40 | La meilleure chance
"Dariusz Brytan", lâcha Remus quand ils eurent fermé la porte du bureau de Sirius sur les voix enjouées de Cruz et Harry courant dans les escaliers, Tonks était là aussi, arrivée à peine quelques minutes avant Remus et elle sortit immédiatement un carnet de sa poche. Remus épela obligeamment le nom avant de continuer. "Bulgare, spécialiste en potions, est connu pour des travaux de recherche sur les éléments permettant de donner corps aux émotions humaines, de les donner à voir aux autres - c'est ce que j'ai compris des explications de Severus."
"Quel lien avec Lucius ?", questionna Sirius, ignorant la mention de l'adjoint de Lunard.
"Severus dit que Dariusz a fait plusieurs séjours chez nous pendant la guerre... En fait, je pense qu'il veut que je comprenne qu'il a travaillé avec lui pour Voldemort sans l'obliger à le dire", indiqua Remus dont l'empathie ne se limitait visiblement pas aux errances du dernier chef en titre de la maison Black.
"Je me souviens de Dariusz", commenta alors Regulus. Il les écoutait perché sur une fontaine qui coulait en permanence sur le côté droit du tableau qui l'abritait. Si ça avait été la réalité, les robes de son frère auraient été trempées, songea Sirius. "Fasciné par l'idée d'un pouvoir magique absolu... permanent... Exactement ce qui m'a fichu la frousse", leur confia Reg avec humilité. "Un grand théoricien, même si certains aimaient dire qu'il ne valait pas son père, Nemir... Mais nous, on se sentait gosses devant lui... Certains aimaient se dire qu'il pourrait tenir tête à Dumbledore lui-même. Qu'il en avait l'envergure et l'expérience."
"Bref, proche des Mangemorts pendant la guerre et théoricien, ce qui est un bon profil. Ce qu'il est devenu depuis doit pouvoir se vérifier. Severus est quasiment certain que Lucius a financé certaines de ses recherches récentes. Des sommes importantes", précisa Remus.
"Je vais chercher", affirma sobrement Tonks sous ses mèches roses.
"La Bulgarie alors ?", réfléchit Sirius à haute voix. Il fallait donner corps à cette idée, à ce lieu exotique et distant d'où pouvait provenir une menace sur sa famille.
"Le réseau d'Albus pourrait se concentrer là-dessus", proposa Remus. Ses yeux étaient un peu brillants comme fiévreux et ses traits plus marqués que d'habitude. La lune. Et il était là à s'inquiéter des manœuvres des Malefoy et des impulsions de Sirius.
"Je vais l'avertir", lui assura ce dernier.
"Il faut qu'il se repose", appuya Tonks avec un geste infime vers Lunard qui émut Sirius.
"La lune est loin d'être levée", regimba Remus les dents serrées.
"Mais être fatigué n'aide en rien", commenta sa petite amie.
"Je voudrais pouvoir être là pour toi, cette nuit", énonça Sirius pour son ami.
"Je préfère me dire que tu veilles sur mon fils", lui assura Remus.
"Puisque je ne vous suis d'aucune utilité...", s'agaça Tonks en faisant mine de se lever.
Sirius la retint en prenant son poignet au vol.
"Tu en fais tellement plus que je n'en suis capable, Tonks ! Tu enquêtes pour de vrai et on ne saurait rien de ce qui se trame sans toi", lui promit-il. Les yeux gris de sa cousine se radoucirent un peu, mais la blessure restait là, et Sirius pensait savoir d'où elle venait. "Ne prends pas ombrage des vieux souvenirs de deux copains... Ta place est autre et sans rivale."
"Je protégerais Harry s'il..."
"Nul n'en doute", affirma Sirius.
"Il ne me demande pas", souffla Tonks avec un signe de tête pour Remus, froid, distant et résigné.
"Il ne se l'autorise pas. Je suis sûr que tu le sais. Mais Harry sait qu'il peut compter sur toi. Il n'hésiterait pas s'il en avait besoin", estima Sirius.
"Ne parle pas pour moi", s'agaça Remus. "Je n'ai plus quinze ans."
"Je parle pour Harry".
"Pas seulement. Et tu n'en as pas davantage le droit !"
"Mais tu ne dis rien !", reprocha Tonks, véhémente, coupant à Sirius la possibilité de répondre.
"Est-ce le lieu et le moment ?", soupira Remus.
"Pourquoi pas ?", questionna Sirius en même temps que Tonks, elle, estimait que non,
Un silence tendu suivit. Sirius lâcha le poignet de Tonks, regrettant presque d'avoir suivi son impulsion. Il avait certainement usurpé sa place légitime et ranimé les pires démons de Remus. A quelques heures de la pleine lune.
"Ne serait-il pas judicieux de garder votre énergie individuelle et collective pour traquer et confondre nos ennemis plutôt que de vous faire du mal les uns les autres ?", s'enquit alors Regulus avec cet ennui étudié qu'il avait pris de leur mère.
Tous les vivants levèrent des yeux agacés vers lui.
"Un portrait sentencieux et hautain, exactement ce qui nous manquait", grinça Tonks en remettant en place une mèche rose avec un geste d'agacement marqué.
En réponse, Reg se contenta de hausser les épaules avec un geste finalement assez innocent et charmant. C'est avec une empathie que Walburga n'a jamais ressentie de l'avis de Sirius que son petit frère essaya encore de les convaincre : "Nous avons assez d'ennemis pour éviter de nous faire du mal entre nous... Et on est souvent maladroit quand on veut protéger ceux qu'on aime... Je parle d'expérience."
Sirius n'osa pas regarder les autres, mais il sentit le sourire de son ami Lunard, cette autodérision intime qui était le meilleur rempart contre ses démons nombreux, quand il répondit : "Merci de ce rappel, Regulus. Effectivement, nous avons mieux à faire." Il y eut un nouveau silence pendant lequel Sirius retint son souffle, s'interdisant d'articuler le moindre son ou de faire le moindre geste. "Je m'excuse d'être trop inquiet et tendu pour me rendre compte que je ne te traite pas bien, Dora."
"C'est la lune", estima sa cousine en retour. Prête à tout pardonner aussi vite qu'elle s'était emportée.
"C'est un peu commode même si ça doit certainement jouer", admit Remus en détournant les yeux.
"Je vais chercher où se cache Albus", annonça Sirius en quittant la pièce en espérant que Reg ait la subtilité de respecter l'intimité de Remus et Tonks.
oo Albus confirme la Bulgarie. Il met ses amis sur l'enquête
Tonks et Remus partirent ensemble ce soir-là, ce que Sirius prit comme un signe positif. Lui essaya vainement de joindre Dumbledore, tant est si bien qu'il finit par se concentrer pleinement sur les besoins de sa fille et de son filleul. Il découvrit ainsi combien Harry savait déjà de choses en astronomie et en théorie magique. Cruz tenait d'ailleurs pour vrai tout ce qu'il disait et le défendait de manière automatique dès que Sirius se sentait obligé de corriger une imprécision ou une généralisation. Abigail jugea, quand les enfants furent couchés, que le jeune Harry en savait peut-être un peu trop pour un enfant si jeune ; Aesthélia, au contraire, qu'il ferait sans doute un bon ethonomage plus tard. Sirius, lui, n'osa pas se demander à haute voix si tout avenir n'était pas rendu plus qu'incertain par les manœuvres des Malefoy. Mais il passa une bonne partie de la Lune à se poser la question.
Quand il se leva pour prendre son petit-déjeuner avec sa famille, un message d'Albus l'attendait. Le grand sorcier lui promettait de le voir "dès que possible", lui précisant qu'il avait bien reçu son message et qu'il "prenait des dispositions". Siris s'était interdit d'avoir trop d'attente, mais un second message - un patronus envoyé par Tonks - arriva avant la fin du repas, proposant un lieu d'entrevue "aussi tôt que possible". Sirius ne sut pas quoi en faire : l'arrière salle du pub que son frère Abelforth tenait à Pré-au-lard ? Sirius y avait quelques bons souvenirs de cuites. Était-ce vraiment le lieu pour discuter de magie noire et des Malefoy ?
Il se rendit néanmoins au rendez-vous après avoir déposé Cruz et Harry à Poudlard en ayant la vague impression de faire l'école buissonnière. Remus avait l'air de penser qu'il n'avait pas besoin de venir. Peut-être ruminait-il encore la dernière intervention de Sirius dans sa vie amoureuse. Quand Abelforth le conduisit, le pub était vide et Tonks était assise à côté de Dumbledore. Peut-être que Lunard comptait sur ses propres sources.
"Mes informations recoupent les vôtres", expliqua assez posément Albus une fois qu'Abelforth leur eut apporté du thé et Sirius refusé poliment tout "truc plus fort". "Lucius et Narcissa ont été vus en Bulgarie. Ils se sont installés dans un domaine qui appartient à la famille Brytan. Ils ont peu socialisés, mais la bonne société magique bulgare est au courant de leur arrivée."
Sirius voulut savoir comment Dumbledore savait ça. Il apprit ainsi l'existence de la famille Spasov qui envoyait régulièrement des rapports à Albus. Le père Vasile, un ancien Auror, avait monté une société privée de sécurité avec sa fille, Marina. Ils semblaient mener l'enquête activement, et Tonks semblait en savoir plus que lui. Sirius se demanda vaguement au nom de quoi sa petite cousine était au courant avant lui et ce que les Spasov devaient à Dumbledore, mais il préféra être à la hauteur de sa réputation et persifler : "Un bal est prévu ?"
"Non, et je préférerais qu'il y en ait un. J'aurais moins de craintes quant à l'agenda de Lucius et Brytan", estima Albus avec une patience un peu marquée. Il y eut une pause, infime, et il ajouta, comme une conclusion logique de ce qui précédait. "Sirius, vous devez parler à Narcissa."
L'idée de s'abaisser à demander audience à sa folle de cousine n'aida pas l'estomac de Sirius. "Pour lui dire quoi ?", aboya-t-il. "Pour lui demander poliment de me rendre le sang de Reg ?"
C'est Tonks qui répondit : "Les Spasov ont réussi à introduire un jardinier et un chauffeur - des postes qui ne peuvent pas être tenus par des elfes", elle précisa - concentrée et professionnelle, Sirius le voyait bien. "Ils témoignent de disputes entre Narcissa et Lucius, de différences d'opinions marquées. Ils disent qu'elle a l'air malheureuse et délaissée, repliée sur son fils..."
"Vous espérez que ces désaccords soient assez profonds pour qu'elle le trahisse ?", douta Sirius à haute voix. Aucun des deux ne lui répondit. "Je ne sais pas grand-chose de Narcissa, au final, mais j'ai l'impression qu'elle n'est pas si mal tombée, de son point de vue, au jeu des alliances entre grandes familles, avec Lucius."
"Il ne faut pas sous-estimer sa colère ou sa divergence", estima Albus, patient et songeur. "Il faut lui laisser une chance."
"Albus, avec tout le respect que je ne peux qu'avoir pour votre largeur d'esprit... c'est Narcissa qui m'a quasiment assiégé pour récupérer les affaires de Reg ! Je ne sais pas ce qui l'oppose à Lucius, mais je ne la vois pas le trahir."
De nouveau, Albus sembla volontairement laisser Tonks lui répondre.
"Je vais te dire ce que pense Andromeda, Sirius. Elles se sont parlées - Narcissa a fini par répondre à ses multiples messages", se lança sa cousine, ses yeux dans les siens. "Narcissa partage certainement une vision suprémaciste du sang avec Lucius. Mais pas au point de soutenir son projet actuel de création de toute pièce d'un nouveau mage noir - même portant le sang des Black. Oui, elle voulait l'héritage de Regulus, mais sans doute pour obliger Lucius à composer avec elle... et pour le soustraire à ton initiative... Mais là, seule en Bulgarie, elle serait prête à négocier avec nous."
Sirius repoussa à sa grande surprise la grande sortie cynique qui lui venait. C'était ténu, comme un fil de lumière dans l'obscurité, mais il ne pouvait pas dire qu'il n'avait pas envie d'offrir à Narcissa, et à travers elle à toute sa putain de famille névrosée, une chance de rédemption. Même s'il ne croyait pas qu'elle allait l'accepter, il devait essayer. Il devait pouvoir dire à Cruz, à Harry et au futur fils de son frère qu'il avait essayé.
"Négocier ? Vous imaginez qu'elle va m'inviter à prendre le thé ? Que Lucius va nous laisser faire ?", il persifla de nouveau pour se donner une contenance.
"Ma mère peut faire le lien", annonça Tonks sans perdre une seconde. "On doit pouvoir organiser quelque chose."
"Lui tendre la main", répéta Albus avec l'air de penser que c'était une stratégie suffisante.
"Essayons", s'entendit accepter Sirius. Restait l'impression qu'il avait de nouveau perdu pas mal d'initiative. Mais Albus et Tonks avaient apporté des informations nouvelles dont il aurait été mal avisées de ne pas tenir compte, s'obligea-t-il à se rappeler. Ne s'était-il pas promis d'écouter ce que les autres avaient à dire, de prendre en compte toute l'expertise disponible, de ne plus se jeter tête en avant dans des plans mal ficelés ? Restait son égo.
"Tu ne pouvais pas me le dire avant ?", grogna -t-il pour sa cousine quand ils sortirent ensemble de la Tête de Sanglier.
"Je ne pense pas que tu m'aurais écouté si Albus n'avait pas ouvert la voie le premier", estima sa cousine sans tellement de détours. "Tu es comme Remus, quelque part, tu es cuirassé dans tes certitudes. Tout ce qui bouge te fait flipper."
"Pardon ?", s'étrangla Sirius sidéré. Sa petite cousine aux cheveux roses lui disait ça à lui, qui s'était échappé d'Azkaban, qui avait renoué avec son amour de jeunesse, qui s'était réconcilié avec son frère ennemi - et il en oubliait certainement ?
"Mais tu veux être le seul gentil, voire le chef des gentils, et que les méchants restent les méchants", pointa Tonks avec ses cheveux roses qui reflétaient la lumière de l'éclairage public. "Comme Remus veut être cet incompris souffreteux."
"Tu exagères", arriva à articuler Sirius.
Elle haussa les épaules dans la pénombre.
"On ne changera pas le monde, ou même un tout petit morceau de son fonctionnement, seulement en étant gentils entre nous - n'en déplaise à Regulus ! Convaincre Narcissa que Lucius les emmène droit dans le mur est notre meilleure chance. Si je pensais qu'elle pouvait un instant m'écouter, je n'hésiterais pas."
"Mais je ne pense pas qu'elle m'écoutera."
"Si tu n'étais pas mieux placé de mon point de vue, je pousserais ma mère à le faire ou j'irais moi-même, quitte à me prendre en pleine face tous les sortilèges interdits qu'elle a appris tout au long de sa vie", insista Dora avec obstination.
"Je n'ai pas l'impression que tu me laisses le choix !"
"Parce qu'il n'y en pas réellement d'autres", elle affirma, avec la certitude de la jeunesse. Sirius se prit à l'envier.
oooo
Il fallut encore deux semaines pour que cette improbable entrevue ait lieu.
Un temps suffisant pour envisager différents scénarios et réunir certains artefacts en se basant sur les rapports réguliers des Spasov. Mais un temps suffisamment long pour douter de la pertinence de laisser sa famille - sa femme, sa fille, sa belle-sœur portant l'héritier de son frère - pour aller tenter de sauver Narcissa, sans doute contre son gré, sans parler de récupérer le sang de Regulus..
"Tu es bien plus le chef de clan que tes parents espéraient que tu ne le veuilles", estima Aesthelia, a priori fatiguée de l'entendre se plaindre. Ça faisait bizarrement écho aux paroles de Tonks? et la mention de ses parents ne fit pas de bien aux doutes de Sirius.
Sirius doutait encore lorsque Tonks lui tendit le Portoloin et lui expliqua qu'ils allaient arriver dans une forêt proche du manoir où les Malefoy se sont installés. Les Spasov seraient en place pour les aider. Elle répéta inutilement que sa mère avait arrangé l'entrevue avec Narcissa. Sirius avait eu bien des conversations à ce sujet avec Andromeda et continuait pourtant de se demander si, quelque part, ils ne se faisaient pas totalement manipuler par les Malefoy.
Il douta encore lorsque la sensation de crochet au ventre l'informa qu'il était sans doute trop tard pour faire machine arrière. Il doutait toujours quand ils se matérialisèrent côte à côte, baguette à la main, prêts à riposter. Aucun sortilège ou maléfice ne les attaqua, ils rempochèrent leurs baguettes, mais il continua de douter alors que Marina Spasov les saluait.
"Vous avez l'objet ?", s'enquit-elle, dans son anglais très accentué. Une belle femme juste un peu plus âgée que lui sans doute. Blonde, maigre, sanglée dans un imperméable mastic qui rappelait des héroïnes de films moldues embringuées dans de complexes intrigues politiques - totalement adapté à la situation. À ses côtés un homme qui aurait pu être son père, vêtu de vêtements de travail et qu'elle présenta sous le nom de Kamen - pas son père donc.
Sirius sortit un petit sac en velours et lui tendit.
"Mon épouse le prendrait très mal s'il s'égarait", souligna-t-il.
"Kamen va se mettre en place. Vous pouvez lui faire confiance, il a été Auror comme mon père", indiqua Anila en tendant la bourse à son compagnon qui eut un signe de tête déférent pour Sirius, mais pas un mot.
De fait, ça ressemblait à une opération d'Aurors ou à une opération secrète de l'Ordre. Aux genres de missions qui excitaient très clairement le jeune Sirius de vingt ans qui s'engageait contre Voldemort. Le Sirius de trente ans se rendit compte qu'il était plus nerveux et dubitatif qu'excité. Il opina néanmoins en retour, et Anila le conduisit jusqu'à la serre où d'après Andromeda mais aussi d'après les rapports des Spasov, Narcissa passait l'essentiel de ses journées à soigner sa collection d'orchidées emmenée dans ses bagages.
La serre était magnifique avec des ferrures ouvragées. Sirius avait vu des photos du manoir, une imposante bâtisse en bois peinte de fleurs et de créatures magiques. Elle n'était pas visible de la serre, un petit bois les séparait. C'était parfait sur le parchemin, mais Sirius ne cessait de craindre une trahison de Narcissa. Malgré les assurances d'Andromeda. Malgré les Spasov. Malgré Tonks à ses côtés.
"Paranoïa", lâcha-t-il entre ses dents serrées.
"Je trouve ça sain", indiqua alors Tonks qui fermait la marche. "Vigilance constante. Ne rien tenir pour acquis, mais ne rien refuser non plus."
Un Sirius de vingt ans n'aurait pas bien pris qu'une gamine de son âge aux cheveux roses lui dise des choses pareilles. Le Sirius de trente ans sentit un sourire se glisser sur ses lèvres et quelque chose se détendre dans sa poitrine.
"Je vais faire de mon mieux", promit-il aux deux femmes qui resteraient en surveillance de la serre.
Sa cousine était de dos quand il entra. Un grand tablier gris couvrait des robes assez simples et ses cheveux étaient attachés. Sirius ne se souvenait plus quand il l'avait vue dans un costume aussi modeste. Elle se retourna d'un coup, une motte de terreau à la main, qu'elle laissa couler dans une bassine avant de s'essuyer les mains à la hâte et de faire une brève révérence, rien de moins.
"Sirius. Tu es seul ?"
"Quelle importance ?", répliqua Sirius en croisant les bras. Les yeux gris de Narcissa se posèrent immédiatement sur la chevalière Black à son annulaire.
"Évidemment que non", décida Narcissa dans un souffle. "Tu invoques le... l'autorité du chef de clan ?"
Peut-être que s'il n'y avait pas eu tout ce qu'il avait appris auprès de Remus et Harry, d'Aesthélia, et surtout de Cruz, Sirius aurait ri ou se serait moqué. Mais là, il décida d'essayer sincèrement d'aborder les choses autrement. Malgré ses doutes. Il chercha et trouva donc un tabouret sur lequel il se percha et attendit que Narcissa ait trouvé son propre siège pour commencer.
"Je pense que tu as une idée très claire de pourquoi je suis là, Narcissa. Je veux savoir ce que trame Lucius, avec ce Brytan, et pourquoi il a volé le matériel génétique de Reg. Ce qui est moins clair pour moi, c'est ce que, toi, tu attends de notre entrevue."
"Andromeda m'a dit qu'elle t'avait expliqué."
"J'aimerais l'entendre de ta bouche."
Narcissa se redressa lentement sur son tabouret et Sirius se prépara à essuyer au mieux un refus.
"J'imagine que le mieux pour te convaincre est de commencer par le début", commença Narcissa avec sa diction un peu traînante mais précise et son inimitable port de tête. "Quand Lucius a croisé ma route à Poudlard, il était tout ce que je pensais vouloir comme compagnon. Un sang pur qui voulait être respecté et influent. Un bel homme aussi. Ses aspirations, ses engagements politiques étaient les miens. Ses désirs aussi. Nos lignées étaient hautement compatibles."
Malgré toute sa persiflerie naturelle, Sirius se sentit obligé d'opiner.
"Néanmoins, même avant la chute de Voldemort... j'ai pensé que cette voie n'était pas totalement la mienne", continua sa cousine en fronçant le nez. "Je n'étais pas Bellatrix. La violence est... le contraire de ce que j'attends de la vie... Oui, je crois à la supériorité des Sangs Purs - si je te disais le contraire, Sirius, tu ne me croirais pas et tu aurais raison... Je crois à l'harmonie d'un monde où chacun sait sa place. Où la beauté et l'élégance règnent... La guerre n'est ni beauté ni harmonie. Et d'ailleurs elle n'a pas amené plus de reconnaissance aux sangs purs et aux traditions millénaires."
Sirius n'osa pas faire un geste pendant que Narcissa semblait contempler ce mauvais résultat. Il n'osa pas plus lui demander où elle comptait aller avec cette histoire. Il se força à penser à Marina et Tonks qui veillaient dehors à ce que cette rencontre ne se transforme pas en traquenard. À sa promesse à Andromeda. À l'insistance d'Albus.
"Mais Lucius a su se construire une place dans ce monde. Imposer le respect. Nous étions assez heureux ensemble", soulignait Narcissa toute à sa narration. "Je comprenais son envie d'en faire plus - par exemple, en élevant ce petit Harry pour en faire l'instrument de notre ambition. Je l'aidais de mon mieux. Je savais les recherches qu'il finançait mais... il avait ses recherches et moi, mes orchidées - des... passions intéressantes et présentables pour des gens de notre standing."
A "recherche", Sirius avait dû braquer un regard plus insistant vers sa cousine et celle-ci le questionnait des yeux. Il opina donc pour libérer la suite.
"Mais quand ta fille, que nous croyions ton fils, est apparue en Angleterre et que j'ai voulu l'enlever à ce Lupin qui nous avait déjà pris le petit Harry... Lucius a refusé de m'aider. Il a dit que ce n'était pas la voie. Qu'il avait autre chose en tête. Que c'était cela qu'il cherchait dans les affaires de Regulus... Qu'il ne fallait pas se tromper de combat. Sauf que tu nous as empêché de les récupérer... Je n'aurais jamais cru que tu en savais autant sur les recherches de Regulus !"
"Je ne savais pas ce que vous cherchiez... mais je n'avais pas confiance", indiqua Sirius. Les yeux de Narcissa s'étrécirent, mais acceptèrent cette vérité.
"Quand cette fille est tombée enceinte... quand tu l'as fait inséminer."
" Abigail ?", vérifia Sirius.
"Lucius était fou de l'avance que tu avais prise", lui confia Narcissa dans un soupir. "Je lui ai demandé s'il... s'il voulait que je porte cet enfant... mais..."
"Quel enfant ?"
"Celui qui doit devenir le prochain seigneur des Ténèbres." Les mots remplirent tout l'espace de la serre. Les yeux gris de Narcissa ne le lâchaient pas quand elle précisa : "Lucius et Dariuzs prétendent que la mère doit être symboliquement au moins une née moldue. Ils la cherchent activement - je crois qu'ils l'ont même trouvée. Ils ont eu un peu de mal à prendre le contrôle du matériel génétique - comme tu l'appelles - de Regulus. Mais ils semblent avoir trouvé comment s'en servir pour donner une seconde chance à la puissance de Jedusor et créer le mage noir parfait..."
"Et tu t'opposes à ce noble projet ?", il réussit à répondre d'une voix mondaine quand il fut certain qu'elle en avait fini.
"Je m'oppose à ce que Lucius fasse passer ce projet... incertain et discutable... avant la sécurité et l'avenir de notre famille... une construction totale avant notre fils..."
Des termes précis, mesura Sirius, et donc sans doute sincères.
"Tu lui as fait part de tes doutes."
"Et il m'interdit de voir Drago", confirma Narcissa, droite de colère froide, Sirius la connaissait depuis trop longtemps pour l'ignorer. Et c'était bien le désaccord dont les sbires des Spasov avaient parlé. "Il sait qu'il me tient par notre fils."
"Tu es prête à quoi, Cissa ?", questionna Sirius.
"Je te retourne la question."
"Dis-moi ce que tu veux", il soupira.
"Je veux un avenir pour mon fils unique. Je veux que tu le protèges de son père."
"Lucius saura que tu..."
"Je ne demande rien pour moi, Sirius", le coupa vivement Narcissa, rompant pour la première fois avec sa maîtrise consommée de la conversation et du maintien. "Drago... Je peux me sacrifier pour lui, Sirius. Je peux faire aussi bien que cette Lily Evans que tout le monde admire !"
"Mais j'ai besoin de toi, moi, Cissa. J'ai besoin que tu témoignes auprès des Aurors, que tu nous aides à démonter le plan de Lucius et de Brytan", posa Sirius ignorant la provocation finalement assez maladroite.
"Nous avons un mariage sorcier... Tu sais bien que, tant qu'il... tient, je ne peux pas trahir davantage Lucius sans... perdre..."
Elle n'arriva pas à terminer sa phrase. Perdre sa magie lui faisait plus peur que la mort, apparemment.
"Je peux défaire ton mariage... Invoquer cette vieille autorité moyenâgeuse conférée par ce putain d'anneau et ordonner la fin de cette union qui dessert notre famille", énonça Sirius reprenant les termes mêmes proposés par Androméda sans cacher sa frustration. Lui qui rêvait de changer les choses utilisait bien trop des symboles et des magies qu'il réfutait.
"Tu... ferais ça ? C'est entrer en guerre ouverte", souligna assez bravement Narcissa.
"Je ferais ça et je protégerais Drago, si tu t'engages à témoigner", confirma-t-il.
Il fut content qu'elle prît le temps de considérer l'option.
"Quand ?" coassa-t-elle finalement.
"Maintenant." Elle n'eut pas l'air de le croire. "Je peux faire enlever Drago maintenant. L'équipe est en place. Je peux dissoudre ton mariage en même temps et nous transplanerons ensuite jusqu'au Bureau des Aurors bulgares... Maintenant."
