Fuma resta immobile pendant les plus longues secondes de toute la vie de Kamui. L'air étonné qu'il arborait semblait trahir le changement qui s'était opéré en lui et rappelé au jeune garçon son ami d'enfance.

- La Côte d'Azur…, répéta-t-il l'air perdu.

Il secoua la tête, paraissant perturbé. Par de vieux souvenirs…

- Tu…tu essaies de me piéger, n'est-ce pas ?!

Le Dragon de la Terre semblait reprendre du poil de la bête mais Kamui sentait bien qu'il avait fait mouche. Il se prit même à espérer. Fuma retrouva vite son sourire méprisant, pourtant Kamui le connaissait trop bien pour ne pas remarquer qu'il subsistait une lueur d'incertitude au fond de ses yeux.

- J'accepte le défi, déclara-t-il finalement avec un intérêt non feint.

Alors qu'il se retournait déjà et marchait à pas lent vers les arbres, Kamui l'entendit murmurer pour lui-même :

- Ça pourrait être intéressant…

Juste avant de disparaître dans les ténèbres du petit bois, il s'arrêta et fixa Kamui.

- Tu ne viens pas ? Le railla-t-il.

Le jeune garçon se leva prestement et avec la certitude que cela pouvait consister sa meilleure chance de ramener son ami, il suivit son pire ennemi dans l'obscurité.

Kamui n'avait que peu de souvenirs de leur trajet jusqu'à l'aéroport. Son esprit n'en revenait pas et son cœur battait si fort qu'il paraissait sur le point d'exploser. Le jeune garçon ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi personne ne se retournait sur son passage avec le bruit que Kamui avait l'impression qu'il produisait. Fuma, lui, avait retrouvé toute sa contenance et fendait la foule du hall des départs avec aise. Kamui le suivait, à peine un pas derrière de peur de le perdre après tous ces efforts.

Il n'était jamais rentré dans un aéroport et toute cette foule, ces panneaux qui clignotaient, les annonces à répétitions et le labyrinthe de couloirs et d'escaliers lui donnaient le vertige. Il s'accrocha d'autant plus au talon de son guide. Fuma se dirigea d'un pas assuré vers le comptoir de la « Japan Airlines », où une jeune femme en tailleur bleu semblait s'ennuyait ferme. Fuma s'accouda avec grâce au guichet et la jeune femme lui accorda son plus beau sourire.

Kamui la détesta immédiatement.

- Que puis-je pour vous ? Demanda-t-elle mielleusement en battant des cils à l'attention du Dragon de la Terre.

Fuma lui rendit son sourire et se pencha un peu plus en avant.

- Nous aimerions deux places sur le prochain vol pour la France, déclara-t-il d'une voix chaude que Kamui jugea déplacée.

La jeune femme se mit à pianoter frénétiquement sur son clavier et après une minute, elle releva la tête et replaça une mèche de cheveux avec une lenteur calculée. Kamui la fusilla du regard mais elle ne lui prêtait pas la moindre attention, son univers se résumant sûrement en l'instant au visage souriant de Fuma.

- Vous pouvez prendre un vol pour Paris dans une demi-heure mais l'enregistrement est déjà terminé.

- Ce n'est pas grave, nous voyageons sans bagages, et en première classe s'il vous plaît, répondit-il suavement, faisant rougir la guichetière.

Kamui ressentit pour la première fois tout l'attrait que pouvait représenter le meurtre.

La jeune femme appuya sur une touche en riant, un brin gênée, et peur après deux billets sortirent de l'imprimante. Elle les leur tendirent d'une main tremblante. Fuma les attrapa délicatement et lui fit un dernier clin d'œil avant de se retourner. Kamui se hâta à sa suite, sentant qu'il était plus en colère qu'il ne devrait l'être. Voyant son air renfrogné. Fuma éclata de rire et lui ébouriffa les cheveux. La réaction énervée du plus petit des deux ne fit qu'amplifier l'amusement du Dragon de la Terre.

Ils parvinrent rapidement à la porte 07 et se mêlèrent à la foule qui se pressait sur la passerelle d'embarquement. Une fois dans l'avion, ils furent assaillis par la blancheur des sourires que les hôtesses envoyaient à tout va. Ils se frayèrent péniblement un chemin entre les grosses dames à petit chien et les enfants hurlant jusqu'au fond de l'appareil où un petit escalier conduisait à l'espace première classe. Là, deux hôtesses sautèrent immédiatement sur eux et demandèrent d'une seule voix :

- Pouvons-nous vous aider ?

Fuma pris Kamui par les épaules et posa sa tête sur la droite.

- En fait, nous aimerions pouvoir rester ensemble mais nos places ne sont pas à côté, minauda-t-il.

Kamui sentit le feu lui monter aux joues tandis qu'il sentait les cheveux de Fuma lui chatouillaient la tempe.

- Oh, comme c'est mignon ! S'exclama l'une des deux hôtesses avec un sourire attendri.

Elle doit penser que nous sommes frères, songea Kamui avec une gêne grandissante. L'autre hôtesse s'empara de leurs billets et fit se déplacer un homme d'affaire et son ordinateur portable afin que les deux « Kamuis » puissent s'asseoir au dernier rang qui, se trouvant en première, ne comportait que deux sièges et qui se trouvait juste à côté des cuisines.

Kamui s'assit côté auprès du hublot et boucla sa ceinture, se rappelant soudain qu'il n'avait jamais pris l'avion. Certes, il sautait d'un immeuble à l'autre pour son petit déjeuner mais il n'avait jamais volé au-dessus des nuages. De ce fait, il sentait se réveiller en lui une peur grandissante du vide qui allait bientôt le séparer de son élément naturel et même le fait que ça paraissait un peu paradoxal pour un Dragon du Ciel ne parvint pas à le faire se décontracter.

Sentant sûrement sa tension, Fuma posa sa main sur celle de Kamui qui agrippait violemment son accoudoir. La surprise et un autre sentiment étrange remplacèrent la peur le temps que l'appareil se mette en marche. Après, Kamui oublia complètement qu'il était assis à côté d'une personne voulant détruire le monde, lui compris, et qu'il était lui-même la personne sensée le contrer. Il oublia la chaleur de sa main sur la sienne et il oublia tout de l'étonnante situation dans laquelle il se trouvait. A cet instant précis, alors que l'avion prenait de la vitesse pour décoller, la seule chose dont Shiro Kamui était conscient était le tremblement du loquet de sa tablette.

Fuma fit alors la seule chose capable de le détourner de ses angoisses : il posa sa main sur la cuisse du jeune garçon et s'approcha de son oreille pour murmurer :

- N'aie pas peur, mon petit dragon. Je suis là.

Tandis que Fuma riait, Kamui sentit son visage s'enflammer et les gloussements des hôtesses attendries semblèrent raisonner à l'infini dans sa tête.


Kamui soupira profondément et se passa de l'eau sur le visage. Il se regarda dans la glace : il avait les traits tirés et son teint était plus pâle que d'habitude. Il jeta un coup d'œil à sa montre. Cela faisait maintenant une dizaine d'heures que l'avion avait décollé et le Dragon du Ciel avait passé les cinq dernières dans les toilettes. Au bout de tout ce temps, son espace vital commençait à lui paraître vraiment étroit. Malheureusement, il ne pouvait pas sortir. Pas parce qu'il était malade mais parce qu'il se cachait…

Se laissant tomber sur les toilettes, Kamui repensa aux cinq premières heures du voyage et soupira. Peu après le décollage, Fuma avait décidé de dormir et s'était effondré brusquement sur Kamui. Le jeune garçon n'avait pas su quoi faire. D'un côté, la position dans laquelle l'Ange s'était abandonné aux bras de Morphée le gênait terriblement mais d'un autre côté, il craignait de le réveiller. De plus, au fur et à mesure que Fuma plongeait plus profondément dans le sommeil, son visage s'apaisait et semblait retrouver le calme qui caractérisait si bien celui de son vieil ami.

Kamui se prit même à croire qu'il était revenu en arrière, que la fin du monde n'était pas en train se passer et que Fuma n'était pas devenu son étoile jumelle. Il se mit à imaginer qu'il avait bien tenu sa promesse et qu'il emmenait simplement son ami sur la Côte d'Azur. Il sourit en repensant aux plans qu'ils avaient échafaudés, étant petits, après le serment qu'ils s'étaient fait.

Plongé dans ces souvenirs joyeux d'un autre temps, Kamui se sentit heureux pour la première fois depuis bien longtemps. Sans s'en rendre compte, il posa une main protectrice sur l'épaule de son ami qui remua un peu et sourit dans son sommeil. Avec son autre main, il se mit à lui caresser doucement les cheveux. Cette fois-ci les œillades et les petits rires étouffés des hôtesses ne le troublèrent pas : il était dans un autre monde. Un monde sans Dragons du Ciel ou de la Terre, sans yumémi et sans kekkai à protéger.

Son petit rêve avait duré jusqu'à ce qu'il baisse la tête et découvre les yeux ouverts et narquois du « Kamui » Dragon de la Terre. Le jeune garçon sursauta et enleva prestement ses mains.

- Tu peux rester, ça ne me gêne pas, susurra Fuma.

Kamui déglutit péniblement et regarda autour de lui à la recherche d'une aide quelconque, mais tous les gens autour d'eux dormait. L'Ange s'étira langoureusement tout en restant allongé sur les genoux du garçon. Kamui se sentit définitivement virer à l'écarlate. Sa gorge était sèche et son cœur battait à toute allure. C'est à ce moment que son salut vint sous la forme d'une hôtesse souriante avec un plateau et deux coupes dessus.

- Du champagne, messiers ? Demanda-t-elle poliment.

Fuma se redressa et, profitant de ce répit, Kamui attrapa une des deux coupes en s'exclamant :

- Volontiers !

Il l'avala d'un trait sous le regard ébahi de Fuma. Celui-ci saisi alors la deuxième coupe et l'élevant vers son camarade, il déclara :

- Ikki ! (1)

Et l'avala cul sec à son tour.

Kamui, qui n'avait pas l'habitude de boire, sentit chaleur agréable se répandre dans ses membres et il se mit à sourire sans raison. Fuma le fixa pendant quelques secondes, les yeux brillants, puis il se tourna vers l'hôtesse et lui murmura quelque chose. Celle-ci acquiesça et repartit avec son plateau. Elle revint une petite minute plus tard avec deux autres coupes, qu'elle déposa sur la tablette de Fuma. Le Dragon de la Terre en tendit une à son ennemi et prit l'autre.

- Trinquons à notre petit voyage, tu veux ? Demanda-t-il, un sourire jusqu'aux oreilles.

Kamui, qui préférait que Fuma reste assis et bien réveillé, accepta et répondit en cognant sa coupe contre celle de l'Ange :

- Kempaï ! (2)

Et il but sa coupe sans se méfier, trouvant soudain matière à rire à tout ce que disait Fuma. Le sourire de celui-ci ne rétrécissait pas et il observait son vis-à-vis d'un air intéressé. Kamui sentait son esprit s'embrumer peu à peu mais il lui restait assez de jugement pour comprendre ce que tentait de faire Fuma quand il le vit rappeler une nouvelle fois l'hôtesse. Le jeune garçon prit peur et prétexta une envie d'aller aux toilettes pour s'éclipser le plus vite qu'il pouvait.

Les heures qui avaient suivies n'avaient été qu'une longue suite de chasses et fuites entre les deux « Kamuis » jusqu'à ce que le Dragon du Ciel ne se réfugie finalement dans les toilettes où il faisait maintenant semblant d'être malade pour éviter de retourner s'asseoir. De temps en temps, il jetait un coup d'œil dehors pour voir si Fuma ne rôdait pas dans les parages.

Dans la petite cuisine qui se trouvait à quelques mètres, il aperçut une silhouette familière : cheveux noirs, nonchalance et une impression d'aise de grâce attirante dans chaque mouvement. Apparemment, le Dragon de la Terre était en pleine conversation avec quelqu'un. Saisis par une violente curiosité et un autre sentiment qui lui serrait les entrailles, Kamui sortit prudemment de ses toilettes et s'avança silencieusement dans le couloir. Il avisa alors une autre cabine de toilettes qui lui permettrait d'observer la scène en toute discrétion. Le jeune garçon se faufila dans cet univers désormais familier, ayant passé plus de cinq heures dans un similaire. Il referma la porte, laissant juste un petit espace pour regarder dehors.

Fuma était adossé à un placard et discutait avec une des hôtesses qui s'occupaient d'eux. Apparemment, il avait du lui faire un compliment parce qu'elle rougissait légèrement en se tordant les mains.

- Je suis sérieux, Hitomi-chan. Je peux vous appeler comme ça ?

La jeune hôtesse hocha la tête joyeusement.

- Oui, donc, je disais que je n'avais jamais vu une balance aussi parfaite dans un visage féminin !

La jeune femme rouit de plus belle et rangea une brique de jus de fruit pour s'occuper les mains et se retourner une seconde. Fuma arborait un sourire confiant qui déplut à Kamui. Alors voilà à quoi il s'occupe depuis quelques heures, songea-t-il avec hargne, draguer des hôtesses de l'air ! Il sentait monter en lui une rage infondée. Secouant la tête, il continua à regarder la scène. Fuma écartait maintenant une mèche de cheveux du visage de l'hôtesse et laissa sa main s'attarder sur sa joue. Les mains de Kamui se crispèrent et il se mit à serrer violemment la poignée de la porte.

La deuxième hôtesse arriva alors avec un plateau qu'elle déposa tout près du jeune homme malgré un plan de travail entièrement vide.

- Oh, mais voilà votre charmante collègue ! S'exclama Fuma, son visage s'illuminant soudain. Puis-je me permettre de vous demander votre nom, mademoiselle ?

La jeune femme sourit et murmura faiblement qu'elle s'appelait Miyu.

- Miyu-chan ! Poursuivit Fuma. J'ai remarqué avec quelle agilité et quelle grâce vous vous déplacez dans cet avion. Et ce quelles que soient les turbulences ou votre chargement. On voit bien que vous êtes dans votre univers ici !

L'hôtesse sourit de nouveau et lui proposa un café.

- Si vous me le préparez, ce sera volontiers !

La jeune femme s'activa autour de la machine, sortit une vrai tasse et non pas un gobelet en plastique et mit tout son cœur à l'ouvrage. Pendant ce temps, Fuma en était revenu à Hitomi, vantant les mérites des hôtesses de l'air et expliquant à quel point il trouvait leur métier difficile et admirable. Les mains de Kamui se mirent à trembler cette fois-ci et il serra les dents. Arrête ça immédiatement ! Pensait-il, ça n'est pas digne de toi ! Qu'est-ce que tu fais avec ces…femmes ?! Cette pensée était venue à Kamui d'un coup mais il eut à peine le temps de s'en étonner car son nom apparut soudain dans la conversation.

- Et où se trouve le charmant jeune homme qui vous accompagne ? Demanda Miyu en mettant un filtre dans la cafetière.

- Kamui-kun ? Oh, il doit se promener, visiter. Vous savez, c'est la première qu'il prend l'avion alors il était un peu angoissé au début.

Les deux jeunes femmes émirent un soupir d'attendrissement.

- Heureusement que vous êtes là alors ! Enchaîna Hitomi.

Fuma hocha la tête avec résolution.

- Oui, je me demande ce qu'il ferait sans moi parfois !

- Il se porterait pour le mieux, répondit Kamui avec acidité.

Le jeune homme n'avait pas pu se retenir, il était sorti des toilettes pour se poster à côté de Fuma. Il le fixait maintenant avec un regard assassin. Le Dragon de la Terre ne sembla pas le remarquer et se précipita sur lui pour l'attraper par les épaules.

- Ah, le voilà ! Tu sais que je t'ai cherché partout, je commençais à m'inquiéter…

Son ton avait pris une nuance de reproche.

- Comme vous êtes prévenant ! Commenta Miyu avec admiration.

- N'est-ce pas, ajouta Kamui stoïque. Il ne s'éloigne jamais bien loin de moi…

Disant cela, il tourna la tête vers l'Ange. Fuma sourit en fermant à demi-les yeux, l'air soudain enfantin. Il se rapprocha un peu plus de Kamui et réarrangea son col.

- Vous avez l'air très proches tous les deux !

Comme en réaction à cette remarque, Fuma enlaça soudain Kamui et laissa glisser le dos de sa main sur sa joue. Le jeune garçon ne bougea pas, figé par la surprise. Seuls ses yeux s'agrandirent tandis qu'il regardait Fuma, confus.

- Nous sommes très proches…Confirma le Dragon de la Terre avant d'attraper Kamui par le menton, de tourner son visage vers lui et de l'embrasser.

Ne s'attendant vraiment pas à ça de la part de son pire ennemi, Kamui n'eut même pas une réaction de recul et, hébété, laissa son aîné l'embrasser avec fougue. Quand il s'éloigna enfin, Kamui ne bougea toujours pas, se sentant soudain tout drôle. Les yeux des hôtesses s'étaient agrandis de stupeur et Miyu avait mis sa main devant sa bouche. Elles regardaient les deux garçons avec effarement et horreur.

- N'est-ce pas, Kamui-kun ? Acheva doucement Fuma.

Le Sceaux hocha la tête sans vraiment s'en rendre compte. Il avait l'impression que son corps était soudain très léger. Ses membres semblaient s'être changés en air ou en vapeur et la seule preuve qu'ils ne s'étaient pas dissous était l'agréable chaleur qui se répandait en eux. Ses lèvres gardaient encore le souvenir de la pression exercée par celle de Fuma et Kamui, au lieu d'être dégoûté ou en colère, se sentait étrangement serein. Il avait l'impression que son Fuma était revenu pendant ce court laps de temps. Et si c'était là la seule manière de ramener son ami d'enfance, et bien soit. Kamui était prêt à tout.

Les deux hôtesses reniflèrent avec mépris et signalèrent aux deux jeunes hommes que la cuisine était interdite aux passagers, sûrement plus en colère d'avoir été trompées que choquée par leurs préférences. Fuma eut un rire moqueur et attrapa Kamui par le bras pour le tirer vers leurs sièges, le Dragon du Ciel étant apparemment incapable de réfléchir.

La fin du voyage se déroula dans un étrange brouillard doux et enivrant. Kamui ne reprit vraiment conscience de ce qui lui arrivait que quand les lumières s'éteignirent et que tout le monde se leva pour récupérer ses bagages. Fuma pressa le bras de Kamui et lui fit signe de se lever aussi. Le jeune garçon s'exécuta et attrapa la veste que lui tendait Fuma. Ils se faufilèrent ensuite entre les passagers jusqu'à la sortie. Les deux hôtesses, qui étaient là pour saluer les passagers, ne leur accordèrent pas le moindre regard et le Dragon de la Terre semblait de toute façon avoir déjà tout oublié de cet épisode.

Il paraissait maintenant plutôt concentré sur leur but. Il guida Kamui jusqu'à la sortie de l'aéroport où il siffla un taxi et lui indiqua qu'ils désiraient se rendre à la Gare de Lyon dans un français parfait dont Kamui s'étonna, n'ayant jamais même soupçonné son ami de parler le français. Le vieux parisien hocha la tête et commença alors leur long voyage à travers les rues de la capitale.


Fuma regardait le tableau des départs depuis dix minutes déjà et il n'avait pas dit un mot. Kamui n'avait pas bon cru bon de le déranger dans ses réflexions et était resté silencieux. Finalement, le Dragon de la Terre se tourna vers lui et déclara :

- Tout s'est bien passé jusque là. Nous sommes en France, nous sommes dans la bonne gare pour aller sur la Côte d'Azur mais il reste un problème.

Kamui ne mordit la lèvre, ne souhaitant pas vraiment savoir quel était ce problème et se prépara au pire. Comme l'avait dit Fuma, jusqu'ici, tout s'était relativement bien passé mais il n'y avait aucune raison que l'Ange supporte plus longtemps cette folle escapade. Son regard sérieux fit à craindre à Kamui qu'il ne reprenne la scène de la clairière ici même, en plein milieu du hall de gare.

- Où va-t-on finalement ? Demanda-t-il, en désignant trois trains : un pour Nice, un pour Marseille et un pour Toulon.

Kamui cligna des yeux plusieurs fois sans réagir, ne sachant pas s'il rêvait ou pas. Mais comme Fuma restait devant lui avec cet air interrogateur quel que soit le nombre de fois que Kamui se frotta les yeux, il finit par en déduire que tout cela était bien réel. Le Dragon de la Terre lui demandait sérieusement quoi faire après s'être chargé de tout jusque là. Devant le manque de réaction de son compagnon, Fuma réitéra sa question :

- Quel train on prend ? La Côte d'Azur, c'est ton domaine !

Une amorce de sourire apparut sur le visage du Sceaux qui trouvait que décidément la situation était de plus en plus cocasse. Deux Dragons allant à la plage et ne sachant pas dans quelle ville aller. Il y avait de quoi écrire une histoire, songea-t-il. Mais alors qu'il continuait à s'étonner des évènements, le sourcil interrogateur que leva Fuma le ramena à la réalité du panneau des départs.

Scrutant les différents noms et essayant de se souvenir du peu de chose qu'il connaissait sur la Côte d'Azur, Kamui élimina immédiatement Marseille, se rappelant les photos de plage surpeuplées qu'il avait vu dans son livre de géographie. Les deux autres, Nice et Toulon, ne lui disaient rien. Il n'en avait jamais entendu parler et ne savait même pas où elle se trouvait. Nice ou Toulon ? Toulon ou Nice ? Fuma commençait à s'impatienter alors Kamui opta pour une technique plus radicale. Tokyo était la ville à protéger absolument, Tokyo commençait par un « t »…

- Allons à Toulon ! S'exclama-t-il joyeusement en se tournant vers le Dragon de la Terre.

Celui-ci le regarda d'un air perplexe pendant un moment puis haussa finalement les épaules et se dirigea vers le comptoir pour acheter les billets. Kamui regarda une dernière fois le panneau des départs où les six lettres de Toulon tournaient pour s'afficher au-dessus et murmura dans un souffle :

- Porte-moi chance, Toulon…

Puis il se hâta à la suite de Fuma.


Le voyage dura bien trop longtemps au goût de Kamui qui commençait à en avoir sérieusement assez d'être cloîtré dans les toilettes…

Ils arrivèrent finalement à la gare de Toulon le lendemain matin très tôt. Le soleil ne devait pas être levé depuis très longtemps quand ils sortirent du hall de gare et découvrirent une charmante petite place avec un rond point fleuri de toutes les couleurs au milieu. Profitant de cette première minute de calme de leurs nouvelles vacances, ils décidèrent de prendre un petit déjeuner dans un café qui se trouvait juste à côté de la sortie.

Le patron, un gros homme du midi, leur servit du café et des croissants encore chauds, le tout avec un accent du Sud tellement prononcé que Kamui ne put s'empêcher de sourire en entendant cette langue aux inflexions chantantes. Ils dégustèrent les croissants en silence, observant la ville se réveiller. Une fois qu'ils eurent terminé, Fuma régla et demanda quelque chose en français au serveur que Kamui ne comprit pas. Le jeune français hocha la tête, réfléchit pendant une seconde puis sembla indiquer un endroit à Fuma qui l'écoutait, concentré. Finalement l'Ange le remercia et se mit à marcher sans prendre la peine d'attendre le jeune garçon.

Kamui courut pour le rattraper et lui demanda où ils allaient. Fuma ne daigna pas lui répondre, occupé à suivre l'itinéraire indiqué. Bientôt, ils arrivèrent devant une petite boutique dans laquelle Fuma entra, Kamui derrière lui. Un homme au crâne dégarni avec de grosses lunettes les accueillit.

(Je me permets de mettre la conversation même si notre héros, le pauvre Kamui, ne comprend pas un traître mot de français).

- Bonjour messieurs, que puis-je faire pour vous ?

Fuma s'avança, apparemment décidé à parler pour eux, ce pour quoi Kamui lui fut reconnaissant, lui qui commençait à se sentir un perdu dans ce pays étranger.

- Nous voudrions louer une maison sur la côte.

- Parfait ! Parfait ! S'exclama l'agent immobilier en frappant des mains. Quel genre de maison souhaiteriez-vous ?

Fuma réfléchit une seconde, jeta un coup à d'œil à Kamui et répondit :

- Une grande maison confortable avec un accès direct à la plage.

- Bien, bien !

- Et si possible, un peu reculé, ajouta l'Ange avec un sourire indéfinissable.

L'homme agita le doigt avec un grand sourire et s'exclama :

- J'ai exactement ce qu'il vous faut !

Il disparut une minute dans une salle à l'arrière du bureau et en revint avec un catalogue qu'il ouvrit en grand sur une table. Il tourna les pages frénétiquement comme s'il avait peur que s'il n'allait pas assez vite, ses clients allaient disparaître. Ayant enfin trouvé la page voulue, il tourna le magazine vers le jeune homme et pointa une photo du doigt.

- Roquefort la Bédoule ! S'écria-t-il avec enthousiasme. C'est un charmant petit village sur la côte, un peu reculé comme vous le souhaitiez et d'un pittoresque ! La maison est une grande villa avec un jardin luxuriant qui donne aussi accès à une petite plage peur fréquenté mais idyllique. Les environs sont plutôt calme et vous ne devriez pas être dérangé.

Fuma hocha la tête et demanda son avis à Kamui. Celui-ci regarda la photo avec intérêt et sentit se réveiller en lui de vieux rêves. Il regarda son compagnon avec des étincelles dans les yeux et fit oui de la tête.

- C'est parfait, nous la prenons !

- Pour combien de temps ? Demanda l'agent immobilier.

- Nous n'avons pas encore décidé, est-ce grave ?

- Mais pas du tout, faîte à votre guise. Restez aussi longtemps que vous voudrez !

Il disparut de nouveau à l'arrière du magasin et Kamui avisa soudain un point auquel il n'avait pas pensé.

- Fuma, comment…

- Je suis « Kamui ».

Kamui ne se formalisa même pas de cette remarque.

- Comment allons-nous payer ? Demanda-t-il.

Le Dragon de la Terre le regarda un instant avec mépris.

- Exactement comme nous avons payé le reste, baka ! Répliqua-t-il férocement, puis son ton s'adoucit. C'est sur le compte de la vieille Kanoe.

Il se mit alors à glousser jusqu'à ce que le vendeur revienne. Celui-ci leur brandit triomphalement un trousseau de clé, un sourire jusqu'aux oreilles.

- Je vous emmène si vous voulez. Le coin n'est pas toujours facile à repérer.

Fuma accepta d'autant plus vite qu'ils n'avaient pas de voiture.

C'est ainsi qu'ils se mirent en route pour Roquefort la Bédoule.


Les grillons faisaient un bruit de tous les diables et la chaleur était étouffante. Néanmoins Kamui se sentait heureux. Ils se tenaient maintenant devant la villa. Son nom, « Mar Vivo », la mer vive, était écrit sur une petite plaque à l'entrée. Le soleil frappait le toit en tuile rouge et le blanc des murs était éblouissant. Toute la maison était entourée d'eucalyptus et de pins qui embaumaient en cette saison.

Le vendeur de l'agence leur fit signe de le suivre et il ouvrit la grande bâtisse pour ses futurs occupants. Il leur fit faire rapidement l tour du propriétaire, leur laissa ses coordonnées et leur souhaita un bon séjour avant de remonter dans sa voiture et de disparaître en haut de la colline.

Kamui et Fuma restèrent un moment dans la grande entrée plongée dans la pénombre à cause des volets encore fermés. Tandis que le Dragon du Ciel s'apprêtait à aller sur la terrasse pour prendre l'air, Fuma le saisit violemment par le col et le plaqua contre le mur, à une vingtaine de centimètres du sol.

Voilà, c'est la fin, songea immédiatement Kamui, il en a marre de cette soi-disant faveur et a décidé d'en finir. Il se rappela rapidement la scène de la veille, dans la clairière. Peut-être aurait-il du mourir là-bas finalement, il n'aurait pas eu tous ces faux espoirs. Une petite voix dans sa tête ajouta néanmoins qu'il n'aurait pas été embrassé par Fuma dans ce cas-là.

C'est sur ces sombres réflexions que le Dragon de la Terre déclara :

- Ceci est une faveur que je te fais parce que j'en ai décidé ainsi, énonça-t-il calmement. Elle prend fin quand je le décide et dans ce cas-là, sache que je te tuerai. Si tu essayes de t'enfuir ou si tu disparais dans les jours qui viennent, je te retrouverai et je te tuerai. Si tu appelles quelqu'un, tes amis les Dragons du Ciel ou n'importe qui d'autre, je te tuerai. Enfin si tu essaies de profiter de ce séjour pour m'attaquer, je te tuerai. C'est compris ?

Kamui hocha difficilement la tête et Fuma le lâcha. Le jeune garçon s'écroula par terre, respirant avec peine. Le Dragon de la Terre ne lui accorda plus un regard et disparut dans l'abondante lumière coulant par la porte-fenêtre menant à la terrasse.

Kamui déglutit. Ce ne serait pas aussi facile qu'il ne l'avait espérait…


The end !

Pour ce chapitre seulement ! La suite bientôt, du moins je l'espère o.O

Enfin pour ceux qui ont une connaissance du japonais qui se limite à hentai et baka, voici quelques petites traductions :

(1) Ikki signifie « cul-sec » en japonais.

(2) Kempaï signifie « santé ! ».