L'envol 38 | Une bien étrange amertume

"C'est à moi que vous demandez quoi faire ? À moi ?", vérifia l'avocate sans cacher sa surprise.

Sirius se dit d'ailleurs qu'il ne l'avait pas vue souvent aussi sincère. Il l'avait visiblement prise à contrepied.

"Vous êtes ma conseillère juridique", lui rappela-t-il sèchement.

Barbara Straightford semblait l'avoir oublié à cet instant mais, quand Sirius l'avait contactée, elle avait commencé par lui proposer de passer chez lui avec un empressement que le vieil Orion lui-même n'aurait pas désavoué. Et maintenant, elle le laissait tomber ?

"Vous êtes le chef du clan Black. J'avais bien l'impression que votre cousine et son mari le reconnaissaient ouvertement", lui rétorqua néanmoins l'avocate, après s'être calée dans le fond de son fauteuil. Elle avait de la ressource.

"Ils m'espionnent et colportent des rumeurs", répéta Sirius en changeant une nouvelle fois de position sur son siège. Il perdait peut-être son temps. À force de se défier de son instinct, il se laissait entraîner à des manœuvres douteuses et complexes, qui ne lui ressemblaient pas. Peut-être aurait-il mieux fait d'aller encore une fois supplier Albus de réfléchir à sa place ?

"J'avais aussi l'impression que c'était ce que les fameuses grandes familles faisaient de leur temps libre. Il ne faut pas leur dire, mais c'est d'ailleurs assez commun. On aurait vu des Moldus faire de même", commenta Straightford avec un infime sourire de dérision.

"Donc, selon vous, je laisse couler ?"

"J'ai l'impression que vous cherchez un arbitrage juridique qu'il me semble difficile d'obtenir", commenta lentement, prudemment, l'avocate, les mains jointes devant elle.

"Je pourrais porter plainte", lança Sirius. C'était ce qu'avaient proposé Abigail et Aesthélia comme solution quand ils en avaient discuté tous ensemble. C'est un peu à cause d'elles deux qu'il avait appelé Barbara.

"Je ne sais pas si la Brigade recevrait la plainte", réfléchit l'avocate en plissant les yeux de concentration. "Les greniers de toute notre communauté sont pleins de tableaux qui peuvent être loyaux à d'autres que leur propriétaire... Je pourrais chercher ce qu'en dit la jurisprudence, mais... quoi qu'il en soit, l'idée pourrait effrayer votre cousine si jalouse de son pedigree social..."

"Vous voulez dire que je peux la menacer d'aller voir la Brigade", traduisit Sirius, intéressé. Tout ce qui pouvait lui donner une influence sur Narcissa ne pouvait pas être totalement mauvais.

"C'est un argument parmi d'autres. J'avoue que je n'ai aucune idée des sanctions que peut prendre un chef de clan", reprit l'avocate avec une curiosité affichée.

Sirius commença par avoir envie de fuir cette discussion-là. Il savait ce qu'il y avait derrière cette curiosité - les fantasmes d'une née-Moldue et les pratiques des nés-comme-lui... rien de bien reluisant dans les deux cas. Mais fuir pour aller où ? Il s'invita à la patience.

"À peu près tout ce qui peut lui passer par la tête jusqu'à l'enlever du fichu arbre généalogique pendu dans le salon... Mais si je m'en fais une ennemie,... Je ne la sous-estime pas", reconnut Sirius. Est-ce qu'il n'avait pas cher payé le prix d'avoir sous-estimé le petit Peter que Narcissa aurait certainement mangé au petit-déjeuner ? Et derrière Narcissa, il y avait Lucius.

"Je ne comprends toujours pas ce que vous attendez exactement de moi", regretta Barbara Straightford avec un soupir.

"Que vous m'empêchiez de faire une connerie assez grosse pour me reconduire à Azkaban ou mettre ma famille en danger", répondit Sirius sans attendre.

La phrase resta entre eux, avec des effets concentriques et étonnants, comme un pavé dans une mare.

"Vous êtes en colère", commenta finalement Straightford. "Vous pensiez votre demeure comme un sanctuaire et vous vous sentez trahi."

"Cette maison n'a rien d'un sanctuaire, mais vous avez raison, je croyais avoir maîtrisé les risques liés à mon environnement et il n'en est rien", reconnut Sirius avec un certain soulagement. Quand Remus lui avait conseillé de contacter l'avocate, il avait commencé par l'envoyer paître. La violence de ses sentiments elle-même l'avait conduit à reconsidérer et à suivre le conseil de son ami. Et le début de la conversation l'avait encore fait douter du bien-fondé de sa démarche, mais les questions de Straightford, comme les fois précédentes, l'aidaient à avancer.

"Je commence à mieux vous suivre", indiqua l'avocate en se penchant en avant. "Qu'est-ce que vous espérez de Narcissa et Lucius ?"

Qu'ils disparaissent de sa vie était sans doute inaccessible, regretta Sirius sincèrement.

"Je ne sais pas ce qu'ils mijotent. Ils ont un intérêt assez morbide et inexplicable pour le matériel génétique de Regulus. Ils n'ont de cesse de récupérer ses affaires et, d'après les elfes, ils sont très intéressés par l'idée d'un héritier de son sang. Comment ne pas s'en inquiéter alors même que ma belle-sœur est enceinte ?"

"Vous avez peur qu'ils s'en prennent à Abigail et à l'enfant - ou les enfants ?", reformula pensivement l'avocate comme si elle en venait enfin à mesurer les raisons objectives de son inquiétude

"Oui. Mais dire cela ne m'aide pas, Maître. S'en prendre à eux, comment ? Dans quel but ?"

L'avocate hésita ouvertement avant de remarquer : "Je pense que la meilleure protection pour eux - pour Abigail et sa descendance, est de devenir une curiosité publique. On l'avait prévu, mais je ne vois plus de raison de reculer. D'abord, plus on saura Abigail enceinte, plus tout le monde froncera les sourcils s'il lui arrive quelque chose. Dites bien à Narcissa que vous la tenez pour responsable de ce qui pourrait arriver à cet enfant et à sa mère... Dites-le aussi publiquement que possible, je pense qu'elle entendra. Ensuite, plus on le saura tôt, plus l'opinion finira aussi par se lasser de la bizarrerie ; c'est une bonne chose pour l'enfant comme pour la mère. Enfin, vous prenez les devants d'une possible cabale médiatique qu'ils pourraient organiser... vous affirmez une nouvelle fois votre autorité et vos choix..."

Ça avait l'air d'un plan assez clair, décida Sirius.

"Et je fais ça comment ?"

"J'ai un ami journaliste."

Évidemment. Barbara avait bien eu un frère décorateur.

"Et Lucius et Narcissa ?", s'inquiéta-t-il néanmoins encore.

"Si on fait ça bien, ce sont eux qui viendront à vous", promit l'avocate.

oo

La prophétie de Barbara Straightford se réalisa deux jours après la parution de l'interview de Sirius et Abigail dans la Gazette du Sorcier. Il est peu dire que, pendant ces deux jours, aucune autre nouvelle n'avait été aussi commentée : avis de médicomages, avis de juristes, comparaisons d'historiens étaient venus s'accumuler pour, dans l'ensemble, dire que cette conception est possible, légale et disposait d'une histoire déjà ancienne. En fait, le problème était surtout que les derniers exemples étaient anciens. Même Tristam Pieternel avait fait une chronique assez équilibrée sans doute dû à son respect pour le nom des Black et leur "apport historique à notre communauté", allant jusqu'à présenter l'enfant à naître comme le symbole d'une réconciliation à l'échelle de la communauté, "la page de la guerre se tourne". Le courrier des lecteurs s'était révélé davantage partagé entre les attendris par ses efforts de répondre aux souhaits de petit frère mort pendant la guerre et les méfiants voyant là une pratique de Sangs-Purs un peu trop tentés par les Ténèbres. Mais Remus avait trouvé l'ensemble un peu tiède - "Quand j'ai été nommé directeur, les gens étaient moins ouverts... tu devrais peut-être me remercier d'avoir préparé les esprits !"

L'interviewé lui-même avait pris les devants pour déminer les objections et s'attendre à une opposition. "Même parmi ma propre famille", avait souligné Sirius. Le journaliste ami de Straightford avait gardé la phrase. Les Malefoy ne l'avaient évidemment pas ratée.

Leur demande d'audience lui fut apportée par un Grand-Duc aux plumes luisantes le troisième jour. Sur un parchemin de première qualité portant les armes des Malefoy, ils lui proposaient de se rencontrer afin de discuter la "situation familiale" et "d'envisager ensemble toutes les options".

Remus, Barbara, Aesthélia, Andromeda, tous s'accordèrent à dire qu'il devait les faire venir à lui et ne pas leur offrir cette fois de collation. "Vous allez discuter affaire, pas boire le thé", résuma sa femme avec juste la pointe d'accent brésilien qui lui rappelait que l'important était l'avenir.

Dans sa propre réponse, dont chaque mot était pesé, Sirius proposa donc une rencontre chez lui en début d'après-midi. Un horaire où Cruz serait encore à Poudlard et Aesthélia à l'Université. Après avoir imaginé plusieurs options, la solution d'Andromeda de venir tenir compagnie à Abigail fut retenue comme la plus pratique. Il les recevrait dans son bureau sous le portrait de Regulus qui pourrait ainsi écouter et peut-être deviner ce que leurs cousins avaient en tête. Franchement, qui pouvait dire qu'il n'avait pas cherché à peser toutes les conséquences de ses actes cette fois ?

Lucius et Narcissa arrivèrent avec ponctualité. Bloom les conduisit à Sirius qui ne se leva pas à leur entrée, mais les invita à s'asseoir d'un geste de la main droite - la main qui portait l'anneau. Ils ne manquèrent pas plus le portrait et l'anneau qu'ils avaient manqué les insinuations contre eux dans l'interview.

"Merci de nous recevoir si vite", salua Lucius et ses yeux étaient sur l'anneau.

"Vous aviez l'air pressés", répondit Sirius. "Ou curieux peut-être", proposa-t-il.

"Nous sommes effectivement venus pour parler de ce... projet... d'héritier pour Régulus", articula Lucius avec une certaine curiosité.

"Apprendre cela par voie de presse !", ajouta Narcissa avec un agacement certain.

"Violetta serait déçue de penser que vous ne lui faisiez pas confiance", gronda Sirius. Il y avait jouer le jeu et avoir l'air d'un imbécile. Remus aimait dire qu'il préférait avoir l'air d'un imbécile. Sirius n'avait pas encore atteint ce stade de détachement. "Vous aurez certainement noté que le tableau est en pénitence au grenier."

"Pardon, Sirius", intervint Lucius volant clairement au secours de sa femme - et le geste plut malgré tout à Sirius. "Tu as dû être agacé - à bon droit, évidemment. Comment t'en aies-tu rendu compte ?"

"Un autre tableau de Violetta m'en a fait part", simplifia-t-il. Invoquer la loyauté des ancêtres. Tradition et discipline. Narcissa, dans toute sa blondeur, avait l'air sombre en face de lui.

"Rien de totalement prémédité, Sirius", reprit Lucius d'une voix apaisante. "Narcissa avait ce tableau de famille dans son boudoir. Suranné, kitsch, finalement assez charmant. Depuis des années. C'est presque par hasard que nous avons découvert qu'il y en avait une copie dans votre propre maison..."... "

Sirius avait clairement des doutes sur l'aspect hasardeux de cette découverte, mais il n'était pas là pour avoir des aveux complets. Le processus décrit par Lucius était sans doute assez proche de la vérité. Il disait quelque part les liens qui unissaient sa maisonnée et celle de Narcissa. Pas une pensée réjouissante.

"Vous n'avez pas jugé bon d'informer Sirius du lien entre les deux tableaux", souligna alors Regulus faisant sursauter les Malefoy d'un bel ensemble. Ils se tournèrent ensuite vers Sirius comme pour lui demander la marche à suivre.

"La vérité sort souvent de la bouche des enfants", commenta lentement ce dernier. "Reg a une bonne remarque."

"Sirius nous sommes ici aujourd'hui pour parler d'avenir", plaida alors Lucius.

"Tu es un hypocrite, Sirius. Tu joues avec nous pendant des semaines. Tu nous promets l'héritage de Régulus, mais tu nous enterres sous un fatras d'objets inutiles. Et maintenant tu fais fabriquer un héritier et tu me reproches d'avoir en ma possession un tableau de notre grand-mère commune et de, parfois, lui parler ! ", cracha Narcissa perdant visiblement patience.

"Narcissa...", soupira Lucius.

"Narcissa sait que je ne suis pas formaliste", remarqua Sirius, presque amusé. Il ne put s'empêcher de rappeler l'ampleur de ses propres griefs. "J'aurais aimé pouvoir un jour dire à l'ancien chef de la maison Black combien il était hypocrite sans passer derrière des jours au lit pour m'en remettre. J'aurais aimé que ma famille s'en émeuve... Je te rejoins donc, Lucius, parlons donc de l'avenir."

"Cet enfant... sera l'héritier de Régulus ?", s'enquit Lucius plaçant clairement l'enjeu sur un terrain juridique. Narcissa avait l'air plus distante que jamais.

"Exactement", confirma Sirius. "Il héritera - a priori, il n'y a qu'un embryon et il est de sexe masculin - de la part de Régulus". Tout ça était dans l'article.

"Vous allez en faire d'autres ?", questionna Narcissa sèchement.

"Nous verrons. Aucune planification."

"Mais vous avez le moyen de recommencer", regretta clairement sa cousine.

Sirius admit d'un signe de tête.

"Il sera le premier-né mâle après toi", souligna alors Lucius sur le ton de la conversation.

"Il sera l'héritier de son père. Pas le mien. Je serai son parrain", rappela Sirius. "Si ce qui vous inquiète est qu'il devienne un jour le chef de la maison Black, je dois vous prévenir : je travaille avec mon avocate à la réécriture des statuts de la Maison..."

"Il faut un conseil de famille pour les entériner !", intervint Narcissa.

"Effectivement, mais le fait est que les règles actuelles réduisent les femmes nées Black et mariées à un rôle consultatif sans droit de vote. Tu devrais me remercier de ma réforme, Narcissa."

"Mais cette femme, cette..."

"Abigail", fournit aimablement Régulus.

"Née Moldue", ajouta Lucius peut-être pour empêcher sa femme de prononcer les mots "Sang de bourbe".

"Pourra voter de fait, comme veuve officielle de Reg", admit Sirius.

"Tu aurais pu choisir mieux pour une telle entreprise !", jugea Narcissa.

"Regulus a choisi pour nous tous", rappela calmement Sirius avec un signe de tête vers le portrait de son frère.

"Je ne te laisserai pas insulter ma femme, Cissa !", explosait d'ailleurs le Reg du tableau.

"Mais, qui crois-tu impressionner, Reggie ! Une peinture d'un sorcier à peine majeur ! Tu crois que Sirius va t'inviter à son conseil de famille ?", persifla leur cousine.

"Je trouve, pour ma part, le choix de cette Abigail inspirant et éducatif", commenta alors Lucius en regardant Sirius comme pour l'inviter à une conversation en duo, ignorant les autres. "Une femme qui te doit maintenant tout... un enfant dont tu seras le tuteur pour les dix-sept ans à venir... Mes respects, cher cousin, c'est plutôt bien joué pour quelqu'un réputé impulsif et sanguin !"

"Sirius ne...", commença à s'indigner Reg avec moins de sang froid qu'il n'aurait sans doute dû. Mais son frère leva la main, celle de l'anneau, il se tut.

"Je vois que tu es partisan de l'obéissance", ajouta encore Lucius, l'air étrangement appréciateur.

"J'en ai soupé de tes jeux, Lucius, et de ta mauvaise humeur, Narcissa. Ne serait-il pas plus que temps d'en venir à l'objet de votre visite ?"

Les deux époux s'entre regardèrent.

"Ton ardeur à... honorer la mémoire de Reg, ici comme ailleurs, est... remarquable bien que finalement assez étonnante", commenta Narcissa, les yeux sur le portrait. "Des remords que je ne m'explique pas totalement."

"Ou trop facilement", lui proposa-t-il.

C'était une provocation, mais elle sembla étonnamment plaire à Lucius.

"On peut effectivement aussi postuler que nous avions mal jugé de la situation au préalable", estima Malefoy.

"La situation", s'empressa de relever Sirius, sourcilleux.

"Nous avons gardé cette idée de jeunesse que tu étais notre ennemi - que tu te voulais notre ennemi...", commença Lucius, insistant subtilement sur le pronom désignant Sirius.

"..., que tu abhorrais ton nom, ton sang, ta famille, ses valeurs", précisa Narcissa avec un empressement venimeux.

"Pas loin", lâcha Sirius sans doute trop vite. Les Malefoy se turent et il craignit d'avoir été trop franc. Inutilement. C'était une forme de poker - ce jeu moldu que James et Remus adoraient. Il fallait payer pour voir, savoir suivre et perdre pour éventuellement gagner.

"Mais tu as repris ton héritage, tu portes l'anneau", tenta Narcissa dans un effort de conciliation un peu pathétique et attendrissant à la fois tant il lui rappelait une jeune fille bien plus jeune et innocente.

Sirius se contenta cette fois d'un signe de tête bref et énigmatique que sa cousine pourrait interpréter à sa guise.

"Nous avons certainement des objectifs plus voisins que tu ne sembles vouloir le reconnaître", tenta Lucius, à son tour. Cette fois, c'est lui qui avait jeté un regard au portrait de Reg qui les écoutait avec attention.

"J'avoue que je n'ai aucune idée de tes objectifs, Lucius", dit Sirius en se demandant s'il était finalement de taille à tenir tête à ces deux Serpentards. La conversation durait et il n'apprenait rien.

"Redonner des perspectives à cette communauté... Tu es père maintenant, tu comprends ce besoin d'assurer l'avenir ; tu as revendiqué ton héritage ; on dit même que tu as été approché par Greengrass ! Tu as grandi et mûri, Sirius. Tu as appris combien ces histoires de Lumières et de ténèbres condamnées à s'affronter sont des contes pour les petits enfants et les âmes simples..."

"Nous sombrons dans les lois, les règles et les précautions", ajouta Narcissa d'un ton étrangement détaché, ses yeux gris comme les siens rivés sur lui. "Il faut rendre sa suprématie à la magie..."

"Doux Merlin...", lâcha Sirius préférant ravaler la bile qui lui venait.

"Il faut un leader-né pour cette seule tâche...", se risqua Lucius.

"... un sang le plus pur possible...", renchérit sa femme en détournant les yeux pour contempler le vide.

"Pas mon héritier !", s'alarma Regulus.

"Ce genre de décisions ne t'appartient pas", lui répondit Narcissa, presque gentiment.

"On peut tout à fait envisager, dans ce cas, de refaire cette opération avec davantage de détachement émotionnel", glissa Lucius.

"Je pense que, moi vivant et chef de cette famille, vous devez vous convaincre que votre plan n'a aucune chance de se réaliser", énonça lentement Sirius, les mains crispées sur son bureau. Jamais la tentation d'utiliser la puissance de l'anneau sur quelqu'un n'avait été aussi forte.

"Vous devriez partir", estima froidement Regulus.

Malgré leurs positions antérieures, les Malefoy suivirent cette fois le conseil d'un tableau représentant un sorcier à peine adulte et décédé. Seul Lucius parut hésiter une dernière fois avant de passer la porte.

ooo

"Ce n'est pas que ta plainte ne soit pas recevable, Sirius", estima Kingsley Shacklebolt qui avait accepté de venir en discuter en personne Square Grimmaurd. "Il doit bien rester quelques vieilles lois datant de la dernière guerre permettant d'inquiéter des gens ayant évoqué des pratiques de magie noire..."

Pour une fois, tout le monde avait été d'accord pour penser que Sirius ne pouvait pas laisser passer les menaces voilées envers son neveu à naître et sans doute sa femme, voire l'ensemble de sa famille. Sirius avait laissé un message à la Division pour Kingsley qui l'avait rappelé par cheminée. Il s'était montré prêt à se rendre au Bureau de Londres - ce qui aurait été la première fois où il y aurait remis les pieds depuis son arrestation. Kingsley avait proposé plutôt de passer dès qu'il avait lâché le nom des Malefoy. Dans le même bureau où il avait reçu Lucius et Narcissa, sous les regards anxieux du portrait de son frère, d'Aesthélia et d'Abigail, Sirius réalisa qu'il aurait dû anticiper une forme de refus.

"Mais ?", enquêta-t-il bien décidé à ne pas laisser les non-dits se tapir dans les coins.

"Mais... c'est ta parole contre la leur", regretta Kingsley.

"Régulus est témoin..."

"Régulus est un tableau, une représentation de ton frère cadet, et un tableau qui t'appartient, Sirius. Il ne faudra pas un juge très progressiste pour trouver que ça frise la collusion de témoins..."

"On ne peut rien faire ?", insista Aesthélia. Toujours, son léger accent brésilien enchantait même des paroles défaitistes.

"Par la voie légale, j'ai peur que nous soyons limités par la nature de l'accusation, sans preuve, juste ta parole - je ne dis pas qu'elle ne vaut rien, mais les Malefoy... Lucius est un avocat ; il s'est sorti de pires accusations que ça et je suis certain qu'il a commencé à réfléchir à sa défense en sortant d'ici", développa Kingsley. Sirius ouvrit la bouche pour protester, mais le grand Auror leva la main avec autorité. "Laisse-moi terminer, Sirius. Si ça ne suffisait pas, le moment n'est pas propice à la division affichée de notre communauté : les Guildes ont commencé à voter ; Scrimgeour est en campagne nuit et jour et, si je pose ce type d'accusations sur son bureau, il va l'enfouir bien vite sous une pile. Au mieux, il laissera son successeur trancher ; au pire, il classera l'affaire contre le soutien des Malefoy..."

"Je préfère ne rien entendre", commenta Abigail amèrement. "Mon enfant - notre enfant - personne ne veut sauver un enfant ? Ce n'est pas cette maison qui me protégera des Malefoy !"

"Je peux leur interdire l'accès", soupira Sirius, prenant en compte l'objection de sa belle-sœur. "Et les elfes nous y aideront".

Il se rappela avec un peu de gêne que le jeune et intelligent Bloom pouvait être de fait pris dans un conflit de loyauté afin de venir en aide à la sans doute jolie Nonny.

"Magnifique ! Et je vais donc finir ma vie cloîtrée ici, et mon enfant aussi !?" craqua immédiatement Abigail et Aesthélia lui prit la main.

"À très court terme, il n'y a sans doute pas beaucoup d'alternative", plaida Kingsley. "Mais ça ne suffira évidemment pas. Il faut aussi surveiller les Malefoy."

"C'est-à-dire ?", soupira Sirius. "Si ce n'est pas une opération officielle... Tu imagines quoi, Kingsley ? Que l'Ordre le fasse ?"

L'Auror marqua clairement un temps de réflexion avant de proposer : "Je ne peux pas te promettre que je vais réussir à mettre ça en place ce soir mais... oui, je peux essayer de mobiliser du monde sur cette surveillance. Et que ce ne soient pas des Aurors est aussi une garantie contre d'éventuelles fuites. Par ailleurs, je pense que tu pourrais demander une protection officielle... après la publication de l'article… dire que tu es inquiet en raison du courrier que tu as reçu, par exemple..."

"Personne ne nous a menacés après la publication de l'article !", s'énerva de nouveau Abigail.

"... par mesure de précaution... Le temps que j'aie mis sur pied des équipes de surveillance un peu solide des Malefoy. Je suis lieutenant, je peux accéder à ta demande immédiatement, Sirius, sans l'accord de Scrimgeour", plaida encore Shacklebolt de sa voix grave.

"J'imagine que c'est mieux que rien", conclut Sirius en se disant que ses relations avec la justice britannique restaient marquées d'une bien étrange amertume.

ooo

Voilà, voilà, on retourne au combat. Dites-moi ce que vous en pensez !