24 | Tant à apprendre encore
"L'héritier des Black gagne contre le Ministère", "Sirius Black gagne sur toute la ligne", "Sirius Black était innocent !" - la presse étalait en première page sa victoire de la veille.
Au terme de deux semaines épuisantes, le Magenmagot avait officiellement reconnu en fin d'après-midi qu'il était innocent de la trahison des Potter comme du crime d'avoir été un Mangemort.
L'auguste institution avait également reconnu qu'il avait été emprisonné à tort et que sa famille avait souffert de son éloignement comme de l'opprobre jetée sur son nom. Elle regrettait que Lady Black, alors encore Aesthelia Da Silva, ait utilisé des magies "non régulées sur le territoire britannique" pour permettre son évasion, mais ne la poursuivait pas pour ces faits "au vu des circonstances". Certains commentateurs soulignaient la "passion latine" de la nouvelle Lady Black, mais personne ne critiquait réellement le fond, puisqu'elle avait eu raison sur le fait de son innocence. "Les vainqueurs ont toujours raison", répétait souvent Orion Black. Sirius décida qu'il n'irait pas vérifier tout de suite ce que le portrait de son père pensait de sa dite victoire.
Son père serait peut-être satisfait que les dommages et intérêts soient historiquement conséquents - selon son avocate. Sirius lui n'arrivait pas à s'en réjouir. C'est Barbara Straightford qui avait réclamé de tels dédommagements, pas lui.
"Vous les donnerez à des oeuvres ou vous créerez une fondation si cet or vous dégoûte", avait-elle estimé. "Mais il faut que ça leur coûte. Sinon le doute persistera. "
Elle avait sans doute raison. Elle avait eu si souvent raison. Quand le Ministère dans un dernier assaut lui avait reproché de s'être enfui d'Azkaban, son avocate n'avait pas eu beaucoup de mal à faire reconnaître aux juges qu'il n'existait pas un seul recours juridique légal à quelqu'un dans sa situation.
"On peut estimer que mon client a fait pendant près de dix ans la preuve de son obéissance et de sa soumission aux règles de notre communauté en se soumettant à une peine inique", avait-elle souligné. "On peut aussi estimer qu'il était de son devoir de mari, de père et de parrain de faire reconnaître son innocence. C'est une désobéissance, oui, mais en l'absence d'alternative, on peut parler de désobéissance civique, dans le sens qu'elle assure l'esprit de justice !"
Les journalistes avaient adoré.
Victoire sur toute la ligne, donc. Il n'était pas encore tout à fait clair si le Ministère n'allait pas chercher à s'en prendre à Remus notamment en l'accusant de l'avoir fait sortir de la prison sorcière mais l'avocate pensait qu'ils auraient mauvais jeu de le tenter par le biais d'un procès. Pouvait-il le pousser hors de Poudlard ? Remus prétendait depuis des semaines qu'il était prêt à abandonner l'école, mais Sirius ne savait pas si leur amitié pourrait avaler ça aussi. Surtout que, si la réhabilitation de Sirius était complète, le procès de Peter Pettigrow restait à venir, le Magenmagot ayant décidé de traiter globalement les charges accumulées contre lui - de la trahison des Potter à l'enlèvement du jeune Harry. C'était un procès où Remus serait sans doute impliqué malgré lui. Un procès dangereux à plus d'un titre si Pettigrow se révélait capable de fissurer leur narration des événements au Manoir Jedusor. De Albus à Remus, tous semblaient estimer qu'il n'y avait aucun intérêt, que la seule circonstance atténuante possible pour leur ancien ami était de se peindre comme une victime de Voldemort et de Quirrell. Mais avaient-ils raison ?
C'est à ce point de ses pensées tumultueuses qu'Aesthélia vint le rejoindre, debout, à tourner les pages des journaux sans les lire.
"Ce n'est pas ce que tu voulais ? Ce qu'il fallait ?", demanda-t-elle très bas.
"Le prix m'inquiète toujours", lui livra Sirius. "C'est ce qu'il faut pour que je sois libre...pour toi et pour Cruz, mais ceux qui m'ont aidé..."
".. savaient ce qu'ils faisaient. Ne les infantilise pas, Sirius. Respecte le risque qu'ils ont pris..."
"Je... je... Je dois encore apprendre à dire merci", il arriva lentement à articuler. "On ne m'a jamais appris à remercier..."
"Tu seras là s'ils ont besoin de toi ; ils le savent, et c'est mieux que de dire merci", jugea sa femme. "Tu feras pour eux ce qu'ils ont fait pour toi."
"C'est une promesse."
Elle posa sa tête sur son épaule.
"En parlant de promesses..."
"Oh, Cruz aurait-elle demandé ton intervention ?", sourit-il. Il y avait quelque chose d'étonnamment gratifiant dans tout ça : une femme, une fille, les deux complotant pour obtenir des choses de lui... quelque chose qui lui faisait terriblement chaud au coeur.
"Non, tu leur as bien fait comprendre à tous les deux que tu viendrais quand tu pourrais et qu'ils seraient mal inspirés de réclamer encore", répondit sa femme avec une claire approbation. "Mais tu as besoin de passer à autre chose, et c'est une promesse importante... et autre chose que du droit, de la politique..."
"Oui", concéda-t-il facilement. Ça paraissait juste un peu chercher à s'échapper des réalités mais peut-être en avait-il le droit. Voire le devoir.
"Et puis, une fois que les enfants seront fatigués... les adultes pourront faire un point sur le reste", reprit Aesthélia toujours très sérieuse. "J'ai longuement parlé avec Tonks et Remus... cette histoire de Horcruxe de ton frère... il faut en avoir le coeur net, Sirius."
"On ne sait pas grand-chose...", objecta-t-il faiblement.
Pris par le procès, il avait vu ses intuitions intimes devenir une vraie enquête menée de manière efficace par ses amis. Remus avait épluché les registres de Poudlard pour se convaincre qu'une seule Abigail avait fréquenté l'école pendant l'entière scolarité de Regulus : une sang-mêlée, Abigail Grenhal. Deux ans plus jeune que Reg.
"Une sang-mêlée ?", avait répété Sirius, sidéré, quand Remus avait raconté. Devant le regard patient des autres, il n'avait pas creusé. Reg avait aimé une sang-mêlée. Pour un peu, il aurait été le clamer à tous les portraits de la galerie du premier.
Dora avait mis presque une semaine à retrouver cette mystérieuse égérie. Depuis la guerre, Abigail Grenhal vivait essentiellement du côté moldu, gagnant sa vie comme sage-femme à son compte. "Pas de mari. Pas d'enfant", avait précisé sa cousine en lui tendant l'adresse.
Non comptant d'avoir creusé dans la vie de son frère, la fine équipe s'était attaquée à la question des Horcruxes. Sirius ne savait pas d'où Remus tirait ses références - Albus ? Severus ? Mais la pile des choses à lire avait grandi. Comme il n'avait ni le temps ni l'envie, Aesthélia s'était plongée dans les grimoires avec un sérieux et une constance qui l'avaient sidérées. Il était clair que sa femme faisait bien plus clairement de ça que du procès une bataille personnelle.
"On sait qu'il l'a certainement fait ; on sait que ta cousine et son mari sont sur cette piste eux-aussi ; et Tonks a trouvé cette fameuse Abigail... Je ne crois pas qu'on puisse attendre de voir s'ils seront aussi bons enquêteurs qu'elle... ni laisser un tel matériel dans la nature... Un jour ou l'autre...", argumenta-t-elle sans surprise.
"Merlin", fut le seul mot que Sirius arriva à articuler. L'héritage de son frère était encore compliqué pour lui. Trop longtemps il l'avait tenu pour un Mangemort pur et simple, comme un rival, comme un double maléfique... ou pour un pauvre gars qui avait joué dans une ligue supérieure à la sienne et s'était fait laminer. Mais le prétentieux, ça avait été lui, Sirius Black. Ça, c'était maintenant plus clair que l'eau des fontaines de Poudlard. Et Regulus avait eu, au bout du compte, plus de cran, plus de compréhension, plus d'ambition également que lui.
"Allons à Poudlard... mets ta fille sur son fichu balai, tiens ta promesse envers ton filleul, et regardons l'avenir en face, Sirius", le pressa Aesthélia.
"Voilà un programme intimidant", approuva Sirius en la regardant avec un peu plus de décision. Il n'y avait jamais rien eu de mieux qu'un défi pour le faire bouger
oo
"Je vais voler ? Je vais vraiment voler ?", demandait Cruz en battant des mains et en sautillant autour de lui au milieu du salon de Remus à Poudlard.
"Tu vas vraiment essayer", proposa Sirius, content de sa joie, mais secrètement terrifié de ne pas être à la hauteur. Lui, enseigner quoi que ce soit à quiconque ?
"Tu viens, Harry !", décida la fillette.
Son filleul le regarda, et Sirius comprit que le gamin copiait trop Remus pour se joindre à eux sans y être expressément invité. En tout cas, encore pour l'instant.
"Tu seras sans doute un meilleur prof que moi", tenta-t-il, mais personne eut l'air d'apprécier sa boutade - ni Remus, ni Harry, ni Cruz. Ok, il fallait avoir l'air adulte et responsable. "Prends ton balai, Harry. C'est l'occasion de remonter dessus..."
Son filleul quémanda encore du regard l'approbation de Remus avant d'acquiescer gravement. C'était parfois un peu comme si un mini-James singeait un mini-Remus, sauf que Sirius savait que tout le monde était très sérieux. Même lui.
"Et moi, je peux venir ?", questionna alors Dora à moitié assise dans un des grands fauteuils du salon, ses jambes pendant sur le côté. "Je prendrais bien l'air pendant que les profs font leurs devoirs", ajouta-t-elle avec un geste de la main pour Aesthélia et Remus. "Je peux faire un tour avec Harry pendant que vous voyez les bases..."
Cette fois, ce fut Sirius qui regarda Remus.
"Je n'ai jamais interdit à Nymphadora de voler", remarqua ce dernier avec un ton sarcastique qui n'était pas dans son habitude. Je l'emmerde, songea Sirius. "Il me semble qu'elle est compétente..."
"Qu'est-ce que tu en dis, Harry ?", demanda encore Tonks, et Sirius mesura que sa cousine avait peut-être ses propres raisons de venir. "On pourra voler un peu plus loin le temps qu'ils voient les bases ?"
Et pourquoi tu ne l'as pas proposé avant, cousine, s'interrogea Sirius. Est-ce que Remus t'en a dissuadée ? Un coup d'oeil à son vieux pote le fit soupçonner qu'il avait raison. Incorrigible Lunard.
"Moi, je t'embauche comme assistante", décréta Sirius sentant qu'il devait peut-être bousculer Harry comme il fallait parfois bousculer Remus.
Les deux adultes et les deux enfants rejoignirent le terrain de Quidditch, déserté à cette heure, par des raccourcis que Harry et Cruz étaient fiers d'utiliser. Arrivés sur le terrain, Sirius regarda Dora qui sans attendre entraina Harry.
"On va les laisser, non ? Cruz a besoin de se concentrer. Une poursuite ?"
Harry ne se retourna qu'une fois avant de frapper le sol du talon : "Tu vas y arriver, Cruz. Moi, je sais que tu vas arriver !", promit-il gravement à la fillette.
"Reste plus que toi et moi", commenta Sirius pour faire revenir les yeux de sa fille sur lui. Gris, un peu intimidés, mais francs et plein d'espoir. "Ça n'est pas si difficile... en fait, voler sur un balai fait appel à une magie très instinctive. C'est pour cela que beaucoup d'enfants sorciers y arrivent très bien avant leur onze ans. Donc, moi, comme Harry, je pense que tu as tout ce qu'il faut pour arriver. Tu sais écouter ta magie, lui faire confiance... ça va aller."
L'enfant accepta l'augure d'un nouveau signe de tête grave et digne. Sirius sortit le balai emprunté à Poudlard de son étui et le posa au sol. Il sortit sa baguette pour poser un sort d'entrave qui l'empêcherait dans un premier temps de monter à plus de deux mètres ou de voler à pleine puissance. Sirius l'avait de nouveau promis solennellement à Aesthélia, il ne ferait pas prendre de risques inutiles à Cruz. Il était de toute façon facile d'adapter les conditions de vol.
"Tu veux que ce balai vienne dans ta main, Cruz. Juste ça", proposa-t-il ensuite.
Sa fille prit le temps de regarder le balai au sol, de l'étudier, de déglutir, de lui jeter plusieurs regards inquisiteurs qu'il ne sut pas exactement comment interpréter, avant de tendre sa main droite au dessus. Volontairement, il ne lui avait pas fourni d'incantation à prononcer. Il y avait de grandes chances qu'à son âge sa volonté suffise. Il ne fut pas déçu. Cruz leva des yeux étoilés vers lui comme s'il était la raison de sa réussite.
"Très bien, c'est un bon début. Ce balai veut bien de toi", sourit Sirius. "Voyons ce qui se passe si tu l'enfourches."
Avec le même sérieux que précédemment, Cruz enfourcha le balai, visiblement sur ses gardes, comme si elle pensait que le balai pouvait ruer ou se débarrasser d'elle d'une manière ou d'une autre. Quand rien de tel ne se passa, elle se risqua à regarder de nouveau Sirius. Au même moment, les cris ravis de Harry leur firent lever les yeux : il venait visiblement d'échapper de justesse à Tonks.
"Concentration, Cruzinha", rappela doucement Sirius en mettant sa main sur l'épaule de sa fille. "Concentration sur tes propres sensations. Rien d'autre."
"Oui, Papa", acquiesça l'enfant avec sérieux. Comme à chaque fois qu'elle utilisait ce mot pour l'appeler, Sirius en eut le souffle coupé de ravissement. Mais il pouvait sentir la magie, désordonnée mais puissante, affluer. Il fallait canaliser ça.
"Alors, on y va. Tu vas donner un coup de talon et tu devrais décoller... Essaie d'aller droit... Je suis là", rajouta-t-il autant pour lui que pour elle. Sa main avait déjà trouvé sa baguette.
Une nouvelle fois, Cruz sembla prendre le temps de se répéter ses instructions avant de les suivre. Peut-être pour le convaincre qu'il pouvait lui faire confiance... peut-être était-ce sa façon de faire... Il avait encore tant à apprendre sur elle.
Le coup de talon propulsa le balai en haut et en avant sans que l'enfant l'ait anticipé, mais elle s'accrocha, se penchant instinctivement en avant et retrouvant l'équilibre. Le balai accéléra jusqu'à sa vitesse maximale et l'emmena à la moitié du terrain en moins de temps qu'il faut pour le dire. Sirius crut que son coeur allait s'arrêter.
"Ralentis !", ordonna-t-il tout en se préparant à freiner le balai lui-même ou à amortir le choc s'il tombait trop vite, mais Cruz ralentit toute seule et resta dans les airs. Elle se retourna même vers lui et, sans trop réfléchir, entraîna le balai avec elle. Le virage ne fut pas totalement fluide mais ramena quand même la gamine vers son point de départ.
"Je suis allée trop loin ?", s'inquiéta-t-elle.
"Non, non, mais maîtriser ta vitesse... même quand tu voleras comme Harry, ça restera le plus important", commenta Sirius. "C'est toi qui décides de tout ce que fait le balai, pas le contraire", rajouta-t-il. L'idée sembla étonner et ravir la fillette. "Ok, essaie de faire des tours autour de moi, sans trop accélérer. Essaie d'être régulière, imagine le cercle dans ta tête."
Au quatrième passage, Sirius vit la détente et le plaisir sur le visage de Cruz. Au dixième, les à-coups avaient quasiment disparu. Ils pouvaient peut-être tenter un peu plus ambitieux. "Viens là !" Elle obéit immédiatement, de nouveau inquiète de son approbation, il le voyait bien, et c'était à la fois satisfaisant et intimidant. "Prête pour aller plus haut ?", demanda-t-il avec son meilleur sourire.
"Je peux ? Jusqu'où ?", s'enthousiasma l'enfant.
"Tu peux avec moi", il s'empressa de préciser, en tendant la main vers l'autre balai que Remus lui avait prêté. Il vint facilement dans sa main. Le bois était poli et huilé, bien entretenu. Évidemment. "Pour commencer, tu vas me suivre. Tu me montres que tu maîtrises le balai en passant exactement où je passe. D'accord ?"
"D'accord", répéta Cruz avec son inimitable ton sérieux. "Je vais faire de mon mieux."
"Si tu restes concentrée, ça va bien se passer. J'augmente un peu la vitesse et l'entrave permettra de monter à dix mètres..."
"J'ai déjà grimpé sur des arbres plus haut", l'informa sa fille.
"La première fois que tu as grimpé à un arbre ?", contra-t-il en étouffant le rire qui lui venait. Comment pouvait-elle autant lui ressembler sans le connaître ?
"Non", admit Cruz après un temps de réflexion. Au moins, elle était sincère.
"Alors concentrons-nous sur maintenant et sur le balai", répéta Sirius en donnant le coup de talon tant attendu.
Il commença par de grandes courbes puis tenta des virages plus secs, des changements d'altitudes. Visiblement très concentrée, Cruz le suivait sans à-coup. Ils passèrent à côté de Harry et Tonks qui se mirent derrière eux. Sirius entendit son filleul complimenter sa fille. Il accéléra un peu pour voir si elle maintenait son contrôle malgré la diversion. Tout sembla bien aller jusqu'au moment où il osa un virage assez sec autour des plots des buts de Quidditch. La manoeuvre surprit sans doute Cruz qui pila plutôt que tourner. Pris de court à son tour, Harry la heurta un peu fort. Mauvais réflexe sans doute, la fillette lâcha le balai et évita la chute uniquement parce que Harry la retint de ses deux bras au risque de se laisser entraîner lui aussi. Les balais tanguèrent avec leurs pilotes enlacés mais maintinrent leur altitude.
"Harry !", s'emporta Tonks, la baguette tirée, sans doute au cas où la chute avait continué. "Tu ne peux pas faire attention !? Tu la collais de trop près ! Ce n'est pas un match ou même une poursuite !"
"Ça va ?", questionna Sirius revenu sur ses traces pour juger de l'état de sa fille et aider les deux enfants à se repositionner sur leur balai respectif.
"J'ai cru que j'allais tomber", avoua Cruz en regardant vers le bas avec un oeil un peu craintif, sa main crispée sur sa manche.
"Je suis désolé, je...ne pensais pas que tu n'allais pas tourner", souffla Harry, assez blanc. "Désolé, Cruz, désolé Sirius !"
"On n'en est pas à la poursuite et à se faire peur. On en est à maîtriser ses gestes", énonça Sirius. "Tonks a raison : il faut laisser davantage de place à Cruz et, moi, j'aurais dû réaliser que ce virage était encore trop sec... Tu as eu un super réflexe en la retenant, Harry", il rajouta en essayant d'équilibrer les torts. "Bon, tu as eu ton compte, Cruzinha, ou on peut continuer encore un peu ?"
La fillette les regarda tour à tour et, Sirius en aurait mis sa main au feu, décida de continuer pour Harry.
"Alors, ce coup-ci, c'est toi qui ouvres la voie. On te suit. Personne à moins de un mètre d'elle, personne ne la dépasse, on fait comme elle. Harry, à toi l'honneur."
Son filleul obtempéra après avoir visiblement étouffé sa compulsion de s'excuser encore. Dora vint à sa hauteur quand il fut parti.
"Je suis nulle. Je veux qu'il m'accepte et je me retrouve à lui hurler dessus pour n'importe quoi !"
"Ce n'était pas n'importe quoi."
"Mais tu n'as pas hurlé ! Remus ou Aesthélia n'auraient pas hurlé", soupira sa cousine alors qu'ils se mettaient à suivre les enfants de loin.
"Hurler tous les deux n'avait pas de sens... Tu m'as évité d'avoir à hurler. Et... et je me rappelle de fois où c'est toi qui as calmé un Remus qui aurait bien étranglé Harry et Cyrus sur place..."
Tonks haussa les épaules mais une sorte de sourire traversa son visage.
"Tu veux quoi, entre toi et Harry ?", s'enquit Sirius en se mettant à suivre les enfants de loin, Dora à ses côtés.
"Je... être sa mère, je ne suis pas crédible... mais un peu mieux qu'une baby-sitter ?"
Sirius rit ouvertement.
"Je n'y connais pas grand-chose, Dora, mais je crois que le titre est moins important que la relation elle-même. Se connaître. Compter les uns sur les autres... en tout cas, c'est ce que je tente, moi..."
"Et tu y réussis", jugea Dora avec une certaine magnanimité envieuse. "Avec les deux. Et t'as gagné le procès - Maman en a pleuré, tu sais..."
"J'en viens à penser que c'était peut-être le plus facile..."
"A cause de Regulus, de ce qu'il aurait fait ?", murmura la jeune Auror.
"Par exemple. Je crois que ça fatigue là-dessous", estima Sirius en voyant sa fille tanguer pour la deuxième fois. "Tu récupères le balai ?"
Sans attendre la confirmation de sa cousine, il plongea en piqué sur Cruz et l'arracha de son balai. La fillette accompagna la suite de leur plongeon d'un hurlement ravi du meilleur effet. Sirius vérifia juste du coin de l'oeil, mais Dora et Harry avaient récupéré ensemble la monture abandonnée. Il se concentra donc sur une dernière pirouette qui laissa sa fille le souffle coupé.
"Encore un peu de boulot ?", lui proposa-t-il conscient de pousser son avantage mais incapable de s'en empêcher.
"Je veux apprendre", articula la fillette. "Tout !"
"Si tu continues à faire ce que je te dis..."
"Promis !"
Harry et Dora se posaient à côté d'eux. Sa cousine avait le balai de Cruz sur l'épaule. Harry avait un sourire qui disait à la fois son amitié pour Cruz et son envie. Sirius se pencha vers sa fille.
"Tu attends avec Dora, je fais une poursuite avec Harry ?" La fillette opina sans l'ombre d'une hésitation, et Sirius décolla en heurtant légèrement Harry et en proclamant : "Rattrape-moi si tu peux !"
ooo
"Abigail ?"
La femme, taille moyenne, cheveux serrés dans un chignon, corps sanglé d'un imperméable, se retourna d'un bloc. Elle avait le même visage que sur la photo prise par Tonks. Un visage dont ni lui ni Remus ne se rappelait. Poufsoufle, trois ans plus jeune qu'eux ? Ils avaient beau creusé leur mémoire, rien ne venait.
Elle repoussa la seule mèche qui s'est échappée de sa coiffure sévère et plissa des yeux pour l'observer.
"Sirius Black", elle articula très bas, l'air de ne pas croire ce qu'elle venait de dire.
"Abigail, j'aimerais vous parler", tenta Sirius, conscient de la présence amicale de Tonks deux pas à sa droite. "S'il vous plaît."
"Je... je vous croyais... empri... ou mort."
"Ni l'un ni l'autre. Abigail, s'il vous plaît."
"Ni que vous connaissiez mon nom. Reg pensait que non", elle rajouta, assez belliqueuse.
Reg. Le surnom. Son opinion. Tant d'années après.
"Je ne le connais pas depuis longtemps", admit Sirius avec tout l'humilité qu'il put réunir.
La femme s'abstint de commenter.
"Abigail, je ne sais pas - vous semblez avoir choisi de quitter... notre communauté. Croyez moi, je suis sans doute celui qui peut le mieux comprendre ce choix. Je ne sais pas ce que vous suivez de notre actualité... Je suis... j'ai finalement hérité de la maison Black", il choisit de formuler toujours conscient de leur exposition même s'il n'y avait que de rares passants. Sans savoir si elle reconnaîtrait le bijou, Sirius tendit sa main droite où la chevalière de son père devenait à la fois plus familière chaque jour et plus inquiétante. Abigail eut l'air de la reconnaître. "J'ai découvert... votre existence en triant les affaires de Reg... vos lettres..."
"Vous avez lu mes lettres !?"
"Oui", reconnut Sirius avec une infime hésitation due au fait de réaliser au milieu d'une rue moldue qu'il n'avait à aucun moment eu honte de cette lecture. Il aurait sans doute dû. "Différentes raisons me poussent à penser que je ne sais pas ce qui est vraiment arrivé à Regulus. Rien que vos lettres... je les ai amenées. Elles vous appartiennent", rajouta-t-il sur une inspiration. Donner pour recevoir. Ce n'était pas un truc de Black, mais ça marchait. Remus, Aesthelia, Dora, tous donnaient beaucoup et il les aimait pour cela.
"Qu'est-ce que vous voulez ?", souffla la femme.
"Parler de Regulus... de ce que vous savez de ce qu'il a fait... j'en ai besoin."
La femme le regarda longuement - un temps infini. Puis elle acquiesca très lentement et désigna sa porte, vingt mètres plus loin, d'un geste rapide. Sirius ne se retourna qu'une fois vers sa petite cousine qui d'un geste lui apprit qu'elle montait la garde dehors.
Dans sa maison, elle alla droit à sa cuisine, enleva son manteau et s'assit à la table - une table massive et patinée - sans prendre la peine de lui proposer quoi que ce soit. Il prit place en face d'elle.
"Je suis sorti de prison il y a peu", commença-t-il sans chercher lui non plus à tourner autour du pot. "J'ai poursuivi le Ministère et j'ai gagné mon procès. Je n'ai jamais trahi les Potter."
Il sortit un exemplaire de la Gazette qui titrait sur sa victoire. Elle y jeta un regard plutôt indifférent.
"J'ai récupéré mon héritage ; la maison de mes parents ; les affaires de Reg... et des gens aussi sont venus me parler... notamment de lui... J'en suis venu à me dire que... que je devais comprendre... Et puis, j'ai trouvé cette lettre et... je me suis décidé à vous chercher..."
Sirius fit glisser le parchemin parsemé de lettres en capitales sur le lourd plateau de table, mais la femme ne le prit pas.
"Je n'aurais jamais cru qu'un type comme vous m'aurait trouvée dans le monde moldu..."
"Je pense que j'y serai arrivé mais j'ai eu de l'aide", décida de reconnaître Sirius. "Ma cousine... elle m'attend dehors."
La femme pâlit si rapidement que Sirius en fut alarmé. "Quelle cousine ?"
Toujours étrange quand les gens en savaient davantage sur vous que vous sur eux. Mais si Reg s'était confié à elle...
"Nymphadora Tonks est ma petite cousine, la fille d'Andromeda Black et Ted Tonks... Mais Narcissa s'intéresse sérieusement aux affaires de Regulus. J'ai le sentiment que nous partageons une certaine réserve à l'idée qu'elle en examine le contenu."
Abigail préféra de nouveau prendre son temps pour répondre. Elle lut la lettre qu'il avait déposée, sans doute plusieurs fois, avant de reprendre.
"Reg... Reg était tellement désespéré de... de ne pas savoir comment vous contacter de manière sûre, Sirius... 'Lui, il saurait comment m'aider'... Combien de fois je l'ai entendu dire ça !", raconta Abigail avec un soupir désolé. Puis elle se leva, ouvrit un tiroir plein d'ustensiles pour y repêcher au fond sa baguette, tira la cuisinière moldue et frappa de sa baguette une carreau de céramique. Une cache apparut. Elle en tira une liasse de parchemins.
"Il y a ses lettres à lui..."
"Abigail, je suis content de savoir qu'il y a eu quelqu'un qui était là pour lui, mais..."
"Là par exemple : 'Abby, je ne vais pas m'en tirer, je le sais. J'ai fait ce que j'ai pu. Plus que je ne l'espérais. Reste que ça ne suffira sans doute pas. Si Sirius avait été à mes côtés, j'ose croire qu'on aurait pu faire plus que cela'..."
Elle n'avait pas vraiment lu. Plutôt récité. Dix ans sans doute qu'elle relisait ses mots.
"Mais comment, Abigail ? Vous l'avait-il raconté ?", osa-t-il doucement.
La femme à qui son frère s'était confiée le regarda longtemps par en dessous avant de répondre sur un ton sec : "Vous avez du mal à y croire c'est ça ? Une demi-Moldue avec mon frère ? Qu'est-ce qu'elle pouvait même y comprendre ?"
Sirius encaissa sans trop savoir pourquoi son sang restait si froid devant l'attaque gratuite. Peut-être comme le sentiment qu'il le méritait, pour tout ce qu'il n'avait pas vu et compris précédemment - un sacré long 'précédemment' si on voulait y réfléchir.
"Abigail, vous êtes allée à Poudlard et vous en êtes sortie avec sept Aspics", commença-t-il en abattant ses cartes réunies par d'autres - d'autres envers qui il était profondément redevable. "Les professeurs vous voyaient bien étudier la médecine magique et vous avez même commencé à le faire, et puis votre mère est tombée malade et vous avez arrêté le temps qu'elle aille mieux. Mais elle n'est pas allée mieux et la guerre non plus. Tout ce temps, vous avez réussi à cacher des yeux du monde votre relation avec mon frère. Il a continué à vous raconter ce qu'il faisait ; ses espoirs et ses doutes. Et moi, je ne croirais pas que vous puissiez comprendre ? Mais qu'est-ce que je ferais là, alors ?"
"C'est une bonne question", elle lui concéda quand elle eut digéré à son tour tout ce qu'il savait d'elle. "Je... j'ai du mal à savoir ce que vous attendez de moi... aujourd'hui... Je n'ai même jamais vu son corps..."
Sirius inspira, prit lui aussi le temps de laisser venir à lui la conviction, la sincérité - les seuls moyens de paiement dont il disposait qui importaient.
"Moi non plus, je n'ai jamais vu son corps. Et je ne sais pas ce qu'il encore possible de faire ou non. Mais la lettre laisse entendre... que peut-être Reg espérait que je prenne la suite... qu'il voulait que je sache des choses..."
"Mais Voldemort n'est plus", objecta Abigail sur un ton nouveau. Elle ne cherchait plus à cacher l'ampleur de ce qu'elle savait, nota Sirius.
"Non, mais... est-ce que... tout ce qu'il voulait qu'il soit fait l'a été ?"
De nouveau, la femme eut l'air traversée d'hésitations.
"Honnêtement, Monsieur Black..."
"Sirius."
Ils se regardèrent peut-être pour la première fois réellement en face, sans détourner le regard.
"Honnêtement, Sirius ?", elle reprit. Il opina plein d'espoirs et de craintes mélangés. "Je n'en sais rien." Il soupira. C'était comme si on venait de lui couper bras et jambes : Reg était mort, et rien ne pouvait être fait pour sa mémoire. Rien qui puisse apaiser ses regrets à lui. "Mais lui... lui pensait clairement que vous pourriez savoir..." Il releva la tête, et la femme confirma très bas : "J'espère que vous ne le décevrez pas."
oooo
Voilà, voilà, j'espère aussi que vous ne serez pas déçus parce que j'ai en tête... du connu, du transformé et du différent
Le 25 s'appelle Les codiciles de l'héritage et il faut absolument que je me mette à écrire le 27...
Merci d'être là pour me pousser !
Bises à Dina et LN sans qui vous n'auriez pas ce chapitre
