35 | Les ravages d'une bonne éducation
Sirius articula le sort de Plume qui transmettrait sa - leur - réponse à Dumbledore : la famille de Sirius Black serait, dimanche prochain, au déjeuner qu'Albus proposait chez lui, à Finchley, pour célébrer sa semi-guérison et discuter de l'avenir de l'Ordre du Phoenix. Remus lui avait dit avec mélancolie que ça revenait à parler du procès de Peter Pettigrow - "qui pourrait devenir le mien". Son avocate, Barbara Straightford, avait confirmé les deux points tout en semblant moins mélancolique que le plus jeune et plus lycanthropique directeur de l'Histoire de Poudlard. Pourvu qu'elle ait raison, espéra Sirius en se levant de son bureau.
"C'est aujourd'hui ?", questionna Regulus d'une assez petite voix quand la plume eût disparu.
"On a rendez-vous dans une heure", admit Sirius en levant les yeux vers son frère - tellement jeune - dans son tableau.
A sa main droite brillait, discrètement mais fièrement depuis trois jours, la réplique de l'alliance que Abigail portait. Le jeune peintre avait adoré le projet, mais avait aussi été très utile pour maintenir fermement l'imagination de chacun dans les limites du raisonnable en rappelant qu'un esprit jeune dans un portrait âgé comme l'inverse ne formerait jamais un bien joli tableau. Pas de portrait de couple donc. Cruz avait été très déçue. Abigail, relativement soulagée au final. Régulus, fataliste. Le peintre travaillait, depuis, à une petite peinture de la noce avant de produire le portrait de groupe de la famille Black Da Silva que Cruz réclamait tant.
"Vous en avez pour longtemps ?", s'enquit Regulus toujours avec cet air fragile et jeune qui donnait l'impression à Sirius d'être plus vieux que Dumbledore.
"Je ne sais pas exactement. Mais on a pris notre journée, et Cruz reste à Poudlard ce soir - on reste tous les deux aux côtés d'Abigail ce soir."
Sirius n'était pas sûr que Abigail allait apprécier leur attention mais, comme le soulignait Aesthelia, ne pas le faire semblait juste inimaginable.
"Cruz dit qu'elle s'adapte un petit peu", se risqua encore Regulus, jouant sans doute machinalement avec son anneau. Encore qu'il essaie sans doute de me rappeler ses droits, jugea froidement Sirius - il n'était peut-être pas un Serpentard mais il avait grandi entouré d'un sacré paquet de représentants de la maison de Salazar. Assez longtemps pour avoir acquis quelques réflexes.
Heureusement, les faits étaient faciles à relater : Abigail se risquait de fait hors de sa chambre même quand ils étaient là et ne s'enfuyait plus dès la fin du dessert. Elle restait assez silencieuse, à les regarder vivre comme s'ils constituaient - Aesthélia, Cruz et lui - une ethnie curieuse à étudier en profondeur, mais elle restait. Et il n'avait pas fallu lui répéter qu'explorer la galerie seule restait une mauvaise idée ; elle ne semblait nullement encline à solliciter l'avis des ancêtres Black sur son union posthume.
"Cruz y est pour beaucoup", reconnut donc, sobrement, Sirius.
Il était clair que la fillette avait décidé que sa nouvelle tante devait se plaire Square Grimmaurd. Alors que Sirius et Aesthelia avaient pensé prévenant de ne pas chercher à lui imposer quoi que ce soir, leur fille était montée à l'assaut de la citadelle sans un clignement de cils. Tous les jours en rentrant de Poudlard, elle était allée à la recherche d'Abigail, lui avait raconté sa journée et l'avait amené au nom d'un jeu, d'un thé, d'une lecture, ou d'un prétexte totalement fortuit, à s'installer avec elle dans les espaces communs. Aesthélia avait évidemment appuyé cette ouverture, et Sirius s'était dit qu'il serait malvenu d'avoir l'air mécontent.
"Abby apprend vraiment le portugais ?", vérifia Reg avec une curieuse avidité pour les détails.
"Quelques mots", reconnut Sirius. Il existait des sortilèges pour aider à l'apprentissage des langues, mais la rapidité ne semblait pas une obligation, et ça aurait diminué la proposition de Cruz. Il n'avait donc rien proposé en ce sens. "Je crois qu'elle fait ça pour faire plaisir à Cruz."
"Ta fille, Sirius, c'est une bien jolie petite étoile. Je me demande quand pour la dernière fois quelqu'un d'aussi gentil a porté notre nom... Androméda peut-être", il réfléchit.
"Elle a envie d'une grande famille", commença Sirius avant de se raviser. Il trouvait indélicat de parler de ses propres projets ou de sa famille avec Regulus tant que la grossesse d'Abigail n'était pas confirmée. Et puis, il avait depuis un certain temps envie de dire certaines choses : "Cruz n'est pas toujours aussi gentille, Reg. C'est une petite fille tout à fait normale avec des qualités et des défauts. Beaucoup d'imagination et d'initiative mais parfois au détriment de la sécurité ou de la réflexion..."
Le sourire qui se dessinait sur les lèvres de Regulus valait toutes les réponses possibles.
"Ok, j'ai vieilli, Reg. J'ai passé des années en prison à me dire que la réflexion était importante. Je cherche à lui éviter d'apprendre ça aussi tard et aussi douloureusement que moi..."
"Elle t'écoute, Sirius", le coupa son frère. "Elle est très curieuse de toi, de ce que tu peux aimer ou détester et pourquoi... de cet héritage que tu veux changer aussi."
"Je sais", admit Sirius en soutenant le regard de son frère.
"Tu crois que je pourrais lui mettre des idées contraires dans la tête ?", questionna Regulus assez sérieusement mais sans nervosité.
"Pas réellement. Plus maintenant que je connais tes choix. Reste que je pense que c'était mieux de le dire", articula lentement Sirius.
"Tu as ma parole, Sirius. Je ne cherche pas à amener ta fille à remettre en cause tes choix", s'empressa de lui assurer son cadet - tellement cadet sur ce tableau. Rien que le mordillement des lèvres qu'il eut avant de rajouter : "Tout au plus, parfois, je donne quelques explications de contexte... quelques confirmations."
"C'est-à-dire ?", questionna Sirius en croisant inconsciemment les bras. Le silence tendu de son frère le fit s'en rendre compte et il les décroisa consciemment. "Désolé", rajouta-t-il ayant pleinement réalisé avoir reproduit une posture menaçante de leur père.
"De fait... je lui ai beaucoup parlé de Orion... de sa violence... parce que tu l'avais évoquée avec elle et qu'elle avait besoin de... d'en savoir plus. De l'indifférence de Walburga aussi... D'où nous venons, de ce que nous cherchons... chacun à notre façon", raconta Reg avec une vraie nervosité cette fois. Ce n'étaient pas, de fait, des sujets légers, jugea Sirius avec une distance qui l'émerveilla autant qu'elle le rassura. Quelque part, oui, il progressait, décida-t-il..
"Elle t'a interrogé ?", vérifia-t-il néanmoins - comprendre Cruz restait un défi permanent ; à chaque fois qu'il croyait savoir ce qu'il faisait, ce qu'être père signifiait, elle faisait quelque chose qui mettait à bas toutes ces fragiles certitudes sur l'éducation. Reg déglutit et opina. "Elle ne me croyait pas ?"
"Elle ne... visualisait pas... Elle n'imaginait pas... Qui peut imaginer, dans le fond d'ailleurs ! Elle m'a parlé du cousin d'Aesthélia qui ne cesse de répéter qu'elle serait mieux élevée si elle avait un père... plus sévère... aussi... "
"Mieux élevée", éternua Sirius en secouant la tête. Un jour, ils iraient au Brésil, et le cousin l'entendrait.
"Elle a peur de te... déplaire en fait, que tu ne t'engages pas... Elle se projette de manière désordonnée sur ce que devrait être votre relation", plaida toujours un peu étrangement Regulus. Sirius avait l'étrange impression qu'il parlait de lui-même et non de sa nièce.,"Je n'ai fait que répéter que j'étais certain qu'elle te plaisait telle qu'elle était..."
"Ce que personne ne nous a jamais dit", remarqua Sirius en soutenant de nouveau le regard de son frère. Ce dernier se détendit notoirement.
"Oncle Alphard a essayé", rappela Regulus. "Pas qu'avec toi", précisa-t-il encore quand Sirius eut un geste de surprise. "Bien sûr, tu es allé plus loin et plus vite, et il a voulu t'accompagner, mais il a aussi été là pour moi. Plusieurs fois."
"Tant mieux", jugea Sirius avec émotion. "J'aurais voulu le faire..."
"Je ne t'aurais jamais laissé...Enfin, quand j'ai réalisé à quel point tu avais raison, je ne savais pas comment te joindre sans... sans provoquer plus de catastrophes supplémentaires... Tu ne dois pas t'en vouloir, Sirius."
"Je ne sais pas si je peux. Mais je mets mon devoir ailleurs ces jours-ci", formula Sirius. Ça sonnait étonnamment pompeux, et il regretta presque, mais Regulus avait l'air content d'entendre ça.
"Je ne peux que saluer ton sens du devoir, Sirius", promit-il.
Peut-être qu'ils ne pouvaient pas faire mieux.
oo Sainte-Mangouste
Trois fois, à Sainte-Mangouste, Sirius dut répéter qu'il donnait son accord à l'insémination : au nom des Blacks, d'abord ; au nom de son frère ensuite ; et finalement en acceptant de donner librement et volontairement son sang pour le sortilège final.
Trois fois, Abigail dut répéter sa volonté de porter l'héritier de Regulus Arcturus Black
Le chiffre trois n'était peut-être pas anodin - c'est la seule idée qui lui vint. Il traînait d'ailleurs encore dans la bibliothèque des Black des tas de traités de symbolique dont un aurait eu une réponse s'il avait fait l'effort de chercher.
L'équipe conduisit ensuite Abigail dans une pièce attenante pour l'acte d'insémination. Sirius et Aesthélia restèrent là, seuls, main dans la main, comme des parents inquiets, à attendre la suite des évènements. Toute conversation semblait particulièrement vaine. Ils n'essayèrent même pas.
Une brûlure soudaine venant de l'anneau des Black arracha un petit cri à Aesthelia qui retira sa main et une grimace de surprise à Sirius.
"Tu as senti ?", vérifia-t-il sans doute stupidement.
"Tu crois que ça veut dire que ça a marché ?", questionna Aesthélia en retour.
Ils n'avaient pas de réponse. Le docteur Smiley quand elle revint les trouva figés dans ce questionnement inquiet.
"L'acte est terminé, il s'est bien déroulé. L'insémination a eu lieu - nous ne savons pas encore combien d'embryons mais.."
"Ça a fonctionné", compléta Sirius avec une certitude un peu ésotérique.
"Vous le saviez", estima Susan après l'avoir dévisagé.
Sirius leva la main droite et murmura : "L'anneau des Black, il a réagi.."
"Tu penses que l'anneau sait quand un nouvel héritier est conçu ?", articula Aesthélia - c'était la suite de la question précédente - un approfondissement digne d'une ethnomage mais aussi l'inquiétude d'une femme - Sirius sentit tout cela.
"Aucune idée."
Il garda pour lui que "la dernière fois", il n'avait pas porté un anneau qui aurait pu lui donner cette information.
"Le sang... le sang que vous avez donné pour cette conception", finit par se risquer Susan Smiley, "peut avoir.. C'est votre sang, pas celui de votre frère et, si je ne sais pas exactement comment fonctionne la magie de votre anneau, j'imagine quand même que le sang est..."
"Le sang est tout", compléta Sirius avant de frissonner en se rendant compte qu'il venait de répéter une des formules que son père et sa mère lui avaient serinée toute son enfance. Il s'en fallut de peu qu'il jetât son anneau au sol et s'enfuit en entraînant Aesthélia.
"Donc si votre liaison avec cet anneau est bien basée sur le sang", reprit Susan Smiley tranquillement, elle, "elle a pu réagir à l'insémination. Vous prévenir de cet usage de la magie de votre sang."
"Ça a du sens", estima Aesthélia.
"C'est juste une intuition : nous avons affaire ici à une vieille magie de sang ; une de ces magies que nos chercheurs ont oublié d'essayer de comprendre - pas assez rationnelle, trop symbolique, tout ce qui déplait aux théoriciens magiques occidentaux depuis deux ou trois siècles et qui est trop facilement rangé sous le label de magie noire", développa Susan Smiley avec presque trop de passion.
Voilà ce qui la rapproche de ce vieux Snivellus, décida Sirius, une passion pour la magie noire.
"Quel bel effort pour donner une patine exotique aux errements de ma vieille et auguste lignée", commenta-t-il sans doute trop hargneusement.
"Sirius !", s'emporta Aesthelia avant même que Susan Smiley ait réagi. "Comment peux-tu projeter ainsi tes... Tu es assez ouvert pour ne pas mettre dans le même sac l'obsession de la pureté du sang et tout le savoir traditionnel que ta famille a entretenu, non ? Ce n'est parce que vous ne vous parez pas de plumes et de peintures faciales que ce ne sont pas des savoirs traditionnels !"
L'image de Orion et Walburga parés selon les coutumes initiatiques guaranis eut raison de l'orgueil de Sirius. Un sacré Ridikulus, prompt à évaporer n'importe quel Epouvantard, se réjouit-il sincèrement.
"J'imagine, docteur, que vous savez maintenant pourquoi je ne peux pas vivre sans elle", sourit donc Sirius.
"Et voilà les ravages d'une bonne éducation", plaisanta Aesthélia.
Susan allait rire, Sirius en était presque certain, et heureux, mais Abigail revint à son tour dans le bureau du médecin, et tous se turent. Elle avait les deux mains croisées sur son ventre et une expression indéfinissable sur le visage.
"Abigail, ça va ?", s'inquiéta Aesthélia.
"Je crois", murmura celle-ci. "Je... me sens en rien différente mais... il paraît que ça a marché."
"Sirius pense l'avoir senti à cause de la chevalière", lui apprit encore Aesthélia.
Abigail ouvrit des yeux ronds et inquiets.
"C'était furtif mais je pense en effet que je l'ai su", arriva à articuler Sirius.
"C'est un garçon alors", décida Abigail.
"Je ne pense pas que la magie, qu'une magie aussi primitive et instinctive, aussi symbolique, puisse faire ce type de distinction", intervint Susan avec autorité. "Surtout à ce stade du développement. Et nous en avons parlé, Abigail, il faut absolument éviter de vous faire une représentation du nombre ou du sexe du ou des enfants qui viendront. Vous risquez uniquement de créer des attentes qui seront déçues."
"Bien sûr, docteur", s'empressa de répondre Abigail. "Je suis sage-femme, je vous le rappelle. Je sais combien vous avez raison. Même si je sais peu de choses des magies symboliques - sauf que Regulus les tenait en haute estime, les jugeait incomprises et sous-étudiées"..."
"Nous aurions bien besoin que des gens éduqués, comme l'était sans nul doute Regulus, se penchent sur les magies symboliques et mesurent tout ce qu'elles peuvent pour nous", estima le docteur Smiley sur un ton sans réplique.
Peut-être avait-elle peur que Sirius l'accuse encore de fricoter avec la magie noire, jugea ce pensivement ce dernier. Pourtant lui au contraire, croyait voir se dessiner dans la brume de l'incertitude qui marquait quand même leur vie actuelle, de nouveaux chemins de lumière. Et la Symbolique en faisait maintenant partie.
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Ils rentrèrent en taxi parce que l'équipe de Susan avait déconseillé toute magie pendant plusieurs jours. Pour tout dire, ce serait le docteur Smiley elle-même qui se déplacerait pour une visite de suivi dans 72h.
Abigail à la gauche de Sirius n'avait pas dit un mot durant le trajet; mais Aesthélia à sa droite avait été toute aussi silencieuse. Durant la course, Sirius s'était mollement demandé si Reg s'était interessé aux sciences magiques symboliques et si elles l'avaient aidé dans ses projets - sans avoir de réponse.
Les elfes les avaient accueillis avec calme, efficacité et discrétion, et Abigail s'était laissée tombée sur le canapé du salon, les yeux fixés sur le plafond, les mains croisées sur son ventre. Un thé avait été servi, et Sirius comme Aesthélia avaient dû insister pour qu'elle prenne quelque chose avec eux.
"Vous n'allez pas chercher Cruz ?", s'inquiéta étonnamment Abigail en jouant avec son sandwich au concombre.
"Elle reste à Poudlard ce soir", lui répondit aimablement Aesthélia. "Harry viendra passer quelques jours la semaine prochaine, pendant la pleine lune", rajouta-t-elle avec l'esprit de conversation qui venait de la part d'éducation formelle qu'elle avait reçue.
"La pleine lune", répéta Abigail avec une expression plus intéressée qu'inquiète. Elle comprenait visiblement les implications mais ne faisait pas l'effarouchée, apprécia Sirius.
Personne, néanmoins, ne réussit à poursuivre cette conversation-là. Sirius sentit progressivement une inquiétude diffuse lui couper l'appétit. Est-ce que Abigail regrettait maintenant son acte ? Son acceptation des termes de leur accord ? Il allait se tourner vers Aesthélia pour la supplier silencieusement de jouer son rôle de négociatrice quand sa belle-soeur parla:
"Je voudrais voir Regulus."
"Pardon ?"
"Est-ce que je pourrais voir Regulus ?", reformula Abigail, sur un ton de petite fille polie mais têtue.
"Mais... jusqu'à présent, tu n'as jamais voulu", remarqua Aesthélia.
"Rien ne me fait plus peur. Je suis vieille, tellement plus vieille que lui. Il est... je sais comment il est sur ce tableau, comme dans mes souvenirs", précisa-t-elle, touchant - sans doute sans le mesurer - très profondément Sirius. "Mais je porte son ou ses enfants... ça a marché, n'est-ce pas ? Le docteur Smiley avait l'air confiante et tu l'as senti", ajouta-t-elle avec un geste vague vers sa main. "On peut lui dire ça, lui dire que ça a sans doute marché..."
"Ce matin, il ne pensait qu'à cela", arriva à commenter Sirius en posant sa tasse de thé sur la table basse.
Sa belle-soeur eut l'air touchée de l'apprendre. Peut-être aurait-il dû lui dire plus tôt.
"Cruz ne cesse de me dire qu'il faut que je le voie, qu'il a envie de me voir", reprit Abigail. "Je sais qu'elle a raison. Il est le père... il a tenu sa promesse... je dois avoir ce courage..."
Comme il n'y avait pas grand-chose d'autre à ajouter. Ils se levèrent tous les trois, presque ensemble, et se dirigèrent vers le bureau de Sirius dans un cortège assez solennel. Devant la porte, Sirius se retourna vers Abigail.
"Tu veux le voir seule ?"
"Certainement pas !", s'écria sa belle-soeur en prenant son bras comme pour le retenir de s'enfuir - ou se retenir elle-même de s'enfuir. "Je vous en prie, restez ! Tous les deux", précisa-t-elle.
"Bien sûr", promirent Sirius et Aesthélia d'un même élan.
Dans son tableau assez neutre, Regulus avait réellement la pause d'un adolescent s'ennuyant mortellement un après-midi étouffant de vacances d'été familiales, quand ils entrèrent. Il leva la tête avec curiosité à leur entrée, et ses yeux s'agrandirent en reconnaissant la troisième personne.
"Abby !"
"Ne me regarde pas !", répondit Abigail en cachant son visage de ses mains. L'alliance brilla dans la lumière de la fenêtre.
"Pourquoi ?" - la question fusa des lèvres peintes de Regulus avec une infinie naïveté et sincérité.
"Je suis vieille et affreuse", affirma Abigail en baissant la tête et les mains d'un même élan.
Regulus jeta à Sirius un regard perdu.
"C'est son idée de venir", souffla l'aîné, embarrassé. "Je te jure."
"Sirius", soupira Aesthélia. "Personne ne te reproche rien. Ne complique pas davantage les choses."
"Je disais juste..."
"Abby, Abby, je suis si content de sois venue", affirma alors Regulus. "Je sais que c'est compliqué pour toi. Et moi, je ne peux pas venir vers toi. Tu es la seule à pouvoir le faire."
"Je suis désolée, Reg. Des fois, je me dis que je n'aurais jamais dû te laisser en faire à ta tête. Nous serions partis loin, très loin, tous les deux et nous serions aussi vieux l'un que l'autre aujourd'hui...", articula très bas Abigail.
"Je ne pouvais pas, Abby. Je ne pouvais pas espérer que quelqu'un d'autre allait en découvrir autant et faire ce qu'il fallait faire à ma place. Chaque jour, il était plus fort, il devenait plus difficile à abattre. Il fallait arrêter le pire...", commença Regulus en secouant la tête.
"Si simplement tu étais mort, je pourrais aller m'asseoir sur ta tombe et te dire ce que je pense, comment vont tes enfants, sans que tu te lances dans une de tes leçons de morale sur l'avenir du monde !", s'agaça Abigail.
L'argument frappa Sirius comme Aesthélia qui échangèrent un regard de compréhension douloureuse, mais il eut l'air moins étonnant pour Regulus qui eut juste l'air contrit.
"Mes enfants ?", s'enquit-il poliment.
"Le docteur comme Sirius pensent que l'insémination magique a fonctionné", confirma Abigail chirurgicale, les deux mains protection dérisoire sur son ventre.
Reg regarda Sirius qui leva la main droite et opina.
"Voilà un usage étonnant", commenta Regulus suivant visiblement sans difficulté les implications.
"Susan Smiley pense que c'est mon sang qui a fait le lien", s'empressa de préciser Sirius - il n'avait pas envie de se dire qu'il serait prévenu à chaque fois qu'un enfant Black serait conçu. Jusqu'où un tel pouvoir allait-il ?
"C'est merveilleux, Abby", reprit Regulus en se détournant de Sirius et de ses explications. "Je... je ne souhaite que cela... Après, je pourrais... disparaître, vraiment, complètement..."
"Non", coassa Abigail. "Je... je ne sais pas si je veux ça..."
"Une tombe muette", rappela Regulus.
"Mais peut-être que c'est trop tard", articula Abigail très bas, les yeux baissés.
"On peut essayer", souffla Regulus après un silence tendu comme un arc.
"Quoi ?"
"Tu peux t'asseoir là, sur le bureau de Sirius. Il est large, presque comme une pierre tombale. Je peux t'écouter sans rien dire, sans bouger, comme une photo moldue qui aurait été posée sur cette tombe", développa sérieusement, posément, Regulus.
Abigail regarda Sirius et Aesthélia comme s'ils pouvaient lui dire quoi faire, mais décida sans doute assez rapidement qu'ils ne répondraient pas à sa question silencieuse. Elle leva pour la première fois un regard franc et direct vers Regulus qui semblait retenir son souffle. Lentement, elle opina et s'approcha du bureau pour se percher sur son angle. Une fois installée, elle se retourna vers Sirius et Aesthélia et souffla : "Je crois que... merci de m'avoir accompagnée mais... je saurais retrouver le chemin du salon toute seule.."
"Bien sûr", réussit à affirmer Aesthélia en prenant le bras de Sirius pour le tirer hors du bureau.
"Un putain de couple, ces deux-là", commenta Sirius alors qu'ils re-desecendaient l'escalier.
"Ils vont s'en sortir", estima sa femme avec optimisme.
"Tu crois ?"
"Ils vont inventer leurs solutions qui ne devront rien à personne, c'est ce qu'ils ont déjà fait par le passé, et c'est certainement le mieux qu'ils puissent faire."
ooo
Ça fait longtemps que ce chapitre est écrit mais la suite continue à se faire attendre. Je poste quand même parce que attendre ne m'a pas donné la suite alors qui sait, vos retours vont peut-être m'aider.
