L'ENVOL 42 | Se faire à l'idée
Rufus Scrimgeour, le commandant des Aurors britanniques, était à la table du petit déjeuner quand Sirius pénétra le lendemain matin dans la salle à manger de leur hébergement. À sa droite, son homologue bulgare. À sa gauche, Shacklebolt.
Sirius en était encore à peser les implications de cette présence intimidante quand il entendit Narcissa, assise en face du trio, répondre à une question inaudible : "Je ferai ce que me conseillera mon chef de clan." Ses yeux rencontrèrent ensuite ceux de son cousin et elle ajouta avec toute la déférence requise :"Bonjour, Sirius."
Narcissa avait toujours eu le sens de la mise en scène. Et toute la petite assistance, suivant la volonté de sa cousine, se tourna alors vers lui dans un ensemble impressionnant. Sirius réussit, de justesse, à se retenir de lui demander de changer de chanson.
"Commandant Scrimgeour, Sirius Black", s'empressa de les présenter formellement Amos Diggory qui était lui-même à côté de Narcissa.
"Bonjour, monsieur Black", le salua Rufus Scrimgeour en se levant pour lui serrer la main. C'était un homme petit et sec, aux yeux jaunes perçants - seule une crinière de cheveux adoucissait son allure - à moins qu'elle ne renforce encore ce qualificatif de léonin que Sirius avait lu accolé à son nom dans la Gazette. L'homme était juste assez jeune pour qu'ils n'aient jamais eu l'occasion de se rencontrer avant Azkaban. "Je demandais à votre cousine si elle souhaitait porter plainte pour usage abusif de la force lors de l'arrestation de son... ex-mari."
"Évidemment", estima Dolores Ombrage assise à l'extrémité droite de la table. "Cette affaire doit être éclaircie. Le Ministre veut qu'il ne subsiste aucune zone d'ombre."
"Sirius ?", s'enquit Narcissa avec déférence, mais aussi insistance. Il semblait impossible d'éviter la question.
"Je... je ne comprends pas totalement ce qu'apporterait cette plainte", se risqua lentement Sirius, regrettant l'absence de son avocate ou de Remus. "Il me semble qu'une opération pareille appelle obligatoirement l'ouverture d'une enquête."
"Monsieur Black se souvient bien de nos procédures", apprécia Scrimgeour se tournant vers Shacklebolt, qui maintint une expression farouchement neutre. "Il y aura effectivement enquête dans tous les cas, mais si Madame... Black, votre cousine, porte plainte... un juge sera saisi et pourra imposer des compensations... à défaut de sanctions."
"Si juge condamner conduite mes Aurors, je sanctions prendrai ", tonna alors le chef des Aurors bulgares.
De nouveau, tous les regards étaient sur Sirius. Comme s'il était décisionnaire autrement que parce que Narcissa le prétendait. Qu'elle dise donc ce qu'elle voulait.
"Tu veux des compensations, Narcissa ?", s'enquit-il donc en s'asseyant à ses côtés et en se servant un café.
"Je veux que mon fils grandisse sans porter l'opprobre des choix de son père", formula sa cousine, visiblement solidement accrochée à son modèle de distinction tout autant que de soumission apparente.
"Je pense, Commandant Scrimgeour, que vous avez votre réponse", estima Sirius.
"Ce n'est pas...", commença Ombrage.
"Vous avez la décision de la famille Black, Madame la Conseillère", la coupa Narcissa avec hauteur.
"Le Ministère se portera partie civile", estima Ombrage en fuyant le regard de Narcissa pour essayer de s'imposer à Scrimgeour qui tint le choc avec la solidité attendue.
"Madame la Conseillère, la procédure existe. Vous devez vous rapprocher du directeur du Département d'Application des Lois Magiques seul habilité à le faire. Je ne peux préjuger de sa décision", fut son commentaire précis et courtois.
Sirius se demanda à quel point leur intervention pour "sauver" sa cousine mettait en péril les carrières de Scrimgeour, de Shacklebolt et de Tonks. Il en ressentait un peu d'embarras - une position qu'il n'était pas certain qu'il aurait eue avant Azkaban ou même avant Cyrus. À sa surprise, Narcissa semblait avoir suivi des pensées similaires.
"Si je dois encore préciser ma pensée", commença-t-elle avec un regard bref pour Sirius. L'idée qu'il pouvait lui demander de se taire et qu'elle obéirait était vertigineuse. "Ma priorité est mon fils, sa sécurité et son avenir. L'Auror Tonks et l'Auror Shacklebolt ont protégé mon fils en l'emmenant chez mon cousin Sirius. Je ne peux que les remercier et je le répéterai autant de fois que nécessaire. Une opération conjointe britannique et bulgare a essayé d'arrêter mon ex-mari, Lucius Malefoy, alors qu'il... s'adonnait à des activités interdites et... propres à déstabiliser nos communautés… Je l'ai déjà dit et je le répète après une nuit de réflexion : Lucius n'aurait jamais voulu être arrêté. Il aurait préféré mourir que d'être condamné à Azkaban - lieu qu'il a visité plusieurs fois en sa qualité d'avocat." Elle eut une infime inspiration qui permit à chacun de se pénétrer du sens profond de ses propos avant de reprendre avec une émotion contenue du plus bel effet : "Je remercie ma famille de m'aider à tourner la page au plus vite, à me tourner vers l'avenir plutôt que dans des pensées de vengeance ou de procédures de compensation… Peut-on compenser la perte de son père pour Drago ? Je ne pense pas que de l'or l'aidera. Ce qui l'aidera, c'est de pouvoir grandir en paix, avec sa famille."
Du grand art.
oo
Leur retour en Angleterre fut très étroitement encadré par les Aurors britanniques, en troupeau. Pas un instant pour échanger avec Shacklebolt, dont Sirius craignait toujours d'avoir torpillé la carrière. À la manière dont leurs gardes lui dirent qu'Aesthélia était déjà prévenue de leur arrivée, il comprit qu'il serait malvenu de lui faire parvenir son propre message. D'ailleurs, à part lui annoncer qu'il allait lui imposer, au moins provisoirement, la présence de Narcissa, qu'avait-il à lui dire qu'elle ignorait vraiment ?
Pourtant, il était un peu anxieux quand une voiture du Ministère s'arrêta devant le 12 square Grimmaurd. Aesthelia était une femme patiente. Une femme intelligente. L'amour de sa vie. Mais il ne lui imposait, après tout, qu'épreuve après épreuve. C'est avec ce genre de pensées circulaires et défaitistes, qu'il monta les marches, une Narcissa toujours étonnement maîtresse d'elle-même à ses côtés. Bloom ouvrit les portes en le saluant d'un "Bienvenue, Maître Sirius" et marqua un léger temps avant d'ajouter : "Dame Narcissa". Les Aurors ne passèrent pas le pas de la porte. Sirius leur assura que lui et Narcissa restaient à leur disposition.
"Madame Mal.. Black", se lança alors le plus gradé - plus gradé que Kingsley ou, en tout cas, chargé de l'équipe. "Merci de comprendre qu'avec les enquêtes en cours et les... demandes possibles du Ministère, le mieux est que vous restiez chez votre cousin. La maison est surveillée."
Subtil mélange de diplomatie et de menace, apprécia Sirius. Narcissa se tourna d'ailleurs vers lui, le rendant clairement responsable de toute réponse à apporter.
"Nous remercions le Département et le Bureau des Aurors pour leur protection", se contenta de répondre Sirius. L'Auror attendit. Sirius lui sourit en espérant que Remus serait fier de lui.
"Merci, Monsieur Black", finit par accepter l'Auror.
Aesthelia les attendait dans l'entrée devant le grand escalier, Cruz à sa droite, Drago à sa gauche. Le jeune garçon lâcha un "Mère !" plein d'espoir, mais se retint visiblement de se jeter dans les bras de Narcissa. Sirius ne manqua pas le regard de sa fille sur son petit cousin dont elle décida, contre toute attente, d'imiter la retenue.
"Narcissa, toutes mes condoléances", annonça Aesthélia, ouvertement raide et distante, contre toute la souplesse empathique brésilienne.
"Merci de me donner refuge, Lady Black", répondit sa cousine avec distinction et une humilité affichées.
"On va trouver des solutions", promit Sirius un peu au hasard et aucune des deux femmes n'eut l'air dupe de son assurance. "Si une chambre est prête, Bloom peut peut-être l'y conduire", proposa-t-il, et l'elfe s'empressa d'opiner. "Drago..."
"Drago, Sirius est notre protecteur et notre chef de clan", intervint Narcissa avec toute cette autorité formelle qu'elle croyait liée à ses gènes alors qu'elle l'avait apprise. "Présente-lui tes respects."
Drago prit l'information avec le fatalisme d'un semi-noyé voyant arriver une nouvelle vague. Il ouvrit la bouche pour s'exécuter, mais Sirius fut plus rapide que lui.
"Nos affaires sont des affaires d'adultes, Narcissa. Tu es ma cousine et je t'ai offert ma protection. Drago est ton fils. Cela suffit pour l'instant."
"Je veux qu'il comprenne..."
"Et moi, je veux que tu lui parles de son père, que vous pleuriez ce qu'i pleurer et que vous vous retrouviez", s'énerva Sirius avec plus d'émotion qu'il ne le pensait possible. "Et si tu es la mère inquiète de l'avenir de son fils que tu répètes être, tu ne devrais pas avoir d'autres priorités. J'ai moi-même comme priorité ma femme et ma fille. Le reste pourra attendre le thé."
"Pourquoi du thé ?", questionna Cruz avec des grands yeux gris, surpris et perplexes.
"Il parle du repas", essaya Aesthélia en prenant la fillette par les épaules, sans doute pour tenter de la contrôler.
Sans chercher à savoir ce que Narcissa pouvait en penser, Sirius souleva alors la fillette du sol pour la prendre dans ses bras.
"Je veux dire qu'on a tous besoin de repos et de calme avant de discuter de davantage de choses sérieuses. Et c'est toujours mieux de le faire autour de bonnes choses qui permettent de voir l'avenir avec optimisme", proposa-t-il en enfouissant son visage dans le cou de sa fille pour repousser ses démons intérieurs par son odeur et sa chaleur.
Quand il releva les yeux, il croisa le regard chaleureux d'Aesthélia mais aussi celui incertain, presque pour la première fois, de Narcissa.
"Emmène ton fils, Narcissa", répéta-t-il. Sa cousine acquiesça avec tout ce qu'elle réunit de distinction, mais Sirius percevait son trouble aussi sûrement que s'il l'avait ressenti lui-même.
"Par ici, Dame Narcissa", proposa Bloom.
Drago attendait avec un contrôle de son corps qui donnait envie à Sirius de hurler en signe de protestation de ce qu'on avait exigé de lui au même âge, en acte de réparation de ce qu'on avait tenté de faire de lui. Narcissa n'eut qu'un signe de tête et il vint à ses côtés, elle posa sa main sur son épaule et ils suivirent l'elfe sans qu'aucun autre mot ne soit prononcé.
"Ela não o beija?", souffla Cruz à son oreille avec une vraie tristesse dans sa voix.
"J'espère qu'elle le fera quand ils seront seuls", répondit Sirius avec sincérité. "Mais on ne lui a pas appris à embrasser et à montrer ses sentiments."
"Pobre Drago", estima l'enfant.
"Il faudra être patiente avec lui, Cruzinha", soupira Sirius.
"Ils vont rester ici ? Toujours ?"
"J'espère que ça ne sera pas aussi permanent ", admit Sirius en regardant Aesthelia par-dessus l'épaule de leur fille. "Mais un certain temps, sans doute. Et... Drago a besoin de soutien. Il a perdu son papa..."
"Comme tante Abigail", estima la fillette. "Et le cousin qui arrive."
"Un peu", reconnut Sirius.
"Tante Abigail, elle ne veut pas voir Drago et sa maman", lui apprit encore sa fille avec ses grands yeux gris et son air sérieux. Aesthelia soupira en guise de confirmation.
"Je vais lui parler. On va trouver des solutions", promit Sirius un peu au hasard une fois de plus. Était-il capable de tirer cette famille névrosée vers une vision commune ? Il l'espérait autant qu'il en doutait sincèrement. Une ambition démesurée même pour des Serpentards ? Un aveuglement comme seuls les Gryffondors savent les générer ?
"Drago, il ne peut pas avoir un Papa tableau comme le bébé de tante Abigail ?", s'enquit alors Cruz le prenant totalement par surprise.
"Il faudrait soigneusement choisir ce tableau, Cruzinha... Lucius n'était pas quelqu'un de très gentil... et sans doute encore moins dans l'image qu'il voulait projeter de lui-même."
"Comme les autres dans la Galerie", décida Cruz comme si tout cela avait plus de sens que Sirius ne l'envisageait. "Encore un cousin, mais pas de petit frère ou de petite sœur", remarqua encore la fillette, continuant à dérouler ses propres pensées.
Aesthelia détourna les yeux, mais elle luttait entre le rire et les larmes, Sirius l'avait vu.
"Pour l'instant, mais qui sait", proposa Sirius, conscient de l'engagement qu'il prenait, ne voulant rien d'autre que de le tenir.
Aesthelia le regarda, il lui sourit.
"Ça veut dire oui ?", vérifia la fillette en se reculant dans ses bras pour observer son visage. Qu'y lut-elle ? "Oui !, ça veut dire oui !", prétendit-elle, a priori ravie.
"Ça veut dire peut-être", tenta d'intervenir Aesthelia.
"Ça veut dire que je me fais à l'idée", indiqua Sirius pour les deux.
Cette fois, ce fut Aesthelia qui sourit la première avant de les enlacer tous les deux au milieu de l'entrée du 12, place Grimmaurd. Pas certain que le lieu ait déjà été investi d'autant d'amour positif, estima Sirius, farouchement. Avec un peu de chance, ça modifierait la magie du lieu. En bien.
ooo
Abigail l'admit assez facilement dans sa chambre quand Sirius frappa à sa porte après avoir passé tout le temps nécessaire avec Aesthelia et Cruz. Sa chambre - plutôt une suite composée de deux pièces et d'une salle d'eau - restait telle que le décorateur l'avait imaginée. À la recherche des signes de la présence de sa belle-sœur dans la pièce, Sirius nota un livre ouvert sur une petite table à côté d'un fauteuil tiré près de la fenêtre. "Les prénoms sorciers d'hier et aujourd'hui." Sirius décida que c'était une meilleure entrée en matière que de confronter sa belle-sœur sur ses peurs.
"Tu avances sur le prénom, alors ?", lança-t-il avec un entrain volontariste qu'il espérait contagieux. Ça marchait plutôt bien avec Harry ou Cruz, après tout. Et même parfois avec Remus ou Aesthélia.
"J'imagine que la question t'intéresse", commenta sa belle-sœur avec un temps de retard qui ne parlait pas d'entrain contagieux.
"Je suis curieux", il admit. "Je n'ai pas encore eu à nommer qui que ce soit... J'imagine que c'est difficile. Intimidant. Important."
"Vous n'en aviez pas parlé avec Aesthélia ?", questionna Abigail avec une vraie curiosité qui était déjà mieux que sa réserve initiale.
"La dernière fois que nous nous sommes vus... ni elle ni moi ne la savions enceinte... J'aime à penser que j'aurais pris d'autres décisions si... j'avais su... Mais rien n'est moins sûr", continua Sirius s'obligeant à la sincérité. "Mon pays était en guerre et mes amis étaient dans la ligne de mire de Voldemort. Je ne crois pas que je serais resté au Brésil à attendre de voir qui allait gagner. Peut-être n'aurais-je pas pensé que c'était à moi de capturer Peter... Peut-être aurais-je pensé davantage à mes responsabilités... Mais peut-être que non. Peut-être qu'il fallait dix ans à Azkaban pour comprendre qu'on ne se fait pas justice soi-même, que c'est exactement l'inverse de la justice."
Abigail eut d'abord l'air intimidée par ces confidences et Sirius se demanda s'il devait s'excuser et remettre à plus tard toute discussion.
"Regulus... Reg aimerait qu'on l'appelle Sirius", lui livra-t-elle quand il ne l'espérait plus.
"Pardon ?"
"Il dit que sans toi, cet enfant n'existerait pas", expliqua Abigail en le regardant dans les yeux avec une vraie curiosité.
"Sans lui non plus !"
"Tu voudrais qu'il se prénomme Régulus comme son père ?", s'intéressa Abigail.
"Je... Je ne sais pas si... je ne préférerais pas un autre prénom, ni le mien, ni le sien", tenta Sirius, dépassé par la tournure de la conversation. Rien d'un sujet léger finalement !
"Je pense qu'il faut assumer toute la... pompe, toute l'importance de la tradition pour une famille comme... la nôtre", estima alors encore Abigail, très sérieusement. "Cet enfant va devoir porter les conditions de sa conception... affronter les regards qui diront qu'il n'est peut-être pas légitime à porter le nom des Black... Je pense que c'est bien d'affirmer au contraire combien il l'est."
"Je comprends ton raisonnement. Je ne sais pas si je suis d'accord, mais je comprends", reconnut lentement Sirius. Il ne fallait certainement pas sous-estimer la malveillance humaine.
"Mais j'ai aussi envie qu'il ait en lui un peu de ma famille", continua Abigail a priori encouragée par sa réaction. "Mon père s'appelait Zachariah. Je pense qu'Orion Zachariah serait une bonne association."
"Zachariah Orion ?", tenta Sirius, frémissant à l'idée de voir un bébé porter le nom de son paternel.
"Zachariah n'est pas un nom associé aux Black", rappela Abigail avec patience. "Regulus dit que, peut-être, tu aimeras l'idée de pouvoir envoyer un jeune Orion dans sa chambre s'il n'est pas sage", rajouta-t-elle avec un ton de plaisanterie qu'il lui était peu habituel.
"L'envoyer... Abigail, je ne compte pas l'élever", contra Sirius, qui aurait aimé en rire, mais n'y arrivait pas.
"Il aura besoin de son tuteur parfois sans doute", estima Abigail avec calme. "Il aura besoin d'autres adultes dans sa vie que moi... Je sais que j'ai mal réagi au début, mais j'ai eu plusieurs conversations avec Aesthelia sur... élever un enfant, seule... Je mesure ce que vous proposez, Tonks et toi. J'en suis venue à voir ça comme une sécurité... comme une garantie que vous aurez ses intérêts à cœur. Quoi qu'il arrive."
Abigail réprima un frisson qui n'avait rien à voir avec la température de la pièce.
"Narcissa t'inquiète", supposa Sirius. "Mais te terrer dans ta chambre ne va jamais te protéger d'elle."
"Je compte sur... je peux compter sur toi ?"
"Évidemment", affirma Sirius. "Mais si tu as l'air de te cacher derrière moi, elle attendra seulement que je ne sois pas là. Tu dois affirmer ta place et tes droits, Abigail. Tu ne lui dois rien. Tu n'as pas à t'excuser de quoi que ce soit. Tu es l'épouse choisie par Regulus et la mère de son fils à venir. Crois-moi, dans le système mental de Narcissa, ce n'est pas rien. Elle cherchera sans doute à tester la limite de ta patience parce que, pour elle, on est au-dessus ou on est au-dessous. L'égalité est un truc avec lequel elle a beaucoup de mal. Ne te cache pas. Ne la laisse pas croire que tu as peur d'elle."
"Je pourrais dire que je suis lasse", tenta Abigail prenant un accent aristocratique sur le dernier mot.
"Effectivement", approuva Sirius en souriant. "Si sa présence te fatigue, n'hésite pas, Abigail. Mais cette après-midi, pour ce premier thé, sois là. De plein droit et sans peur. S'il te plaît. Aide-moi à lui faire prendre conscience qu'elle va devoir composer avec nous tous. Elle réclame notre aide, elle doit faire des concessions."
"Si c'est pour te rendre service", soupira Abigail toujours à la limite, nouvelle, d'une moquerie bon enfant. "Ok, Sirius, je vais me préparer mentalement à ne pas me laisser marcher dessus... J'irai voir Reg avant pour qu'il me motive..."
"Bonne idée", décida Sirius, en réalisant que la prédiction d'Aesthélia, comme quoi Abigail et Reg sauraient inventer leur couple, n'était peut-être pas totalement infondée.
"Tu lui as raconté ?" questionna Abigail alors qu'il allait sortir. "A Regulus", précisa-t-elle quand il se retourna.
"Non", soupira Sirius en réalisant que c'était sans doute nécessaire. "J'y vais."
Sa belle-sœur le remercia d'un sourire plus spontané et chaleureux que souvent. D'abord une plaisanterie, maintenant un sourire. Il décida qu'il n'avait pas le choix. Ce serait sans doute bref, se motiva-t-il encore en débloquant la porte de son bureau.
"Sirius, enfin !" fut l'accueil de son petit frère.
"Salut, Reg", tenta Sirius, mais il était clair que Reg était nerveux et agité. "Je ne suis pas rentré depuis très longtemps. Abigail va venir te voir mais..."
"Ils ont volé mon matériel génétique pour le détruire ?!", l'interrompit Reg en faisant les cent pas dans son tableau.
"C'est détruit ?", vérifia Sirius avec un truc qui ressemblait peut-être un peu trop à du soulagement.
"Je l'ai senti, comme une fulgurance !", confirma Regulus d'un ton peiné, les deux mains sur sa poitrine.
"Tu es certain ?" Le regard de Regulus le mit au défi de douter. "Certain, alors", admit Sirius.
"Un tel gâchis", marmonna son petit frère.
"Ça ne te met pas... en danger ?", vérifia Sirius.
"Comme si c'était l'important !"
"Abigail ne vivrait pas bien de te perdre... de nouveau", estima Sirius.
"C'est tout mon avenir qui est réduit !"
"Tu vas avoir un enfant, Regulus, même Abigail n'a jamais dit qu'elle était certaine d'en vouloir d'autres..."
"Comme il est facile de demander aux autres d'être raisonnable quand on peut serrer sa femme tous les soirs entre ses bras et savoir qu'on aura autant d'enfants qu'on le souhaitera !", hurla Regulus avant de disparaître de sa vue pour s'enfoncer dans les profondeurs du tableau.
"Reg !", tenta Sirius, mais aucun son ou mouvement ne lui répondit.
"Il reviendra quand il aura fini de bouder", estima une voix derrière lui. Il se retourna lentement pour trouver Abigail sur le pas de la porte. "Il n'est pas toujours très maître de ses émotions. J'ai parlé au peintre parce que j'avais lu que, parfois, c'était un problème d'exécution des charmes de peinture, mais il m'a dit que c'était surtout le reflet de son âge, de sa maturité au moment du tableau. Il a l'intelligence et les connaissances de Regulus... à la fin de sa vie, mais pas davantage de maturité affective qu'au moment du portrait. Et ça ne changera pas."
"Vraiment pas ?", vérifia Sirius, intimidé par les deux idées.
"Disons peu et n'espérons pas trop", estima Abigail. "Il ne faut pas que j'attende de lui... une maturité qu'il ne peut pas avoir. Je suis certaine qu'il va aimer son fils mais... je sais qu'il ne sera sans doute pas le père rassurant et guidant... qu'il faudra trouver d'autres solutions..."
"Que ses tuteurs jouent leur rôle par exemple", réalisa Sirius, se reprochant de n'avoir pas compris les motivations de sa belle-sœur. Ils se regardèrent un moment en silence, puis Sirius proposa : "Je vais vous laisser."
"Je ne pense pas qu'il reviendra tout de suite, surtout s'il a entendu ce que je viens de dire", soupira Abigail avec fatalisme. "Allons plutôt prendre le thé et rencontrer Narcissa. Je reviendrai te raconter, Regulus", lança-t-elle encore avant qu'ils ne referment la porte derrière eux.
"La destruction du matériel génétique ?", souffla Sirius sur le palier en regardant sa belle-sœur dans les yeux.
"Oui, ça réduit les possibles", admit Abigail avec une montée de larmes réprimée dans les yeux. "Mais depuis que ce matériel a été volé, je me dis que c'est le plus probable... et savoir que les Malefoy étaient derrière ça, avec des projets de création contre-nature... n'a fait que renforcer cette intuition. Franchement, s'ils avaient réussi et créé un enfant... dont je ne serais pas la mère... contre la volonté de Reg... ce serait horrible, Sirius... Surtout si cet enfant n'était pas... sauvable... s'il était sans âme, monstrueux... Je ne sais pas ce qu'ils avaient en tête..."
"Narcissa était contre", s'obligea à souligner Sirius.
"Eh bien, voilà au moins un point sur lequel nous sommes d'accord."
ooo
"Drago et moi n'avons aucun vêtement", leur expliqua Narcissa pendant le thé. Elle était capable de grands gestes sans faire tomber une goutte de breuvage sur le sol, constatait Sirius avec un détachement fasciné. "C'est totalement intenable."
"On peut faire une demande, mais je pense que ta maison ici est sous scellée comme celle en Bulgarie. Le plus simple est d'acheter le nécessaire", répondit-il, volontairement technique.
"Mais je ne peux aller nulle part", continua Narcissa. "Tu as entendu cet Auror ?! Je croyais que tu avais de bonnes relations avec eux !"
"Je pense que si on leur dit que tu as besoin de faire des courses, ils t'offriront une escorte."
"Est-ce qu'une veuve court les magasins ?!", s'interrogea Narcissa. Abigail eut l'air sidérée de l'objection. Peut-être se demande-t-elle si ça peut lui être reproché, estima Sirius.
"Nous avons suffisamment d'elfes pour faire ces achats". Sa cousine ouvrit la bouche et Sirius se pencha en avant vers elle. Elle la referma. "Cissa, il y a des solutions pratiques pour vos problèmes matériels. Je pense qu'au fond le problème est cette... nouvelle privation de liberté, cette intrusion dans ta vie du Bureau de Londres. Je comprends mieux que tu sembles l'envisager. Mon avocate vient demain matin. Si tu veux ton propre défenseur, nous pouvons lui demander de se joindre à nous..."
"Lucius s'occupait de ce genre de choses", soupira Narcissa abandonnant sa tasse. "Quand il déléguait, il avait recours à Sindri Rowles. Mais... je ne pense pas que Rowles soit le genre de sorciers que tu aies envie d'avoir dans ton bureau."
"Ne te trompe pas d'objection, Narcissa. Si tu veux qu'on te croie quand tu clames que tu n'as rien à voir avec les choix de Lucius, qu'il te les a imposés, il ne vaut mieux pas, en effet", commenta Sirius sans faire d'effort d'amabilité.
Aesthelia s'éclaircit la gorge.
"Ce ne sont pas des conversations pour de si jeunes oreilles", tenta-t-elle.
Drago était dans l'ombre de sa mère avec le même sandwich depuis le début du thé. Cruz, elle, à leurs pieds, une assiette devant elle, s'efforçait de ne pas mettre trop de miettes sur le tapis. Mais les deux partageaient une écoute totale des adultes. Et ils faisaient bien, selon Sirius.
"Je pense, au contraire, Aesthelia, que c'est une conversation que nous devons avoir tous ensemble", s'excusa Sirius. Il attendit que sa femme ait eu un geste d'assentiment pour se tourner vers sa cousine : "En dissolvant ton mariage, en exfiltrant Drago jusqu'ici, j'ai pris ton parti, Narcissa. Et tu as bien vu que des gens comme Ombrage pensent que c'est moi qui t'ai forcée. Je ne veux pas te dicter ta vie, Cissa. Mais je vais être très clair : je te soutiendrai tant que tu tiendras ta part du contrat. Et ça, je ne compte pas le cacher, ni à ma fille ni à mon petit cousin. Je ne crois pas que le mensonge en la matière aide quiconque à se situer."
"Drago a compris que tu as maintenant toute autorité sur lui...", commença à lui assurer Narcissa de son ton de femme du monde.
"Tu fais exprès, Narcissa ?", l'interrompit sèchement Sirius.
"Je... mais que veux-tu entendre, Sirius ?"
"Tu m'as déjà assuré devant différents témoins de ton obéissance sans que je ne te demande rien. Tu te caches commodément derrière moi. Je sais qu'on t'a appris à faire ça, je peux presque le comprendre", développa Sirius sans quitter sa cousine des yeux. "Mais là, il n'y a que nous : Aesthélia, ma femme, Abigail, la femme de Regulus, nos enfants. Alors ce que j'aimerais vraiment entendre maintenant, Cissa : ce sont tes envies, tes rêves et tes espoirs. J'aimerais voir s'ils concordent avec les miens. J'aimerais que, tous ensemble, on s'invente un avenir qui nous plaise. On n'est pas obligés d'être d'accord sur tout, mais on doit partager et chercher sincèrement ce compromis qui fera qu'on formera le fameux clan dont tu te gargarises."
"Nous, cinq ?", vérifia Narcissa après un long silence.
"Je t'accorde qu'Andromeda et Tonks ont les mêmes raisons d'être associées à nos décisions."
"J'ai du mal à croire que tu... veuilles réellement entendre... mes rêves, Sirius. Si ce n'est pour t'en moquer", lâcha un peu amèrement Narcissa, comme si elle abandonnait d'un coup toute prétention.
"Je ne demande qu'à te prouver le contraire", affirma Sirius. "T'ai-je donné des raisons de penser que je me moquais de toi ?"
"Tu as soigneusement trié les affaires de Reg", lui rappela sa cousine.
"À sa demande. Avec son aide", précisa Sirius, puis il fut fatigué de se justifier. "Et, je ne regrette rien. Et, je l'espère sincèrement, ce qu'elles contenaient correspondait aux rêves de Lucius, pas aux tiens."
"Je t'ai déjà dit que je ne pensais pas qu'il voudrait en faire ça..."
"Je ne demande qu'à te croire."
"Moi aussi, je voudrais être certaine que tu es sincère", articula Narcissa. Drago eut l'air aussi impressionné que Sirius par son ton parce qu'il se rapprocha de sa mère, sans oser la toucher, mais comme pour la soutenir malgré tout.
"Ça prendra du temps", intervint Aesthelia. "La confiance prend du temps. N'est-ce pas, Abigail ?"
"J'ai rarement rencontré des gens aussi soucieux des rêves des autres, que Sirius et toi", répondit lentement Abigail. "Je ne l'aurais pas formulé de cette façon sans cette discussion, mais, là, ça me paraît une évidence."
"Dans certaines traditions guaranies, ce sont les rêves qui disent la vérité", indiqua Cruz.
Narcissa la regarda comme si elle avait deux têtes, puis leva les yeux vers ses parents, silencieux, mais sereins.
"C'est ça que tu demandes quand tu réclames que je guide Drago", lui rappela Sirius avec un demi-sourire parce qu'il n'avait pas réellement de mal à savoir ce que pouvait penser Narcissa à cet instant. "Prenons le temps de bâtir nos rêves et nos vérités. Mais restons aussi concrets. Veux-tu que nous convoquions un autre avocat que la mienne ?"
"Est-il possible... d'attendre de voir ce qu'elle conseille avant de chercher d'autres avis ?", s'enquit Narcissa avec simplicité.
"Une démarche empirique et sage", approuva Sirius.
"On peut jouer maintenant, Daddy ?", quémanda Cruz sautant sur ses pieds. "Une vraie partie de Bavboules !"
"Il paraît que je ne suis pas à la hauteur", indiqua Aesthélia.
"Moi non plus", rajouta Abigail.
"Drago, tu te joins à nous ?", proposa Sirius en se demandant s'il ne devait pas plutôt l'inviter à manger davantage.
"Oui ! Mais cette fois, je ne te laisserai pas gagner, Drago !", intervient sa fille.
"Cruz !", protesta Aesthelia.
"Je veux dire.. si tu gagnes, tu gagnes, mais la dernière fois, je t'avais laissé gagner !"
Aesthelia eut l'air mortifiée de la précision, mais Abigail sourit en l'entendant.
"Drago, si tu perds, ce n'est pas très grave non plus", ajouta Sirius. Le fils de Narcissa le regardait avec des yeux écarquillés entre crainte et envie de le croire. "Tu pourras même dire que, cette fois, tu l'as laissée gagner."
"Daddy !", protesta Cruz.
"Drago ?", continua Sirius en tendant la main au garçon. Narcissa se retint visiblement de le pousser, mais finalement Drago se leva et acquiesça de sa propre initiative.
"Je vais faire de mon mieux", il commenta avec un regard nerveux pour sa mère.
"Magnifique", ponctua Sirius en prenant une assiette de sandwiches. "J'emmène de quoi tenir plusieurs parties. On ne sait jamais."
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Merci à vous tous merveilleux et patients lecteurs. Je vais lentement vous poster la fin de toute cette histoire, promis. Elle s'écrit petit à petit.
