemment... je pensais que c'était mieux...»
Sirius n'eut pas le temps de se pencher sur les regrets paternels de Lunard. Du pas de la double porte de la galerie, ils découvrirent une scène qui les fit frémir. Sous le regard de tous ses ancêtres, un viel elfe que Sirius avait vaguement espéré mort maintenait magiquement les gamins contre le mur. ll parlait de les étrangler « comme de misérables petits voleurs qu'ils étaient ». Les tableaux l'encourageaient d'ailleurs à ne pas lambiner.
« Lâche-les ! », hurla Sirius en rejoignant l'elfe. « Lâche-les, Kreattur, immédiatement ! »
« Maître Sirius », constata l'elfe avec une sorte de dégoût. « Maître Sirius n'est pas un maître, c'est un traître à son sang... »
« Non, c'est le nouveau maître de la maison », annonça une voix que Sirius reconnut avec une facilité qui l'étonna.
« Merci Phineas », souffla Sirius avec un regard reconnaissant pour son ancêtre. Peut-être que certaines traditions avaient du bon.
Les autres tableaux bruissèrent de commentaires étonnés et excités de la nouvelle. Quelque part – le sixième à gauche si personne ne l'avait déplacé – devait figurer le portrait d'Orion, Sirius le savait mais ne se sentait pas le courage de le vérifier. Il n 'était pas prêt à entendre son père remettre en cause sa toute nouvelle autorité.
« Kreattur, c'est ma fille, Cruz, et mon filleul Harry – lâche les ! », répéta-t-il en essayant de ne pas hurler cette fois. « Je suis le maître de cette maison, maintenant », rajouta Sirius pour l'elfe. « J'ai prononcé les mots... »
L'instant d'après, les deux enfants glissèrent au sol comme des marionnettes dont on a coupé les fils. L'elfe les contemplait avec un ressentiment non dissimulé alors qu'ils reprenaient difficilement leur souffle. Quand Sirius vit sa fille tenter de se relever, il revit Remus mettre deux claques sur les fesses de Harry dans la tour. Jamais un acte ne lui paru rétrospectivement plus logique et mérité. Étrangement, ce souvenir réussit à retenir la paire de claques qui démangeait sa propre main où brillait maintenant la chevalière de son père - celle qu'il avait souvent vue d'un peu trop près. Les deux parallèles le retinrent : voulait-il être le même genre de père que Orion ? Avait-il même un quart de la légitimité de Remus à imposer ses règles ?
« Ta fille, Sirius ?», s'enquit alors un autre tableau. « Je ne vois que des garçons ! »
« Je suis une fille », s'agaça Cruz immédiatement. « On s'en fiche de comment je m'habille. Et je suis sa fille,... son héritière... »
Voilà qui réglait la question de la légitimité, décida Sirius, juste avant que l'ensemble des tableaux se mettent à le prendre partie sur la mauvaise éducation de Cruz ou le fait qu'une fille ne pouvait être son héritière, qu'il devait avoir un garçon – très vite.
« Silence », essaya-t-il en plaçant son pouce contre sa chevalière, comme il avait si souvent vu son père le faire pour renforcer la puissance de l'anneau. Le calme qui suivit fut la preuve qu'il lui manquait peut-être qu'il avait en effet hérité de l'ensemble des pouvoirs conférés par sa place de premier-né mâle de sa génération. Il ne s'arrêta pas plus longtemps sur cette minuscule satisfaction et alla rejoindre en trois enjambée « son héritière légitime » pour le prendre par les épaules et finir de la mettre debout.
« Je me fiche en effet de comment tu t'habilles, Cruz. Tu décideras peut-être un jour de te teindre les cheveux ou de porter un piercing, et je crois que ça ne sera pas une source de conflit entre nous... », arriva-t-il à articuler sur un ton qui lui parût à lui-même raisonnable et équilibrée. Sa voix lui échappa quand même pour la suite : « Mais ne crois pas que je t'apprendrais à voler un jour sur un balai si tu n'es pas capable de m'entendre quand je te dis que quelque chose est dangereux ! » Dans les yeux de Cruz il lut d'abord la surprise puis une sorte de gêne. « Je n'ai pas dit que sortir du salon serait une mauvaise idée ? »
« Si », admit la fillette en baissant les yeux.
« Cela vaut aussi pour toi, Harry », ajouta Remus derrière Sirius. Par réflexe, ce dernier se tourna vers son ami et ne vit que solidarité et approbation dans son regard. Il en fut presque embarrassé.
« Pardon... Sirius », souffla son filleul qui n'avait pas l'air moins surpris et gêné que sa fille.
« Je sais que ni l'un ni l'autre vous ne me connaissez vraiment – en plus, vous m'avez sauvé la vie, et je... mais... », s'embrouilla-t-il ensuite un peu lamentablement.
« Mais Sirius est un adulte, le maître de cette maison, un Auror diplômé et quelqu'un en qui vous pouvez faire confiance pour des questions de sécurité », compléta Remus. « A qui vous devez obéir. »
Dit comme cela, c'était plutôt intimidant, décida Sirius. Trop. A observer Remus et Harry, il s'était plus ou moins convaincu que le respect se méritait et non se décrétait. Les enfants avaient des tas de raisons de ne pas le prendre au sérieux.
« Je sais, Harry, que... Je ne suis pas Cyrus – ta sécurité comme celle de Cruz viendra toujours avant quoi que ce soit d'autre », essaya d'expliquer Sirius. « Je... Kreattur ou les tableaux ne sont que des dangers mineurs... », rajouta-t-il. « Il y a pire – bien pire – dans cette maison ! Croyez-moi sur parole ! »
« Comment as-tu pu grandir dans cette maison – si c'était si dangereux ? », questionna Cruz,en tournant des yeux curieux vers lui. Pas de crainte ou de ressentiment – et Sirius remerciait sincèrement Merlin pour cela.
« Cette maison a toujours contenu plus de magie noire que... il est souhaitable pour une maison... mais tant que mon père était en vie, cette magie était sous contrôle... ou dans des endroits où ni mon frère ni moi ne nous serions risqués », répondit Sirius. Devait-il parler de la fascination de Orion pour les magies les plus interdites ? Devait-il donner, à titre mise en garde, des exemples des punitions auxquelles aurait recouru son père si lui ou Regulus avaient bravé certains interdits ? « Après le décès de mon père, ma mère a été rattrapée par sa folie... et elle a laissé toutes les forces du mal prendre le contrôle... et, depuis qu'elle est elle-même décédée, il n'y a que Kreattur pour leur tenir tête -. et je ne crois pas que ce soit sa priorité», expliqua-t-il plutôt. « Il faudrait nettoyer – ce qui demande du temps et de la compétence... »
« Kreattur garde la maison de sa maîtresse », indiqua l'elfe, a priori un peu vexé de sa critique indirecte.
« Je ne crois pas que j'ai le courage de me battre avec toi aujourd'hui sur la question », soupira Sirius, avec sincérité. La place de l'elfe, qui l'avait toujours détesté mais avait sans doute veillé sa mère dans ses derniers instants, était un trop gros morceau pour lui aujourd'hui. « Mais voici ma fille, Cruz, et tu serais bien inspiré de t'assurer qu'il ne lui arrive jamais rien de fâcheux dans cette maison, Kreattur. Ceci vaut aussi pour mon filleul, Harry », ajouta-t-il en tendant la main vers le garçon qui l'accepta et vint à côté de lui, un peu gauche mais sans défiance lui non plus. « Ça risque de te donner un peu de travail, Kreattur, j'en ai peur. »
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Si je vous dis que je ne l'ai pas exactement vu venir ce développement, vous me croirez ? Le suivant approfondira aussi cela - mais après tout Sirius ne peut pas ne pas régler l'intégralité de ses comptes...
