27 | Une autre forme de forêt

'Quand j'ai compris qu'il avait travaillé à se rendre immortel, je n'ai plus dormi, Sirius. J'avais signé pour rendre sa grandeur aux Sangs-Purs - pas parce que c'était réellement ma priorité, Sirius, j'espère que tu voudras bien le croire. Mais les alternatives étaient faibles : je n'avais pas les notes pour faire l'Auror comme toi ; pas réellement l'envie non plus. J'aurais vraiment aimé étudier pour devenir Briseur de sorts, je crois, mais c'était la guerre. Père, Mère, tout le monde me le répétait du matin au soir : "Regulus, c'est la guerre, tu dois faire ton devoir". La plupart de mes amis, toute la famille - sauf toi- avaient choisi les Mangemorts. Qui étais-je pour faire un choix différent ?

Déjà, je n'étais pas toi.

C'est comme ça, sans le vouloir vraiment mais sans le refuser tout à fait, que je me suis retrouvé à suivre Jedusor, un type brillant certes, mais au sang moins pur que moi. J'ai essayé d'en parler avec Mère, mais ça ne l'intéressait pas. Ça ne l'intéressait pas parce qu'elle pensait qu'il n'était qu'un moyen. Moi, je voyais qu'il n'était pas qu'un moyen ; je voyais que tout cela le servait lui, et lui seul, et personne ne voulait m'écouter.

Je me suis retrouvé larbin de Bellatrix comme quand on était môme... comme s'il m'avait manqué un truc pour douter ! Elle était contente de me trainer dans ces projets glauques, de me faire tuer et torturer... et vomir... Tu ne me croiras pas mais j'ai vomis... au moins autant que lorsque Père nous avait montré des Inferi. Il aurait eu honte - Bellatrix n'a pas manqué de le souligner.

Comme elle me méprisait, Bella ne se méfiait pas tellement de moi. C'est comme ça que j'ai compris, grâce aux documents qu'elle détenait et aux conversations qu'elle avait, comment Voldemort imaginait la suite... pas vraiment une prise de pouvoir des Sangs-Purs, mais la perpétuation de son propre pouvoir, sans partage et sans fin...

Un pouvoir immortel ? C'était tellement effrayant.'

Quelque part dans la maison, des voix résonnèrent le ramenant au présent. Sirius leva des yeux pleins de larmes des lignes grises qui apparaissaient et disparaissaient petit à petit dans le journal. Depuis hier soir, il lisait avec de très brèves interruptions - quand il s'était endormi sur le journal ; quand Aesthélia l'avait forcé à manger... Le temps avait passé sans qu'il s'en rende compte.

Il avait lu toute la peine de Regulus au moment de son départ ; tout son espoir que leurs parents reviennent sur leur décision ou que quelqu'un - l'oncle Alphard par exemple - trouve le moyen d'une médiation. Tous ces espoirs avaient été bien sûr déçus ; Alphard n'avait même pas tenté quoi que ce soit, à ce qu'en savait Reg. "Tu es mieux sans eux", avait-il dit à Sirius ; mais ça son petit frère ne le savait pas et avait continué à passer des nuits à s'interroger et à espérer. Ça n'avait pas été facile à lire.

A la rentrée, quand Sirius l'avait ouvertement évité et pris de haut dans les couloirs de Poudlard, Reg avait succombé à la colère et à l'envie de lui rendre la monnaie de la pièce.'C'est comme ça que tout a été foutu en l'air entre nous, hein, Sirius ? Un moment, il n'y a plus eu ni excuse ni réconciliation désirables. Le vide et la solitude. Cette grande baraque de plus en plus froide à chaque vacances, les parents de plus en plus fous. Sans Abigail, j'aurais sans doute fait une vraie connerie.'

Inhabituellement fortes et agités, les voix qu'il avait entendues se rapprochèrent, les mots portugais devenant distincts malgré son état de quasi transe. Il y avait deux voix. Elles s'affrontèrent finalement pile devant sa porte.

"Cruz, tu te mets dans un état désolant," essayait sa femme d'une voix épuisée. "Je te demande d'aller te doucher et te changer parce que les Malefoy viennent. Ton père veut que tu fasses de vraies excuses à Drago..."

"Jamais !"

"Oh, je crois que tu t'avances quand même beaucoup, jeune fille ! Jamais désigne une très longue période de temps. Surtout pour quelqu'un qui aspire à remonter un jour sur un balai", rétorqua Aesthelia plus dure et impatiente qu'il ne lui avait jamais entendu avec leur fille.

"Papa n'a pas dit ça hier ! Il l'aurait dit ça !"

Le fait que Cruz prétende ça prit Sirius totalement par surprise. Il nota quand même que l'accès au balai devenait un enjeu central dans la vie de sa fille.

"Mais tu lui as dit que tu regrettais de l'avoir frappé. Et personne ne te demande de faire plus que répéter ça en face de Drago !"

"Mais !", protesta encore la voix de sa fille. "Qu'il me le dise, lui ! Il est où Papa, d'abord ?"

"Cruz Magalhis Black Da Silva, tu obéis, maintenant !", martela Aesthélia ayant visiblement atteint la limite de sa proverbiale patience. "Maintenant", répéta-t-elle en séparant les syllabes.

L'affrontement ne s'arrêta pas pour autant. Les deux voix continuèrent de s'opposer à peu près sur les même bases, mais en s'éloignant de sa porte avant de s'éteindre. Ayant dépassé sa surprise, Sirius allait se lever et aller voir quand la porte s'ouvrit sur Aesthélia au bord des larmes.

"Désolée, je vais me calmer", annonça-t-elle sans le regarder.

"Raconte-moi", proposa Sirius en se portant à sa rencontre pour la serrer entre ses bras.

Aesthelia mit un certain temps à y arriver.

"Cruz ne voulait pas revenir de Poudlard - on ne lui avait pas dit ce matin qu'elle ne resterait pas... Quand elle a su que c'était parce que les Malefoy venaient, elle a explosé et s'est jetée dans les bras de Remus... Il lui a dit qu'il ne la garderait pas alors que ses parents avaient des projets pour elle, mais elle hurlait... Je crois que Harry a eu un peu peur... Bref, on a de quoi avoir honte", regretta Aesthelia contre lui. "J'ai dû aller la chercher physiquement, pas que ça se soit passé plus calmement qu'à travers la cheminée... Je lui ai répété qu'elle ne pouvait pas s'enfuir toute sa vie... qu'on serait là, qu'elle n'avait qu'à redire ce qu'elle n'a cessé de nous répéter, après tout, mais rien n'y fait réellement."

"Elle... Ne le prends surtout pas pour ce que ce n'est pas, Aesthélia, mais est-ce qu'elle... ?"

"Oui elle peut se mettre dans un état pareil... pas si souvent, mais ce n'est pas la première fois", confirma sa femme très bas.

"Ce sont ces fois-là où tu m'en voulais ?", supposa Sirius.

Aesthelia leva des yeux surpris vers lui en guise de confirmation.

"Je suis désolée... Elle est... Par des tas d'autres côtés, c'est une chouette petite fille, mais... quand elle se braque !"

"Elle m'a sauvé la vie et m'accepté comme père, il fallait bien qu'elle ait des défauts aussi", proposa Sirius en lui caressant le dos. "J'imagine qu'elle a peur aussi parce qu'elle ne sait pas tellement à quoi s'attendre... de ma part, de celle des Malefoy... Je peux essayer de la rassurer sur ces deux points-là."

"On peut sans doute y aller ensemble... ayons l'air unis", proposa Aesthelia après un profond soupir.

"Nous sommes unis, non ?"

"Sirius", soupira Aesthélia contre son épaule. "Tu es... je t'aime..."

"On va aller lui apprendre la bonne nouvelle", proposa Sirius, et il eut la joie d'entendre brièvement le rire de sa femme.

Leur fille était assise sur son lit à moitié habillée, ou déshabillée, indécise et en larmes quand ils entrèrent dans sa chambre. Ils se regardèrent, puis Sirius suivit l'exemple de sa femme, et ils s'assirent sur le sol. Ne pas la dominer, analysa Sirius. Lui laisser de la place... Le contraire de ce que Orion aurait fait - voilà qui était rassurant.

"Tu étais là, Papa ?", se risqua Cruz.

"Je travaillais dans le bureau", reconnut Sirius. "J'allais sortir mais tu as eu la bonne idée d'obéir", rajouta-t-il en essayant d'être léger, mais ça ne sonnait pas très bien. "Qu'est-ce qui est si compliqué que tu hurles comme ça, Cruzinha ?"

"Tu n'avais pas dit... pour les excuses", l'accusa la fillette avec son air sérieux.

"Je ne savais pas que tu ne t'étais pas excusée. Et je suis un papa débutant, je ne pense certainement pas à tout."

Cruz eut l'air sincèrement désarmé par cet aveu.

"Si je ne m'excuse pas...? ", vérifia-t-elle encore.

"Pourquoi tu ne t'excuserais pas puisque que tu regrettes ?", tenta Sirius. Est-ce que lui pouvait apprendre à sa fille à s'excuser ? Est-ce que ce serait un changement suffisant pour lever sur sa lignée une partie des malédictions qui pesait sur elle ? Il lui semblait que Regulus l'aurait pensé.

"J'aime pas", marmonna la fillette avec sa franchise assez constitutionnelle. Aesthélia leva les yeux au ciel.

"Je crois que ça ne va pas suffire pour ne pas le faire", énonça Sirius quand il eut ravalé son envie de rire à gorge déployée.

"Il va se croire le plus fort, Drago", objecta encore Cruz.

"Pas obligatoirement", compatit Sirius en se demandant s'il devait lui promettre de dire clairement qu'il ne trouvait pas incompréhensible la réaction de sa fille, sur le fond. Dans les faits, il comptait bien faire quelques remarques aux Malefoy sur l'opportunité d'humilier une autre petite invitée. Mais prévenir Cruz de cela n'était peut-être pas afficher un message clair sur ce qu'il attendait d'elle. "On sera là, Cruzinha. On sera avec toi et derrière toi, et je ne crois pas qu'il croira obligatoirement que c'est sa victoire. Parce que reconnaître ses torts, ce n'est pas une défaite..."

Il ne fut pas sûr que Cruz comprit le fond de son propos. Peut-être qu'il devrait demander à Remus de lui parler. C'était le genre de question sur lesquelles ce vieux Lunard pouvait raisonner pendant des heures.

"Et demain, je peux voler ?", tenta la fillette.

"Certainement pas !", s'écria Aesthélia.

"C'est Papa qui dit !", estima leur fille, pas plus calmement. Sur l'instant leur ton leur voix leur expression corporelle étaient si identiques qu'il en eut le vertige.

"Certainement pas", répéta Sirius d'une voix un peu incertaine. Sa fille braqua ses yeux gris sur lui. "On a dit longtemps non, il me semble ? Une journée, ce n'est pas "longtemps" - si ?"

"Non", admit Cruz du bout des lèvres.

"Nous voilà d'accord", espéra Sirius. Aesthélia lui sourit et lui se demanda s'il osait aller plus loin. "Je crois que... ta maman mérite des excuses aussi."

Le regard de Cruz alla de l'un à l'autre puis céda :

"Je m'excuse d'avoir... fait une scène..." Elle cacha ensuite son visage entre ses mains; "Remus ne voudra plus jamais que je vienne !"

Sirius et Aesthelia eurent le même instinct d'aller la prendre dans leurs bras, et le résultat fut un peu confus et les fit rire tous les trois ; pas qu'ils n'aient pas eu besoin de rire, estima Sirius.

"Tu excusera auprès de lui aussi", proposa Aesthélia, "et je suis sûre qu'il comprendra."

"Moi, je sais qu'il comprendra", ajouta Sirius. "Je sais qu'il voudra de toi comme filleule comme il veut de moi comme ami ; comme je veux de toi comme fille et comme Aesthelia veut de moi comme mari... Cruzinha, on ne lâche pas l'affaire dès qu'on n'est pas d'accord..."

"On ne peut pas prendre que le bon", abonda Aesthelia. "Quand on tient aux gens, on prend tout - le bon et le moins bon..."

"Je veux que vous restiez ensemble toujours", souffla Cruz d'une voix un peu précipitée. "Je veux...qu'on reste tous ensemble... Je vais m'excuser."

"Et t'habiller avant", rajouta Aesthelia, ouvertement soulagée,"et te coiffer comme une petite fille sage que tu n'es pas, mais ils n'ont pas besoin de le savoir."

"Et Papa, lui, il va les recevoir comme ça ?", questionna Cruz en désignant Sirius qui était toujours dans ses vêtements d'hier soir. Aesthélia eut un petit geste de la tête qui ne trompait pas.

"Ok, je vais me déguiser de mon côté en chef de la maison Black, comme un garçon sage que je ne suis pas, mais je dois donner l'exemple", accepta Sirius avec bonne grâce.

Il sortit de sa salle de bain rasé et vêtu avec une robe propre et repassée pour trouver sa femme et sa fille visiblement réconciliées, changées, assises enlacées sur le lit.

"Tu es chic", décida la plus jeune. Les yeux d'Aesthelia confirmèrent.

"Merci", sourit Sirius en prenant sa chevalière sur la table de chevet et en la glissant à son doigt.

"Tu l'avais enlevée !?", remarqua à la fillette.

"Il y a certaines choses que je ne peux pas faire avec", répondit-il avec sincérité. "Mais c'est important pour que je la porte pour rencontrer Narcissa, Lucius et Drago... plus pour eux que pour moi."

"Pour qu'ils sachent que tu es le chef ?"

"Un peu", admit Sirius à contrecoeur. Jamais il n'avait voulu être le chef de rien. En tout cas, pas comme ça. Pas autant.

La sonnette de la porte retentit alors dans la maison.

"Allons donc faire ces excuses", soupira Sirius en prenant la main de Cruz qui avait l'air d'avoir de nouveau envie de s'enfuir.

"Nous sommes là derrière toi quoi qu'il arrive", répéta Aesthelia en la poussant légèrement dans le dos.

ooo

Les Malfoy s'étaient alignés dans le hall. Le père, la mère, le fils. Sirius emmena sa propre famille à leur rencontre.

"Merci de vous être déplacés. Aesthélia et moi étions si désolés", mentit Sirius avec simplicité. Lucius n'eut pas l'air convaincu, mais Narcissa sourit vaguement satisfaite, et le jeune Drago eut l'air sidéré qu'il lui serre à lui aussi la main. "Entrons dans le salon et installons nous, proposa-t-il. "Les elfes vont nous amener des rafraîchissements".

"Nous apprécions, Sirius", commença Narcissa dès qu'ils furent assis. "C'est très dommage ce qu'il s'est passé chez Andromeda."

"Tout à fait. Et Cruz a quelque chose à dire à Drago."

La fillette regarda de biais mais ne lui imposa pas d'insister.

"Drago, je suis désolée. Je n'aurais pas dû te frapper même si tu embêtait Susan", énonça-t-elle d'une voix claire qui bluffa Sirius.

"On ne se frappe pas entre cousins", souligna Narcissa le nez froncé de désapprobation.

Sirius se permit de sourire : "Je me souviens pourtant de certaines fois..."

"Nous étions très jeunes", prétendit sa cousine.

"Et mal élevés", estima Sirius. Narcissa se retourna brusquement vers lui, et il soutint son regard. "Je veux croire que ça ne se reproduira plus. Cruz saura trouver d'autres moyens de marquer son désaccord, et Drago fera sans doute plus attention à ne pas vexer les amis de sa cousine..."

Lucius et Narcissa échangèrent un regard rapide.

"Sirius, je comprends que tu aurais voulu que l'après-midi se termine sur une autre note, et j'entends que notre jeune Cruz ne s'est pas sentie... respectée par Drago. Nous en avons parlé. Drago est... n'a aucun cousin et il se faisait une joie de la rencontrer. Il a eu du mal à partager", tenta l'avocat.

Ils ne sont toujours pas prêts à me braquer, moi, même pour leur gosse, jugea Sirius sans arriver à s'en réjouir. Est-ce qu'il avait envie de toute cette préséance implicite dans les paroles de Lucius ? Est-ce qu'il avait envie que sa fille pense qu'elle avait autorité sur Drago en vertu de son appartenance à la branche aînée ? Mais c'est moi qui ai commencé à jouer les chefs de famille et, comme ça leur a paru normal, ils entretiennent le fonctionnement, réalisa-t-il. Fallait-il qu'il s'assoit par terre pour leur montrer qu'il ne voulait pas les dominer ? C'était sans doute renoncer à son avantage, et son avocate désapprouverait bruyamment. Mais pourtant, s'il fallait changer des choses...

"Je suis désolé, Cruz, si je t'ai... agacé. Je ne savais pas que Susan Bones était ton amie" ajouta Drago après son père ait tapoté son épaule, renforçant les doutes de Sirius.

"Susan... je ne la connaissais pas, mais... tu la faisais pleurer", remarqua Cruz avec un bref regard de contrôle sur la réaction de Sirius à sa formulation. "Je t'ai demandé d'arrêter. Harry aussi. Tu continuais... Ce n'est pas une excuse", rajouta-t-elle, un peu en catastrophe.

Drago ouvrait des yeux totalement sidérés devant les paroles de la fillette, droite dans sa robe rouge sombre, les cheveux retenus de chaque côté par une barrette assortie. Il faut dire qu'il n'a pas dû souvent avoir des conversations aussi franches avec quiconque, songea Sirius avec un élan de sollicitude pour son petit cousin.

"Mais, on est cousins", articula Drago en se retenant visiblement de regarder ses propres parents.

"Je ne te connais pas", estima Cruz sans acrimonie, comme elle aurait énoncé les propriétés d'une plante médicinale.

"On a le même sang, enfin pas mal du même sang ! On est de la même famille !", insista l'héritier des Malefoy.

Ses deux parents semblaient se retenir d'intervenir, s'abimant dans la contemplation du décor du salon. Cruz, elle, regarda Sirius attendant clairement qu'il lui donne une direction à suivre. Lui-même aurait bien aimé en avoir une.

"Peut-être que vous pourriez essayer de vous apprivoiser mutuellement", proposa-t-il à défaut de suivre son premier instinct qui aurait été de mettre les Malefoy dehors. "Voir si vous pouvez vous entendre ; vous êtes effectivement cousins..."

Cruz le regarda comme pour vérifier qu'elle avait bien compris.

"On a un jeu de bavboules", proposa-t-elle après un évident effort pour trouver une idée.

Sirius ne fut pas certain que Drago aurait accepté sans la poussée de sa mère dans son dos. Mais les deux enfants sortirent ensemble.

"C'est une petite fille... sûre d'elle même", estima Narcissa le nez froncé, mais ce n'était sans doute pas totalement une critique dans sa bouche. Sirius ne se rappelait que d'une petite fille plus sûre d'elle-même que Narcissa : sa soeur Bellatrix - que les entrailles d'Azkaban la digèrent !

"Elle n'est pas habituée à avoir autant de regards qui jugent ses parents à travers elle", commenta Aesthelia, sans doute avec trop de franchise. "Elle connaît mieux la forêt que la diplomatie..."

"Il faudrait lui expliquer que la diplomatie n'est qu'une autre forme de forêt", conseilla aimablement Lucius.

"On pourrait aussi espérer que forts de ces éclaircissements mutuels, Drago et Cruz se passent de diplomatie", formula Sirius.

"Comme des cousins", approuva Narcissa pour une certaine inquiétude de Sirius. Il décida de l'ignorer. "D'ailleurs, Sirius nous espérons toujours ta... coopération" - Peut-être que j'aurais mieux fait de les virer.

"Narcissa, il n'y a pas d'urgence", estima Lucius ayant peut-être senti sa tension. "Sirius n'en a certainement pas encore fini de ses procès. Tu vois beaucoup de monde à ce que l'on me raconte..."

"Je fais avancer mes affaires", reconnut sobrement Sirius. "Mais j'ai commencé à trier tout ce que le décorateur avait mis de côté. De vieux livres, de vieux souvenirs... et je me suis demandé ce que vous vouliez en faire", décida-t-il de demander. Peut-être qu'il faut prendre modèle sur Cruz et dire les choses, qui sait ?

"Il n'y a peut-être rien à en tirer", admit Lucius avec une indifférence très étudiée.

"Mais l'idée qu'il puisse y avoir des choses... Je sais que tu souhaites... marquer une forme de rupture", rajouta Narcissa. "Ce n'est pas ma place d'en juger mais ne jette rien sans... je suis très... nostalgique de cette époque, quand nous étions une seule grande famille unie.. Tu as tes raisons pour te débarrasser de certains souvenirs ; c'est ton droit mais... je suis prête à les conserver pour toute notre famille, Sirius."

"Je peux vous envoyer les premiers cartons que j'ai validés", proposa Sirius, et l'éclair de convoitise dans les yeux de sa cousine le désola. Non, il n'arriverait certainement pas à se réconcilier avec elle ou Lucius, que Cruz se retienne, ou non, d'assommer Drago avec des bavboules.

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Quand les Malefoy partirent sans autre incident et avec leurs cartons, Aesthelia, Cruz et Sirius partagèrent un jeu de bavboules assez libérateur et sans arrière pensée, puis un dîner assez calme et tranquille. Cruz raconta avec enthousiasme des leçons qu'elle suivait avec Harry à Poudlard. A la demande de la fillette, Sirius retourna lire des histoires pour aider à son endormissement. C'étaient des albums que Cruz ramenait des stocks de Harry, écrits pour des enfants légèrement plus jeunes qu'elle, mais elle semblait les apprécier. Peut-être parce que le style était accessible alors que l'anglais restait une langue dans laquelle elle cherchait une partie de ses mots, songea Sirius quand sa fille lui demanda ce que voulait dire : "vagabond".

"Tu as fait de grands progrès très vite", il commenta après avoir expliqué. "Je ne fais pas beaucoup d'effort pour te parler en portugais."

"Mãe parle en portugais. Je n'oublie pas mais je veux apprendre l'anglais... je veux connaître tous les mots !"

"Personne ne connaît tous les mots, Cruzinha", sourit Sirius. "Mais tu as raison de vouloir comprendre les mots et de demander des explications."

"Drago... il a dit que Susan elle était quand même... fré-quen-table", l'informa Cruz en se tournant vers lui. "Parce qu'elle... qu'elle n'était pas une... Sang-de-bourde ?"

"Sang-de-bourbe", corrigea automatiquement Sirius mais ses poings se serrèrent.

"Oui !", reconnut la fillette avant de commenter avec plein plus de circonspection. "Tu es fâché ?"

"Pas contre toi", assura Sirius en repoussant avec plus de compétence qu'il ne s'en croyait capable les sentiments de colère qui l'assaillaient. "Mais... si je t'entendais utiliser ce mot pour désigner quiconque, je le serais. C'est une insulte, Cruzinha. Un mot qui dit que le sang des personnes n'est pas... pur... Bourbe c'est un autre mot pour la boue, ou le dépôt d'un liquide... l'inverse de transparent, clair."

"Mais le sang de tout le monde est pareil", commenta Cruz avec conviction. "C'est comme dire que les Indiens sont des sauvages et que leur magie vaut moins ?"

"Exactement. Généralement, des gens de sangs-purs ou qui aimeraient l'être insultent de cette façon des sorciers nés de parents non sorciers", confirma Sirius, soulagé par la réaction de sa fille. A son âge, il employait sans arrière-pensée le terme, pas loin de penser que c'était une catégorie objective.

"Drago, il aime bien se dire que son sang est meilleur que les autres", continua Cruz. "Il m'a dit aussi que j'étais la branche aînée des Black mais lui la branche aînée des Malefoy... Je ne savais pas trop quoi dire alors je l'ai laissé gagner aux bavboules... J'aurais pu gagner mais... il avait l'air content de gagner..."

"Tu es plus sage que lui", sourit Sirius. "Je ne l'excuse de rien, Cruz. Il a tort de penser que son sang le rend supérieur aux autres ; mais je sais aussi que c'est ce qu'on lui répète. C'est sans doute bien qu'il rencontre des gens comme toi qu'il ne peut pas tellement insulter et qui ne pensent pas comme lui... Moi, il a fallu que je rencontre James, le père de Harry, son père biologique. Son sang était aussi pur que le mien, mais on ne lui avait jamais répété que le monde magique devait s'aplatir devant lui, ou que son sang le rendait plus important ou plus fort... C'est lui qui m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses."

"La pureté du sang ne rend pas plus fort magiquement ?", vérifia Cruz très sérieusement. Cyrus ne pensait pas que Aesthelia ait dit le contraire, mais la rencontre de Drago devait remuer les questions. Et elle ne sait pas ce que, moi, j'en pense, se rappela Sirius. Comme pour l'usage de la violence quelque part.

"Certains sorciers sont plus forts que d'autres" commença-t-il lentement, cherchant ses arguments. "Il y a une part de formation et d'entraînement et, quand tu es né dans une famille de sorciers, tu apprends à maîtriser tes pouvoirs plus jeunes, comme toi et Harry. Quand à onze ans, tu rencontres des enfants qui ne savaient même pas que la magie existait jusqu'au jour où ils ont reçu une lettre, tu peux croire que tu es meilleur qu'eux. Mais c'est juste qu'on t'en a appris davantage. Je te ne dis pas que c'est obligatoirement facile de rattraper cette différence mais ce n'est pas impossible et, dans tous les cas, ça ne rend pas leur magie moins respectable."

"Non", approuva Cruz. "C'est comme les magies indiennes, elles sont juste différentes... ni meilleures, ni moins bonnes... juste différentes."

"Et les sorciers les plus forts, en bien comme en mal, ne sont pas toujours des Sangs-Purs loin s'en faut", reprit Sirius, songeant aux écrits de Regulus, à sa surprise en réalisant que Voldemort était un Sang-Mêlé.

"Mais toi, avec l'anneau qui se nourrit de ton sang, tu es plus fort ?", remarqua Cruz le prenant par surprise.

"Pardon ?" Cruz fit un geste un peu timide vers sa main droite. Sirius inspira, dépassé par le nouveau test. "Non, Cruz, ce n'est pas ça qui se passe. La chevalière des Black me donne du pouvoir uniquement sur les objets, les gens et les créatures liés à ma famille... ça ne me rend pas plus fort qu'un autre sorcier... en aucun cas."

"Ah", commenta Cruz, un peu déçue, lui sembla-t-il. "Alors pourquoi tu l'enlèves ?"

"Parce qu'elle... ne se marie pas très bien avec d'autres magies justement... Parfois, elle me gêne plutôt qu'elle ne m'aide", formula Sirius en songeant au journal redevenu vierge dans son bureau. Il allait enlever bientôt la chevalière et retourner l'interroger sur les choix, les pratiques et les projets de son petit frère. Est-ce que les questions à affronter n'allaient pas être encore plus compliquées que celle de sa fille ? "Crois-moi, Cruzinha, il ne faut pas trop s'attacher à ces questions de préséance de branches l'une sur l'autre, ou de magies entre elles... L'important n'est certainement pas là. L'important, c'est ce qu'on fait de sa magie, de son or, de son nom... pas l'inverse."

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Ne les croyez pas trop sortis d'affaire, le prochain - "Ce journal, ma baguette un tableau" - est assez rock'n roll !

Merci pour les nombreuses cartes postales numériques; j'ai écrit jusqu'au 30 inclus, j'ai de la marge.