Le Courrier de Newt: l'Expédition Suédoise
Ceci est une sorte de suite à A Letter To an Old Friend (/s/2859156/1/), de Sylvanawood (/u/1007968) qui m'a été inspirée pendant que je m'exerçais à traduire cette fic qui me plaît énormément.
C'est
aussi une réponse au défi "Potter-jeu-de-mot
n°19" de TWWO, avec les mots:
- Jungle
-
Irascible
- Flegme
- Encoche
- Pinailler
Disclaimer: L'univers et les personnages sont de JK Rowling, et l'idée originale est inspirée de Sylvanawood. Je ne gagne rien avec ce texte, sauf peut-être des reviews, et ça ça n'a pas de prix.
Spoilers: Toute la saga de JKR, mais principalement le tome 5. L'action prend place juste après, pendant l'été 1995.
Pour tous les animaux cités
(j'ai choisi de garder les noms de la traduction française, et
pas la V.O.), reportez-vous aux "Animaux Fantastiques",
ou au bestiaire d'EHP: http:// www. encyclopedie-hp .org
/bestiary /bestiary .php (recollez les espaces)
(l'Encyclopédie
Harry Potter, la version française du Lexicon), qui offre
également une page de Créatures Mythiques, où
vous trouverez un inventaire de toutes les créatures citées
par Luna Lovegood dans les tomes de Harry Potter.
Remerciements: Mes beta-lectrices de choc, Crookshank et Wanderin
.
Ce texte est issu du recueil "le Courrier de Newton Scamander: les expéditions du célèbre Magizoologue vues à travers sa correspondance", récemment publié en édition restreinte par Obscurus Books - 18a Chemin de Traverse, Londres.
Egalement
disponibles chez le même éditeur:
- "Les
Journaux de Voyage de Newton Scamander: une anthologie des récits
de l'illustre spécialiste en Magizoologie", 1993
-
"Vie et Habitat des Animaux Fantastiques" (53°
édition), 1994
§¤§
De:
Newton Scamander (1)
L'Antre du
Dragon
Shaftesbury, Dorset
Angleterre
A:
Albus
Dumbledore
Ecole de Magie et de Sorcellerie Poudlard
Les
Highlands
Ecosse
.
Shaftesbury, le 31 octobre 1995
Mon cher Albus,
Je prends enfin le temps de t'écrire, pour la première fois depuis que tu as officiellement réintégré tes fonctions en ce bon vieux Poudlard. Je suis très soulagé que cette situation pénible ait pris fin et que le Ministère se soit enfin décidé à regarder les choses en face.
Mais si j'ai tellement tardé à te
répondre, c'est parce que j'étais encore une fois en
voyage d'études! Et celui-ci, je pense, va t'étonner et
te surprendre plus que tout autre.
Figure-toi que je me suis lancé
sur les traces du Ronflak Cornu!
Je vois d'ici ton haussement de
sourcils... Mais non, je ne me paye pas ta tête, mon cher
Albus! Laisse-moi plutôt commencer par le
commencement...
Comme tu l'as peut-être déjà
appris par un autre moyen, la Société Internationale de
Magizoologie s'est enfin résignée, au bout de deux ans,
à reconnaître le Nargole comme une espère à
part entière, et non comme une simple variété de
Grinchebourdon. Malgré toute la force de ma conviction,
j'avoue que je n'y croyais plus.
Grâce à la
publication de mes découvertes dans Méthodes &
Débats Magizoologiques, quelques confrères avaient
pu profiter à bon escient de mes travaux; mais tant que la
Société ne l'avait pas validé officiellement,
cet article scientifique n'était pas canonique.
Ce fut
chose faite au début du mois de juillet: le Bulletin
Officiel de Magizoologie Internationale l'a publié dans
son 352° numéro.
Et c'est ainsi que je fis la
connaissance de M. Lovegood. Oui, je parle bien du directeur du
Chicaneur... J'étais aussi surpris que tu dois l'être,
le jour où j'ai reçu un hibou de sa part qui me
demandait rendez-vous.
Je suis sûr qu'avec ton ouverture
d'esprit, tu étais déjà indulgent envers cette
modeste feuille de chou, même avant l'interview qu'y a donné
notre Survivant national. Pour ma part, en revanche, je dois bien
avouer que je n'en avais qu'une lecture occasionnelle et distrayante,
particulièrement décousue: Porpentina trouve en effet
amusant d'en disposer une petite pile dans nos toilettes...
Enfin
bref, tout ça pour te dire que j'accueillis Bartholomew
Lovegood avec une certaine appréhension, mais non sans
curiosité.
Il transplana directement à l'entrée
de l'Antre du Dragon, juste un peu en retard mais débordant
d'enthousiasme. Nous n'eûmes guère le temps de faire
plus ample connaissance, car une de ces averses de juillet choisit ce
moment pour se déverser sur nous avec une constance
impitoyable. Je me hâtais donc de guider mon invité vers
la chaumière, lorsqu'un petit drame survint: le pauvre M.
Lovegood (qui est assez maladroit) trébucha contre une souche
et s'écrasa brusquement sur le Saule aux Clabberts... Il faut
dire qu'on ne s'occupe guère du jardin, ces temps-ci (ou
plutôt devrais-je dire "depuis toujours" pour être
parfaitement honnête), et notre chaumière est donc
entourée de ce qui s'approche plutôt d'une petite
jungle, qui nous est très agréable mais qui peut
en effet dérouter nos visiteurs... A ce propos, Albus, je me
permets de te rappeler que nous serions très heureux de te
recevoir, lorsque l'occasion se présentera à toi. Ne
l'oublie pas!
Mais je m'éloigne du sujet, comme d'habitude!
Je disais donc que mon invité s'empêtra dans notre Saule
aux Clabberts, qui nous sert en quelque sorte de sonnette d'entrée,
grâce à la petite dizaine de clabberts qui s'y est
réfugiée. Toujours est-il que nos clabberts ne se
manifestent jamais tous en même temps, et que l'arbre s'est mis
à clignoter comme il ne l'avait jamais fait, ce qui a fait
sortir de ses gonds notre vieille Déjanire... Je ne sais plus
si je t'ai déjà parlé de Déjanire: il
s'agit d'une femelle hippogriffe qui faisait partie de l'élevage
d'hippogriffes de compagnie que ma mère tenait. Quand elle est
morte, Porpentina et moi nous avons récupéré
l'Antre et nous avons vendu tous les hippogriffes qui restaient, sauf
cette femelle dont personne ne voulait. Déjanire a un sale
caractère, elle est acariâtre, et solitaire – ce qui
nous arrange bien puisque son entretien ne nous surcharge pas trop;
mais plus elle vieillit, plus elle devient irascible.
Or
donc, tout ce chahut lui fit voir rouge et elle se rua sur l'importun
qui avait osé rompre sa quiétude. J'avoue que j'ai été
pris par surprise, ne pensant pas que Déjanire était
encore capable d'une telle vélocité, et je n'ai pas eu
le temps de réagir. Comme tu le devines, cela aurait pu très
mal tourner. Mais mon invité fit alors preuve de ressources
que je n'aurai jamais soupçonné...
Alors qu'elle
était déjà à quelques mètres de
lui, M. Lovegood, qui venait de se relever et qui commençait à
s'épousseter sous une pluie toujours battante, avisa le
monstre déchaîné qui fondait sur lui. C'est alors
qu'avec un flegme si typiquement anglais, il s'inclina
doucement en une courbette digne d'un roi d'antan.
N'importe quelle autre attitude aurait avivé la colère de Déjanire, et j'aurai eu les plus grandes difficultés à empêcher un massacre. Ce petit incident passé, nous pûmes enfin nous abriter au chaud.
Confortablement installés devant la cheminée avec un assortiment de thés abondamment accompagnés de petits gâteaux et autres gâteries, nous fûmes une fois de plus convaincus de sa sincérité quand Mordy lui sauta sur les genoux sans façons, lui qui d'habitude se terre dans un recoin de notre bibliothèque dès que quelqu'un entre chez nous. Nos deux autres Fléreurs se pelotonnèrent comme à leur habitude : Milly sur Porpentina, Hoppy sur moi.
Tu comprends bien que le sang-froid dont M. Lovegood avait fait preuve l'avait considérablement fait grimper dans mon estime ; et c'est avec un respect non feint que j'appris alors qu'il avait toujours remarqué les différences notoires entre le Nargole et le Grinchebourdon. Il l'avait toujours affirmé dans son journal, et avait exulté en découvrant la publication du Bulletin Officiel, qu'il projetait bien sûr de proclamer dans le numéro suivant du Chicaneur.
J'avoue
que j'étais plutôt impressionné, Albus. Oh,
bien sûr, il est aussi convaincu de l'existence des
Grenouilles Lunaires, des Tranchesacs Ongubulaires et que sais-je
encore, mais cet homme n'est peut-être pas aussi ignorant
qu'on le croit.
Il a simplement une philosophie très
farfelue qui consiste à toujours croire fermement à ce
qui est le plus improbable ; ce qui n'est certes pas forcément
judicieux, mais il faut bien reconnaître qu'il y a un fond de
sagesse dans tout cela.
Ajoutons à cela la perte tragique de sa femme qui le hante encore, une sorcière très talentueuse et érudite que je me souviens avoir croisé quelquefois au Ministère… Peut-être te souviens-tu d'une brillante Serdaigle devenue l'une des meilleures membres de la Commission des Sortilèges Expérimentaux… Son nom t'évoquera forcément quelque chose : Estrella Olliwander-Lovegood (2). Le pauvre homme s'est efforcé de continuer à vivre, avec sa fille Luna qui avait 9 ans lors du drame… D'ailleurs telle mère telle fille : tu sais certainement ce que je veux dire si tu as déjà remarqué cette étrange élève de Serdaigle, dont nous avons fait plus ample connaissance à la faveur de cette expédition...
Enfin, tout cela pour dire que Bartholomew Lovegood préparait une expédition en Suède pour chercher des Ronflaks Cornus, et m'invita tout naturellement à me joindre à sa petite équipe. Très sceptique quant à la réelle existence de cette créature, dont je n'avais jamais entendu parler en-dehors des élucubrations parues dans le Chicaneur, je fus tout de même assez curieux pour accepter cette offre. Il faut dire aussi que je rate rarement un prétexte pour repartir à l'aventure !
Et c'est ainsi que Porpentina et moi
vécurent un week-end très intense, car nous n'avions
que ces deux jours pour faire nos préparatifs.
Une fois
n'est pas coutume, nous n'avons pas confié nos fléreurs
à Arabella Figgs, comme nous le faisons d'habitude. En
effet, mon ami et ancien collègue Bob (tu as dû déjà
le croiser au Ministère ou ailleurs, c'est aussi un ami de
Rubeus Hagrid : il est grand et barbu, en général on ne
l'oublie pas facilement… Mais où ai-je la tête, le
diminutif "Bob" ne te dira rien, son nom est Gawain
Robards) fait partie de la Confrérie des Locataires de Logis
Sorciers en Vacances, qui permet d'installer des sorciers
volontaires et dignes de confiance dans les habitations de sorciers
partis en vacances, afin de garder les animaux, continuer l'entretien
du logis, ramasser le courrier, etc...
Je lui ai aussitôt
expédié un hibou et il s'est montré ravi de
pouvoir déménager quelques temps de sa chaumière
en plein travaux de rénovation, dans son village gallois au
nom impossible de
Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch.
Le lundi, nous lui avons donc remis les clefs de l'Antre avant de transplaner nous-mêmes à la masure des Lovegood, qui se trouve dans les environs d'un village moldu appelé Loutry Sainte-Chaspoule. Les Lovegood ne sont pas les seuls sorciers à avoir élu domicile dans ce charmant coin de campagne, et on peut aisément les comprendre.
Nous avons été accueillis en coup de vent par Bartholomew, qui courait en tous sens dans la fébrilité des derniers préparatifs, mais trouva néanmoins le temps d'insister bien fort pour que nous l'appelions Bartie, comme tous ses proches. Il quêta également mon avis concernant l'équipement de notre petite troupe, mais je n'eus rien à redire, constatant avec étonnement que cette joyeuse bande d'hurluberlus avait opté pour le même genre de paquetage que nous autres professionnels : un unique sac à dos par personne, bien rempli par toutes sortes de choses utiles, sans pour autant être surchargés à en craquer.
Puis, tandis que nous attendions quelques
retardataires, je m'enquis de ce que nous étions sensés
partir chasser.
Bartie s'était déjà
replongé dans une quelconque vérification de dernière
minute, mais sa fille Luna entreprit de nous brosser un exposé
rapide et efficace.
Ainsi, la créature que nous allions
traquer avait été décrite pour la première
fois en 1023, par Arnulf la Berlue, l'un de nos premiers sorciers
explorateurs. A bord de son petit navire d'observation le Parjure,
il avait remarqué sur un archipel suédois une sorte de
gros morse particulièrement poilu et aux pattes assez longues
pour avoir des genoux, et surtout doté d'une formidable
corne en vrille. Cette vision stupéfiante le dissuada de
puiser dans ses tonneaux d'hydromel pendant plus de quinze jours,
et les historiens s'accordent à dire que cette créature
ne fut qu'une hallucination de plus de la part de cet explorateur
défroqué. La jeune fille a bien sûr contredit
haut et fort cette vision rationaliste.
Le Ronflak Cornu a
toujours été très discret, mais on l'a vu cité
dans de vieilles comptines ancestrales et dans quelques légendes
oubliées, comme celle d'Unbar le Grand qui aurait dû
affronter un troupeau de féroces béliers pourvus de
trois yeux, d'une corne de licorne et de dents de sabre.
Les
premiers temps du Quidditch, qui fut implanté très tôt
dans cette partie de l'Europe, donnèrent également
lieu à quelques rencontres inopinées, comme on peut le
déduire d'après divers témoignages
épistolaires du XII° siècle.
Ainsi, des
joueurs en quête d'une étendue isolée se
félicitèrent d'être juchés sur des
balais lorsqu'ils dérangèrent une meute furieuse de
"loups estrangement fols à la corne toute torsadée
– dont nous n'aurions point voulu goûter".
A la
même époque, un pionner du vol en solitaire et passionné
de dragons crut à une dernière création d'un
éleveur expérimental (pour lequel il nourrissait une
haine farouche, d'ordre personnel au vu de sa virulence) lorsqu'il
affirma avoir contemplé "l'odieux bâtard d'un
blaireau et d'une licorne, à coup sûr le fruit souillé
d'un accouplement immonde paterné par ce rustre de
Gürick".
Enfin, la meilleure description que l'on aie
à propos de ce Ronflak Cornu date du XVIII° siècle,
mais Luna Lovegood en fait bien peu de cas et méprise ce
relevé scientifique, de telle sorte que j'eus toutes les
peines du monde à la convaincre de me laisser y jeter un
œil.
Alors que son père recevait à la hâte
le dernier livreur de Dragées Surprises de Bertie Crochue,
dont il est un ami fidèle; je parvins enfin à obtenir
le Journal de Scandinavie du très érudit Symon Curto
(3), un commandant peu connu qui consignait dans ses
journaux de bord tout ce qui l'intriguait ou l'avait instruit, au
cours de ses missions dans l'Ordre Marin Sorcier. Il évoque
dans son chapitre suédois un animal de taille moyenne qu'il
a longuement observé, proche du yak mais dont le gabarit
serait plutôt celui d'un mouton, pourvu d'une toison très
fournie et aux pattes massives, terminées par deux doigts
ongulés comme de nombreux mammifères montagnards,
agrémentés d'une sorte d'ergot très curieux,
un peu comme une petite pique griffue. Leur corne en spirale est bien
sûr le plus remarquable dans cette créature, et elle
semble partir d'un socle arrondi, tel un demi vivet doré,
qui brille d'un éclat cuivré sous le soleil nordique.
Les plus jeunes n'ont que ce petit boulet, qui paraît être
déjà solide comme du bronze, ils s'en frappent lors
de joutes musclées en guise de jeux. La corne torsadée
semble commencer à pousser en même temps qu'une petite
barbichette sous la gueule, et cette étape paraît être
déterminante dans la maturité du Ronflak. On les trouve
surtout dans les forêts du sud de la Suède, mais
quelques meutes vivent aussi dans les montagnes glaciales du nord
sans en paraître incommodées. On les rencontre très
rarement en troupeaux entiers, mais plutôt en petites meutes
allant d'une dizaine à une vingtaine d'individus. Ces
meutes se croisent assez régulièrement et entretiennent
des échanges de toutes natures : affrontements, accouplements,
adoptions de petits orphelins, propriétés de
territoires…
Ils semblent très résistants au
froid, et font parfois penser à des sangliers, ou des
cerfs.
Muni des ces renseignements, j'étais fin prêt à me lancer à la poursuite de cette fantasque tentatrice – comme tu le dis si bien, Albus –, l'aventure.
Après un très court briefing,
notre petit groupe transplana à Ystad, une ville tout à
fait au sud de la Suède. Là, nous allâmes à
la rencontre d'Hercule Wallander, un petit bonhomme atypique, Auror
retraité et détective privé à ses heures.
Algernon Londubat – qui lui aussi a tenu à se faire appeler
Algie – a longtemps travaillé à la Brigade de
réparation des accidents de sorcellerie, et il a été
ravi de revoir Wallander, avec qui il avait collaboré lors
d'une mission internationale. Bref, Hercule Wallander nous avait
préparé un rendez-vous avec l'une des quelques
communautés baltiques de selkies (6), à
la suite duquel nous espérions nous faire escorter par les
Etres de l'Eau jusqu'à l'île de Gotland, par voie
sous-marine. Nous avons donc revêtu nos merveilleuses
combinaisons en peau de grenouille, une des dernières
trouvailles de l'artisanat textile magique, que nous avons complété
par des sortilèges de Têtenbulle avant de plonger dans
les profondeurs du port d'Ystad. Là, nous avons suivi
Wallander jusque dans la cabine du capitaine d'une très
vieille épave oubliée depuis longtemps. Les selkies
nous y ont retrouvé, et Wallander s'est acquitté de
son travail d'interprète. Le chef selky accepta rapidement
de satisfaire notre demande, et nous sommes partis sans plus tarder à
la suite des mystérieuses sirènes nordiques.
Le
trajet nous prit toute la journée, et nous ne pouvions pas
nous restaurer, mais les bas-fonds de la mer baltique sont
stupéfiants. Le passage du détroit de Kalmar fut
particulièrement impressionnant, et l'espace était
tellement étroit qu'une femme de notre groupe, une certaine
Tonks, déchira son sac à dos sur un récif et
s'en trouva bien embêtée : le cuir de dragon fut
réparé en deux coups de baguette, mais le mal était
fait, le contenu avait été noyé…
Par la
suite, j'eus maintes fois l'occasion de constater la maladresse
incorrigible de notre camarade. Certains m'ont assurés
qu'elle est Auror, mais ce doit être une plaisanterie. En
revanche, c'est une Métamorphomage de talent.
Nous arrivâmes à Visby, la seule ville de l'île de Gotland, en fin d'après-midi. L'Auberge du Triton nous accueillit chaleureusement, et nous avions la chance qu'aucun pensionnaire moldu n'occupait le Triton. Sans tenir compte du fait que l'horaire du service des repas n'était pas encore arrivée, nous nous sommes restaurés devant un bon feu de cheminée.
Ensuite, nous avons décidé
une petite escapade digestive, conscients que nous ne pourrions
jamais dormir avec le ventre si plein.
L'île de Gotland
est abondamment boisée: nous avons donc entrepris de chercher
le Ronflak en forêt. Il faut croire que nous avions de
l'énergie à revendre, car ce qui devait n'être
qu'une petite promenade d'observation se transforma en un
véritable raid nocturne, et l'on se sépara bientôt
en petites unités afin de mieux scruter les sous-bois. Le
soleil de minuit nous permettait de voir quasiment comme en plein
jour, mais nous ne trouvions que des Noueux et des Botrucs. Tonks se
fit d'ailleurs attaquer par un des ces gardiens des arbres, pour
avoir trébuché sur un bouleau millénaire. Je
faisais équipe avec elle et la jeune Luna, qui l'aida à
se débarrasser de la petite créature coriace. Hélas,
ce vacarme avait attiré deux robustes trolls des forêts,
que nous eûmes bien plus de mal à mettre hors d'état
de nuire. Heureusement, Algie Londubat vint à la rescousse et
immobilisa l'un des mastodontes.
Vers 3 heures du matin, nous
étions assez fourbus pour reprendre le chemin du retour. Nous
avons également aperçu une splendide licorne, puis un
couple de centaures méfiants, ce qui nous incita à être
plus prudents lors de nos prochaines recherches.
Nous sommes
restés quelques jours, passant le plus clair de notre temps à
passer l'île au peigne fin. Nous n'avons rien trouvé
qui pût être un Ronflak Cornu, mais nous avons mis au
point nos tactiques de défense et l'organisation de nos
bivouacs.
Une fois certains que Gotland n'abritait pas de
Ronflak, nous avons transplané à Stockholm afin de
rencontrer Olga Katarzyna (4), une lectrice assidue du
Chicaneur et l'une des seules témoins que nous ayons
de notre Dahu Sorcier.
Avant d'écouter ses précisions,
nous avons récupérés nos balais : nous en avions
convenus à l'avance, ce qui nous a permit de les envoyer par
hibou depuis Ystad afin de ne pas être encombrés pendant
notre trajet sous-marin.
Puis la vieille dame nous a décrit
les créatures qu'elle avait pu approcher sur les rives du
lac Mälar, et je fus satisfait de constater que sa description
était assez proche de celle de Curto. Elle y ajoutait
simplement le fameux troisième œil de la légende
d'Unbar, soi-disant planté à mi-chemin de la corne et
du mufle.
Forts de ce témoignage, nous nous apprêtions
à prendre congé de la blonde Olga, car nous avions
prévu de camper dans les environs, lorsque la vieille
demoiselle insista pour nous montrer son Musard. Nous nous
retrouvâmes donc à contempler un de ces escargots
géants, qui a justement changé de couleur sous nos
yeux. La petite vieille nous offrit quelques fioles de son venin, qui
devait justement se révéler fort utile le soir
même.
Puis nous quittâmes enfin ce logis, et j'en fus
bien soulagé, mon bon Albus, car le mauvais goût notoire
de Mlle Katarzyna en matière de décoration m'avait
presque rendu malade, et les bribes de chant de ses Focifères
(dont le sortilège de Mutisme était soit défectueux,
soit arrivé au moment de le renouveler) avaient achevé
de me crisper. Porpentina elle-même grinçait des dents
en repartant, alors que bon nombre de nos compagnons se montraient
positivement ravis par cette rencontre.
Nous avons passé
le reste de la journée à poursuivre notre équipée
incongrue en remontant un bras du lac Mälar vers le nord, en
direction d'Uppsala, à travers de plantureuses forêts,
verdoyantes à cette époque de l'année.
Le
couvert des arbres nous a permis de chevaucher nos balais malgré
la présence d'habitations moldues, mais notre progression
était plutôt chaotique, et ce vol ne fut vraiment pas
une partie de plaisir. Et pourtant, nous étions heureux de
pouvoir survoler ce petit bout de Suède, cherchant toujours à
apercevoir un Ronflak Cornu: transplaner nous aurait bien évité
tous ces désagréments, mais ne nous aurait pas donné
la moindre chance de surprendre le Ronflak.
Plusieurs fois nous
eûmes de faux espoirs, repérant des animaux moldus ou
les Croups de familles sorcières. Nous avons alors mis le cap
à l'ouest pour aborder des régions moins boisées,
et nous avons finalement mis pied à terre devant un gîte
sorcier de Falun, non loin du petit lac Siljan.
Le gîte
portait bien son nom: le Glögg ne servait que… du glögg.
Il s'agit de vin chaud épicé au brandy,
traditionnellement accompagné de biscuits au gingembre et de
lutins en sucre caramélisé. Laisse-moi te dire, Albus,
que ça ne vaut pas notre Firewhisky…
L'hôte était
de la même trempe que Bartie Lovegood, mais il restait quant à
lui sceptique vis-à-vis de notre quête, car il soutenait
que les Ronflaks avaient quitté la Scandinavie depuis bien
longtemps pour se réfugier en Islande, à la suite d'une
sombre histoire de lichen pollué. Il nous recommanda cependant
d'aller voir la tribu nomade des Thoräav, en Laponie.
Le
lendemain ne nous trouva guère frais et dispos, car les
chambres de ce gîte laissaient fort à désirer…
D'abord,
nous fûmes incommodés par les doxys qui infestaient les
rideaux. Puis, nous avons dû renoncer à prendre les
douches dont nous rêvions, à cause d'une colonie de
bandimons, empestant leur moisissure dans toutes les salles de bain,
qui auraient pourtant été bien tentantes,
autrement…
Enfin, le sol de la plupart des chambres se révéla
tapissé de Horglups. Tonks et Algie partirent capturer un
gnome dans le jardin (la chasse ne fut guère ardue, le potager
en friche en grouillait) pour le relâcher dans nos chambres
afin qu'il se fasse un festin de ces champignons répugnants.
Mais
ce ne fut pas une grande réussite, car il nous échappa
après avoir "nettoyé" une seule chambre, et
nous l'entendîmes galoper sous les combles, où il affola
la goule qui y alla de ses glapissements stridents.
Nous avions
tous les nerfs à vif, quand ces cris de goule me rappelèrent
un épisode de mon enfance, et j'eus soudain l'idée
lumineuse de déboucher nos fioles de Venin de Musard, qui est
l'une des rares substances capables de venir à bout des
Horglups!
Bref, autant te dire que personne ne parvint à fermer l'œil de la nuit, et que nous étions soulagés de quitter ce misérable chalet. Nous avons campé un peu plus loin, dans une grotte surplombant le lac Siljan, où nous avons établi un tour de garde afin de récupérer un peu de sommeil. Avant de repartir, nous avons pu observer un nid de Grinchebourdons, ce qui me valût de nouvelles effusions pour le fruit de mes travaux sur le Nargole.
Pendant plusieurs
jours, nous avons continué vers le nord, mais notre petite
troupe n'avait plus vraiment le moral. Enfin, c'est une façon
de parler, car l'optimisme de la race des hurluberlus est inaltérable
en toute circonstance, mais ils avaient perdu un peu de leur bel
enthousiasme.
Nous aussi nous commencions à en avoir assez
de cette éreintante traque à l'irréel.
Or,
nous réalisâmes un matin que nous nous trouvions à
quelques heures de vol de Kopparberg, d'où allait partir le
lendemain la célèbre Course Annuelle de Balais.
Nous
étions plusieurs à souhaiter profiter de l'occasion
pour assister à cette épreuve unique, et Tonks se
proposait justement de nous présenter un de ses amis qu'elle
était à peu près certaine d'y retrouver.
Nous chevauchâmes donc vers le nord-ouest, à travers une région très montagneuse, d'une beauté à couper le souffle, où les plus férus de balais purent donner la pleine puissance de leur vol. Moi-même, je ne pus y résister, et Porpentina me gronda un peu lorsque nous posâmes le pied à Kopparberg, mais elle sait bien qu'à 98 ans, je suis encore en pleine possession de mes moyens.
Je dois avouer que la performance de Tonks et d'Algie m'a plutôt épaté, leur voltige était très impressionnante…
La
petite bourgade bourdonnait comme une ruche. Comme tu le sais
peut-être, Kopparberg est peuplé à 90 de
sorciers, qui n'ont aucun mal à s'arranger pour que la poignée
d'habitants moldus se trouvent une occupation lointaine, quelques
jours par an.
Les auberges étaient bondées, et des
sorciers de tous les pays déambulaient dans les rues,
discutaient balais ou faisaient des paris sur les candidats, qui pour
la plupart se faisaient plutôt discret, sûrement cloîtrés
au plus profond de leurs chaumières, à préparer
une dernière fois leur course ou bien à se demander ce
qui les avait pris de s'inscrire au départ…
Nous
avons réussi à louer des chambres dans un pub lumineux
et bien tenu, où nous avons pris quelque repos tout en
partageant l'effervescence de veille de Course. Une armée de
serveurs blonds aux yeux bleus, baraqués et avec un fort
accent, grouillait dans tous les coins et nous fournissait
régulièrement tout un assortiment de spécialités
suédoises bien meilleures et plus variées qu'au Glögg
de Falun.
Tonks partit à la recherche de l'ami dont elle
nous avait parlé et le ramena bientôt, un certain
Charlie Weasley, un roux flamboyant et musclé, strié de
cicatrices et de traces de brûlures.
Je m'entendis tout de
suite très bien avec lui, car il travaille à l'Office
de Recherche et de Contrôle des Dragons, où j'ai
moi-même passé une partie de ma carrière et dont
je garde un merveilleux souvenir.
Il est un inconditionnel de
la Course Annuelle de Suède, car elle réunit ses deux
passions: le balai et les dragons.
En effet, l'itinéraire
de cette épreuve d'endurance passe par la Réserve de
Stor-Vilhelmina où vivent les Suédois à museau
court, l'emblème de la Course – mais peut-être sais-tu
déjà tout cela, Albus?
Charlie avait longtemps
entendu parler de cette manifestation sportive, avant de la découvrir
de plus près, une année où il avait été
réquisitionné par les organisateurs pour encadrer la
Course sur le tronçon de la Réserve. Depuis, il
revenait tous les ans, parfois en simple spectateur, parfois dans
l'équipe de secours attribuée à la Réserve,
comme c'était le cas cette fois-ci.
Il laissait toujours
entendre que son rôle était de protéger les
dragons plutôt que les candidats en détresse, ce qui
m'amusa beaucoup, mais qui semblait déplaire à
quelques-uns de nos compères d'expédition.
La
discussion fut animée et fort intéressante, mais
Charlie s'attira définitivement le désaccord de nos
compagnons lorsqu'il se contenta de rire à gorge déployée
en apprenant le motif de notre présence en Suède.
Heureusement, il avait choisi de se coucher tôt pour être
en pleine forme le jour de la Course, et Tonks manœuvra habilement
pour atténuer la rancœur de notre équipage.
Lorsqu'il
eût rejoint son hôtel, nous restâmes à
discuter un peu plus longtemps. Bartie Lovegood se prenait à
penser que s'il y avait bien une étendue magique en Suède
qui put convenir à des Ronflaks, c'était bien
l'itinéraire de la Course. Et c'était bien raisonné:
cette zone sauvage est à l'abri des moldus et très peu
fréquentée, parsemée de roches et de forêts
disséminées, traversée par des cours d'eau en
quantité suffisante.
A force de débattre jusqu'à
une heure avancée de la nuit, nous conclûmes à un
accord: pendant la Course, notre groupe se séparerait en
deux.
Les plus téméraires suivraient la Course en
parallèle, à bonne distance pour ne pas gêner les
candidats et ne pas se faire repérer (il est interdit aux
spectateurs de suivre l'itinéraire de l'épreuve depuis
1775, bien que les organisateurs ferment facilement les yeux), en
essayant de faire un détour pour éviter les dragons, ou
bien en tentant l'exercice périlleux de transplaner en plein
vol. Le plus gros de notre équipe penchait pour ce
plan-là.
Les autres se mêleraient au public qui
encouragerait les candidats au départ de Kopparberg, puis qui
transplanerait à Arjeplog pour attendre l'arrivée des
"survivants". Nos compagnons en profiteraient pour essayer
de se renseigner davantage sur les Thoräav de Laponie, afin de
préparer au mieux la suite de notre expédition.
C'est
ainsi qu'après un sommeil certes un peu court, Porpentina se
mêlait à la foule tandis que j'enfourchais mon balai,
comme tu peux t'en douter.
Nous laissâmes les candidats
prendre un peu d'avance, de même que les équipes de
Médicomages et d'organisateurs, avant de prendre discrètement
notre envol depuis un petit bosquet à l'écart de
Kopparberg où nous faisions du sur-place depuis le départ
de la Course.
Une heure à peine nous suffit pour
atteindre les rives du lac Stor, où commence la Réserve
de Suédois à Museau Court. Nous avions pris grand soin
de réduire notre allure à son minimum, afin d'être
certains que nous ne rattraperions pas la Course.
Nous avons
survolé Ostersünd, et nous avons ensuite redoublé
de vigilance. Sur les traces du convoi sportif qui nous avait
précédé, c'était extrêmement
grisant de voler sur un terrain aussi accidenté, au cœur d'un
territoire de dragons encore bien virulents.
Evidemment, nous
n'avons guère eu le loisir de scruter le sol à la
recherche de Ronflaks, mais nous avons eu notre lot de sensations
fortes pour un bon moment!
Seuls deux d'entre nous se
trouvèrent en assez mauvaise posture pour en être
réduits à transplaner d'urgence, ce qu'ils ont
néanmoins réussi sans problème, et pourtant tu
sais combien c'est difficile de se concentrer suffisamment dans ce
genre de situation pour transplaner correctement, qui plus est sur un
balai… Je redoutais ce genre de choses depuis notre départ,
car ces deux gringalets ne sont que des jeunes fanfarons, mais ils
s'en sont finalement bien sortis, surtout le petit Stan Rocade qui a
transplané impeccablement à la dernière
seconde.
Pas vraiment étonnant s'il est bien le contrôleur
du Magicobus comme j'ai cru comprendre, mais je n'en suis pas sûr
– il était parfois si difficile de démêler le
vrai du faux, au milieu de cette troupe hétéroclite!
Jamais
je n'avais voyagé en pareille compagnie, et je dois dire que
même si c'était souvent déroutant et quelquefois
exaspérant, ça restera une expérience que je
n'oublierai pas et que j'aurais eu tort de ne pas vivre.
Oh,
mais je me suis encore éloigné du sujet, mon vieil
Albus!
J'en étais donc arrivé au moment où
nous avons finalement franchi la bourgade de Vilhelmina, où
nous avons aussitôt adopté un rythme plus serein, pour
de multiples raisons: la Réserve passée, nous avions
besoin de nous calmer un peu; nous redoutions toujours de rattraper
l'arrière de la Course; et une allure réduite était
le meilleur moyen d'observer le paysage. Nous avions atteint la
région du Norrland, de plus en plus montagneuse, et le
panorama était magnifique.
Alors que nous approchions
d'Arjeplog, Algie Londubat s'exclama soudain qu'il avait vu un
Ronflak!
Nous sommes restés en vol stationnaire, et nous
avons effectivement aperçu des formes en mouvement, qui
auraient pu aussi bien être de simples rennes… Mais quand
nous avons essayé de nous approcher, ils ont disparu et nous
n'avons pas réussi à en retrouver la moindre trace.
A ce moment-là, une équipe de secouristes nous a survolé, revenant sur leurs pas pour vérifier qu'aucun candidat n'avait été oublié en cours de route, aussi nous avons préféré ne pas traîner et rejoindre nos amis sans tarder. Nous étions un peu fatigués pour transplaner, alors nous avons re-décollé, puis atterri dans un champ avant de gagner à pied la grande place d'Arjeplog, où nous avons eu un peu de mal à retrouver le reste de notre expédition. Nous nous sommes ensuite rués à l'auberge la plus proche pour leur faire part de notre découverte, et surtout pour se reposer de ces quelques 500 km de vol intensif.
Laisse-moi te dire, Albus, que nous n'eûmes
pas besoin de berceuses, ce soir-là!
Pourtant, nos quelques
camarades qui s'étaient mêlés au public passèrent
une mauvaise nuit, car l'auberge où nous logions avait pris le
parti de garder continuellement un quatuor de gnomes au foyer, dans
le but de lutter contre la prolifération des Horglups qui
semble être monnaie courante dans les habitations
suédoises.
Néanmoins, nous repartîmes tout
ragaillardis par cet épisode formidable de notre voyage, et
l'espoir de trouver enfin un Ronflak à voir de plus près
nous tenaillait.
Et nous avions bien besoin de ce regain
d'enthousiasme, car nous franchîmes bientôt après
le cercle polaire arctique, et les températures se firent
nettement plus fraîches, même si nous n'avions pas à
nous plaindre puisque nous étions au plein cœur de l'été.
Les premiers jours, nous avons suivi la route moldue, relativement déserte dans cette partie du pays. Les plus avisés d'entre nous s'efforçaient de multiplier les précautions, et nous ne fîmes aucune mauvaise rencontre. Nous avons campé près de Jokkmokk, un charmant petit village réputé pour ses yaourts, puis au abords de Porjus, où nous avons fait un peu de tourisme dans les nombreuses poteries artisanales.
Puis, nous avons sorti nos
capes et nous sommes entrés plus profondément en
Laponie, en nous dirigeant vers l'ouest, suivant les renseignements
glanés à Arjeplog.
Dans ces étendues
désertiques, nous avons fini par rencontrer une sauvageonne au
caractère bien trempé qui nous interpella
gaillardement. C'est ainsi que nous avons fait la connaissance
d'Herrena Skyve, éleveuse de hiboux spécialisée
dans les harfangs des neiges, fabricante de traîneaux à
ses heures et très intégrée à la tribu
des Thoräav.
Sa volière est aussi monumentale que les
écuries d'Augias, ce sorcier antique qui collectionnait les
chevaux ailés géants, et elle-même est aussi
impressionnante qu'une Walkyrie !
Une fois que nous lui
avons expliqué notre mission, elle a aussitôt pris les
devants et annoncé qu'elle nous mènerait au campement
d'été des Thoräav, et qu'elle nous y servirait
d'interprète aussi longtemps qu'il le faudrait, car cela
faisait longtemps qu'elle projetait de retourner vivre quelques
temps parmi eux.
A peine une heure plus tard, elle nous montrait
les rudiments du traîneau individuel tout en finissant de
prendre les derniers arrangements pour que son élevage soit
entretenu pendant son absence.
Nous sommes donc partis à travers la toundra lapone, plus ou moins vaillamment derrière nos petits attelages de rennes. Après un long trajet dans cette région sauvage, nous avons atteint une zone encore plus rude, parsemée de roches chaotiques, à quelques kilomètres seulement de la frontière norvégienne.
Nous
y trouvâmes enfin cette peuplade pittoresque des Thoräav,
dont nous rencontrâmes le chef, un dénommé Arüg.
Nous avons consacré les premiers jours à faire plus
ample connaissance, sur les conseils d'Herrena. On nous attribua
une tente, une de leurs tentes très étonnantes dont je
n'avais encore jamais vu d'équivalent : une structure
faite en bois de rennes, recouverte d'une couche de lichen et d'un
amas de peaux diverses, les fourrures les plus fournies tournées
vers l'intérieur et celles aux poils courts et drus tournées
vers l'extérieur, luttant contre le froid et
l'humidité.
L'intérieur en est merveilleusement
confortable, brut mais convivial, rude mais chaleureux…
Nous
avons été initiés aux secrets de la pêche,
de l'élevage de rennes, de l'artisanat développé
autour des produits du renne, de la cueillette, et enfin de l'art
de se déplacer dans la toundra sans se faire repérer.
Ces
quelques semaines nous ont été nécessaires pour
apprendre à nous fondre dans le paysage, et à la fin
nous étions très bien intégrés dans la
tribu. Nous avions même eu le temps de prendre quelques saunas
tonifiants.
Urek, le fils du chef, était très doué en potions. Il était un peu le chef spirituel de la tribu, car ici les chamans n'avaient pas cours, et il n'y avait pas de religion à proprement parler, simplement une harmonie parfaite avec la nature, dont les Thoräav ont une confiance immense et un savoir approfondi. Nul ne sait exactement s'ils sont sorciers ou moldus – ni l'un ni l'autre, je pense, mais plutôt des hommes avertis qui ont su retenir les connaissances les plus utiles dans leur milieu naturel. Ils ont évidemment été au contact de sorciers d'une manière ou d'une autre, mais ils n'en ont gardé que très, très peu de traces.
Donc, lorsque nous
avons été enfin prêt à suivre la piste des
Ronflaks Cornus, que les Thoräav avaient déjà
croisés et que notre quête n'étonnait pas le
moins du monde, Urek confectionna une potion somnifère
relativement puissante dont toutes les flèches seraient
enduites.
Nous avons alors entamé la véritable
traque, répétant des gestes remontant à la nuit
des temps, bouillants de l'impatience de toucher enfin à
notre but.
Et au bout de quelques temps, Albus, nous avons vu les
Ronflaks Cornus !
Arüg était prêt à
en capturer, et nous avons déployé des trésors
de patience pour lui faire comprendre, par l'intermédiaire
d'Herrena, que nous souhaitions d'abord les observer le plus
possible, et qu'ensuite seulement nous le laisserions en endormir
un, pour pouvoir l'étudier de plus près.
Fort
grognon, il finit par se plier à notre volonté, et il
se replia avec ses hommes à quelque distance, attendant
patiemment le signal que nous leur enverrions le moment venu.
Avec
d'infinies précautions, notre petite troupe a donc approché
les Ronflaks, et nous nous sommes organisés pour les observer
à toute heure du jour ou de la nuit, nous relayant dans nos
sommaires abris de toile… Nous étions tous pris d'une
activité fébrile, les uns s'usant les yeux sur les
Multiplettes et les appareils photos, les autres remplissant des
carnets entiers de notes et de croquis.
Les Ronflaks sont
finalement tels que nous les avait décrit Olga Katarzyna : des
mammifères à la toison aussi abondante que les yaks,
mais plutôt de la taille des moutons, pourvus de pattes
massives articulées par un genou et terminées par deux
gros doigts ongulés agrémentés d'une sorte
d'ergot griffu, avec un socle cuivré à la base d'une
imposante corne vrillée, et surtout doté de trois yeux,
effectivement…
Ils grognent un peu comme les sangliers, et se
nourrissent de ce que peux leur offrir la toundra : du lichen, des
mousses, des feuilles d'arbustes, de maigres touffes d'herbes…
Nous avons remarqué qu'ils se servent aussi de leur corne
pour attaquer la roche et dénicher ainsi des petits insectes
qui leur apportent un complément de nourriture.
Ils
semblent pacifiques, mais aussi intelligents que des bouquetins et
parfaitement retors s'il s'agit de défendre leur
territoire ou leur peau.
Nous avons également remarqué
un curieux phénomène : il semblerait que les Ronflaks
parviennent à disparaître dès qu'ils se sentent
en danger. Impossible de découvrir comment ils s'y
prenaient, il s'éclipsaient tout simplement après
avoir montré des signes d'inquiétude, en dressant
leurs oreilles ou en se figeant… Peut-être avaient-ils le
pouvoir de devenir transparents, comme les Demiguises, ou bien
pratiquaient une sorte de transplanage miniature et insonore, comme
certaines sociétés du Petit Peuple savent le faire
?
Nous avons essayé quelques expériences, qui n'ont
eu pour seul résultat que d'alerter la meute de Ronflaks qui
nous ont semé à nouveau.
Nous avons alors fait appel à Arüg, qui a rapidement retrouvé leur trace et nous a imposé de longues journées de traque, nécessaires puisqu'à présent la meute était sur ses gardes. Le soir, au campement, nous avons mis à profit cette longue attente, en essayant de penser à tout pour préparer la manière dont nous procèderions lorsque nous aurions un Ronflak endormi à notre disposition. Nous aurions besoin d'outils plus performants que ceux que nous avions emportés et qui étaient étudiés pour tenir le moins de place possible, et d'une table pour nous permettre de travailler à plusieurs sur le spécimen. Très vite, il devint clair que nous devions trouver un local où transporter rapidement notre Ronflak, lorsqu'il serait pris, en sachant que le portoloin et le transplanage d'escorte sont prohibés pour les êtres endormis par potion, et que nous devions compter le temps de le ramener ensuite là où nous l'aurions capturé.
Sans vouloir me vanter, ce
fut encore moi qui trouvai la solution : je me souvins tout à
coup d'un sorcier très discret que j'avais rencontré
il y a très longtemps, lors de mes pérégrinations
professionnelles, et il m'apparut immédiatement comme
l'homme de la situation.
Je veux parler d'Anicet Lespin, cet
ingénieux français qui se mêla aux moldus sous le
pseudonyme de Louis Lépine (5), avant d'être
contraint de disparaître aux yeux de ces moldus qui le
fascinaient tant, lorsqu'en 1933 la justice magique estima qu'il
menaçait de trop près le Code international du Secret
Magique.
Je savais qu'il s'était alors exilé à
Londres, où il s'était jeté à corps
perdu dans son nouveau travail au Département des Mystères,
puis qu'il s'était retiré en Norvège où
il apportait son talent d'astucieux bricoleur à
l'Observatoire Scientifique Sorcier d'Ofotfjord, communément
surnommé l'OSSO, qui se trouve légèrement au
nord-ouest de Narvik, à quelques heures de vol des terres
lapones que nous arpentions.
Je lui envoyais un hibou
sur-le-champ, et nous avons continué notre chasse, de moins en
moins patients, derrière Arüg et ses hommes qui nous
réprimandaient vertement, bien trop souvent à leur
goût.
Enfin, les Thoräav ont trouvé le moment
propice qu'ils attendaient depuis le début de la traque, et
la tension fut à son comble. Nous retenions tous notre
souffle, vibrant d'excitation…
Lentement, très
lentement, Arüg a placé la corde de son arc dans
l'encoche d'une flèche enduite de potion somnifère,
il a soigneusement visé pendant ce qui nous a paru une
éternité, il a mieux positionné sa flèche
avec une précision de chirurgien, et, bandant son arc avec une
force incroyable et une souplesse inouïe, il tira son trait sans
s'être fait aucunement repéré par la meute de
Ronflaks. La flèche se ficha dans la croupe de l'un d'eux
en moins de deux secondes.
Palpitants d'angoisse, nous sommes
restés figés en attendant la réaction de ses
congénères, qui restèrent interdits quelques
instants, surpris par la soudaineté de l'attaque. L'animal
touché s'effondra alors en lâchement un grognement
évasif, et le reste de la meute s'évanouit dans les
airs, selon le phénomène que nous avions déjà
remarqué.
Emoustillés comme des puces, nous nous
sommes précipités sur le Ronflak endormi, et nous
l'avons enveloppé dans une civière sans perdre une
minute. Tandis que nous attachions notre précieux fardeau à
quatre balais, les Thoräav ont récupéré
leur flèche et ont commencé à s'éloigner
vers leur campement pour attendre notre retour. Nous avons décollé
sans plus tarder, d'autant plus que nous avions l'étrange
impression d'être surveillés…
Nous avons vite
pris de l'altitude et nous avons volé à fond de
train, et nous étions tout essouflés quand nous avons
atterri sur le pont de l'Insoumise, le fier drakkar de la célèbre
capitaine Alwinda, la première femme pirate qui avait été
le Fléau de la Baltique, qui avait été retrouvé,
rénové, déplacé dans un recoin
d'Ofotfjord et réaménagé en Observatoire.
Comme je le pensais, Anicet Lespin nous attendait, et il nous aida à
transporter le Ronflak Cornu dans un bureau qu'il avait libéré
à cet effet.
Commença alors une course contre la
montre, à laquelle tout le personnel de l'OSSO participa
avec enthousiasme. Ils étaient d'une redoutable efficacité,
et les relevés d'usage tels que prise de sang, mesure de la
taille et du poids, prise d'échantillons divers et rédaction
d'une première fiche d'identité, furent effectués
en à peine un quart d'heure, de sorte que nous avons pu
utiliser tout le temps qui nous restait à chercher la cause
des disparitions inexplicables des Ronflaks.
Nous pensions avoir
trouvé la bonne piste quand nous avons du reprendre le chemin
du retour, et nous avons cogité pendant tout le vol, tandis
que les chercheurs de l'OSSO continuaient à travailler
d'arrache-pied.
Nous avons retrouvé l'endroit d'où
nous avions enlevé notre Ronflak, qui commençait à
émerger de son sommeil artificiel. Nous nous sommes réfugiés
juste à temps dans les fourrés environnants, et nous
avons pu suivre les premiers pas hasardeux de notre cher individu,
tout en frissonnant de nous faire charger s'il venait à nous
remarquer. En effet, nous n'avions eu que le temps de nous jeter
derrière quelques touffes d'herbes robustes avant qu'il
reprenne ses esprits, et beaucoup d'entre nous laissaient dépasser
un nez, un bout de bras ou une chaussure… Nous n'avions pas eu le
loisir de pinailler ! Mais il s'éloigna de quelques
mètres, et derrière un petit bosquet nous pûmes
voir ses retrouvailles avec le reste de la meute, qui avait
soudainement réapparu.
Nous avons dû attendre de
longues heures pour enfin quitter nos fourrés, et nous avons
regagné notre camp fourbus et courbaturés, mais ravis.
Nous avions encore quelques crampes, le lendemain, mais cela ne nous
empêcha pas d'aller saluer une dernière fois les
Thoräav ainsi que la fière Herrena, puis nous avons
repris nos balais pour retourner à l'OSSO.
Là,
nous eûmes le fin mot de l'histoire : les Ronflaks n'ont
pas la faculté de disparaître, mais plutôt de
mimer leur environnement avec tant de fidélité qu'on
ne voit plus que le paysage. En somme, ils ont la même capacité
que les caméléons, mais développée à
son paroxysme !
Et leur troisième œil leur est
exclusivement réservé à cet usage : c'est
uniquement cet œil qui leur permet d'enregistrer le plus petit
détail de la toile de fond qu'ils doivent reproduire. Leurs
longs poils particulièrement fibreux peuvent changer
facilement de couleur, et ils doivent cette aptitude à leur
sang, tout comme les caméléons. Elle est simplement
améliorée et stimulé par la base de leur
corne.
Nous ne leur avons pas trouvé d'autre
particularité, et nous comprenions désormais mieux
pourquoi on n'avait jamais jusque là formellement prouvé
l'existence de cet animal si discret.
Notre voyage se termina sur une très belle fête organisée par nos camarades de l'OSSO, et nous avons transplané en Ecosse, la tête pleine de souvenirs et les carnets emplis de cette formidable révélation.
Ainsi donc, mon cher Albus, je vais bientôt m'atteler à la 54° édition de Vie et Habitat des Animaux Fantastiques, avec l'espoir d'y faire figurer deux nouvelles espèces : le Nargole et le Ronflak Cornu, du moins si la Société Internationale de Magizoologie valide mon dossier scientifique et reconnaisse officiellement cette énorme progrès de la Magizoologie. Je suis sûr qu'ils vont rechigner, mais j'ai déjà presque terminé mon article pour le Chicaneur et je suis prêt à attendre autant qu'il faudra pour publier cette nouvelle édition.
Me fera-tu le plaisir, Albus,
de préfacer encore une fois cet ouvrage de référence
? J'en serai toujours aussi honoré, tu le sais.
Et je me
permets encore une fois de t'inviter à venir à
l'Antre, un jour ou l'autre ; ou mieux : de te lancer dans un
périple comme ceux que tu aimes que je te raconte, dans lequel
Porpentina et moi nous ferions un plaisir de t'accompagner !
Ton
vieil ami fidèle et dévoué,
Newt
(1) Newton Scamander est connu en France sous le pseudonyme de Norbert Dragonneau, mais l'édition moldue française (publiée en 2001) des "Animaux Fantastiques" porte le nom de Newt Scamander, que je trouve plus authentique (et tellement plus classe!) - surtout le diminutif "Newt"...
(2) Oui, c'est bien un W :
à l'instar de Vert (/s/1442148/6/) j'estime que, vu
qu'Ollivander est fabricant de baguettes depuis 382 avant J.C., le
nom peut très bien avoir été déformé
au cours des siècles, et quelques lointaines branches
familiales peuvent avoir gardé une ancienne forme comme
Olliwander, qui contient "wand" (signifiant "baguette"
en V.O.)
De plus, l'orthographe n'existe pas en Généalogie,
Jean-Louis Beaucarnot vous le dira, tous les dimanche de 15h à
16h sur Europe 1).
(3) Prononcez "Courto", c'est juste un clin d'œil à notre cher commandant Cousteau…
(4) Ça se prononce Katagena, clin d'œil à Saez (God Blesse)
(5) L'initiateur du concours Lépine, bien sûr…
(6) MàJ 19/04/06: à la demande de ma bêta-reader Crookshank, je précise que "selky" est le nom des sirènes d'Ecosse.
¤¤¤
Si vous êtes très curieux, vous pouvez aller lire mon assomant blabla sous forme d'auto-interview où je détaille un peu comment j'ai procédé pour écrire cette one-shot: http:// tortoise .over-blog .net /article-2492313 .html (recollez les espaces)
