30 | Quelques idées intimidantes

Sirius et Remus regardaient Harry et Cruz s'éloigner, main dans la main, dans le parc pour une initiation à la botanique pratique proposée par Pomona Chourave - "Il faut que j'aille faire quelques cueillettes ; ils peuvent m'accompagner et nous parlerons de la reconnaissance pratique des plantes".

"Ça va lui faire du bien", jugea Sirius très bas. "Du grand air, du concret."

"Vous avez une sale mine tous les deux", remarqua tranquillement Remus. "Tu as amené le journal ?"

"Non, je ne l'ai pas amené. Si tu as le temps d'un café, je te raconterai."

"J'avais gardé du temps", indiqua simplement Lunard en le guidant jusqu'à ses appartements par le chemin le plus court.

A peine la porte refermée, Sirius se laissa tomber sur un des lourds fauteuils en cuir du salon. Ça avait tenu de la profession de foi de s'en tenir à la routine, aussi ténue soit-elle, et d'amener Cruz à Poudlard. Peut-être que s'il n'y avait pas eu la promesse de pouvoir partager avec Remus, il n'aurait pas trouvé la force. Cruz n'avait émis aucun avis, affichant une obéissance et une bonne volonté aussi scrupuleuses que douloureuses du réveil à leur arrivée ici, rumina-t-il alors que son ami commandait des cafés aux elfes. Ils arrivèrent promptement avec des petits gâteaux odorants qui eurent raison de son estomac serré.

"Je t'écoute", souffla Remus avec beaucoup d'attention dans ses yeux d'ambre.

Sirius inspira et se lança dans le récit linéaire de leur soirée, sans omettre grand-chose, si ce n'est sa peur persistante de perdre le contrôle et d'être, même quelques secondes, Orion. Il y avait déjà assez à dire avec les faits magiques eux-mêmes - les dangereux mélanges de Cruz, la réaction de la chevalière, l'apparition du portrait de son frère, le rôle de Kreaturr - pour ne pas ouvrir cette boîte de Pandore là.

La sympathie de Remus lui sembla immédiate, inconditionnelle et sans arrières-pensées.

"Merlin Sirius, à quoi tu dois faire face ! Ta fille, ton frère, tout ça... Merlin, je ne sais pas si je saurais !"

"Je te rassure : j'ai sincèrement l'impression de ne pas du tout savoir ce que je fais !", lâcha Sirius. "Et peut-être encore plus avec Cruz qu'avec Reg d'ailleurs. Parler avec un tableau est presque moins déroutant que de devoir lire un journal... Mais Cruz... Merlin, j'ai l'impression qu'en permanence je dois trouver des réponses à des questions dont j'ignorais même l'existence jusqu'à présent !"

"C'est une bonne définition de ce que c'est élever un enfant", sourit furtivement Remus en lui resservant un café.

"Oui, j'imagine que tu sais", souligna Sirius se rappelant brusquement des conditions de l'affrontement final entre Harry et Voldemort. Une fois de plus, Remus malgré toute sa modestie était un bon exemple. Imaginez que lui ait eu à élever Harry et Cruz, hein, est-ce qu'il aurait été à la hauteur ? Il en doutait clairement davantage aujourd'hui qu'il y a quelques mois quand il sortait d'Azkaban, et ça, c'était la vérité. Sans parler d'angoisses encore plus larges que son ami pourrait peut-être l'aider à éclaircir.

"J'ai l'impression que cette maison l'embarque dans tout ce qu'elle pourrait tenter de pire ! Me piquer cette fichue chevalière, prendre le journal à pleines mains ! Est-ce qu'avec deux grammes de jugeote, elle n'aurait pas pu trouver moins dangereux ?"

"Je me souviens de deux gamins qui pensaient que l'attraction terrestre ferait une exception pour eux du haut des tours de Poudlard", rappela Remus.

"Un gamin", corrigea Sirius un peu automatiquement. "Honnêtement, Harry n'a fait qu'essayer de gérer les ennuis dans lesquels Cyrus les mettait... Peut-être que lui refiler Cruz est un cadeau salement empoisonné. Je ne crois pas qu'elle vaille mieux que moi - c'est ce que tu veux entendre ?"

"Je veux que tu réalises que Cruz est une petite fille énergique et curieuse, arrivée ici depuis -quoi ? - deux mois, ayant découvert un père, une langue, un pays, un héritage complexe... Qu'elle l'explore et en cherche les limites... qu'elle veuille tester tes réactions... et que parfois simplement elle veuille faire chanter les tableaux avant Harry, même au prix d'un emprunt douteux, ça me semble assez... logique, presque banal, Sirius. Je ne l'excuse pas un instant mais je vois les mécanismes", répondit longuement Remus.

"Moi aussi", avoua Sirius.

Remus hésita puis sembla se décider : "J'imagine que... vous avez parlé de tout cela avec elle..."

"Tu veux savoir si je suis un père démissionnaire ?"

"Je me mêle sans doute de ce qui ne me regarde pas. Vous êtes un couple, Aesthelia et toi, et j'imagine bien que..."

Sirius eut sincèrement honte du recul de son ami. Ne voulait-il pas son avis quelques secondes plus tôt ?

"Lunard, on a fait de toi son parrain, d'abord parce que c'est elle qui le voulait ; ensuite parce qu'on te pense tous les deux un sacré bon père. Alors si quelqu'un peut et doit poser la question de ce qu'on fiche face à elle, c'est toi", le coupa Sirius avec conviction. "Si tu ne le faisais pas, je serai déçu et inquiet. Sincèrement inquiet."

"Tu exagères", soupira Remus. "Je suis fier de votre confiance mais je suis également certain que vous faites très bien face."

"On essaie..."

"Donc maintenant, tu penses interroger le tableau plutôt que le journal", bifurqua abruptement Remus, comme s'il estimait qu'ils avaient fait le tour de la question.

"Oui", admit Sirius. "A priori, Reg y avait pensé depuis le début, mais Orion a fait repeindre ce tableau un jour de rogne contre mon frère... Au fait, il ne faut pas que je traîne : un peintre doit venir produire un nouvelle toile pour notre tante", réalisa-t-il soudain. "Il faut que je les surveille tous, sinon ils vont sans doute abuser de ce pauvre homme... et je ne peux pas demander à Aesthélia de se les coltiner !"

"Regulus, tu vas le questionner seul ? Avec Aesthélia ?", questionna Remus a priori peu intéressé par le reste.

"On va attaquer ce qui me fait peur", reconnut Sirius. " J'espère évidemment que Aesthélia sera là - je compte sur elle pour m'empêcher de totalement péter les plombs, mais j'avoue que, si tu veux bien..."

"Si tu le souhaites", répondit Remus.

"Tu peux me dire non", rappela Sirius.

"Regulus a sauvé Harry ; il a assuré sa victoire à plus d'un titre ; je peux regarder en face le prix à payer. Enfin j'espère. Sans doute être trois ne sera pas du luxe."

"Sans doute pas, non. Merci", commenta Sirius avec sincérité. Le sourire de Remus l'intrigua. "Quoi ?"

"Il fut un temps où tu n'aurais jamais pensé à remercier quiconque de quoi que ce soit"'

"Je sais, Lunard", rougit presque Sirius. "Je pensais la vie bien plus simple qu'elle n'est, je crois. Il y avait l'acceptable et le reste. J'étais tellement... orgueilleux et suffisant... Quand je me retrouve face à Cruz ou à Regulus, je mesure... je mesure toute la limite de mes certitudes... et je ne crois pas que j'aurais encore beaucoup de patience avec qui j'étais à vingt ans."

"Tu serais sans doute de bon conseil pour lui comme tu l'es pour Cruz."

"J'espère bien que Cruz en retiendra un peu plus que ce que je l'aurais fait... Reg dit que si elle ne le fait pas, elle est plus bête qu'elle en a l'air..."

"Regulus dit ça ?", s'intéressa Remus.

"Il a assisté à une partie de nos discussions", raconta Sirius avec facilité, il avait besoin du regard de Remus sur tout ça sans trop savoir comment le demander. "Il.. il avait peur que... que je sois violent avec elle."

"Je sais que tu désapprouves la violence physique", commenta Remus avec visible retrait.

"Remus, tu ne comprends pas", soupira Sirius. "Ce dont j'ai peur, ce qui me terrifie - et ce que craignait aussi Reg - c'est d'être mon père... C'est-à-dire de lever la main et de ne pas savoir m'arrêter avant... de ne pas savoir m'arrêter. Tu ne sais pas ce que je ressens quand elle me défie ou qu'elle est danger, cette fureur intérieure... elle me terrifie, Remus."

"Une fois encore, Sirius, tu te crois bien plus différent que tu ne l'es. Je suis terrifié aussi... je sais bien que la... violence, même maîtrisée, est une défaite, quelque part."

"Et c'est sans doute à ton honneur, Lunard. Ça ne m'étonne même pas parce que jamais à un seul moment, je ne pourrais te comparer à mon père... Je désapprouve - Merlin ! -, je vomis une violence physique sans rime ni raison, sans mesure ni compassion, un défouloir, un complexe de supériorité - tu apelleras ça comme tu veux mais... ça n'a rien à voir avec la manière dont je t'ai vu et je te vois élever Harry, Ok ? Si tu as besoin que je le dise, tu es certainement le modèle dont j'espère m'inspirer plus qu'autre chose, Ok ?"

"Voilà qui est intimidant", arriva à articuler Remus avec une visible émotion.

"Oui, tout cela est salement intimidant."

"Qu'en dit Aesthélia ?", osa Remus après un court silence. C'était la question qu'il avait évitée avant.

"Elle dit des choses très intimidantes, elles aussi, comme 'je te fais confiance'; 'ta fille, ta décision' ou 'la place que tu dois prendre'", confia Sirius.

"Une sacrée femme, Sirius", commenta sobrement Remus.

"N'empêche que je n'arrive pas à lui dire.. à lui parler de cette peur-là."

"Tu devrais, Patmol. Pas seulement parce que c'est une femme intelligente et de bons conseils, mais aussi parce qu'elle te dira sûrement elle aussi qu'être parent c'est sacrément douter de soi aussi... Je t'ai déjà dit combien je me suis posé la question - des nuits entières - de ce que James ou toi auraient fait à ma place. Pour arriver à la réponse que ni lui ni toi n'étaient là et que je devais trouver une réponse qui me ressemble..."

"Mon seul chemin est ne pas être Orion..."

"C'est certainement un bon début."

"Mais c'est aussi une vengeance et non quelque chose de positif, alors je me pose régulièrement la question, plus que tu ne voudras le croire, de ce que, toi, tu ferais. Tu es ma seule expérience... non, il y aurait le père de James ou mon oncle Alphard qui ont tenté de faire rentrer des trucs dans ma tête sans me réduire en bouillie... mais j'étais bien plus âgé que Cruz... Tu es mon inspiration, Remus, et c'est bien pour cela que j'ai besoin que tu me promettes que... tu seras toujours là pour Cruz, surtout si je déconne..."

"Sirius... ce que je vois, c'est quelqu'un qui fait de son mieux, qui se méfie de toute facilité... Je ne vois pas quelqu'un qui soit sur le point de craquer ou de devenir abusif... Même si c'est ta fille de sang, ce que tu vis, c'est une adoption... Vous avez vos histoires et vous devez en construire une nouvelle tous les deux... tous les trois..."

"Tous les trois", répéta Sirius en se frottant le visage. "Si seulement on avait plus de temps pour ça... sans héritage, procès et autres connerie..."

"...ou rendez-vous avec un peintre", rappela Remus.

"Merlin, oui ! Il faut vraiment que j'y aille. On t'attend ce soir, Lunard ?"

"Je ramène Cruz et Harry", proposa son ami. "Il peut dormir chez vous ? Ça risque de durer non ?"

"C'est sans doute le plus simple", admit Sirius en se demandant s'il ne dérogeait pas à la fermeté qu'ils avaient annoncé à Cruz la veille mais sans oser à arriver à le dire à haute voix. Tout cet apprentissage parental était définitivement trop intimidant.

oo

Le peintre, recommandé par le décorateur, attendait dans le salon devant un café.

"Désolé, je suis totalement désolé de vous faire perdre votre matinée à tous les deux", s'excusa Sirius avec sincérité.

"Monsieur Black, votre femme vient de me faire un exposé absolument passionnant sur la place de la peinture magique au Brésil qui me donne des envies de voyages. Peindre des changeurs de formes... Merlin, je crois que je ne vais plus penser qu'à cela !"

L'homme était plus jeune qu'eux, fin et pâle, mais bel homme quand même, décida Sirius en lui serrant la main.

"Mais je ne me suis pas présenté, Arthfael Avery."

"Monsieur Avery", souligna Sirius en se demandant s'il avait affaire à un espion de Narcissa.

"Un très petit rameau d'une branche plus sinistre", explicita le jeune homme avec une facilité qui indiquait plutôt une sympathique distance avec les membres les plus douteux de sa famille qu'autre chose. " Mes amis m'appellent Art. C'est un honneur que vous fassiez appel à moi."

Il espérait sans doute une grosse commande, réalisa Sirius. Il allait être déçu.

"Je ne sais pas ce qu'on vous aura dit, mais il s'agit... d'une urgence. Suite à un accident, une personne - mon frère, autant le dire, est réapparu dans un tableau. Il avait été recouvert pour faire un portrait de ma tante Lucretia - une dispute de famille."

"Je saisis."

"C'est le seul portrait que j'ai de mon frère et donc j'aimerais qu'on peigne un nouveau tableau pour ma tante. Je serais tenté de vous dire de voir avec elle ce qu'elle souhaite comme environnement si je ne craignais le pire. Je vais donc vous accompagner et essayer de trouver un compromis avec elle."

"Vous n'avez pas de photo du fond du tableau précédent ?", s'enquit assez logiquement le jeune peintre.

"Le décorateur pourrait en avoir fait", estima Aesthelia. "Il en a prise de toutes les pièces avant que ne repeigne tout. "

"Si elle vous demande le salon tel qu'il était avant, vous saurez donc où chercher", commenta Sirius vaguement soulagé.

Aesthelia leur souhaita une bonne journée et partit pour l'université de Londres où elle devait animer un premier séminaire. Sirius conduisit Art Avery jusqu'à la galerie où ils furent accueillis par des ancêtres mécontents du délai : "Tu avais promis Sirius !" - "Orion, ton fils n'a pas de parole !" - "Il se sert de notre nom quand ça l'arrange !"

Le peintre n'eut pas l'air particulièrement ému par ces récriminations, mais Sirius n'avait pas tellement de patience en réserve. Posant son pouce sur la chevalière, il soupira : "Taisez vous donc qu'on puisse avancer." Le silence qui suivit eut quelque chose de profondément satisfaisant, décida-t-il. "Ma Tante, voici Arthfael Avery. Il va réaliser votre nouveau tableau."

Le nom se répéta de tableau en tableau, apprécié, commenté avec toutes les variations possibles autour du thème : "Au moins, un sang quasiment pur".

"Madame", salua formellement le jeune homme. "Comment était votre dernier tableau ?"

"Oh, c'était un jardin très ennuyeux... pas même une fleur !"

"Un jardin précis ?"

"Non ! Mon frère se fichait du fond. Il a fait faire ça à la va vite, je n'ai même pas la bonne couleur d'yeux ! J'ai toujours eu une pointe de vert dedans ! N'est-ce pas , Père ?"

"Tu as toujours eu les yeux de ta mère", confirma le grand-père de Sirius. Lui-même ne l'avait jamais connu.

"Et vous aimeriez un autre jardin ?"

"Ce que j'aimerais c'est quelque chose de bien plus confortable : ma chambre de jeune fille, avec son grand lit et sa jolie table de toilette. Voilà qui serait pratique et instructif pour les jeunes générations", estima Lucretia.

"Vous habitiez où ?", questionna le peintre.

"Mais ici, jeune homme. Où vouliez-vous que je vive ? La chambre avec les fenêtres vers l'est."

"C'est aujourd'hui celle de ma fille Cruz", indiqua Sirius au peintre qui s'était tourné vers lui. "Mais la pièce ne ressemble sans doute pas tellement à ce qu'elle était au temps de ma tante... Nous avons adopté un style bien plus contemporain."

"Quoi ? Ce lit qui a abrité tant de générations ? Ma coiffeuse ? Où sont mes meubles !?", s'indigna sa tante.

"Au grenier, je pense", répondit Sirius avec sincérité. sans tellement prêter attention aux nouvelles récriminations des tableaux autour de lui. "On n'a rien jeté."

Comme il évalua que le silence choqué qui accueillait ses paroles risquait de ne pas durer, il se dépêcha d'entraîner le peintre vers le grenier.

"Incroyable", répétait le jeune Avery quelques minutes plus tard. "J'avoue que j'adorerais passer des heures à dessiner tout ce que vous avez là. On dirait une encyclopédie des différents style magiques passés !"

"Si ça peut vous faire plaisir, ne vous gênez pas pour le faire", sourit Sirius. "Ah, voilà, la fameuse coiffeuse... J'avoue que ses pieds en serpent ne nous paraissaient pas totalement aller avec les jouets d'une petite fille de neuf ans... même repeinte en violet - sa couleur préférée."

"Je comprends", promit le jeune peinte en s'approchant. "Je pourrais déjà faire un croquis du meuble, sous plusieurs angles... et j'irais voir la chambre... la lumière du soleil levant doit être la plus intéressante..."

"Le lit doit être là quelque part... sans doute démonté", continua à chercher Sirius, sa baguette pointée en avant avec un lumos.

"Vous avez vu ?" souffla brusquement le peintre dans son dos.

"Quoi ?"

"Là ! Quelque chose a bougé... Des rats ?"

"Je vous parais un maître de maison aussi négligent que ça ?", s'enquit Sirius mais la blague glissa sur le jeune homme toujours tendu.

"Une goule ?", s'inquiéta-t-il.

"Honnêtement après le passage de l'équipe du décorateur et avec le nombre d'elfes ici... il me semble qu'on le saurait", estima Sirius en pivotant sur lui même pour éclairer tous les angles de la pièce. Il lui sembla voir une ombre furtive mais il se retourna trop tard pour voir ce que c'était.

"Qu'est-ce que c'est ?", s'inquiéta le jeune Avery. Peu probable qu'il ait fréquenté la maison rouge et or, décida Sirius.

"On va le découvrir", annonça-t-il en faisant un pas en avant.

Un gémissement l'arrêta ; il se retourna vers le jeune peintre, mais le jeune homme bien que blafard secoua la tête, avait l'air un peu offensé que Sirius pense que c'était lui qui avait laissé échappé un son aussi peu digne. Il avait également sorti sa baguette. Peut-être pas Gryffondor mais pas stupide non plus.

Sirius pensa alors entendre quelque chose glisser sur le sol. Quelque chose d'assez lourd quand même. Certainement pas des rats. L'intuition lui vint sans qu'il ait eu l'impression d'y réfléchir. Peut-être de la vision de l'armoire de la chambre de ses parents. Une des portes était entrouverte.

"Kreaturr ? Sors de là, Kreaturr, tu fais peur à notre visiteur..."

Un gémissement plus fort lui répondit, puis le bruit d'une frappe répétée contre le bois.

"Désolé, maître", crut-il entendre.

Sirius fit les trois pas qui le séparait encore du meuble et ouvrit la porte. L'elfe était bien là. Du sang et des ecchymoses sur sa tête.

"Sors de là", répéta-t-il en le tirant sans trop de ménagement. "Dans quel état tu t'es mis !", s'agaça-t-il à sa propre surprise. Ce n'était pas qu'il ressente généralement beaucoup de compassion pour le vieil elfe, mais le voir se punir ainsi ramenait trop les inquiétudes de la veille.

"Maître Sirius... Jamais Kreaturr voulait que la jeune maîtresse ne soit blessée... Pourquoi est-elle venue là ? Pourquoi a-t-elle pris le journal ? Quel malheur !", couinait Kreaturr.

"Depuis quand des elfes empruntent des objets à leur maître ?", questionna Sirius.

"Le journal est au gentil Regulus", objecta l'elfe sans le regarder. "Kreaturr voulait le revoir... juste une fois... Mais la jeune maîtresse... quel malheur..." Il se tordait les mains, et Sirius se demanda s'il envisagea de se frapper de nouveau pour montrer sa contrition. A sa propre surprise, il trouvait ça totalement inacceptable. Peut-être que rompre avec sa famille, c'était rompre avec la contrition, la soumission sous toutes ses formes, dont celle des elfes. L'idée était nouvelle et intimidante mais pourtant pressante.

"Elle va mieux", indiqua-t-il avec gêne. Peut-être à cause de la présence du peintre. "Elle a eu plus de peur que de mal."

"Mais maître Sirius a cru qu'elle avait pris le journal", regretta encore Kreaturr montrant qu'il les avait sans doute espionnés.

"Oui, ça a dû te rappeler des souvenirs satisfaisants", lâcha Sirius. Il avait après tout quelques très mauvais souvenirs des accusations du vieil elfe et du fait que sa mère l'ait toujours crû plus que son propre fils.

Kreaturr eut l'air sincèrement contrit. "Quand le maître était un jeune maître... il n'était pas gentil... Il pensait qu'il pouvait tout faire ! Kreaturr préférait maître Regulus... Mais Kreaturr ne voulait pas qu'il arrive du mal à la petite maîtresse... Il l'a déjà chassée plusieurs fois de la galerie. Elle n'écoute pas !"

"Non, pas vraiment", reconnut Sirius. Le récit de l'elfe coïncidait avec celui de Cruz au moins.

"Maintenant le maître va chasser le méchant Kreaturr ! Il a failli sa mission de protéger la jeune maîtresse!", se désola l'elfe.

"Mais où y irais-tu, pauvre imbécile !?", grogna Sirius. "Et qu'est-ce que Regulus dirait si je te chassais !?"

"Le gentil maître ? Comment ? Il est revenu ?"

Sirius digéra lentement le "gentil maître" mais répondit sur le fond : "Oui, il est dans mon bureau. C'est pour cela que Art Avery est là : pour faire un tableau pour le portrait de ma tante..."

Le jeune peintre se sentit obligé d'acquiescer pour confirmer.

"Kreaturr peut lui parler ?"

"Sans doute mais avant Kreaturr pourrait se faire pardonner, non ?", lui opposa Sirius. L'elfe fut tenté de désigner ses plaies et bosses mais n'osa pas. "Tu te rappelles de la chambre de tante Lucretia ?" L'elfe acquiesça. "Je me disais bien. Tu vas aider monsieur Avery à la reconstituer. Vous avez qu'à faire ça... dans une des chambres d'amis... celle qui est orientée à l'est...pour la lumière... Il faut retrouver le lit."

"Kreaturr sait où sont toutes les choses."

"Très bien. Et nettoie-toi, Kreattur, ce n'est pas possible de servir cette maison dans cet état. Si Cruz te voit comme ça, elle va avoir peur !... Après et après seulement, on discutera, Regulus, toi et moi", décida Sirius en repoussant l'elfe qui voulait maintenant lui baiser les mains.

Surveiller l'avancée du peintre et la reconstitution de la chambre de tante Lucretia occupa Sirius un bon moment. Il jugea ensuite de son devoir d'offrir une collation au jeune homme qui se révéla poli et ouvert durant ce déjeuner léger. Il avait été l'élève de Remus à Poudlard et avait même quelques anecdotes à raconter sur un très jeune Harry. C'était également un professionnel puisque, le café avalé, il retourna assez vite à ses croquis puis alla les faire valider par tante Lucretia et partit travailler dans son atelier en promettant un tableau fini pour le surlendemain.

Kreaturr n'osa pas réclamer de voir Regulus dès le départ du peintre, et c'était aussi bien. Plus il y réfléchissait, plus Sirius pensait qu'il devait en savoir davantage sur ce qui c'était passé et sur le rôle de Kreattur avant de mettre son frère et l'elfe dans la même pièce. Il avait eu peur hier puis il avait été tellement ému par l'idée de parler à Regulus qu'il avait perdu de vue des tas de possibilités inquiétantes. Non, il fallait attendre et ne pas se jeter tête baissée dans un nouveau piège qui anéantirait tant d'efforts. Sirius passa donc le reste de la journée à éviter son bureau.

Il retrouva ainsi dans le salon le dossier envoyé par son avocate sur la médiation entamée avec l'avocat de Peter. Sans surprise, Sindri Rowles essayait de monnayer l'innocence de Harry contre celle de son client. Peter ne raconterait pas ce qu'il s'était passé, ne contredirait pas la théorie selon laquelle Severus Rogue avait abattu le Seigneur des Ténèbres et, en échange, Remus et Sirius ne le chargeraient pas de plus que la trahison de James et Lily Potter, voire lui reconnaitraient des circonstances atténuantes.

"Vous seuls, Remus Lupin et vous, pouvez décider du prix que vous pouvez accepter pour que toute la vérité soit faite. Vous serez totalement innocent et le jeune Harry ne sera pas moins le sauveur historique du monde magique si nous allons dans leur sens et limitons nos exigences. C'est ne pas un mauvais compromis selon moi", écrivait en conclusion son avocate.

Sirius en était à ruminer la pertinence de ce conseil quand Remus arriva avec les enfants. Harry avait l'air content de venir et Cruz avait retrouvé un entrain rassurant. Ils lui racontèrent leur journée en se coupant la parole et en avalant un plateau entier de gâteaux apporté par cette jeune elfe aux yeux humides qui avait été si efficace la veille - Merlin, incroyable qu'il n'ait toujours pas retenu son nom ! Quand Harry la félicita pour les gâteaux, Sirius apprit qu'elle se prénommait Loly. C'est aussi à ce moment-là que Cruz prétendit emmener Harry dans sa chambre.

"Une minute, tous les deux. Venez-là", intervint Sirius, le coeur un peu battant. Une partie de lui restait encore sidéré du rôle qu'il entendait jouer. Mais c'était une petite partie de lui ; comme le reste d'un parfum. "Je ne sais pas si Cruz t'a dit, Harry, mais... elle... elle doit dire où elle est et prévenir si elle change d'endroit. En aucun cas, s'approcher de la galerie ou de mon bureau", insista-t-il, malgré l'expression assombrie de Cruz. "Alors, Harry, je vais te demander de l'aider à respecter ces règles afin qu'on ne soit pas obligés de passer une autre mauvaise soirée."

"Ok, Sirius", accepta Harry les yeux à peine écarquillés.

"Donc si vous allez dans sa chambre, si je vous cherche, je vous trouve dans sa chambre, pas ailleurs. C'est bien clair tous les deux ?"

"Oui, Papa", soupira Cruz. Il y avait quelque chose qui ressemblait bien à du ressentiment dans les yeux de sa fille. C'était la première fois, et Sirius eut un peu de recul.

"Ne t'inquiète pas. Elle digérera", commenta Remus quand les enfants furent dans l'escalier. "Elle sait qu'elle était en tort - elle nous l'a raconté, à sa façon. Harry avait la bouche tellement ouverte que je crois que ça a impressionnée ta tête-brûlée..."

"Tu sais quoi ? C'est malheureux, mais je compte presque sur lui pour que ça se passe à peu près bien", avoua Sirius.

"Harry a envie de voir le tableau de ton frère", indiqua Remus.

"Pour l'instant, je voudrais qu'on évite. Sachons ce que s'est passé, pesons précisément à qui nous avons affaire.."

"Tu es sérieux ?", vérifia Remus l'air sidéré. "Tu crains quelque chose ?"

"C'est peut être la fatigue ou une crise de paranoïa. D'un côté, j'ai tellement envie de... de pouvoir être fier de lui et de lui rendre justice mais, d'un autre, je me dis que... il y a quelque chose... l'attente de Abigail, les limites de la loyauté de Kreaturr... que je ne mesure pas vraiment. Je ne veux pas être un instrument d'un plan que je ne comprendrais que trop tard. Pas deux fois, Remus."

Son ami acquiesça lentement. Visiblement toujours sous le coup de ces idées nouvelles.

"Et puisqu'on en parle... lis-ça, c'est le rapport de mon avocate sur les demandes de Peter... Ça te concerne, tu vas voir", rajouta Sirius ayant correctement interprété le début de refus de Remus. Il n'eut pas à insister davantage. Lunard avait toujours la même expression studieuse lorsqu'il se concentrait que quand ils avaient quinze ans, réalisa Sirius à son insu.

"Tu veux accepter ça, Sirius ? Tu veux trouver des excuses à Queudever ?", questionna finalement son ami d'une voix blanche.

" Est-ce que toi, tu veux que Harry soit le môme de dix ans qui a envoyé un sortilège de mort à Voldemort ?"

"Merlin, Sirius !"

"C'est la question, Lunard. Toute la question. La mort de Voldemort, c'est la possibilité pour Harry d'être débarrassé d'une fichue épée de Damoclès. Ça ne doit pas être autre chose qu'une liberté."

"Mais..."

"Peter ne s'en sortira pas sans une lourde peine de prison, Lunard. Est-ce qu'on a besoin de sa vie pour estimer que la mémoire de James et Lily est équitablement honorée ?"

"Ce n'est pas la question. C'est... c'est lui faire trop d'honneur à lui que de négocier... Harry n'a rien fait de mal", protesta encore son ami avec une émotion patente.

"Remus, un gamin de moins de onze ans jette un sortilège de mort ? C'est ça que tu veux lire dans les journaux ? Tu veux qu'on te le prenne parce qu'on se demandera où il a appris ça ? Tu veux que toute sa vie soit, une fois encore, bouleversée ?"

"On peut partir très loin et très vite, lui et moi. J'ai déjà pensé à cette éventualité", lui apprit Remus.

"C'est ce que tu veux ? J'entends que sans le choix, tu le feras mais si tu peux l'éviter ?"

"Il fut un temps pas très lointain où tu aurais envoyé balader des arguments pareils, Patmol."

"J'en suis plus que conscient, Lunard. Mais je ne crois pas que détruire ta vie et celle de Harry est une victoire sur Peter, au contraire. C'est faire plaisir à Lucius et Narcissa quelque part. Voire à Fudge. C'est même trahir tous les autres qui voudraient que les choses changent ici..."

"Sirius ?", questionna Lunard très lentement.

"Je sais... mais je crois avoir raison... ne nous trompons pas sur qui manipulerait l'autre..."

"Comme avec Regulus..."

"Exactement."

ooo

Ceux qui connaissent toute la saga auront reconnu Sindri Rowles, l'avocat du XIC. Arthfael Avery est une nouvelle tête qui m'inspire pas mal, faudrait pas que j'ai trop d'insomnies, je pourrais lui écrire des tas d'aventures, je le sens...

Le chapitre suivant s'appelle "Un jury ou un Tribunal" et va nous parler évidemment de Peter, mais aussi tout nous dire du plan de Reg et Abby... Le problème est que le suivant n'existe pas du tout et que je ne posterai pas le 31 tant que je n'aurais pas un brouillon du 32. C'est le moment de vous lâcher dans les commentaires pour me motiver

Bonne année créative et légère à tous. Un remerciement spécial à Dina et LN sans qui cette fic n'irait pas lentement mais sûrement vers sa conclusion.