26 | L'art de la conversation

"Doit-on inviter Narcissa, Sirius ?", s'enquit Androméda la plume et le parchemin à la main. Au regard alarmé de l'interpellé, elle s'empressa de reculer : "Le chef de la maison Black peut bien sûr décider qu'elle n'est pas la bienvenue."

"Merlin, Meda", soupira Sirius. "Ne commence pas à trop y croire, toi aussi. Ne me colle pas un rôle que je ne souhaite ni de près ni de loin ! Je te demande humblement et simplement de m'aider avec ces mondanités que mon avocate juge nécessaires..."

"Sans problème, Sirius. J'aurais dû le proposer moi-même. C'est la chose à faire - que beaucoup de gens attendent même, le coupa sa cousine. "Et si ça te rassure, c'est la preuve aussi que tu m'as effectivement... réintégrée. Si des gens doutent encore..."

Sirius eut vaguement l'impression que Ted assis entre eux deux essayait de ravaler son agacement face à la sensibilité de sa femme sur la question. Seul le temps sans doute effacerait la douleur d'un rejet historique. Bien avant moi, songea Sirius.

"Narcissa doute-t-elle ?", s'enquit-il. Il n'avait pas hâte de recroiser les Malefoy tant qu'il n'avait pas décrypté le journal de Regulus. L'idée qu'il pouvait leur lâcher quelque chose que son frère avait voulu sauvegarder suffisait sans surprise à le priver de sommeil. Mais peut-être que des événements sociaux pouvaient les faire attendre.

"Non, je ne pense pas", estima sérieusement Andromeda. "Elle a vu la tapisserie et elle te connait."

"Mais ça te fera plaisir de la voir ici dans ce salon ?", imagina Sirius. Peut-être projetait-il ses désirs confus et impossibles de réparation de ses propres relations fraternelles.

"Quelque part... oui... Ce n'est pas réellement une vengeance mais... la fin d'une certaine souffrance", admit sa cousine en le regardant avec un air assumé de connivence.

"Alors qu'elle vienne", décida Sirius.

"Mais, tes objectifs sont les plus importants", s'inquiéta encore Andromeda.

"Quelque part, je ne peux pas me payer le luxe de l'ignorer ou de m'en faire une ennemie" posa Sirius presque à son corps défendant. "Elle peut choisir de le devenir mais je ne vais pas faire le boulot pour elle", reformula-t-il. "Ça rentre donc pleinement dans mes objectifs."

Ted apprécia d'un geste sobre de la tête. C'était sans doute un bon signe.

"Ça veut dire que tu seras là ?", s'enquit Aesthélia à sa droite. Sa femme était pour beaucoup dans le fait qu'il se soit rangé aux suggestions de Straightford. Elle semblait tenir tout cela au rang de péripéties, d'offrandes à des dieux mineurs et sans réelle importance. Elle n'oubliait pas le journal de Regulus et ses étranges ramifications ; il restait sa priorité ; mais elle acceptait avec pas mal de légèreté ces fonctions sociales.

"Je ne vais pas t'abandonner !", lui promit Sirius.

"Mais Sirius, est-ce que tu ne m'as pas expliqué que ton avocate voulait qu'on nous voie beaucoup, ensemble, séparément ? Je n'ai pas besoin que tu me tiennes la main ; Androméda est là et... garde ton temps pour nos recherches, pour être vu ailleurs", objecta Aesthélia, rappelant une fois encore ses propres priorités. Il aurait fallu rajouter Cruz mais inscrire leur fille dans la paysage britannique passait aussi par ce genre d'événements. Sans doute.

-"Nymphadora nous a dit que..." - "Remus ne devait pas organiser une série de rencontres..." renchérirent Ted et Meda se coupant mutuellement la parole.

"Avec et sans lui, si, si, ne vous inquiétez pas", se rendit Sirius en levant les deux mains. "Si vous ne voulez pas de moi pour ce thé, je ne me battrai certainement pas. Et j'ai toute confiance en vous deux - si vous avez besoin de l'entendre", rajouta-t-il pour sa cousine et sa femme qui, toutes les deux lui sourire.

Bien, songea-t-il, déléguer des batailles était peut-être quelque chose qu'il pouvait apprendre à faire.

oo

"Tu ne m'en veux pas ?", questionna quand même une fois encore Sirius alors que Aesthélia mettait la dernière main à son costume. Le thé chez Méda était l'après-midi et lui-même serait à Londres. Déléguer lui paraissait encore par moment comme une désertion.

"Je crois que je suis en train d'acquérir une vision plus claire des raisons de l'impatience d'un certain jeune homme britannique, il y a quelques années", commenta Aesthélia lentement. C'étaient des arguments qu'elle avait répété et répété maintenant.

"Mais tu avances, Sirius. Je ne vais pas à l'ensemble des rendez-vous que tu te tapes, mais je sens que tu assures ton capital sympathie, et il semble que c'est le plus important. Je ne pensais pas un jour être reconnaissante à ma grand-mère d'avoir voulu faire de moi une maîtresse de maison sorcière... mais je crois que ça va me servir !"

"Si elles ne voient en toi qu'une maîtresse de maison exotique, elles n'auront rien compris", jugea Sirius.

"Je prends ça aussi comme une expérience anthropologique, une chance d'observer dans leur élément des membres d'une toute petite tribu sorcière qui refuse de lâcher ses traditions", ajouta plus malicieusement Aesthélia.

Sirius en riait encore alors qu'il arrivait à son rendez-vous avec un "entrepreneur progressiste mais bien toléré des traditionalistes", comme Remus l'avait décrit - Greengrass. Il devait le retrouver dans un club assez exclusif mais affichant une certaine ouverture : les Grandes Lumières. Un choix qu'aurait certainement désapprouvé Orion - lui-même était resté fidèle au très ancien Club des Baguettes Tirées. Sirius se demanda pour la première fois si Orion y avait emmené Regulus quand son frère avait eu l'âge... Abigail avait dit que Reg détestait ouvertement Orion au moins à la fin de sa vie mais quand cette dérive avait-elle eu lieu ? Tant de choses qu'il ne savait pas.

"Monsieur Black !" l'accueillit Hyperion Greengrass en se levant à son approche.

"Enchanté", salua Sirius. "Je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontrés."

"Je crois que nous nous sommes croisés, enfant pour vous et adolescent pour moi", précisa Hyperion Greengrass.

Grande famille de sangs-purs, pas de cousinage direct - Sirius avait fait ses devoirs avant de venir - mais sans doute des tas de relations informelles.

"Nos pères étaient amis", rajouta Greengrass. "J'espère que ça ne vous donnera pas l'impulsion de me quitter séance tenante."

"On vous a bien renseigné."

"Ne pensez pas que ce soient Lucius ou Narcissa" s'empressa de préciser Greengrass. "Cela fait un assez long moment que nous n'avons plus du tout les mêmes vues sur l'avenir"

"Vraiment ?"

"Ma femme et mes filles sont au thé organisé par votre cousine Andromeda, mais je comprendrais que ça ne vous suffise pas", commença Greengrass. "Ma famille soutenait clairement une approche suprématiste, je ne vous apprends rien. Je ne me suis pas engagé personnellement ni dans un sens ni dans l'autre pendant le feu de la guerre et j'imagine que quelqu'un comme vous aura du mal à me le pardonner. Mais j'ai depuis voyagé et forgé mes propres opinions. Les communautés dynamiques, inventives et prospères aujourd'hui sont des communautés qui ne font pas que vénérer un passé fantasmé et dépassé ; ce ne sont pas non plus celles qui par peur de déplaire à l'une ou l'autre de ses composantes sont à l'arrêt..."

L'entrepreneur vérifia que Sirius avait compris ses sous-entendus puis il reprit : "Mon rêve aujourd'hui, c'est d'insuffler dans cette communauté plus de dynamisme, d'inventivité et de prospérité. Croyez-moi, si de plus en plus de gens partagent ces envies, les forces d'opposition sont encore considérables. Je ne vous cache pas que je cherche des alliés."

"Vous voulez être le prochain ministre de la Magie, Monsieur Greengrass ?", tenta Sirius partagé entre une certaine admiration pour l'éloquence de l'homme d'affaire et une méfiance constitutionnelle pour la démarche.

"Nous n'en sommes pas encore là", sourit Greengrass. Sirius nota qu'il n'avait pas dit non. "Ce que j'ai en tête, aujourd'hui, c'est de créer un lieu où ces rêves pourraient s'exprimer ; une fondation, peut-être ; un endroit où les débats seraient possibles et où des entrepreneurs et des inventeurs pourraient se rencontrer et se soutenir mutuellement..."

"Une banque ?", reformula Sirius. Greengrass voulait son or ? Pourquoi pas, après tout, il ne savait sincèrement pas quoi en faire.

"Les investissements sont un moyen d'action", reconnut Greengrass, "mais il ne s'agit pas non plus de se mettre les Gobelins à dos ou de se limiter à la mise sur le marché de nouveau produits. J'espère des tas de débats : sur la société, la place des femmes, des elfes, des créatures, la justice, l'enseignement... que sais-je ? Tout ce qui peut remuer des idées un peu trop figées me semble utile."

"Pas mal", admit sobrement Sirius. "Reste que je ne saisis pas obligatoirement quelle serait ma place. Je ne suis pas un inventeur, ni un débatteur..."

"Vous êtes un homme qui vient d'obtenir une victoire spectaculaire devant le Magenmagot et qui ne semble pas être prêt à s'arrêter là. Vous êtes un homme ouvertement ami avec un loup-garou ; un homme qui s'est marié à l'autre bout de la terre avec une femme qui défend les magies traditionnelles et méconnues - j'ai voyagé en Amérique latine, je mesure ce qu'elle fait ; vous êtes aussi l'héritier des Black ; vous êtes exactement ce dont j'ai besoin."

OOO

Comme prévu Sirius rentra directement de son étonnante et dynamisante rencontre avec Greengrass à Square Grimmaurt où il devait retrouver sa femme et sa fille. Il avait essayé de ne pas trop penser à l'événement social en cours, ou d'y penser positivement. Rien ne pouvait réellement mal tourné, après tout.

Il fut néanmoins mis en alerte par le fait que personne n'était dans les pièces du rez-de-chaussée. C'était aussi inhabituel que possible dans une demeure où ils avaient tous que peu d'habitudes. Mais Cruz n'était pas du genre qui restait dans sa chambre, même pour lire ou jouer. Sirius partit à leur recherche dans les étages et trouva d'abord sa femme dans leur chambre.

"Ça ne s'est pas bien passé ?", s'inquiéta-t-il en découvrant Aesthélia allongée sur leur lit, l'air pensive.

"Narcissa ne t'a pas appelé ? J'étais sûre que ce serait la première chose qu'elle ferait", commenta sa femme en se redressant.

"Elle t'a ennuyé avec les affaires de Regulus ?", s'inquiéta Sirius. Combien de temps faudrait-il aux Malefoy pour réclamer, voire pour faire plus que réclamer ?

"Elle ne t'a pas appelé", comprit Aesthélia. "Bon, eh bien, allons-y. Cruz a frappé Drago..."

"Pardon ?"

"Je suis désolée, Sirius. Je ne l'ai pas élevée comme ça", soupira sa femme.

"Mais... qu'est-ce qu'il s'est passé ?", questionna Sirius en s'asseyant à ses côtés, sans oser la toucher parce qu'il irradiait d'elle quelque chose qu'il ne connaissait pas. Quelque chose d'intimidant.

Aesthalia ouvrit et referma la bouche, puis articula avec une étrange distance :

"Je crois que c'est mieux que tu lui demandes toi-même. Je ne veux pas t'influencer."

Sirius retourna chacun des mots et les examina et en conclut qu'il ferait mieux de vérifier ce que sa femme entendait par là : "C'est-à-dire ?"

"Je pourrais te dire que les torts sont partagés - c'est plus ou moins ce que j'ai tiré de Harry ; que Cruz déteste les injustices ; et que Drago... mais ça ne justifie pas la violence, et c'est déjà ce que je lui ai dit. Elle est dans sa chambre, elle t'attend."

"Entendons-nous bien, tu me refiles le traitement de toute cette histoire alors que je n'étais pas là ? N'est-ce pas totalement injuste pour moi - voire pour Cruz ?" , s'enquit Sirius après un demi-seconde de stupéfaction.

"Je l'ai grondée", soupira Aesthélia. "Mais de toute façon, depuis qu'elle a vu la réaction et les menaces de Narcissa, elle pense que tu vas la radier de ta descendance... Tu es aussi celui qui lui a dit hier encore qu'être Black, ici, c'était porter une médaille invisible qui donnait une influence certaine mais, du coup aussi, certains devoirs... Et dans cette histoire, c'est en sa qualité de Black que sa réaction est jugée, non ?"

"Mais, j'ai aucune idée de ce qu'il s'est passé", objecta encore Sirius.

"Je n'en ai pas vu beaucoup plus. Quand je suis arrivée sur les lieux, Drago se roulait par terre comme un footballeur brésilien, mais je ne crois pas qu'elle l'ait réellement blessé... Jusqu'à cet incident, je trouvais même qu'ils avaient l'air de s'entendre plutôt bien, tous ces mômes. Harry avait l'air de gérer les jeux et les interactions. J'avais relâché ma vigilance sur ce front-là."

"Harry est là ?", espéra soudain Sirius. Peut-être que son filleul lui donnerait un compte-rendu un peu plus factuel.

"Non, je l'ai renvoyé à Remus depuis la cheminée d'Androméda. C'est... un truc qu'on doit régler tous les trois... juste nous... Non ?"

Le regard de sa femme était plus qu'inquisiteur. Sirius se gratta la tête.

"Merlin, Aesthélia, j'ai l'impression que c'est surtout un test pour moi... au final."

"D'une certaine façon, oui. Tu as l'impression que je me défile ?"

"Un peu, oui... Comment veux-tu même que je sache quoi faire ?"

"Tu sais quoi faire, Sirius !", s'agaça Aesthélia pour la première fois.

"Vraiment ?"

"Cruz sait ce que je pense de la violence. Elle ne sait pas ce que, toi, tu en penses."

"Aesthélia", grogna Sirius. "Merlin, je m'en fiche de Drago ! S'il est deux secondes comme chacun de ses parents, je ne suis pas loin de penser qu'il l'a sans doute bien mérité !"

"Eh bien, va lui dire qu'elle a bien fait", conclut sa femme avec un regard clairement narquois.

"Aesthélia..."

"Sirius, je suis sincèrement désolée de ne pas avoir pu prévenir cet incident", promit Aesthélia en se penchant vers lui et en l'enlaçant. "Mais tu ne peux pas confortablement rester en dehors des conséquences. De tas de façons, ça serait nier des tas de choses... Si je décide seule, je ne te laisse pas une place qui te revient... et qu'elle attend que tu prennes... Ta relation avec Cruz, ta décision. "

Enlacée contre elle, dans un silence confortable malgré ses doute, Sirius finit par se pénétrer de la logique d'Aesthélia. Assez pour que refuser lui paraisse comme une lâcheté impossible. Arrivé à ce stade, il enleva la chevalière d'Orion et la posa sur la table de nuit. L'idée de partir à la recherche de sa fille dans cette fichue barraque avec le bijou à son doigt ramenait des images trop inquiétantes et des craintes trop insurmontables. Il ne voulait pas être Orion. De multiples façons, il voulait une rupture, et il l'avait dit la veille à Cruz tout autant qu'il avait effectivement parlé de médaille invisible :

"En te faisant porter les noms de ta mère et le mien, j'appelle de mes voeux une nouvelle lignée... qui serait libérée de certaines pratiques occultes, de certaines obsessions de pureté ou de supériorité, tu comprends ?"

Cruz avait dit que oui avec son air le plus sérieux. Puis, elle avait le lendemain frappé son cousin Drago. Merlin...

"Je te fais confiance", souffla Aesthélia quand il se releva de leur lit et sortit de la chambre. Il préféra ne pas se retourner.

Les tapis d'un bleu profond avalèrent efficacement le bruit de ses pas - évitant opportunément de répéter l'écho, sans doute inscrit dans les murs, de ceux d'Orion. Sirius arriva ainsi trop vite devant la porte de la chambre de sa fille - peinte en violet et décorée des quatre étoiles principales de la Croix du Sud, comme celle de sa chambre brésilienne devant laquelle Cyrus avait été si jaloux. Le décorateur avait totalement validé la requête d'Aesthélia en la matière, et Sirius n'avait pas raconté toutes les questions qui lui étaient venues dans l'appartement de Rio. La porte violette semblait aujourd'hui répéter qu'il ne savait quasiment rien de sa fille et qu'il avait peu de légitimité pour se trouver là, planté sur la moquette bleu nuit, à hésiter sur la meilleure façon d'avoir la conversation que Aesthélia jugeait nécessaire.

La main sur la poignée de la porte, Sirius revit Remus se préparer avant d'ouvrir celle de Harry pour essayer d'avoir une conversation qui ne l'amène pas à sévir. Voilà, c'était clairement son tour. Sauf qu'il n'avait pas l'expérience. Il n'avait pas non plus la patience de son ami. Et les faits étaient quand même apparemment plus graves qu'une porte trop rapidement claquée... Clémente Cerridwen !

Fatigué de sa propre indécision, Sirius ouvrit finalement la porte sans frapper. Cruz, qui était roulée en boule sur son lit, en sauta comme une flèche et se jeta dans ses bras - comme Cyrus avait pu le faire, l'expérience était claire et accessible. Culpabilité mais aussi confiance en lui - s'il voulait bien le voir.

"Daddy, eu sinto muito muito, Daddy ! Eu sei que eu não teria tido que o golpear ! Ele não quis parar !", lui assura la fillette.

Sirius trouvait toujours charmant que Cruz garde en portugais le mot "Daddy" pour le désigner - comme elle gardait "Mãe" pour désigner Aesthélia, même quand elle parlait anglais. Mais il n'était pas là pour trouver des excuses charmantes. Et il ne se pensait pas capable de la gronder en portugais - si c'était bien ça qu'il était censé faire.

"Et si on reprenait depuis le début... Qu'est-ce que Drago a bien pu faire pour que tu le frappes ?", questionna-t-il en décidant de soulever sa fille du sol et de les asseoir tous les deux sur le lit.

"Tu ne sais pas ?", s'étonna la fillette.

"Je te demande à toi", répondit Sirius, sidéré de trouver cette répartie. Mais il aurait pu trouver pire. Dire que sa mère ne voulait pas en dire plus aurait été sans doute pire.

Après un instant de curiosité inquiète, Cruz se mit à raconter : "Je... Au début, Drago, il... il était gentil avec moi. Il me donnait toujours raison... pour les jeux. Harry avait dit qu'il serait sans doute comme ça... obséquieux, il a dit - c'est le mot ?"

"Ça peut être le mot", faillit sourire Sirius. Il ne s'en fallut que de peu.

"Mais il n'était pas aussi gentil avec les autres... Par exemple Susan Bones - il n'arrêtait pas de lui dire qu'elle ne serait jamais comme nous, que même Harry avait un sang plus pur qu'elle... sans parler de ce qu'il était un héros - même que ça agaçait Harry mais, en même temps, c'était vrai, non ?"

"J'ose espérer que tu n'as pas développé tout ce que tu sais de l'héroïsme de Harry", s'inquiéta Sirius.

"Non, Daddy, non... il ne faut pas. Je sais", lui assura Cruz. "Elle a essayé de l'ignorer, mais il a continué. Harry lui a demandé d'arrêter, je lui ai demandé d'arrêter, il a continué..."

"Tu l'as frappé", compléta Sirius en espérant avoir gardé une voix suffisamment neutre.

Cruz opina d'un geste minuscule, de souris. Sirius eut envie de la serrer contre lui et se demanda comment il arrivait à résister à cette impulsion.

"Ce n'est pas bien de frapper les gens", articula la fillette. "Pas bien du tout... Je sais."

"Tu sais ?", répéta Sirius faute de meilleure idée.

"Eu lamento", répéta sa fille revenant au portugais. "Muito, muito, muito..."

"Ah oui, sans doute", commenta Sirius, désemparé devant les deux yeux gris écarquillés qui lui faisaient face. Lui-même avait été des années complètes désolé d'être tombé dans un piège et ça n'avait servi à rien. "Sauf que ça ne répare pas grand-chose d'être désolée, Cruzinha..."

"On va penser que je suis une sauvage", estima l'enfant. Sirius imagina qu'elle citait Aesthélia. Peut-être pour lui faire plaisir. Sauf que lui se fichait comme d'une guigne qu'elle soit prise pour une sauvage. Mais pas qu'elle se croie libre de frapper d'autres personnes. Non. Peut-être que lui-même, s'il s'était moins cru supérieur aux autres, ne serait pas tombé si aveuglement dans le piège dressé par un Peter Pettigrow. C'était la méthode qu'il fallait disqualifier.

"Est-ce que tu penses que Drago va changer d'avis sur Susan parce que tu lui as fait mal ?", il questionna donc plutôt.

Apparemment surprise, Cruz parut réfléchir réellement avant de répondre d'une assez petite voix : "Sans doute pas... Pas qu'il est vraiment méchant mais il a ces idées... bizarres... C'est comme ces garçons de Rio avec qui je m'étais battue... parce qu'ils disaient qu'aucun indien ne pouvait être un sorcier... Mãe m'a punie et, eux, ils ont dit que j'étais une sauvage, une Indienne et personne ne voulait plus jouer avec moi", soupira sa fille, estimant clairement qu'elle était la perdante de l'affaire. "Un jour, je me suis retrouvée avec l'un d'eux à une fête de l'université - Marcello... et on était les seuls enfants... On a fini par jouer... et c'est devenu un ami... Il ne dit plus trop de mal des Indiens - pas devant moi, en tout cas..."

"Remarquable", jugea Sirius avec sincérité, insidieusement heureux qu'elle lui raconte un petit morceau de sa vie. Mais ce n'est pas la première fois, réalisa-t-il aussi plus sombrement. Est-ce que Aesthélia espérait que son opinion à lui fasse plus que la sienne répétée pendant des années ?

"Eu sento", souffla la gamine en lui prenant la main. "Daddy, eu sento ter batido Drago !"

"Pourquoi tu ne t'es pas rappelé de Marcello quand Drago a dit ces bêtises sur Susan?", arriva à creuser Sirius.

"Je... j'ai pensé longtemps à Marcello, mais Susan a eu des larmes aux yeux et... Tu es fâché ? Eu sento..."

"Moi aussi, Cruz, je suis désolé", soupira Sirius. "Je vais devoir m'excuser de ton comportement auprès de ses parents et, crois-moi, ils sont les derniers auprès de qui j'ai envie d'avoir une dette de quelque nature que ce soit !"

"Eu sento..."

"Tu peux", confirma Sirius, se demandant vaguement s'il serait plus avisé de rendre visite aux Malefoy ou si sa position de "chef de famille" l'autorisait à régler ça par cheminée.

Loin sans doute de ses considérations, Cruz se mit à se tortiller comme si elle en avait assez d'être là, ou attendait qu'il dise autre chose. Quand il la regarda pour comprendre pourquoi, elle balbutia :

"Je... je suis privée de balai ?"

Merlin, il faut sans doute que je trouve une punition, réalisa Sirius.

"En effet", confirma-t-il lentement, après être arrivé assez vite à la conclusion qu'il n'avait pas d'autres idées. Ça créait même une sorte de continuité, espéra-t-il. Est-ce que ça va aller pour tout ? s'inquiéta-t-il ensuite avec sincérité.

"Longtemps ?", s'enquit Cruz après avoir visiblement débattu avec elle-même de l'opportunité de poser la question.

"A ton avis ?", se risqua Sirius - après tout, il pourrait toujours la détromper si la proposition était ridiculement courte.

"Longtemps", soupira la fillette.

Sirius décida qu'il pouvait sans doute la prendre dans ses bras en guise de consolation et aussi pour la remercier d'avoir trouvé comment terminer cette conversation où il avait sans doute appris plus qu'elle.

oooo

Une fois la fillette endormie, après de nouvelles excuses bilingues et une histoire, Sirius se retourna vers sa femme. Elle n'était plus dans leur chambre. Il la trouva dans le bureau face à une haute et intimidante pile de livres. Elle leva les yeux du parchemin qu'elle déchiffrait, et ils se dévisagèrent d'abord en silence.

"Alors ?", s'enquit-elle.

"Longue interdiction de vol ?", sourit-il quêtant son approbation. Aesthélia eut un infime hochement de reconnaissance et sembla ne pas envisager d'en demander plus.

"Tu vas appeler ta cousine ?"

Sirius soupira. "Il va faire falloir faire quelque chose", reconnut-il. "Dis-moi, elle s'est excusée chez Andromeda ?"

"Non, elle s'est enfuie."

"Pardon ?"

"Cruz n'est pas toujours... Non, souvent, elle ne sait pas prendre ses responsabilités", énonça Aesthélia, l'air de nouveau un peu distante, comme au début de leur conversation dans la chambre. "Elle se sait en tort, elle part."

Sirius longtemps silencieux, digérant l'information et se demandant ce que son ami Remus ferait à sa place. Des excuses sans doute étaient une priorité, décida-t-il. Lui-même ne voyait pas de raison de protéger Cruz des conséquences de ses actions - ce n'était pas ce qu'il voulait pour elle réalisa-t-il lentement. Lui apprendre à faire face ne pouvait pas être une mauvaise chose, non ?

"Je vais leur proposer de venir nous voir tous les trois", annonça-t-il en prenant la main de sa femme. "Ici, sur notre terrain. Elle s'excusera. Ça fera une moyenne."

Aesthélia eut l'air surprise mais pas pour les raisons que Sirius aurait anticipées : "Tu n'as pas peur qu'ils demandent les affaires de Régulus ?"

"On peut leur donner déjà ces cartons-là", proposa-t-il en désignant la pile montée dans le coin du bureau. "Ils veulent ces vieilleries, qu'ils les prennent. Nous savons maintenant que l'important est ailleurs", ajouta-t-il en s'asseyant à côté d'elle et en se saisissant du journal. Il ne portait pas sa chevalière, il ne risquait rien. Mais avec ou sans chevalière, les pages restaient obstinément vierges. L'important peut-être mais pas le plus transparent.

"Je cherche, mais je ne trouve rien de plus sur la manière de faire apparaître du texte;.. on a tout essayé ou presque", soupira Aesthélia lui donnant sans doute tacitement raison - ou au moins son accord - sur les autres points.

"Reg, tu aurais pu nous laisser plus de pistes", marmonna Sirius en tournant les pages résolument blanches et vides du journal. "Ce n'est même pas un monologue de ta part ! Tu laisses passer une chance pareille de me river le clou ? Ça ne te ressemble pas !"

"Un monologue", répéta Aesthélia à mi-voix. Sirius leva les yeux vers elle. "Il y a deux types de journaux intimes magiques", continua sa femme avec une certaine excitation : "Les monologues et, plus rares, les dialogues..."

"Des dialogues entre qui et qui ?"

"Le lecteur et celui qui a écrit le journal. Si c'est la volonté de l'auteur, le lecteur autorisé peut entrer en interaction", récita Aesthélia en tirant un volume de la pile sans doute pour étayer ses dires. Aesthélia comme Remus parlaient souvent un livre à la main. "Beaucoup de professeurs de magie italiens de la Renaissance ont fait cela", lut elle à haute voix. "Le plus célèbre est sans doute Giambattista della Porta dont les écrits ont traversé les siècles..."

"La Renaissance italienne, Reg ?", interrogea Sirius à la cantonade. Ça avait de la classe, il fallait le reconnaître. Même Orion n'y aurait pas trouvé à redire. "Sauf que comment entre-t-on en interaction ?"

Aesthélia qui avait continué silencieusement sa lecture releva brusquement la tête;

"Souvent, il faut écrire sur les pages laissées blanches", indiqua-t-elle

"Ce n'est pas comme si les pages blanches manquaient", admit Sirius.

Il lui fallut trente secondes sans doute pour se rapprocher du bureau pour poser le journal ouvert et se saisir d'une plume dans l'encrier. Orion avait toujours détesté qu'il écrive sur son genou ou allongé, se rappela-t-il avec un frisson ancien. Incertain, Sirius resta un nouveau moment la main levée, sans oser même essayer, sans trouver quoi écrire. Puis, il regarda Aesthélia qui l'encouragea d'un signe de tête. Il inspira, raffermit sa prise autour de la plume et traça :

'J'avais autrefois un petit frère malin et drôle quand il le voulait bien. Il s'appelait Regulus et je n'ai pas su le garder près de moi.'

Il s'arrêta assumant les mots qu'il venait d'écrire mais se demandant s'ils suffiraient. La page en dessous de ces deux lignes restait uniformément blanche.

'J'ai longtemps cru que nous n'avions plus rien à nous dire mais j'ai appris récemment que je me trompais sur lui, sur moi, sur ce qui nous séparait ou nous rapprochait', se remit-il à écrire en essayant d'être bien lisible.

Ses doigts étaient un peu malhabiles par manque d'entraînement, mais les mots se formaient comme un flux continue dans sa tête, se bousculaient pour qu'ils les transcrivent. Une plume-papote serait plus facile, mais une plume patote ne serait sans doute pas considéré par la magie du journal comme une tentative valide et sincère pour entrer en communication.

'J'aimerais tant aujourd'hui comprendre ce qu'il a fait, comment et pourquoi. J'aimerais tant aujourd'hui pouvoir m'excuser de toutes les fois où je l'ai repoussé, moqué ou humilié...', continua Sirius étrangement ému par l'exercice.

Il sentit le frisson dans le parchemin avant de voir les mots se tracer sous les siens, dans une encre grise et épaisse et selon l'écriture bien formée de Regulus.

'J'avais autrefois un grand frère malin et drôle même quand il n'aurait pas fallu. Nos parents ne lui ont pas laissé la place de devenir autre chose que leur ennemi, et j'ai été la première victime de leur opposition.'

"Reg...", souffla Sirius à mi-voix.

'J'ai tant espéré que, un jour, je pourrais te raconter, Sirius. Qu'un jour tu voudrais savoir, que tu serais prêt à lire ce que j'ai fait, comment et pourquoi. Demande et tu sauras.'

oooooo

Désolée pour le long délai. J'ai eu des ennuis numériques en cascade - d'ordi en panne à connexion qui flanche, en passant par des pertes de fichiers et d'identifiants... Bref, on s'y remet doucement. Et là, je me suis relancée sur le développement autour de Regulus, non ?

Chapitre dédié à mes trois reviewers du chapitre précédent : Noellou, Chris63 et EliieEvans