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Le Fil d'Arianne

Lorsque je me réveille, les premiers rayons du soleil emplissent la clairière d'une douce lumière matinale. Cette nuit a été éprouvante : le froid mordant a vicieusement gelé jusqu'à la dernière parcelle de mon corps, et les cauchemars dont je suis incapable de me rappeler m'ont maintenue éveillée durant plusieurs heures.

Faisant fi de mon épuisement encore plus accablant que la veille, je me traîne jusqu'au ruisseau et plonge mon visage dans l'eau froide pour en retirer toute trace de poussière et de larmes. Je mange lentement mes dernières pommes et ferme les yeux pour profiter du regain d'énergie qu'elles m'apportent. Mes pieds sont un peu gonflés, mais moins que si je ne les avais pas plongés dans l'eau hier soir, et il me faut bien une dizaine de minutes pour remettre mes chaussures que la marche d'hier a déjà bien abîmées.

Lorsque je me sens enfin prête, je quitte la clairière et redescends jusqu'à la plage en suivant le cours d'eau. Arrivée sur le sable, je bifurque vers la droite et reviens sur mes pas jusqu'à retrouver le petit pommier. Là, je confectionne un baluchon de fortune avec mon manteau et y place le plus de pommes possibles. Toute concentrée à ma tâche, je me surprends moi-même à chantonner les paroles d'une chanson française terriblement populaire à Londres. Bien que ma voix soit enrouée, presque cassée, entendre un son briser le silence pesant de cette nature terrifiante est si incongru que je m'arrête après les premiers mots. C'est à la fois inquiétant et libérateur… Mais, et si le son de ma voix réveillait un monstre immense endormi quelque part dans ces bois ?

Cette réflexion un peu idiote m'arrache un rire qui tiraille mes cordes vocales en manque d'activité. Il résonne, hystérique et un peu fou à mes oreilles, mais je n'en ai que faire. Rompre le règne du silence m'apporte finalement un étrange sentiment de victoire qui me pousse à reprendre la chanson plus fort.

J'ai envie de rire autant que de pleurer. De quoi ai-je l'air ? Assise dans le sable, perdue sur une île déserte beaucoup trop loin de chez moi, une pomme dans une main et un manteau en lambeaux dans l'autre, en train de chanter une stupide chanson. Je dois avoir l'air folle. Peut-être que je suis en train de le devenir. Qui ne le serait pas à ma place, totalement seule, sans ressource, sans échappatoire.

Puis mon rire meurt, aussi vite qu'il est apparu. Je fixe la pomme dans ma main, un peu perdue, je l'ai serrée si fort que mes ongles se sont enfoncés dans sa chair et que du jus sucré s'en écoule. Je pourrais tout aussi bien rester ici : il reste encore beaucoup de pommes et je sais où trouver de l'eau. Je pourrais attendre que les secours viennent me chercher. Je pourrais m'allonger au pied de l'arbre et dormir jusqu'à ce que quelqu'un arrive.

Les larmes remplissent de nouveau mes yeux, mais je les retiens et secoue la tête pour les faire disparaître. Personne ne va venir, je suis seule. Mais je veux rentrer chez moi. Et si pour ça il faut que je traverse la moitié de ce foutu pays à pied, alors je le ferais. Je rassemble mes derniers fragments de courage et enfouis mes pensées sombres le plus loin possible dans mon esprit avant de me relever. J'ignore le tremblement de mes mains. Plus vite j'aurais traversé ce bras de mer et plus vite je pourrais recommencer à chercher de l'aide.

Je charge encore le maximum de pommes dans mon sac de fortune et marche rapidement jusqu'à l'endroit le plus proche de la rive opposée. A l'est, le soleil débute à peine son ascension et l'eau ne doit pas dépasser les dix degrés, mais je n'ai pas d'autre choix. Alors, prudemment, j'avance un pied puis l'autre et cherche des pierres plates où prendre appui. Bientôt, je suis à quelques mètres de la berge, l'eau grimpe jusqu'à ma taille et mon corps est agité de frissons que je ne parviens pas à arrêter.

Doucement, je déplie la capuche de mon manteau et l'enfonce le plus loin possible sur ma tête, laissant les pommes reposer lourdement contre mes épaules. Je sais qu'une fois dans l'eau elles commenceront à flotter, et qu'alors je pourrais entraîner le paquet dans ma nage sans qu'il ne me dérange.

Comme j'ai déjà vu faire les starlettes américaines sur les écrans de cinéma en noir et blanc, je mouille plusieurs fois ma nuque avant de m'immerger d'un coup jusqu'aux épaules. Un cri de surprise m'échappe et je ne bouge plus pendant plusieurs secondes essayant de m'habituer au froid mordant qui commence déjà à engourdir mes extrémités.

Néanmoins, par peur de l'hypothermie, je ne perds pas une minute de plus et entame un long mouvement de brasse en direction de la rive. Le courant n'est pas aussi fort que je l'avais prévu et j'arrive rapidement au milieu du bras d'eau. Je suis obligée de renfoncer ma capuche à plusieurs reprises pour éviter de perdre mon baluchon, et chaque fois je bois la tasse...

Au bout de quelques minutes supplémentaires, la sensation de froid et d'engourdissement devient insupportable, et je ne fais plus que du sur-place. Pourtant, Je ne suis plus qu'à quelques mètres du rivage, mais la fatigue accumulée des dernières heures draine le peu de force qu'il me reste, et je dois battre des pieds avec toute mon énergie pour ne pas couler à pic.

Le courant, lentement mais sûrement, est en train de me pousser vers le large, et je cherche désespérément quelque chose à quoi m'accrocher. C'est alors que j'aperçois, plusieurs mètres plus loin, un tronc d'arbre tombé en travers de la rivière. Je jurerais qu'il n'était pas là avant que j'entre dans l'eau, mais je ne m'attarde pas sur cette pensée, car là tout de suite, il représente mon unique chance de m'en sortir.

Alors que j'arrive à la hauteur de ce tronc, je donne tout ce qu'il me reste pour réussir à l'approcher suffisamment et m'en saisir. Mais presque aussitôt, je sens quelque chose de dur et de pointu s'enfoncer dans l'arrière de mon mollet droit Un hurlement de douleur me déchire la gorge, mais je réussis malgré tout à rester suffisamment concentrée pour attraper l'une des branches qui dépasse hors de l'eau.

À la force des bras, je parviens à m'accrocher au tronc et m'enroule tant bien que mal autour avant de fondre en larmes. Ma jambe me fait souffrir le martyr, et le fait de m'être presque noyée quelques secondes plus tôt suffisent à faire céder toutes mes barrières. Alors, je pleure à chaudes larmes, la tête posée contre l'écorce humide. Mes doigts sont bleus et j'ai du mal à reprendre ma respiration à force d'avoir autant bu la tasse, je n'ose plus faire un mouvement, trop fatiguée pour esquisser le moindre geste.

La douleur finit par disparaître à mesure que le froid anesthésie mon corps, si bien que mes bras se relâchent petit à petit et que ma tête devient terriblement lourde. Dans l'état où je suis, je n'ai plus les idées claires, et je n'arrive pas à penser à autre chose qu'au fait que dormir quelques minutes ne pourrait pas me faire de mal. Je sortirai de la rivière quand je serai un peu plus reposée. Ma tête roule doucement contre le bois et je fixe sans vraiment la voir la berge à seulement quelques mètres. Mais alors que je crois sombrer, un mouvement attire mon attention.

Tout près du bord, se tient un immense lion. L'animal tranquillement assis au bord de l'eau semble m'observer avec attention, presque curiosité. Je n'arrive pas à ressentir le danger de la situation. Il y a quelque chose d'anormal chez cet animal. Sa taille d'abord. Je n'ai jamais vu de lion aussi grand, presque aussi haut qu'un cheval. Sa crinière ensuite. Elle flotte doucement autour de lui alors que je pourrais jurer qu'il n'y a pas un brin de vent. Et son regard. La façon dont ses yeux fixent les miens comme s'il savait exactement qui je suis. Je ne m'arrête même pas sur le fait que le plus grand lion que j'ai jamais vu me regarde droit dans les yeux, parce que son regard me semble si intelligent, si conscient, que j'oublie durant une seconde qu'il ne s'agit que d'un animal. Plus absurde encore, je pourrais jurer que de nous deux, c'est le lion qui est le plus surpris. D'une manière presque grotesque, si elle n'était pas aussi improbable, son immense tête adopte une moue étonnée, pleine d'incompréhension. Comme si de nous deux, c'était moi, la bête curieuse.

Je n'arrive pas à me détourner de lui, quand soudain, une puissante vague de chaleur emplit chacun de mes muscles comme un regain d'énergie, me faisant prendre conscience de mon corps à l'agonie. Je me force à détourner le regard pour chercher l'origine de cette chaleur, mais je n'en trouve aucune et quand je relève de nouveau les yeux, le lion a disparu. Comme si j'avais finalement imaginé toute cette scène.

Mais je n'ai pas le temps m'attarder sur ces pensées, la chaleur commence déjà à se dissiper et le froid reprend ses droits sur mon corps endolori. Faisant fi de ma jambe meurtrie, j'utilise tous les appuis à ma disposition pour rejoindre la rive et me hisser laborieusement hors de l'eau. Je me traîne sur quelques mètres, le plus loin possible de cette eau maudite, puis roule sur le dos. Je suis à bout de souffle et il me faut plusieurs longues minutes pour retrouver un semblant de pensée cohérente.

Finalement, je me débarrasse de la capuche de mon manteau, rendu lourd par l'eau et les pommes et repousse les longues mèches blondes détrempées qui recouvrent mon visage pour me redresser en position assise. Je sais que je devrais être frigorifiée, incapable de bouger, mais la sensation de froid m'a quittée à la seconde même où mon corps a cessé d'être en contact avec l'eau. C'est anormal, mais je n'ai pas le temps de m'en préoccuper puisque la douleur de ma jambe se rappelle à moi violemment.

Juste au-dessus de la chaussette haute de mon uniforme d'étudiante, enfoncé de plusieurs centimètres dans la peau de mon mollet, s'est fiché un long morceau de bois. Je n'ai pas particulièrement peur du sang, mais la vision de ma peau transpercée et sanguinolente me retourne l'estomac si fort que je suis obligée de me pencher rapidement sur le côté pour vomir un mélange de pomme, de bile et d'eau.

Je tousse longtemps et regrette de n'avoir rien de mieux que l'eau sale et à demi salée de la rivière pour me débarrasser du goût écœurant de mon repas rendu. Mais le tiraillement de ma jambe me rappelle lui-même à l'urgence de la situation. Avec toute la détermination qu'il me reste, je retire rapidement la veste de mon uniforme trempé et mords fermement dans la manche de celui-ci. J'attrape avec le plus de précision possible le morceau de bois et inspire un grand coup avant de tirer dessus d'un coup sec et de le jeter dans les fourrés. Une série de longs hurlements douloureux m'échappe, étouffée par le vêtement que je sers de toutes mes forces entre mes dents alors qu'un filet de sang fin mais continu s'échappe de la plaie.

Je prends quelques minutes supplémentaires pour inspecter rapidement les contours de la blessure et retirer les échardes qui pourraient encore s'y cacher. En guise de pansement, j'attrape le bas de ma jupe grise et déchire une longue bande d'environ cinq centimètres de large que j'enroule dans un bandage serré autour de ma jambe pour stopper l'écoulement.

Alors seulement, je m'autorise à souffler. Je me rallonge sur le dos et prend de grandes inspirations tremblantes. La très légère brise qui balaie mon corps mouillé est le dernier de mes soucis. Je suis parvenue de l'autre côté et, si je ne me trompe pas, je suis sur le continent. Mes chances de trouver des gens pour m'aider viennent donc d'augmenter considérablement, et cette idée parvient à m'arracher un mince sourire fatigué.

Avec mille précautions, je me relève en faisant attention à ne pas trop appuyer sur ma jambe. En clopinant un peu, je retourne sur la rive. Je grimace en constatant que j'ai bien plus dérivé que prévu et commence à remonter le long du bras.

Le soleil n'est pas encore haut dans le ciel lorsque je parviens à dénicher une petite source d'eau claire et je décide de m'accorder une pause bien méritée. Je bois autant que je peux et ne mange qu'une seule de mes pommes. Mieux vaut se rationner dès maintenant, je ne sais pas combien d'heures ou de jours de marche j'ai encore devant moi, et la blessure de ma jambe risque inévitablement de me ralentir. Je trouve d'ailleurs quelques centaines de mètres plus loin, avec une joie non dissimulée, un grand bâton qui me fera une très bonne canne pour la longue randonnée qui m'attend.

Je marche tout le jour durant, ne m'arrêtant que pour rincer mon pansement de fortune et boire. Autant que je le peux, je longe le court d'eau, ne m'en écartant que lorsque le chemin est impraticable, y revenant un peu plus loin.

Lorsque le soir commence à tomber, je m'arrête alors et fais un tour d'horizon à la recherche d'un endroit où passer la nuit, à l'abri d'éventuels animaux même si je n'en ai croisé aucun, pas même un oiseau. Exactement comme lorsque j'étais sur l'île. Cette constatation s'ajoute à la longue liste de mes inquiétudes, mais pour l'heure je suis bien trop fatiguée pour m'attarder plus longtemps sur le sujet.

Je repère un peu plus haut dans la forêt un genre de petit bosquet d'arbrisseaux très touffus sous lequel je pourrais m'abriter. Je m'y dirige donc et m'y glisse à quatre pattes pour atteindre l'endroit le plus fourni de l'immense buisson. J'accroche mon manteau et mes pommes à une branche au-dessus de ma tête pour qu'aucun insecte ou petit animal ne puisse venir se servir. Ces pommes me sont d'autant plus précieuses que je n'ai vu aucun autre arbre fruitier depuis que j'ai traversé de ce côté-ci de la mer.

Je m'enroule du mieux possible dans ma veste d'uniforme qui est heureusement désormais sèche, et m'adosse contre l'un des arbres pour garder une vue dégagée sur ce qui m'entoure. Je ne sais pas vraiment ce que je pourrais avoir à fuir, mais la peur sourde qui enroule ses tentacules autour de mes entrailles chaque fois que je la laisse faire, me souffle qu'en cas de fuite, je n'ai de toutes manières aucune chance de m'en sortir. C'est sur ces pensées peu rassurantes que je sombre difficilement dans un sommeil que je devine d'avance peuplé de cauchemars.

. . .

Je me réveille en sursaut, l'ensemble de mes sens aux aguets. La forêt autour de moi est plongée dans le noir complet et pas un seul bruissement ne vient briser le lourd silence qui m'entoure. Je ne sais pas ce qui m'a réveillée, mais quoi que ce soit, je sens que c'est toujours là, tout proche.

Je suis tendue au maximum, prête à bondir pour fuir le danger, si bien que je sens la blessure de ma jambe qui avait arrêté de saigner quelques heures plus tôt se rouvrir. Je ne bouge pas d'un millimètre et ne m'aperçois qu'après de longues secondes que j'ai également arrêté de respirer. Mais rien ne vient, et la forêt reste désespérément sombre et silencieuse. Contrairement à ma première nuit ici, la lumière de la lune et des étoiles ne parvient pas à transpercer les feuillages. Seuls quelques rayons solitaires viennent apporter une pâle lueur glacée au paysage autour de moi.

Je patiente encore durant un très long moment sans faire le moindre bruit, et je finis par me demander si ce n'est pas tout simplement l'un de mes nombreux cauchemars qui a causé mon réveil.

Malgré tout, je veux quand même prendre quelques précautions supplémentaires. Avec une infinie lenteur, j'attrape une petite pierre juste à côté de moi et la jette en contrebas où elle atterrit dans la rivière avec un petit « plouf » caractéristique. J'écoute, à l'affût de la moindre réaction, mais encore une fois rien ne se passe. Un soupir tremblant m'échappe et je commence à détendre, l'un après l'autre, mes muscles tétanisés.

Mais en une fraction de seconde, toute la tension accumulée durant les dernières minutes crève le plafond et mes poumons se vident comme si tout l'air en avait été aspiré. Quelque chose a bougé. Peut-être à quinze ou vingt mètres de moi, de l'autre côté du ruisseau. Quelque chose approche. Quelque chose d'immense.

Je peine à distinguer la forme de la créature qui semble être venue boire et je ne suis pas assez folle pour m'en approcher, mais au bas mot cette chose mesure plus de trois mètres de haut. Mes yeux me brûlent à force d'être écarquillés et je cherche dans les moindres recoins de mon esprit ce que pourrait être cette bête. Assurément pas un homme. Je pense d'abord à un ours, mais le buste de la créature est trop fin et ce que je devine être des poils, trop longs.

Tout mon corps bout d'adrénaline, prêt à déguerpir à toutes jambes, mais je me force à rester immobile, parce que la chose que je distingue, accrochée au dos de la bête, ressemble vraiment à une immense épée, presque aussi grande que moi. La petite fille que j'étais et qui avait peur des monstres sous son lit renaît dans mes tripes avec une force saisissante.

La bête semble avoir fini de s'abreuver et alors que je pense qu'elle va repartir de là où elle vient, elle n'en fait rien. Au contraire, elle traverse le petit ruisseau et se dirige droit sur moi. Mon esprit se vide totalement alors qu'elle n'est plus qu'à quelques mètres, et je vois ma mort dans chacun des pas qui la rapproche de ma cachette.

Alors qu'elle n'est plus qu'à deux, peut-être trois mètres, je suis au comble de la terreur, je transpire à grosses gouttes et des sueurs froides dévalent le long de ma colonne vertébrale. Je peux à présent l'entendre respirer, une respiration rauque, inhumaine, je vois la vapeur qui se disperse dans la nuit glacée à chacune de ses expirations. Elle est si proche maintenant, je n'ai plus aucun mal à distinguer chacun de ses traits au travers des branchages qui nous séparent. Un corps d'homme et une tête de taureau, recouvert d'une longue fourrure noire à l'odeur pestilentielle. Ses sabots, noirs et luisants, foulent désormais lourdement le sol à moins d'un mètre de l'endroit où je suis caché. Je retiens un énième hoquet de terreur et ferme les yeux de toutes mes forces, priant tous les dieux de ce monde de m'épargner.

Quelque part, une âme charitable semble entendre mes suppliques puisque la bête poursuit son chemin et s'éloigne de moi lentement. Un bref soupir m'échappe et j'accueille avec plaisir la brise fraîche qui caresse mon visage. Mais la bête s'arrête alors tout aussi net et dégaine son arme.

Je ne fais plus qu'un avec l'arbre dans mon dos, je respire à peine et je garde mes mains fermement ancrées contre ma bouche pour empêcher leur tremblement et le claquement de mes dents. J'entends la bête qui respire et j'ai l'impression que sa bouche monstrueuse se trouve là, tout contre mon oreille. Et je comprends. Le vent a changé de direction et a fait parvenir mon odeur jusqu'à la créature. Transpiration, peur, sang. Et maintenant elle cherche à connaître l'origine de cette odeur.

Je ne sais pas quoi faire, il est clair que la fuite n'est même pas envisageable. De toutes façons dans mon état la bête me rattraperait en deux enjambées. Alors j'attends. C'est la seule chose que je puisse faire. Un combat inconscient débute entre cette chose et moi. Celui de nous deux qui fera la première erreur. Celui qui se révèlera en premier.

Et cette fois, rien que pour cette fois, c'est moi qui gagne. Un autre bruit résonne, loin dans les profondeurs de la forêt. J'ai du mal à l'entendre, mais on dirait le son d'une corne de brume.

La bête est comme moi, elle écoute le son de la corne, mais elle semble hésiter. Elle se tourne une dernière fois dans ma direction puis se tourne vers l'endroit d'où vient le son et range son épée. Rapidement et sans un regard en arrière, elle disparaît dans la nuit noire aussi silencieusement qu'elle en est sortie. Trop silencieusement pour une créature de cette taille si vous voulez mon avis...

Je ne suis pas complètement rassurée pour autant. Alors j'attends, toujours parfaitement alerte et immobile, à l'affût du moindre signe annonciateur du retour de la créature. Mais rien ne vient, à tel point que tout ceci ne semble n'avoir été qu'un autre de mes affreux cauchemars, qu'une autre illusion comme l'apparition du lion. Mais je ne fermerais plus l'œil une seule fois jusqu'au lever du soleil...