23 | Rêves et cauchemars

Père et fille rejoignirent les autres en bas en se tenant la main. Sirius se répéta à chaque marche que c'était un miracle, une des choses les plus belles et les plus intimidantes qu'il ait faites dans sa vie : descendre, la main dans la main, un escalier avec une petite fille qui le voulait plus ou moins comme père - ou au moins comme instructeur de Quidditch.

Cruz ne le lâcha que pour prendre l'assiette de gâteau tendue par sa mère. Aesthelia demanda ensuite des yeux à Sirius si tout allait bien, et il la rassura d'un sourire. Très vite, Harry et Cruz emportèrent leur collation dans un coin pour lire en même temps la collection complète des Aventures de Martin Miggs, le Moldu fou, que Sirius avait achetée avec la satisfaction de réaliser un rêve d'enfant jusque-là inassouvi.

"Il semble que Poudlard impose une interdiction de vol générale", il se força à vérifier en se tournant vers Remus - il y avait une très petite chance que tout cela soit un malentendu.

"Oh, Cruz est venue te demander de plaider sa cause", réalisa son ami avec un très léger soupir comme s'il s'attendait à que Sirius exige effectivement la levée de la sanction. Comme un écho, Aesthelia mit une main sur son avant-bras - comme s'il s'agissait de le retenir physiquement d'intervenir dans les décisions de Remus. Magnifique, pas un pour lui faire confiance, ragea silencieusement Sirius.

"Cruz est venue plaider la cause de Harry, arguant qu'elle veut attendre que je puisse effectivement lui apprendre à voler et que c'était son idée...", commença-t-il à expliquer avec une patience qui l'étonnait lui-même. Peut-être que Azkaban lui avait appris une forme de patience et d'humilité.

"Sirius...", intervint Remus en secouant la tête.

"...Tu penses que Harry n'a pas réellement protesté et que c'est plus juste qu'ils soient traités à la même enseigne", s'empressa de le couper ce dernier. "Je suis d'accord." Il eut l'impression que Aesthélia et Remus respiraient mieux en même temps. Comme s'il venait d'obtenir à son insu un brevet de parent. Niveau débutant, sans doute. "Je voudrais juste en parler avec Harry... pas obligatoirement de ça, mais de lui et moi - de Cyrus, lui et moi..."

"Maintenant ?", questionna Remus comme si c'était la demande la plus logique au monde.

"Je peux trouver des choses à montrer à Cruz. J'ai de nouveaux vêtements pour elle", proposa Aesthélia. "Pour l'audience."

"Je peux aller faire une course", imagina Lunard.

Finalement, ils restaient sacrément prêts à le suivre, se rassura Sirius. "Merci."

"Mais Sirius, ne te prends pas trop la tête... Laisse faire le temps... Si tu te justifies trop, ils vont penser que tu doutes toi même de ta décision", conseilla encore son ami. Il y avait beaucoup d'affection et de prévenance dans ses yeux ambrés. Pas une once de critique.

"Ils n'auront pas tort", soupira Sirius avec sincérité. "Je veux dire que j'anticipe tellement peu tout ça que... je cours derrière le mal fait..."

"Il n'y a pas de mal fait !", estima Aesthélia, et Remus avait l'air d'accord avec elle.

"Ecoutez, vous avez une expérience que je n'ai pas", essaya Sirius en s'intimant de ne pas avoir une réaction trop enfantine ou brutale devant leurs certitudes. "Mais laissez-moi être moi..."

"Bien sûr", lui assura tout de suite Remus, presque trop vite. Est-ce que c'est parce que j'aurais dû être à sa place ?, s'inquiéta Sirius. "Harry, je profite que tu sois ici pour aller faire deux courses qui t'ennuieraient. Je reviens !", annonça son vieil ami avant de quitter la pièce sans attendre.

Quelques minutes plus tard, Aesthélia proposa en portugais à Cruz d'aller essayer de nouvelles robes en promettant que ce serait rapide. La fillette accepta a priori sans trop d'arrières pensées. Juste quand elle sortait de la pièce, elle réalisa que Sirius était assis dans un fauteuil, et son regard alla de lui à Harry, mais elle ne fit aucun commentaire. Les voix de sa femme et sa fille disparurent dans les étages, et Sirius s'intima de ne pas perdre de temps. Il alla donc s'affaler sur le tapis à côté de Harry qui leva les yeux de sa BD. Martin Miggs perdait le contrôle de sa voiture après, visiblement, avoir voulu draguer une jeune sorcière sur le bord de la route tout en jurant en français.

"Harry... Cruz m'a dit que tu étais interdit de vol", il attaqua sans attendre.

"Je lui ai dit de ne pas t'embêter avec ça", s'empressa d'avancer le garçon avec une nervosité certaine.

"Non, je suis content de savoir ce qui se passe. Je n'ai pas trop de temps ; le procès prend trop de temps, mais je promets que, qu'on gagne ou qu'on perde, le premier truc que je ferai c'est venir voler avec vous deux..."

Après l'avoir observé derrière ses lunettes Harry haussa poliment les épaules.

"Ok", amenda Sirius. "Mettre Cruz sur un balai et voler avec toi - encore qu'elle pourrait être plus douée que tu n'as l'air de pouvoir l'envisager !"

"C'est vrai qu'elle est super forte pour grimper... dans les arbres", précisa trop hâtivement Harry. Sirius se sentit pâlir. Mais que pouvaient-ils bien escalader ? Est-ce qu'il pouvait se payer le luxe de faire comme s'il n'avait pas compris ? Les battements de son coeur semblait indiquer que non. "Rien de dangereux", promit Harry ayant visiblement senti l'impair.

"J'espère bien", soupira Sirius. "Mais vous connaissant tous les deux, j'ai des doutes, comprends-moi." Son filleul eut la bonne grâce de piquer du nez. Sirius se surprit à ne pas s'en vouloir et même à assumer : "Franchement, si vous trouvez le moyen de vous faire punir par Remus avant la fin de ce fichu procès, je vous jure que j'en rajoute de mon côté !", insista-t-il, les mots lui venant un peu comme s'ils les avaient préparés. Les yeux de Harry s'écarquillèrent devant la menace. "Je suis horriblement sérieux, Harry."

Rien de plus vrai, jugea intérieurement Sirius. A quel moment suis-je devenu aussi mortellement sérieux ?

"Ok", souffla le garçon, en le regardant par en dessous avec rien de moins que cette espèce de révérence fataliste qu'il exprimait parfois pour son père adoptif.

"Je ne demande que ça : avoir du temps pour qu'on fasse des choses sympas tous les trois, tous les cinq, voire les six", reprit Sirius le plus gentiment qu'il put. "Je sais qu'aucun de nous n'est réellement disponible, patient et agréable..."

"Vous faites de votre mieux", estima Harry.

"Et vous ?", répondit Sirius du tac au tac.

La provocation toucha plus qu'il ne l'aurait espéré.

"On... promis, Sirius, on ne fera rien de... On ne sera pas blessés ou... On ne prendra pas de risque", s'engagea Harry en remontant ses lunettes de l'index et en le regardant en face pour bonne mesure. Comment son filleul avait pu choper le tic de son père biologique ? Ça restait un mystère douloureux pour Sirius.

"Je promets sincèrement que ça en vaudra le coup", termina-t-il néanmoins en souriant. Il voulait poser les bases de leur relation, pas se transformer en croque-mitaines. "On va voir ce que font les filles ?"

Harry posa lentement le livre et se mit debout en silence, mais Sirius pouvait voir ses méninges cogiter. Son filleul n'était pas spécialement stupide après tout.

"Oui, c'était délibéré. Je trouverai toujours du temps pour toi, Harry. C'est un serment."

Les yeux verts brillèrent, et le jeune garçon l'enlaça dans un geste spontané. "Je promets de faire de mon mieux pour être un chouette parrain..."

"Tu étais un chouette frère", souffla Harry.

"Mieux que Cruz ?", questionne Sirius pour rester dans la blague - le sérieux aurait voulu de remarquer que comme parrain, il n'avait pas encore réellement fait ses preuves ; ou de pleurer avec Harry sur la disparition de Cyrus, ce qui aurait été en partie hypocrite.

Harry sembla réfléchir longuement avant de répondre : "Cruz... Cruz ressemble à Cyrus, un peu."

"Mais c'est une fille ?", proposa Sirius.

"Je m'en fiche de ça", annonça Harry. "C'est pas une fille qui a peur que sa robe soit déchirée ou qui veut jouer à faire des pique-nique... Disons que... je sais qu'elle n'est pas ma soeur... elle a des parents à elle... un peu comme une cousine", décida Harry.

"Une chouette cousine ?"

"Une cousine de rêve", affirma Harry avec l'air de le penser.

oo

Sirius n'allait nulle part. Il ne savait pas ce qu'il cherchait et rien de ce qu'il trouvait ne lui donnait la moindre piste. Des surprises sincères, des moments d'agacement, des pointes de nostalgie peut-être, mais rien qui ne suggérait une seconde pourquoi Narcissa et Lucius avaient pris la peine d'essayer de le faire croire à leur allégeance pour récupérer les affaires de Regulus.

Les protestations de Kreattur tirèrent le nouveau maître de la maison Black de ses méditations découragées. Il ne comprenait pas les mots mais il n'en avait pas besoin. Les seules personnes auxquels il aurait interdit l'entrée de la chambre de Regulus étaient Lucius et Narcissa. Il doutait qu'ils soient arrivés jusque là. Déterminé à rappeler les règles de l'hospitalité au vieil elfe, il ouvrit la porte à la volée et vit Remus.

"Aesthélia a emmené les enfants", expliqua son ami. Kreattur était entre eux. Barrière tout à la fois dérisoire et terrible. "Elle m'a dit que tu avais peut-être besoin de mon aide..."

"Kreattur, laisse passer mon ami."

"Ce sont les affaires de maître Regulus", coassa l'elfe au nez pointu. "Maître Sirius a promis de les protéger !"

"Je n'ai rien détruit, jeté ou altéré, Kreattur. Je trie juste... ses affaires personnelles du reste..."

L'elfe gémit. Sirius se retint d'invoquer l'autorité de l'anneau familial en comptant silencieusement jusqu'à vingt. Remus garda un sourire un peu figé mais constant.

"Maître Sirius est sûr ?", grimaça l'elfe en se tordant les mains - Sirius en était à seize. Mais finalement qu'est-ce qui n'est pas tordu dans ce vieux Kreattur, songea Sirius sans pitié.

"Certain."

L'elfe se retira contre le mur en murmurant plaintivement. Remus le rejoignit, et Sirius ferma derrière lui la porte de la chambre de Regulus. Ils restèrent debout un instant à mesurer le sol couvert de cartons et de caisses. Les tiroirs étaient ouverts et des parchemins de toutes tailles s'étalaient sur le bureau face à la fenêtre. Une caisse aussi grosse que le bureau contenait les têtes empaillées des elfes de l'escalier.

"Et moi qui pensais que, la veille du procès, tu potassais ton dossier..."

"Je paie une avocate pour cela", rétorqua Sirius. C'était une demi-blague pour lui mais au regard de Remus ce n'était pas drôle. Cyrus le lui confirma inutilement. "J'ai passé la matinée avec elle dessus. Crois-moi, j'étais moins prêt pour certains ASPICS..."

C'était sans doute encore un peu arrogant, mais Remus accepta la sortie d'un bref signe de tête.

"Aesthélia s'inquiète un peu du temps que je passe ici", imagina Sirius. Il ne savait même plus depuis quand il était là. Depuis le départ de l'avocate, c'est-à-dire depuis le déjeuner... avait-il déjeuné ? Remus confirma qu'il avait été envoyé d'un sobre signe de tête, et Sirius se força à plus de rationalité : "Je cherche à imaginer ce que Lucius et Narcissa peuvent avoir en tête. Honnêtement, je ne trouve pas. Des vieux vêtements ? Des jouets cassés ? Des livres de magie noire certes mais dépassés depuis des siècles ? Des lettres, plus anodines que la pluie ?"

"A qui ?", s'intéressa Remus en s'asseyant sur le lit.

"Le faire-part de naissance de Nymphadora t'amusera peut-être", le titilla Sirius en secouant le bristol orné de la photo d'un bébé joufflu et aux traits incertains.

"Je ne l'imaginais pas proche de Androméda !", s'étonna Remus ignorant superbement sa provocation.

"Il était adressé à nos parents. J'imagine que Reg l'a subtilisé avant que Mère ne le brûle... Ok, j'admets que c'est un peu intrigant... Mais pas plus que les lettres d'une certaine Abigail... qui avait l'air bien amoureuse de lui... J'imagine qu'il ne pouvait pas être qu'un monstre !"

"Sirius, comment peux-tu parler de lui comme cela !", soupira Remus.

"Tu veux penser qu'il a sauvé Harry, qu'il a donné la seule façon de détruire Voldemort... Tu ne veux te rappeler que de cela, Lunard", souligna Sirius. "Mais il a aussi accepté la marque, tué des gens, servi un psychopathe..."

"Comme Severus", estima Remus.

"Oui, eh bien, disons poliment que je ne suis pas tellement à l'aise ni avec l'un ni avec l'autre", aboya presque Sirius.

Remus encaissa l'attaque avec une certaine souplesse. Il soupira en pivotant sur ses talons et en observant la pièce.

"Mais tu passes ton temps libre ici..."

"Alors que j'ai une femme charmante qui m'attend depuis une décennie et une fille de neuf ans à apprivoiser", renchérit Sirius. Il n'avait pas besoin qu'on lui dise ça. Remus se contenta de l'observer. "J'ai juste besoin de me convaincre que je peux abandonner ce fatras à Kreattur ou aux Malefoy, ou comme Salomon couper le butin en deux, et ne plus jamais y repenser..."

"Ok," admit lentement Remus. "Je peux t'aider ?"

"Avec plaisir, Lunard. Avec infiniment de plaisir", promit Sirius avec sincérité.

Il lui désigna un carton encore fermé et se replongea dans l'étrange mélange contenu dans le sien. De vieux cahiers remontant à avant Poudlard, des cartes chocogrenouilles cornées, de vieux tickets de matchs de Quidditch même pas mémorables. Rien qui méritait d'être conservé. Un lourd cadre en argent l'arrêta davantage. Avant son propre départ à Poudlard ; Regulus et lui dans le jardin des Malefoy, souriants...

"Une pièce d'anthologie", murmura-t-il en saisissant le cadre à deux mains. Immédiatement, sa chevalière le picotta, un peu comme s'il avait mis la main dans un plan d'orties. "Quoi donc, Père, c'est ma présence sur cette photo qui vous ait désagréable ?", s'enquit-il à mi-voix. Sans surprise, il n'obtint aucune réponse. Restait la démarche empirique. Sirius déposa donc le cadre sur la table. Le picotement disparut. Pour plus de certitude, il recommença, et la sensation revint, plus forte, quasiment insupportable cette fois. Il reposa le cadre en fronçant les sourcils. Un peu par réflexe, il regarda Remus qui lisait avec attention un paquet de parchemins. Sentant sans doute son regard sur lui, son ami leva les yeux et lui tendit le paquet.

"Je crois que tu devrais lire ça..."

Sirius tendit une main presque timide en retour - Reg avait-il ensorcelé toutes ses affaires contre leur père ? Contre le chef de la maison Black ? Contre lui personnellement ? - mais aucune sensation étrange ne lui vint quand il se saisit du parchemin.

"Si mes souvenirs remontant aux Aspics sont justes, le premier est de toi ; c'est ton écriture", rajouta Remus avec un demi-sourire entendu.

Faute de savoir quoi dire, Sirius lut le premier parchemin :

'Reg,

Je fais parfois le cauchemar que tu es face à moi. Nos baguettes sont tirées.

Parfois, tu me tues ; parfois, c'est moi, qui débarrasse la surface de la terre d'un Black de trop.

Je me demande si tu fais le même. Après tout, il serait logique que tu rêves de m'éliminer. Ça fait un moment qu'on n'a plus les mêmes rêves, toi et moi. Tu dois rêver de pouvoir revendiquer le titre, de ne plus avoir honte de mes principes humanistes : que j'expire et donne raison à la généalogie des Black qui m'a radié... Ton cauchemar serait sans doute qu'on ait raison de ton satané Lord et qu'on rétablisse un peu de justice et d'égalité dans ce fichu monde.

Je t'écris parce que, moi, je ne peux plus dormir : ni rêve ni cauchemar... La réalité est trop réelle pour l'embellir ou la noircir.

Pas la peine de me répondre

Sirius'

"Quel sentimentalisme adolescent", regretta Sirius à haute voix, presque honteux. Qu'est-ce qui avait pu le conduire à écrire un texte pareil ? Il n'arrivait même plus à s'en rappeler. Et Reg avait gardé ça ? Pour en rire sûrement. Pour mesurer, à chaque fois que c'était nécessaire, tout ce qui l'avait définitivement séparé de son imbécile de frère aîné.

"Tu devrais regarder les autres parchemins. Il t'a finalement répondu. Plusieurs fois", commenta alors Remus d'une voix très douce.

Un sourcil arqué, Sirius s'exécuta. La première réponse était plus brève que sa propre missive et pas plus posée.

'Sirius

Les rêves et les cauchemars sont pour les enfants. Ni toi ni moi ne sommes plus des enfants innocents, si nous l'avons jamais été. Nous avons choisi. Ou nous l'avons été. Il était peut-être dans les intentions de la magie de nous mettre face à face de nous opposer, deux sangs purs, deux frères ennemis.

Je sais que tu te croies plus fort que moi. Et c'est ta faiblesse.

Regulus'

La dernière phrase sonnait un peu comme une malédiction. Sirius s'était effectivement cru très fort ; certainement plus fort que son petit frère - et ça avait été sa faiblesse face à Croutard... Une espèce de sueur d'angoisse lui coula dans le dos.

"Il y a une autre réponse", indiqua encore Remus. Sa voix était juste au dessus du murmure.

Sirius laissa donc le second parchemin s'enrouler et s'attaqua au troisième, notoirement plus long.

'Sirius,

Je ne rêve plus depuis longtemps maintenant. Je ne fais plus que des cauchemArs. C'est plus sûr. Comme toi, je crois que la réalité a pris toute la place disponible et anéanti toute imagination.

Non, ce n'est pas vrai.

Je rêve un peu malgré moi d'une chose.

Souvent.

Je suis face à toi et...

Parfois, tu veux bien t'asseoir et m'écouter. Pas souvent, Sirius, il faut Bien le dire. Tu as rarement eu la patience de t'asseoir et d'écouter, je le sais bien. Et de m'écouter, moI, je ne m'en souviens plus...

Les autres fois, tu me tues avant même que j'aie pu te parler. C'est peut-être pour le mieux.

Dans tous les cas, tu es mon juGe, et c'est bien Ainsi.

J'espère que tu vas venir avant qu'Il ne soit trop tard pour ce jugement, Sirius.

C'est mon dernier rêve et mon plus beau cauchemar.

L'avenir - le tien, le mien, celui de tous - en dépend quelque part

J'espère avoir le courage de poster cette lettre

Ton petit frère, Reg'

"Tu ne remarques rien ?", s'enquit Remus après un temps indéfini durant lequel Sirius avait bien dû relire la missive au moins trois fois, sidéré de l'appel, de la proximité de sentiments qui en transpiraient, sans parler de l'épithète 'ton petit frère', comme une plaidoirie.

"Qu'à nous deux, on ne ferait pas un seul écrivain potable ?", il essaya, mais sa voix cassée anéantit le sarcasme.

"Tu as vu les majuscules ? Il y a des lettres majuscules parfois à l'intérieur même d'un mot", souligna Remus.

"Reg aimait bien la calligraphie", se rappela Sirius à sa propre surprise. Lui-même avait détesté l'exercice.

"A, B, I, G, A, I, L", énuméra Remus, l'air presque exaspéré. "Abigail, Sirius !"

Sirius resta totalement interdit par l'insinuation. "Tu crois que c'est un hasard ?"

"Mais il n'a jamais envoyé cette lettre", contra timidement Sirius quand il osa ouvrir la bouche. "Et puis, je ne connais aucune Abigail - en lisant les lettres qu'elle lui a envoyées, je me suis dit que je ne voyais pas du tout qui ça pouvait être..."

"Mais tu parierais pour une sorcière ?"

"On parle de Reg, Lunard !"

"Alors, s'il y a eu une Abigail à Poudlard en même temps que lui, je vais le trouver", affirma son ami.

"Elle parle de Poudlard dans ses lettres", reconnut lentement Sirius en soulevant le cadre pour retrouver la correspondance en question. Il grimaça en sentant de nouveau le picotement ; il avait failli lâcher le cadre cette fois. "Saleté ! Je vais sortir la photo et te détruire..."

"Il a quoi, ce cadre ?", s'enquit son ami en le lui enlevant des mains.

"Il ne te fait rien ?", s'étonna Sirius qui secouait encore ses doigts par réflexe.

"Non."

"Donc plus probablement enchanté par Reg que par mes parents", estima Sirius tout en retournant les papiers. Quelque part, c'était une bonne nouvelle que ça ne fasse rien à Remus. "Ah voilà... je dirais qu'elle était à Poufsouffle - il me semble qu'elle parle d'un blaireau... à un moment..."

"Le cadre est enchanté ?", questionna Lunard sans sembler s'intéresser au reste. Sans attendre la confirmation de Sirius, il sortit sa baguette et jeta plusieurs sortilèges de détermination magique, sans tellement de résultats.

"Tu cherches trop compliqué", jugea Sirius. "Sans doute des trucs basés sur le sang... tu n'es pas un Black, ça ne te fait rien..."

"Et lui faisait comment alors pour le manipuler ?", objecta Remus.

"Pourquoi l'aurait-il manipulé ?"

"Pourquoi l'aurait-il protégé ?"

"Cinq points pour le professeur", reconnut lentement Sirius. Le silence se fit entre eux, chacun cherchant dans sa mémoire des solutions tordues et anciennes. "Il y aurait peut-être des trucs dans ses vieux livres", supposa Sirius en tendant la main vers la pile qu'il avait mise de côté.

"Ta chevalière", remarque alors Remus. Sirius le dévisagea. "Essaie sans ta chevalière..." Suivant la logique de son ami, Sirius obtempéra. Il reprit le cadre à pleine main, rien ne se passa.

"T'as pas volé ton diplôme, hein ?", reconnut-il dans un sourire.

"Donc protégé au moins de votre père... - si ça ne lui donnait pas envie de détruire ce cadre..."

"Ma mère portait aussi une chevalière", annonça Sirius, gêné plus qu'il n'avait envie de le reconnaître par la remarque de Remus : avait-il réagi comme Orion l'aurait fait ? Jamais un bon signe. "Et puis quand aurait-elle voulu contempler une photo de moi ?"

"Double protection en quelque sorte", apprécia Remus. "Il faut ouvrir... chercher ce que Regulus protégeait ainsi..."

Sirius retourna le cadre argenté entre ses mains, inconnu et pourtant étrangement familier, et soupira : "Il me faut un couteau..." Sans un mot, Remus plongea sa main dans sa poche et en sortit un couteau pliant que son ami reconnut. "Tu ne l'as pas perdu ?"

"Je suis ordonné."

"Tu.. aurais pu le jeter", souffla encore Sirius.

"J'y ai souvent songé et je n'ai jamais pu."

Ils se dévisagèrent longuement, puis Sirius prit l'arme - le manche était poli par le temps. Il l'ouvrit et testa la lame, affûtée comme le jour où il lui avait offert. Avec un soupir mêlant regret et résolution, il releva sa manche gauche et, d'un geste sec, entailla son poignet. La goutte tomba sur le cadre qui trembla sur tout son pourtour.

"Vieille magie de sang", souffla Remus, ouvertement fasciné.

Sans attendre ou commenter, Sirius retourna le cadre et fit jouer les fermetures. Il s'ouvrit sans un bruit. Entre le fond et la photo, il y avait bien un parchemin plié en quatre. Il le déplia en se demandant s'il allait tomber sur une lettre d'amour ou une recette de potions interdites.

"La liste des Horcruxes", commenta Remus venu lire par dessus son épaule.

"...et leur localisation", admit Sirius la gorge nouée. Son petit frère. Seul, face à ces monstruosités ? Tellement seul qu'il ne pouvait même pas supposer que leurs propres parents n'allaient pas le dénoncer...

"Il était sur leur piste. Il est mort en cherchant", murmura son ami suivant visiblement des pensées parallèles.

"C'est ce qu'avait dit Dumbledore", reconnut Sirius un peu à contrecoeur. Il n'avait pas voulu écouter trop précisément après la bataille chez les Jedusor. Il voulait retrouver son corps, sa femme, sa fille. Mais Ollivander avait dit aussi que Reg avait sans doute créé un Horcruxe et que cette création monstrueuse lui avait permis de sauver Harry. Il n'eut pas envie d'évoquer cette théorie à haute voix, là maintenant. Elle lui faisait trop peur.

"Il voulait sans doute que tu l'aides", imagina encore Remus en revenant à la lettre du début.

"Lui et cette Abigail ?", s'intéressa Sirius.

"Il faut qu'on la retrouve."

Ils sourirent. Ils avaient dit ça en même temps.

ooo

Remus, Harry, Cruz et Aesthelia étaient quelque part derrière lui dans le prétoire. Les journalistes avaient abondamment saisi leur entrée au Magenmagot ; ils seraient sans doute dans tous les journaux. Comme tous les jours précédents.

On lui trouvait fière allure malgré ses années à Azkaban, lui avait appris Aesthélia qui semblait beaucoup s'amuser à lire toute la presse. On la trouvait, elle : "mystérieuse", "plutôt gracieuse" ou "plutôt hautaine", selon qu'on approuvait ou non sa nationalité brésilienne. Un correspondant brésilien à Londres avait eu sa petite heure de gloire en dressant un portrait d'elle qui posait son sang pur "à l'aune brésilienne bien sûr", ses combats politiques en faveur des magies traditionnelles et sa réputation de grande universitaire.
Que diraient-ils quand elle raconterait sous serment qu'elle avait pris sur elle de le sortir d'Azkaban en utilisant des sorts de confusions amazoniens ? Barbara Straightford estimait qu'une majorité de l'opinion publique comprendrait le combat de la fiancée délaissée, de la mère, et que les juges s'inquiéteraient seulement de faire en sorte que l'échappée ne soit pas reproductible. Dire que Sirius espérait que ce serait le cas ne faisait pas justice à ses angoisses.

Cruz n'échappait pas davantage à la curiosité des journalistes - "l'enfant cachée", "l'enfant de l'amour", "l'héritière des Black". Sa ressemblance physique avec lui était soulignée. Lucius et Narcissa n'avaient ni commenté ni montré le bout de leur nez, pour l'instant, mais Androméda avait joué le jeu en racontant que la tapisserie l'avait immédiatement ajoutée avec la reconnaissance de Sirius de son héritage et de sa paternité. "Mais regardez-la, qui peut douter ?", avait souligné sa cousine.

C'est ce qu'il faut, avait jugé son avocate. Sans doute, pensa Sirius sans trop écouter les débats qui se poursuivaient : un type plus jeune que lui avait la tâche ingrate d'essayer de convaincre les juges que tout avait été effectivement fait pour prouver sa culpabilité presque dix ans auparavant. S'il ne cherchait pas à maintenir l'accusation et promettait à demi-mots des excuses du Ministère, il se battait avec une énergie assez impressionnante pour qu'on ne juge pas que la Division, à l'époque, n'avait pas fait de son mieux dans des circonstances qu'il avait été sans nul doute trop jeune pour comprendre. Vertigineux.

Les trois juges mobilisés avaient l'air d'en avoir encore plus assez que lui, estima Sirius. Son avocate, elle, continuait imperturbablement à démonter les arguments, à questionner, à remettre en cause les décisions :

"La Division, en n'écoutant pas mon client ; en lui refusant tout bénéfice du doute ; en se basant sur des apparences circonstancielles ; lui a fait vivre un cauchemar sans fin : non seulement il a été privé de sa liberté ; mais il a passé des années emprisonné en sachant que le vrai coupable courait encore ; sans avoir la consolation de pouvoir offrir un foyer à son filleul ; sans nouvelle de tous ceux qui comptaient pour lui..."

Sirius faillit intervenir. Tout ce que disait l'avocate était bien sûr vrai mais, accumulé... Il dut s'empêcher de se retourner pour voir comment Remus prenait les accusations implicites. Ils en avaient parlé mais est-ce que son ami était devenu assez fort pour voir la comédie ? Est-ce que ça ne réveillait pas ses plus profonds cauchemars ? Est-ce que lui, Sirius, n'était pas - en laissant flotter de telles accusations - en train de détruire toute la reconnaissance sociale que Remus avait patiemment construite ?

"... le rêve de mon client aujourd'hui est simplement de recommencer à vivre. Avec sa femme et sa fille. Avec son filleul. Avec ses amis et sa famille", précisa l'avocate en pointant dans la salle. Sirius décida qu'il pouvait donc se retourner vers le public. "Pour reprendre la place qui est de droit la sienne, il doit être lavé de tout soupçon - comment pourrait-il être un mari ou un père sans cela ? Mais ce tribunal reconnaîtra, je l'espère, que ça ne suffit pas. Pour pouvoir regarder son filleul dans les yeux, il doit avoir fait reconnaître toutes les responsabilités qui ont conduit à la mort de ses parents : la trahison d'un ami commun que la Division a commodément laissé s'enfuir."

L'accusation vola dans le prétoire qui explosa en commentaires excités. Les yeux de Sirius croisèrent ceux de ceux qui comptaient pour lui : Remus, impénétrable ; Harry, médusé ; Cruz, au-delà de l'ennui ; Aesthélia, au bord des larmes. Il ne sut pas si le rêve décrit par son avocate était accessible, mais le cauchemar lui semblait avoir de beaux jours devant lui.

oooooooooo

Voilà, voilà. Le dernier chapitre date de janvier 2015... et honnêtement, page blanche, blocage, tout ce que vous voulez, la suite ne venait pas. Cet été, j'ai tout relu et la suite est venue... petit à petit... enfin revenue, je dirais, parce qu'il me semble bien que c'était ce que j'avais en tête... On va voir si vous adhérez à la suite (j'imagine qu'il va sans doute relire tout ou une partie pour être dans l'affaire).

Je tiens à remercier LN-L'unique. Sans elle, qui a bien dû me demander une fois par trimestre "bon mais la suite de l'Envol, alors ?", peut-être que j'aurais commodément continué à me dire que je ferais ça plus tard... Merci aussi à Dina et Alixe qui ont été contentes, voire carrément sidérées, que je m'y remette...

J'ai quatre chapitres d'avance donc je ne devrais pas vous refaire le coup du big silence...