L'envol 39 | Rien d'innocent

Abigail faisait depuis le matin les cent pas devant les fenêtres, soulevant les rideaux « pour voir au moins un coin de ciel bleu ou un arbre ». Jamais depuis qu'elle vivait avec eux, elle n'avait manifesté un tel intérêt pour le dehors. Aesthélia avait essayé de lui proposer des activités sans tellement de succès dépassant la demi-heure. Abigail disait qu'elle se sentait en cage : « Une cage dorée reste une cage. »

Sirius aurait pu totalement sympathiser avec cette opinion s'il n'avait pas eu l'impression d'avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour assurer la sécurité de sa famille en cours d'élargissement. Quand Aesthélia partit donner ses cours à l'Université, la tension monta encore d'un cran, et Sirius arriva seul à la conclusion que, lorsqu'il prétendrait aller chercher Cruz à Poudlard, sa belle-sœur allait définitivement craquer.

« Tu veux venir avec moi à Poudlard, Abigail ? », proposa-t-il donc ce qui eut l'effet immédiat d'arrêter la femme de son frère dans ses allées et venues.

« À Poudlard ? »

« Je vais aller chercher Cruz. Cheminette et carrosse…. Sécurité haute tout le long – on parle de Poudlard. »

« Il ne faut pas les prévenir, dehors ? », questionna-t-elle.

Sirius décida de regarder la question en face. Il y avait la procédure et il y avait le risque de collusion d'un des agents dehors avec leurs ennemis. Leur surveillance savait que Poudlard comptait parmi les destinations régulières de la maisonnée. Shacklebolt n'avait pas demandé qu'ils renseignent tous leurs mouvements. C'est ce qu'il répéta à Abigail.

"Allons, alors", décida immédiatement sa belle-sœur sans un instant d'hésitation. Sans doute, la destination n'avait pas tellement d'importance.

À Poudlard, dans le parc ou dans les couloirs, les élèves les plus âgés les reconnurent - pas seulement, lui, qui venait presque chaque jour, mais Abigail aussi. Et visiblement certains lisaient assez la Gazette pour faire des commentaires derrière leur dos.

"Ils... savent", articula sa belle-sœur.

"Oui", confirma Sirius en la guidant vers l'entrée officielle de l'aile des professeurs. M. Rusard comme d'habitude se porta à leur rencontre. Abigail lui jeta plusieurs regards dérobés puis sembla se convaincre qu'il n'y avait rien de mieux à faire qu'ignorer les curieux.

"M. le directeur sait-il que vous êtes accompagné, M. Black ?", s'enquit le concierge, leur barrant ostensiblement la route. "Je ne peux pas laisser des personnes non annoncées se promener dans l'aile des professeurs ou où que ce soit dans le château. Nous avons déjà assez de problèmes avec les élèves !"

Sirius se demanda ce que le Cracmol pensait des activités de son directeur et s'il devait se méfier de lui. Ce qu'il savait réellement, par exemple, de l'identité réelle de Cyrus. Il se demanda si laisser de telles questions à Lunard et Rogue, surtout à Rogue, était de la démission de sa part.

"Ma belle-sœur a souhaité m'accompagner. Elle n'était pas revenue ici depuis des décennies", répondit-il aimablement, laissant le reste pour plus tard. "Prévenez, bien sûr, le professeur Lupin."

Ils n'attendirent que peu de temps. Remus apparut quelques minutes plus tard, Harry et Cruz sur les talons.

"Tia Abigail !", s'exclama cette dernière, a priori ravie.

"Vous avez le temps de partager une tasse de thé ?", proposa Remus.

"Avec plaisir", décida Sirius, sûr qu'Abigail n'était pas pressée de rentrer Square Grimmaurt. "Tout le monde a été sage ?"

"Il semble bien", sourit Remus avec simplicité.

Ils s'engagèrent derrière lui dans les escaliers de l'aile des professeurs, Cruz commentant les lieux pour Abigail tout le long de leur escalade. Le thé les attendait chez Remus, évidemment, et Linky s'affaira sans attendre pour les servir. Harry et Cruz se montrèrent contents de parler en détails des Scroutts-à-pétard qu'ils avaient nourris avec Hagrid. Aucune conversation compliquée et Abigail eut l'air de se détendre jusqu'à ce qu'une plume se matérialise dans l'air et que la voix de Severus Rogue retentisse : "Lupin, j'arrive avec l'Auror Tonks. Je crains qu'il se passe des choses que Black devrait savoir. S'il est encore avec toi, retiens-le."

On pouvait dire ce que l'on voulait de Rogue, mais il avait toujours su faire en sorte que Sirius le remarque.

"Harry, emmène Cruz dans ta chambre", décida immédiatement Lunard. "Je ne veux même pas en discuter", il rajouta parce que son filleul n'avait pas l'air de goûter l'ordre.

"Je n'ai pas le droit de savoir ?", alla même jusqu'à demander ce dernier avec une défiance affichée qui serra le cœur de Sirius.

"Je n'en sais encore rien", fut la réponse franche de Remus. "Harry, je ne te cache pas les choses pour m'amuser. Ne pas savoir certaines choses te protège - tu n'as pas à être responsable de mes décisions d'adulte. Et ne pas savoir certaines choses trop tôt te permet d'être encore un peu l'enfant que tu dois être. Tu en sais beaucoup plus sur la noirceur du monde que la plupart des enfants de dix ans, Harry."

La plaidoirie de Lunard eut l'air de calmer un peu son filleul et les enfants se retirèrent, Linky derrière eux, suivant un geste de la main de Remus, sans doute pour éviter qu'ils écoutent aux portes ou pire. Sirius essaya de son côté d'évaluer si la présence d'Abigail constituait un problème sans savoir comment le verbaliser. La porte s'ouvrit sur le directeur adjoint de Poudlard - à moins qu'ils aient alors en face d'eux un membre de l'Ordre du Phoenix - et sa cousine, l'Auror aux cheveux roses, Nymphadora Tonks, sans qu'il ait trouvé de réponse. Tonks avait l'air assez sombre malgré sa coloration capillaire. Severus, lui, bloqua immédiatement sur la présence d'Abigail.

"On peut s'isoler", proposa Sirius diplomatiquement.

"Ça la touche au premier chef", fut le commentaire de Tonks battant de vitesse toute répartie que ce cher Rogue devait être en train de ruminer. Sa cousine ne perdit pas davantage de temps pour révéler ce qui les inquiétait : "Sainte-Mangouste a été cambriolé et tout le matériel... génético-magique restant de... Régulus a été volé."

"Seulement ça ?", vérifia Remus avec plus d'à propos que lui. Tonks confirma d'un bref signe de tête.

"Quelqu'un qui ne s'est pas embarrassé de subtilité", commenta Rogue. Aucun doute à avoir, il aurait été plus "subtil".

"Des pistes ?", pressa Remus.

"Tellement peu de traces que l'usage de magie noire ou de matériel interdit est quasiment avéré. Des analyses sont en cours, mais tout le monde est convaincu à la Division", lui répondit Tonks sans détour.

"L'attrait d'un géniteur fameux", proposa Severus, l'air essentiellement fasciné par l'ampleur des possibilités. "Quelqu'un qui ait en tête de réclamer un héritage dans quelque temps. L'idée est de Susan."

"Toutes les précautions juridiques dont vous avez entouré la... l'insémination vont être particulièrement utiles dans ce cas", commenta Nymphadora. "J'avoue que je crains des trucs moins... des trucs bien pires qu'une chasseuse d'héritage."

"Comme quoi ?", s'enquit Sirius, sa voix ressemblait à un coassement témoignant de son inquiétude intime.

"C'est justement de ne pas en avoir une idée précise qui me stresse", fut la réponse de sa cousine. "Néanmoins..."

"Les Malefoy", affirma alors Abigail qui jusque-là avait l'air assommée dans son fauteuil. "On a déjà constaté leur... tu as parlé de fascination, Sirius, pour Regulus et... ce qu'il aura laissé derrière lui..."

"Je ne vois pas ce qu'ils feraient d'un... rejeton de Regulus", objecta Rogue, mais avec un air sérieux qui disait quand même qu'il ne réfutait pas totalement l'hypothèse.

"Sainte-Mangouste détenait... aussi l'Horcruxe ?", s'inquiéta Remus.

"Susan a préféré utiliser d'autres méthodes de conservation", indiqua Severus sur le ton de l'évidence.

"Le voleur qui qu'il soit ne dispose donc que de matériel génétique", ponctua Remus.

Sirius avait la bouche trop sèche pour parler. Dire qu'ils avaient été là, face à lui, dans sa propre maison ; qu'ils avaient parlé de créer un mage noir ; et qu'il s'était contenté de les jeter dehors.

oo la disparition des Malefoy

L'affaire fut dans les journaux dès le lendemain matin. Commentée avidement malgré le manque de pistes et d'informations concrètes disponibles.

Il y avait d'abord une inquiétude assez compréhensible quant aux limites objectives de la sécurité de Sainte-Mangouste. Sirius apprit ainsi avec un peu de tristesse que plusieurs couples étaient venus retirer le matériel qu'ils avaient confié à l'hôpital, repoussant voire annulant des inséminations prévues. Dans les différentes interviews qu'elle avait accordées, Susan Smiley les mettait d'ailleurs en garde sur les conditions de conservation "qui sont difficiles à maintenir" de ce matériel. Par ailleurs, pressée de donner des hypothèses sur les motivations du vol, le médicomage se montrait notoirement plus sobre avec les journalistes qu'auprès de son ami Rogue, se contentant d'exprimer sa surprise et son désarroi.

À la question pertinente d'un journaliste qui lui demandait ce que le voleur pourrait faire de ce matériel, Susan prétendit que "même un usage reproductif, comme celui que nous venons de réaliser pour Abigail Black sera compliqué. Ce n'est pas seulement une question d'expertise. Le matériel de Regulus Black n'est pas tout à fait ordinaire."

Tout en jouant distraitement avec sa chevalière, Sirius réalisa que la Médicomage parlait ici de la nécessaire utilisation de son propre sang pour autoriser une fécondation. Est-ce qu'elle espérait réellement décourager les voleurs de mener de telles expérimentations ? Est-ce qu'elle essayait de se rassurer elle-même sur l'impossibilité de l'utiliser ?

De tribunes, en éditoriaux, en passant par le courrier des lecteurs, c'étaient bien les motivations des voleurs qui enflammaient les imaginations. Et, là, le nom des Black constituait un bon carburant pour nourrir les hypothèses les plus diverses - et la possible fabrication d'un héritier qui viendrait réclamer sa part de la fortune et du prestige de la maison des "Toujours purs" était envisagée plusieurs fois.

"Est-ce que si je renonçais à tout ce fatras, on nous rendrait le sang de Reg ?", osa formuler Sirius à haute voix. "Est-ce qu'on me foutrait la paix, une bonne fois pour toute ?!"

Aesthélia comme Abigail s'unirent pour penser que non et lui conseiller d'arrêter de lire le journal.

Sirius se sentit néanmoins obligé d'avertir son frère-tableau. Ce dernier parut totalement atterré par le vol et ses implications. Que ce soit pour fabriquer un héritier et réclamer une part de la fortune Black, pour se venger de lui - il devait bien y avoir des gens à qui il avait fait du tort pendant la guerre - ou, pire, que les Malefoy estiment son patrimoine génétique parfait pour la fabrication d'un nouveau Voldemort, toutes les hypothèses le terrifiaient.

"Je suis désolé", promit Sirius. "Le Bureau des Aurors est sur le coup, tout à fait officiellement pour le coup. Tant qu'on n'en sait pas davantage..."

Il n'eut pas besoin de terminer sa phrase, toute sa maisonnée semblait comprendre sa retenue.

"Tu devrais peut-être appeler Narcissa", répéta néanmoins plusieurs fois Aesthélia durant les deux premières journées après le cambriolage.

"Si elle trempe dans l'affaire, elle me rira au nez !"

"Le fait est que si elle n'y était pour rien, il me semble qu'elle aurait appelé", jugea sa femme et Sirius se rendit compte qu'il espérait sans doute encore que sa cousine n'y soit pour rien.

Les journalistes ne furent pas longs à les assiéger pour leur demander leur avis. Ils se cachèrent derrière Barbara Straightford qui diffusa un communiqué très officiel signé par Aesthélia, Abigail et Sirius, déplorant le vol "qui prive la lignée de Régulus Black de davantage de descendance légitime" et "entache inutilement la réputation de Sainte-Mangouste, institution en laquelle nous répétons notre entière confiance". Barbara leur avait proposé de rajouter une phrase qui aurait invité les voleurs à négocier le retour du matériel, mais Abigail avait refusé la main sur son ventre encore plat. "J'ai toujours détesté le chantage."

Ce communiqué leur offrit un répit provisoire d'une journée tout entière. Ils avaient presque tous repris une vie normale, s'apprêtant à accueillir Harry pour la pleine lune maintenant toute proche. Abigail se reposait beaucoup. Aesthélia se consacrait à ses cours. Sirius envisageait de soutenir financièrement Greengrass dans son projet de fondation. Quand Nymphadora sonna à leur porte, ils se préparaient de fait à se mettre au lit.

"Les Malefoy ont disparu", fut son entrée en matière quand le couple prévenu par un elfe l'eut rejoint dans le salon. "Ma mère a voulu les appeler pour voir ce qu'ils pensaient... s'ils avaient une idée de qui pouvait être derrière ce vol. Je lui ai dit de ne pas s'en mêler mais... vous la connaissez !", développa-t-elle se mettant à marcher en long et en large devant la cheminée de leur salon. "Aujourd'hui, elle s'est agacée que sa sœur ne lui réponde pas depuis trois jours. Elle s'est rendue au Manoir et l'a trouvé vide de ses occupants. À peine quelques vieux elfes laissés en arrière-garde répétant que les maîtres sont en voyage... On n'a pas obtenu mieux quand on s'est rendus sur place."

"En voyage", répéta Aesthélia avec l'air de partager pleinement les soupçons de Tonks, qui prenaient maintenant solidement racines dans l'esprit surchauffé de Sirius.

"Ne t'inquiète pas, Aesthélia, le Ministère et notre commandant pensent, que ma mère et moi nous montons la tête. On ne peut accuser des piliers aussi nobles et solides de notre communauté !"

L'amertume de sa cousine fit mal à Sirius. Mais La jeune Auror ne lui laissa pas le temps de l'exprimer :

"Reste que Shacklebolt pense, comme moi, qu'il serait naïf de ne pas vérifier qu'il n'y a aucune relation entre la disparition subite de Narcissa et Lucius et celle du sang de Regulus... On n'a aucune preuve qui tienne juridiquement. On ne peut que mener une enquête officieuse, mais... je voulais vous tenir au courant."

Sirius eut l'impression que la jeune femme allait s'enfuir.

"C'est quoi votre plan ?", la pressa-t-il pour la retenir. Il ne pouvait la laisser partir en ayant l'impression qu'ils ne mesuraient pas ce qu'elle et son mentor faisaient pour eux.

"Au Manoir, on a pu établir, même si on n'en avait pas le droit formel, qu'ils ont utilisé un Portoloin pour partir. Kingsley a interrogé ses potes à la brigade et le seul Portoloin qui est parti du Manoir est allé sur la côte sud", expliqua-t-elle à peine radoucie. "On est bien d'accord qu'un séjour à Ramsgate ou Bournemouth ne constitue pas un 'voyage' nécessitant d'embarquer toute la maisonnée ?"

"Ils ont évité un voyage international qui aurait laissé des traces", imagina Sirius.

"On a une preuve qu'ils aient quitté le pays ?", s'enquit Aesthélia, avec un détachement méthodologique qu'aucun Auror n'aurait désavoué.

"On a trouvé un passeur connu de la Brigade mort dans son bateau - il habite dans un bateau... Un avada kedavra propre et net. Pas d'autre trace de magie dans le bateau - tellement peu qu'on peut dire qu'on s'est employé à les faire disparaître. On a trouvé une Limefface... dans la soute à voiles..."

"Une Limefface ?", questionna Aesthélia.

"Je ne sais pas le nom brésilien, mais c'est le nom d'une petite créature, un genre de grosse limace qu'on trouve sur les pentes de l'Himalaya. Son importation est interdite, mais a de fait lieu. Les Limeffaces : ils se nourrissent de traces de magie... Ils nettoient un lieu de sa magie par leur présence, mais si on reste trop longtemps à leurs côtés, on peut avoir des hallucinations, voire connaître des modifications d'aura", récita Tonks avec précision et pédagogie.

"Rien d'innocent", jugea Sirius pour la satisfaction de Tonks.

"Reste à savoir qui l'a tué - ça peut difficilement être ceux qu'il a fait passer", souligna Tonks. Sirius et Aesthélia acceptèrent l'hypothèse avec un temps de retard qui les aurait fait sourire en d'autres circonstances.

"Un complice", supposa Sirius.

"La mort du passeur devrait être considérée comme suspicieuse et donc nous permettre de creuser de ce côté-là. Mais pour le reste, le continent est vaste et ils peuvent avoir voyagé bien plus loin..."

"Des pistes indirectes", commenta Sirius avec empathie.

"Je voulais juste que vous soyez au courant", répéta Tonks en conclusion.

oo

Les bras d'Aesthélia ne suffirent pas cette fois. Peut-être parce qu'elle-même était totalement démunie face aux derniers développements. Ils discutèrent longtemps puis Sirius sentit qu'elle avait besoin de dormir et fit semblant de faire de même - espérant qu'il en soit même ainsi. Il sentit pourtant assez rapidement qu'il n'en serait rien. Il attendit quand même, immobile, maîtrisant son souffle, jusqu'à ce qu'il soit sûr qu'Aesthélia ait succombé. Il se leva ensuite avec le plus grand silence et des gestes infimes pour ne pas la réveiller et sortit de la chambre. Il gagna son bureau et se planta devant la fenêtre regardant la place moldue derrière la vitre éclairée par des lumières électriques et une lune croissante à essayer de trouver un sens à cette dernière séquence.

"Sirius, tu ne devrais pas dormir ?", s'enquit la voix de Regulus dans son dos.

"J'aimerais dormir, mais je n'y arrive pas", reconnut Sirius en se retournant pour lui faire face. "Tonks pense que les Malefoy ont volé ton sang à Sainte-Mangouste... Ils ont disparu, prétextant un voyage dont nul ne sait rien... Un passeur a été trouvé mort... Mais qu'est-ce qu'ils ficheraient de ton sang, Reg ?"

"Pas seulement de mon sang", lui rappela sombrement son frère, grave et sérieux.

"Mais, c'est inutilisable ! Pour faire un autre enfant, il faudrait mon sang. Et puis, nous avons l'Horcruxe... "

"Mon échantillon est protégé de la dégradation par son existence", rappela Regulus, précis, mais pas moins sombre. "Pour le reste... j'avais espéré en effet que ton sang reste un verrou difficile à contourner."

"Tout à fait, raison de plus. Qu'est-ce qu'ils vont faire de ça ?", insista Sirius souhaitant tout à la fois que Reg ne lui ait rien caché, mais qu'il ait quand même des idées qui leur permettent d'avancer.

"Je ne dis pas que ce serait simple, mais... Ils cherchent sans doute quelque chose de ce style... Ils cherchent même exactement ça : du sang pur et de la magie noire... Si quelqu'un doit arriver à quelque chose avec ça... c'est eux."

"Tu ne me rassures pas !"

"Désolé."

Les deux frères s'observèrent dans la pénombre.

"Enfin, on est d'accord, Narcissa n'a toujours eu que des notes moyennes et aucune passion pour la théorie - en dehors de celle qui lui évitait d'avoir à faire ses preuves puisque son sang était pur ?", essaya de se rassurer Sirius.

"Mais Lucius a toujours été plus curieux", souligna Regulus, à la fois jeune dans sa prestance et terriblement vieux dans son absence de naïveté. "Et s'il n'a pas non plus fait autant d'effort que moi ou que Severus pour comprendre les mécaniques à l'œuvre, il a été prêt à financer et à écouter ceux qui le faisaient. C'est bien parce qu'il sait que j'ai travaillé sur ce genre de choses qu'il veut récupérer mes recherches."

"Mais tu m'as juré que ce qu'on leur avait donné n'avait aucun rapport !", s'énerva Sirius, ne cherchant aucunement à maîtriser sa voix ou ses gestes. S'il devait intimider Regulus, ce serait pour la bonne cause !

"Je n'ai pas menti, Sirius. Ce n'est pas dans ce qu'on leur a donné qu'ils sauront ce que j'ai fait. Mais je ne les vois pas s'aventurer seuls sur de tels sujets. Déjà, tu l'as dit toi-même, ils ont au moins un complice ici qui a tué le passeur... Ils ont un tueur, ils ont peut-être aussi un théoricien... sûrement même"

L'hypothèse arriva trop vite dans l'esprit de Sirius. "Rogue ?!"

"Sirius, je croyais que Severus t'avait prouvé qu'il n'était pas le méchant Mangemort de tes rêves !", protesta Regulus allant jusqu'à lever les yeux au ciel.

"Il a pu me tromper !"

"Et tromper aussi ton ami Remus ? Et voler Susan ? Tu le vois tuer le passeur et retourner en cours à Poudlard le lendemain matin ? Le théoricien est avec eux, où qu'ils soient partis se cacher !"

La logique voulait que Reg ait raison. Même si les tripes de Sirius avaient du mal à accepter cette raison.

"Par contre, lui saurait peut-être qui ils ont pu vouloir rejoindre", estima Regulus après un long moment de réflexion.

ooo

Sans avoir dormi, Sirius alla déposer toutes ces questions fiévreuses sur le bureau de son ami Remus, comme l'appelait Reg, en même temps qu'il amena Cruz. Il demanda ensuite logiquement à voir Rogue pour obtenir des réponses. Remus le contempla pensivement - trop longtemps pour que l'ami en Sirius ne sache pas qu'il n'était pas d'accord. L'enfant Cyrus quelque part dans sa tête était même plus inquiet que cela.

"Quoi !?", craqua Sirius.

"Je ne pense pas que Severus ait les réponses que tu espères", formula Remus dans ce qui était sans doute un effort notable de diplomatie.

"Ou tu crains qu'il les ait", insinua Sirius, imperméable à ces efforts.

"Je vois que tu as passé une très mauvaise nuit"

"Tes leçons à la Papa, tu peux te les garder, Lunard !", explosa Sirius.

"Tu veux vraiment qu'on se dispute ?", soupira Remus avec une empathie affichée qui aurait pu être la goutte de trop.

C'est peut-être parce que la chevalière à son annulaire droit le picota comme pour lui dire qu'elle était là pour lui quand tous l'abandonnaient que Sirius se maîtrisa. La Chevalière n'avait encore jamais été de bon conseil, au contraire. Et Remus, lui, avait mis en péril tout ce qu'il avait construit avec travail et dévouement pour le sortir d'une sombre geôle.

"Je ne veux pas que tout m'échappe", avoua Sirius. Ça sonnait pourtant plutôt comme un cri de rage.

"Je ne dis pas que Severus ne peut pas avoir d'idée... Mais je sais que les Malefoy le considèrent avec suspicion... et qu'ils se seront plutôt gardés de lui qu'autre chose. Mais si on cherche un expert tel que ton frère le définit, il peut avoir des idées... Je vais lui demander."

"Je peux lui demander poliment."

"Il est en cours, débarquer avec toi lancerait de nouvelles rumeurs, le braquerait aussi sans doute... et vous deux braqués, Merlin... je ne crois pas que ça nous ferait avancer bien vite", raisonna Remus toujours patient et plein de sympathie pour son impatience à lui.

"Ce soir ?", plaida Sirius.

"Peut-être. Il faudra peut-être lui laisser du temps. Mais je te donnerai des nouvelles en vous amenant les enfants."

La simple idée du nombre d'heures qui devait s'écouler entre maintenant et ce moment crispait Sirius. Mais ce soir était aussi la pleine lune et il avait une responsabilité à assumer envers son filleul, se répéta Sirius.

"Mais Severus n'est pas le seul à pouvoir avoir des idées. Albus a un vrai réseau partout en Europe, voire au-delà. Les Malefoy sont peut-être partis discrètement, mais je doute qu'ils puissent longtemps cacher totalement leur présence où qu'ils soient", remarqua encore Remus.

"On peut en faire des choses en pas longtemps", soupira Sirius.

"Je mesure l'urgence", promit Remus. "Je sais que Tonks et Kingsley mettent tout le temps qu'ils peuvent sur l'affaire du passeur et s'en servent pour chercher plus largement. Je vais questionner Severus. Si tu veux faire avancer les choses, met en branle le réseau d'Albus... Andromeda ou Greengrass sont également bien placés pour poser des questions sur où sont les Malefoy... Tu n'as pas à mener une bataille solitaire", conclut son ami avec ses yeux ambrés pleins d'empathie et de compréhension.

"Je sais", mentit Sirius en essayant d'avoir l'air innocent. Le sourire de Remus lui apprit qu'il était transparent.