Les Souverains de Narnia
Je sombre plusieurs fois durant les premiers jours, de faim, de fatigue et de douleur. Je pleure aussi, beaucoup, durant mes rares phases de conscience. Dans mes souvenirs le temps était printanier. Néanmoins, je suis morte de froid dans ma pauvre robe en jute imbibée de sang. Pour glaner un peu de chaleur, j'ai rassemblé autour de moi quelques touffes de paille dans une couche de fortune que je n'ai pas quittée depuis.
Coincée dans cette minuscule cellule, je perds la notion du temps. L'absence de fenêtre ne me permet pas de différencier le jour de la nuit, et la petite ouverture dans la porte par laquelle mes geôliers font passer le pain rassis et l'eau boueuse qui me sert de repas, donne sur un couloir tout aussi sombre que ma prison.
En me tenant debout, j'arrive à toucher du bout des doigts les deux extrémités de la cellule, mon petit enfer personnel. Au début, j'ai essayé de tenir bon, de ne pas me laisser abattre, de compter les heures, les jours, de ne pas oublier qui je suis. Combien de temps passé à réciter à voix basse la liste de mes certitudes ? Je m'appelle Katherine Stafford. J'ai dix-sept ans. J'habite à Londres. Mes parents s'appellent Margareth et Charles Stafford. Mais ça aussi ils ont essayé de me le prendre.
J'avais gardé la montre de mon père, cachée dans la paille pour qu'on ne puisse pas me la prendre. Mais les gardes sont vicieux et il arrive que me passer à tabac ne leur suffise pas. Dans ces moments-là, ils détruisent tout, arrachent la paille et la jettent contre les murs. C'est comme ça qu'ils l'ont trouvé, la dernière preuve de mon existence en dehors des quatre murs humides de mon cachot. Ils sont repartis avec, après s'être assurés que je ne pourrais pas me lever avant plusieurs jours. Elle est sûrement détruite maintenant, mon bien le plus précieux.
J'ai fini par m'habituer aux coups. À ces heures qu'ils passent à bleuir chaque centimètre de ma peau. Ils ne demandent jamais rien, se contentent de prendre, de frapper. J'ai les yeux tellement gonflés par les poings qu'ils ne s'ouvrent même plus. Mes côtes doivent être réduites à un tas de morceaux d'os sans attache à tel point que je suis étonnée qu'une hémorragie interne n'ait pas déjà eu raison de moi.
Subir en silence. Ne pas crier. Ne pas leur faire ce plaisir. Mon corps est déjà si brisé, déchiré, que je ne les sens même plus m'infliger ces abjects supplices. Tout ce qu'il me reste, ce sont ces quelques certitudes et la conviction que les choses finiront par aller mieux. Cet espoir fou auquel je m'accroche comme une damnée. Qui me retient au bord du gouffre. Cassée, mais pas abattue.
Et cet espoir un peu fou, je le dois entièrement au Docteur Cornelius.
Pendant les premiers temps, j'étais si perdue et j'avais tellement mal. Je ne pensais même pas à me lever ou à explorer ma cellule. Je me contentais de rester couchée, à pleurer sans arrêt pendant des heures. Et puis après un long moment passé à tant pleurer que plus aucune larme ne s'écoulait de mes yeux, j'ai entendu une voix. J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait de gardes venus se défouler sur moi, mais personne n'est venu. J'ai cru être devenue folle et entendre des voix, mais finalement, après avoir longtemps cherché le courage de me lever et d'inspecter ma cage, la réponse est venue du sombre couloir de l'autre côté de la porte.
Dans une autre cellule est enfermé un vieil homme à la longue barbe blanche. Fatiguée par une énième séance avec les soldats de la garde quelques jours plus tôt, je me traîne difficilement jusqu'à la porte de ma cellule, m'y adossant avec précautions. Respirer correctement devient un peu plus difficile chaque jour pour mon corps épuisé de guérir et d'être blessé à nouveau.
Je pousse sur mon bras gauche pour me soulever et m'adosser au battant de bois humide. Même après ce que j'imagine être quelques semaines, la blessure de ma main ne guérit toujours pas et se rouvre régulièrement. Comme pour ma blessure à la jambe, j'ai maintenant peur que ma main ne s'infecte et ne se nécrose, surtout que j'ai de plus en plus de mal à bouger les doigts et même à ressentir le touché.
Ramenant ma main blessée contre moi, je laisse tomber ma tête contre la porte et prends une grande inspiration qui fait immédiatement souffrir mes poumons. Je grimace.
-Docteur ? J'appelle avec hésitation.
Si ma geôle n'a pas le luxe de s'offrir une fenêtre sur l'extérieur, je sais que celle du Docteur Cornelius en a une. Sa réponse met du temps à me parvenir, peut-être dort-il ? C'est peut-être la nuit dehors. Je n'insiste pas trop. Il n'est pas malmené comme moi par les gardes qui semblent lui témoigner un certain respect, mais dormir sur la paille moisie d'une cellule humide et froide n'est pas conseillé ni chose facile pour un homme de son âge.
-Oui jeune Katherine ? Souffle une voix ensommeillée.
-Vous dormiez ? Je demande, un brin soucieuse, mais sans pouvoir retenir un sourire.
Depuis que je lui ai révélé mon âge, il s'acharne à toujours ajouter un "jeune" devant mon prénom. Au début, je trouvais cela agaçant, mais finalement, j'ai fini par m'y faire.
-J'observais les étoiles et je crains de m'être assoupi.
J'étouffe un rire qui vient me brûler les côtes et grimace de douleur avant de reprendre.
-Parlez-moi des étoiles Docteur, celles de Narnia sont si différentes de chez moi, je murmure.
-C'est parce qu'elles le sont ma jeune amie. Vous m'avez expliqué que les étoiles de votre monde ne sont que d'immenses boules de feu brillantes très loin de votre terre. Les étoiles de Narnia sont également de géantes boules de feu, mais seulement en partie. Certaines d'entre elles sont dotées de consciences et de grands pouvoirs. Elles peuvent descendre sur terre et vivre parmi les hommes. Une vieille légende raconte qu'après avoir brillé pendant des milliers d'années, les plus anciennes étoiles déclinantes quittent les cieux pour venir se reposer à Narnia et profiter des bienfaits de la magie d'Aslan avant d'un jour reprendre leur place au milieu de leurs sœurs. C'est pour cela que le ciel de Narnia est si particulier, en remerciement du temps passé sur terre, les étoiles brillent chaque soir de mille feux et protègent les Narniens des ombres de la nuit.
-C'est une belle histoire, je souffle. Des étoiles descendues sur terre. J'aimerais beaucoup voir ça, ce doit être un spectacle magnifique.
-Peut-être un jour aurez-vous cette chance mon enfant.
J'aimerai moi aussi posséder l'optimisme sans limite du brave Docteur, mais je ne me fais pas trop d'idées sur mes chances de quitter un jour cette prison et découvrir Narnia.
Narnia... Quelle étrangeté tout de même de se dire que si le royaume de Narnia m'était totalement inconnu, c'est tout simplement parce qu'il n'appartient pas à mon monde. C'est le Docteur qui m'a expliqué à quel point j'étais loin de la vérité en pensant être loin de chez moi. Il m'a conté la légende de la création de Narnia, du premier roi Frank et de la reine Helen, d'Aslan, de l'Empereur d'au-delà des Mers, le créateur et en quelque sorte Dieu de ce monde.
Il m'a conté l'histoire du flamboyant royaume que fut Narnia, de ses habitants, de ses légendes et des grands événements qui ont marqué son histoire.
-Parlez-moi encore des grands rois et reines de Narnia, comment étaient-ils ? Je reprends.
-Cette histoire vous plaît, n'est-ce pas ma jeune amie ?
-Oui, je l'aime beaucoup docteur.
-On raconte qu'il y a très longtemps, plus d'un millier d'années, une sorcière froide et sans cœur gouvernait Narnia. Elle régnait dans la terreur et la glace. Plus de cent ans sont passés sans que jamais l'hiver ne passe. Narnia était triste et sombre. Mais même cette reine si puissante et si implacable redoutait une chose plus que tout. Une prophétie annonçant l'arrivée sur ses terres de deux fils d'Adam et de deux filles d'Eve qui viendraient mettre fin à son règne et ramener le printemps. Par tous les moyens, elle tenta d'empêcher les quatre enfants d'entrer à Narnia et d'y réunir une armée. Mais nul ne peut aller indéfiniment à l'encontre du destin, pas même la plus terrible des sorcières. Il y eut une grande bataille durant laquelle s'opposèrent les forces du bien et les forces du mal. Mais soutenus par Aslan lui-même et par tous les habitants de Narnia, les quatre enfants vinrent à bout de la reine et ramenèrent la paix et le bonheur. Quant à savoir comment ils étaient, je n'ai malheureusement pas eu la chance de les connaître et la plupart des écrits à leur sujet ont été perdus ou détruits, mais on raconte que le grand roi Peter le Magnifique était quelqu'un de particulièrement loyal et courageux, avec un fort caractère, et que nombre d'ennemis tremblaient bien avant de devoir lui faire face. Son jeune frère, le roi Edmund le Juste fut celui que la reine sorcière essaya de corrompre. De cette expérience il ressortit grandi et d'une grande droiture. On dit de lui qu'il était un puissant stratège et que la diplomatie dont il faisait preuve permit souvent d'éviter que l'on ne verse le sang inutilement.
Je bois avidement les paroles du docteur. Les récits et légendes sur les héros m'ont toujours passionnée et savoir qu'ils ont réellement eu lieu m'exalte assez pour me faire oublier la douleur.
-Vient ensuite la Reine Susan, la douce. C'était une archère de légende et la seule capable de faire entendre raison à ses frères et sœurs. Tous venaient sans exception demander son aide et son avis. Elle a apporté à Narnia quelques-unes de ses plus grandes avancées technologiques et son amour du savoir et de la connaissance l'ont poussée à démocratiser l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Durant son règne, elle et sa jeune sœur organisaient régulièrement des classes durant lesquelles elles apprenaient aux enfants de leurs serviteurs l'histoire et les mathématiques. Enfin, celle sans qui Narnia serait à tout jamais resté une dictature de glace, la Reine Lucy, la Vaillante. Tous les écrits que j'ai pu trouver à son sujet la décrivent comme une femme bienveillante et empathique, guérisseuse dans l'âme et très aimée de son peuple. Elle est celle qui de tous fut la plus proche d'Aslan, ce qui lui valut le surnom de petite lionne. Elle n'était qu'une enfant lors de son arrivée, mais elle s'est illustrée par sa volonté féroce de protéger Narnia et tous ceux qui le peuplent. Malheureusement, leur règne n'a pas duré et ils ont tous disparu durant une chasse quinze ans presque jour pour jour après leur arrivée. Narnia ne s'est jamais vraiment remis de leur perte, le pays n'a fait que décliner pendant près de mille ans jusqu'à ce que rendu vulnérable, il ne soit conquis par les armées Telmarines. Depuis ce temps-là, les Narniens sont chassés. Il ne doit aujourd'hui pas en rester plus d'une poignée.
Je frissonne au souvenir du minotaure rencontré pendant ma randonnée dans les bois. Presque disparu ou pas, une bête de cette envergure viendrait sans problèmes à bout d'une dizaine d'hommes. Mais quelque chose me perturbe dans les propos du docteur.
-Docteur ? J'appelle, le cerveau en ébullition.
-Qui a-t-il jeune Katherine ?
-Lorsque j'ai rencontré le roi Miraz à mon arrivée au château, pendant qu'il me… Ma voix tremble et je préfère abréger, inutile d'aborder les détails avec le Docteur. Enfin, il avait l'air persuadé que j'étais l'une des deux reines dont vous venez de me compter l'histoire. Savez-vous pourquoi il pensait ça ?
Seul le silence me répond, si bien que j'imagine que le docteur s'est rendormi, mais, alors que je m'apprête à faire de même, il reprend la parole d'une voix que je décrirais comme… excitée ?
-Il a… il a vraiment dit ça ? Je peux presque le sentir trépigner depuis ma cellule.
-C'est un souvenir difficile à oublier. Je peux vous assurer que c'est bien ce qu'il a dit. Je soupire, les images de notre échange revenant très clairement brûler mes rétines.
-C'est une nouvelle formidable jeune Katherine ! Vraiment formidable ! J'avais raison ! Depuis tout ce temps, j'avais raison ! Il trépigne.
Si le risque d'attirer l'attention des gardes et donc du roi lui-même n'était pas si grand, je pourrais jurer que le brave Docteur Cornelius se mettrait immédiatement à chanter et à danser dans sa cellule. Au lieu de ça, je l'entends marmonner frénétiquement dans sa barbe.
Sa soudaine excitation attire ma curiosité. Avec un effort colossal j'agrippe la porte de la main gauche et pousse sur mes jambes pour me hisser jusqu'à la petite ouverture qui donne sur le couloir. Là, malgré l'obscurité presque totale, j'arrive à entrevoir le visage bourru du docteur appuyé contre sa propre ouverture. Ses yeux brillent comme si nous étions le matin de Noël, et il a, plaqué sur le visage, l'expression de quelqu'un venant de gagner à la loterie. Nous nous regardons durant quelques secondes puis, sur le ton de la confidence et si bas que je suis obligée de coller mon oreille à l'ouverture pour l'entendre, il reprend.
-Ma très chère enfant, je ne vous ai pas tout dit sur la disparition des rois et reines de Narnia. Son sourire s'agrandit et il prend un air comploteur. Si aucun corps n'a été retrouvé, leurs chevaux sont rentrés d'eux-mêmes au palais de Cair Paravel. Attachée à la selle du cheval de la reine Susan, les Narniens ont retrouvé sa trompe. Cette trompe a des propriétés bien particulières. On dit que lorsque l'on est en grand danger ou que la situation est désespérée, il suffit de souffler dedans pour obtenir de l'aide.
-D'accord ! D'accord ! Mais cette trompe aurait au bas mot mille trois-cents ans professeur ! Elle a dû être perdue ou détruite !
-Vous avez raison mon enfant ! Elle a, en effet, été perdue quelques années seulement après la disparition de la reine Susan, mais je l'ai retrouvée !
À présent, le Docteur exulte et je le regarde avec beaucoup de perplexité. Les chances pour que la trompe trouvée par le docteur soit réellement celle de la reine Susan ayant vécu il y a plus de mille ans sont maigres voire carrément nulles. Mais le docteur a l'air si sûr de lui que je n'ai pas le cœur à détruire ses espoirs. Aussi je ne le coupe pas quand il continue de m'exposer son plan très fièrement.
-J'ai donné la trompe au prince Caspian, je ne pensais pas qu'il l'utiliserait aussi rapidement, mais la trompe a sans aucun doute ramené à Narnia ceux qui l'avaient déjà sauvé des siècles auparavant !
À présent, il poursuit sa tirade tout en faisant les cent pas dans sa cellule. Je l'écoute quoi qu'avec un peu moins d'intérêt que précédemment.
-Au moment de m'arrêter, Miraz avait brandit une flèche aux plumes rouges, mais n'importe qui peut imiter les flèches de la reine Susan. Cependant, si Miraz est persuadé que les rois et reines sont de retour, c'est qu'il doit avoir des preuves solides allant dans ce sens ! Et si Caspian a réellement soufflé dans la corne alors il a dû trouver un soutien auprès des derniers Narniens ! Tout se passe bien mieux que ce que j'avais imaginé ! C'est fantastique ! Vraiment fantastique !
Il continue à trépigner encore un moment et je le regarde faire, attendrie par son excitation. J'ai du mal à comprendre comment le roi Miraz arrive à voir une menace en cet homme qui ne ferait définitivement pas de mal à une mouche. Perdue dans mes pensées, je mets quelques instants à remarquer que le docteur s'est arrêté de marcher et me regarde à présent intensément. Je penche la tête en signe d'interrogation et il prend mon mouvement comme une invitation.
-Ma petite, vous avez dit que le roi vous prenait pour l'une des deux reines ? Il demande d'un air consterné.
-Exactement, il a trouvé ma résistance digne de la reine Lucy, je réponds amère.
-Mais que vous a-t-il fait ? Demande-t-il les yeux pleins d'horreur.
-Rien qui ne vaille la peine d'être raconté Docteur.
Je n'ai pas le cœur à lui parler de cette horrible nuit dans la grande salle. Le docteur a déjà bien assez de problèmes comme ça et je ne supporterais pas que le roi s'en prenne à lui à cause de moi. Rapidement, j'essaie de détourner l'attention du docteur vers un autre sujet.
-Parlez-moi du Prince Caspian docteur. Vous n'arrêtez pas de me parler de lui, mais vous ne m'avez jamais réellement expliqué qui il est, ni son rôle dans tout ce qui est en train d'arriver.
Le docteur me renvoie un regard circonspect, pas dupe pour deux sous. Mais il semble aussi comprendre et il change de sujet sans poser de question.
-Sa majesté le Prince est le fils unique du précédent roi Caspian IX, il est l'héritier légitime du trône de Narnia et de Telmar.
-Tous les princes s'appellent Caspian ? Je demande, curieuse.
-Oui, c'est une tradition qui remonte à l'arrivée des premiers Telmarins à Narnia. Tous les premiers-nés mâles de la lignée royale portent le prénom Caspian.
-Ça doit limiter les disputes pour trouver un prénom, je glousse malicieusement.
Le docteur Cornelius me renvoie un regard réprobateur dans lequel je discerne une pointe d'amusement.
-Si Caspian est l'héritier légitime, pourquoi est-ce Miraz qui gouverne le pays ?
Le regard du docteur devient immédiatement grave et triste et je regrette ma question, mais avant d'avoir pu en poser une autre, il a déjà pris la parole.
-Caspian n'était qu'un enfant lorsque le roi son père a perdu la vie dans des conditions des plus douteuses. À cette époque, il était encore trop jeune pour gouverner le royaume et son oncle, le frère cadet de son père a été désigné comme tuteur et régent provisoire du pays jusqu'à la majorité du prince. En d'autres circonstances, c'est la reine qui aurait dû assurer la régence, mais feu sa majesté est décédée peu de temps après le roi, elle aussi dans d'obscures conditions. *
-Vous voulez dire que Caspian est orphelin ? Je demande, prise de compassion et d'un fort sentiment de compréhension.
-Malheureusement, oui, soupire tristement le docteur, si je suis certain que le prince garde d'impérissables souvenirs de son père et de sa mère, il n'était encore qu'un tout jeune enfants lorsqu'ils ont tout deux perdus la vie.
-Mais malgré la mort de ses parents, Caspian est toujours l'héritier du trône, comment Miraz a-t-il pu l'en écarter ? Je demande, le cerveau en ébullition.
-La mort du roi s'est avérée être une immanquable occasion pour lui de gouverner car le prince Miraz était l'unique autre personne excepté le prince Caspian à pouvoir prétendre au trône de Narnia.
-Vous voulez dire que…je réfléchis à toute allure cherchant à reconstituer le puzzle.
-Qu'il y a des chances pour que Mirza soit le meurtrier du roi ? Oui. J'ai même des preuves allant de ce sens, ajoute-t-il gravement.
-Est-ce que Caspian le sait ? Je demande.
-Non, il l'ignore, mais compte tenu de la situation actuelle, je ne lui cacherais pas plus longtemps la vérité.
-Mais, si Miraz a fait assassiner le précédent roi, pourquoi ne pas en faire de même avec Caspian ?
-Jusqu'à présent, Miraz occupait la place de régent et il entretenait avec Caspian une relation tout à fait cordiale. Mais il y a quelques semaines, la femme de Miraz, Dame Prunaprisma a donnée naissance à un fils, lui donnant un héritier.
-Et avec un héritier, Miraz n'avait plus besoin de Caspian pour sauvegarder la lignée royale, je termine.
-Vous comprenez vite chère enfant. La nuit même de l'accouchement de la reine, Miraz a ordonné l'assassinat de Caspian, mais heureusement il est parvenu à fuir.
-Grâce à vous Docteur ? je lui souris, impressionnée.
Il me rend timidement mon sourire avant de reprendre.
-Les membres du conseil sont méfiants mais Miraz est parvenu à les convaincre que le prince avait été enlevé par les Narniens et qu'il fallait à tout prix exterminer les derniers représentants du peuple Narniens pour sauver le prince.
-Alors qu'en vérité, il est celui qui a tenté d'assassiner Caspian, qui s'est réfugié auprès des Narniens et qui l'aident désormais à tenir tête à Miraz pour reprendre le trône qui lui revient de droit, je conclus, fière de mes déductions.
-Exact. C'est la raison pour laquelle vous et moi nous trouvons ici à attendre que le prince vienne nous chercher.
-Vous êtes si sûr que Caspian viendra vous délivrer docteur, comment faites-vous pour ne pas douter ?
-Parce que je suis celui qui a élevé ce garçon et que je sais qu'il ne laissera personne souffrir tant qu'il peut l'éviter. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il n'arrive, clame-t-il, sûr de lui. **
Et je ne peux que prier pour qu'il ait raison. Je m'apprête à poser une nouvelle question quand un bruit sourd interrompt le silence relatif de notre prison. J'ai appris à reconnaître ce bruit les yeux fermés. Il s'agit des pas métalliques des gardes lorsqu'ils descendent l'escalier qui mène à notre couloir. Instantanément, mon sang se glace, et mes jambes sur lesquelles j'ai déjà du mal à tenir, tremblent violemment jusqu'à faire s'entrechoquer douloureusement mes genoux. Les larmes de peur emplissent mes yeux et je ne les retiens que parce que le docteur peut encore me voir. Un trémolo dans la voix, je me tourne vers lui et lui adresse une esquisse de sourire.
-Dans ce cas, j'en suis certaine aussi Docteur, mais vous devrez être en forme quand il viendra nous chercher. Vous devriez aller vous allonger quelques heures et dormir un peu, je termine la voix tremblante.
-Jeune Katherine…Il commence.
-Tout va bien docteur. S'il vous plaît, retournez vous allonger.
Je le supplie presque et cela semble suffire. Le docteur Cornelius m'adresse un long regard profondément désolé et dans un soupir, recule jusqu'à disparaître complètement dans sa cellule. Je ne lui en veux pas, le docteur n'y est pour rien. Je ne veux pas qu'il se mette en danger en essayant de me défendre.
Les pas se rapprochent et c'est à mon tour de retourner dans le fond de ma cellule. Misérable, je me roule en la plus petite boule possible dans le coin le plus éloigné de la porte. J'ai toujours l'espoir un peu fou que si je me fais suffisamment petite, ils ne me verront pas et passeront leurs chemins. Mais ils me voient toujours.
Leurs pas s'arrêtent devant ma porte et je devine au son du métal contre le sol qu'ils sont au moins quatre. Je les entends trépigner d'impatience, ricaner lourdement pendant que l'un d'entre eux enfonce la clé dans la serrure. La porte grince et ils sont là. Aucun d'entre eux n'a de temps à perdre, ils fondent sur moi tel des rapaces.
Immédiatement, une main gantée de cuir vient s'écraser sur ma joue avec violence et le goût du sang explose dans ma bouche. L'un d'entre eux me saisit par les cheveux et me tire violemment vers lui, forçant mon corps à se déplier. Je tombe à plat ventre au centre de la cellule et les coups se mettent à pleuvoir sans retenue.
Un pied s'écrase dans mon flanc avec un craquement sonore. Une autre main surgit sur la droite et s'abat sur mon dos, à la base de ma nuque et saisit mes cheveux pour mieux tirer ma tête vers l'arrière. J'ai l'impression que ma nuque va se rompre d'une seconde à l'autre, et pour supporter la douleur je suis obligée de me tourner sur le côté et d'exposer mon ventre. Une botte s'y enfonce avec tant de violence que mon corps se recroqueville autour du point d'impact. L'un des quatre gardes saisit mon bras droit avec force dans le but de me retourner sur le dos et je sens mon épaule se démettre et se remettre dans le bon axe.
L'un d'entre eux maintient mes jambes, griffe et arrache la peau de mes chevilles blessées tandis qu'un autre vient s'asseoir sur mon ventre et me surplombe de toute sa hauteur. Un premier poing vient s'écraser dans ma mâchoire et je suis presque sûre de l'entendre craquer. Un autre s'abat sur mon arcade, touche mon œil et ainsi de suite pendant de longues minutes. Je ne peux même pas me défendre, mon bras gauche est coincé entre mon corps et l'une de ses jambes alors que le droit pend et que le talon d'une botte écartèle la chair transpercée de ma paume.
Et pendant tout ce temps, je ne laisse pas échapper un seul cri. C'est ma seule victoire, mon seul acte de résistance. La barrière de mes lèvres reste définitivement scellée, ma mâchoire contractée sous les coups. J'ai mal, j'ai si mal. Je sens mon corps brûler, se dissoudre à mesure que leurs coups me détruisent de l'intérieur. J'atteins un tel degré de douleur, une telle conscience de chaque muscle arraché, de chaque os brisé que je finis par ne plus rien sentir du tout. Tellement de fois, je suis certaine qu'ils me tueront, qu'ils ne sauront pas s'arrêter avant le point de non-retour. Et tellement de fois, j'aimerais qu'ils perdent le contrôle et qu'ils me tuent. Qu'ils abrègent mes souffrances à coups de poings qu'avec violence, ils me libèrent de mes chaînes.
Je suis à peine consciente, je n'essaie pas de résister, c'est inutile. J'attends, j'attends que les coups s'arrêtent ou qu'ils aillent trop loin. Mais ils ne s'arrêtent pas et je n'arrive pas à mourir. Tant que mes yeux parviennent à s'ouvrir, je fixe le plafond de ma cellule, quand ils n'y arrivent plus je reste dans le noir à ressentir chaque coup, chaque sévice, briser mon corps, mais sans parvenir à m'atteindre. J'ai la bouche et le nez plein de sang, j'ai du mal à respirer, je commence à suffoquer. C'est en général à ce moment qu'ils arrêtent, avant d'avoir trop flirté avec mes limites.
Mais quelque chose est différent aujourd'hui. Je n'arrive pas à mettre le doigt sur quoi exactement jusqu'à ce que deux mains viennent enserrer mon cou et ne se mettent à serrer de toutes leurs forces. Je n'aurais jamais pensé que cela puisse être si long d'étrangler quelqu'un. Même quelqu'un qui ne se débat pas.
La scène dure longtemps, si longtemps que je pense un instant que le temps s'est arrêté dans un genre de torture éternelle. Je sens l'oxygène quitter mes poumons, abandonner mon corps petit à petit et mes muscles s'alourdir. Il faut encore plusieurs longues secondes avant que je ne suffoque réellement. Instinctivement, mes mains se dégagent et viennent tirer sur celles qui entourent ma nuque. Mes pieds battent le sol pour essayer de déstabiliser le soldat qui me chevauche, mais rien n'y fait.
C'est une sensation étrange et terrifiante de se sentir convulser puis mourir. Je sais pour l'avoir lu que passer un certain temps, un cerveau mal oxygéné garde des séquelles irréversibles. Je me demande si c'est leur objectif, mais j'arrive de moins en moins à penser. Ma gorge me brûle atrocement et j'ai l'impression que mes poumons sont en feu. Seconde après seconde, de grandes taches blanches viennent envahir ma vision déjà réduite par les hématomes. Je sens mes forces m'abandonner, mes bras se relâchent et tombent de chaque côté de ma tête. Cet homme va me tuer, il a l'air déterminé à y parvenir en tout cas. Je peux le sentir me secouer dans tous les sens à travers le brouillard qui envahit ma conscience.
Je sens la fin qui approche, qui m'avale, ce n'est pas aussi douloureux que je l'avais imaginé. Ce n'est pas agréable évidemment, mais ce n'est rien comparé à toutes les douleurs et toutes les blessures que l'on m'a infligées depuis mon arrivée à Narnia.
Je crois que je suis inconsciente, je ne suis pas vraiment sûre. Je n'arrive plus à ouvrir les yeux, mais les sons me parviennent encore. Il y a des voix, l'une d'entre elles crie, d'autres lui répondent dans ce que j'imagine être un genre de panique. On appuie fort sur ma poitrine, mes côtés me font un mal de chien et le mouvement forcé de mes poumons est une véritable torture. J'ai envie de pleurer, la douleur avait presque disparu, ça aurait pu être fini, mais on me force à souffrir, encore, toujours.
La première inspiration me déchire la gorge, le sang afflue dans ma bouche et je le vomis tant bien que mal. Je sens une main dans mes cheveux qui les caresse doucement et m'aide à soutenir ma tête pendant que je vomis mes tripes. Je sens plus que je n'entends la voix du professeur Cornelius près de moi qui m'encourage à respirer.
Après avoir fini de vomir, je crache du sang pendant un long moment. Mon corps entier est pris de frissons incontrôlables, comme frappé par une forte fièvre, et je n'arrive pas à reprendre pied dans la réalité. Tout comme lors de mon arrivée dans cette cellule, je ne suis consciente que pendant de brefs moments durant lesquels le Docteur Cornelius doit être ramené dans sa cellule. Je ne sais pas comment il s'y est prit pour convaincre les gardes de le laisser m'aider mais je ne peux que lui en être infiniment reconnaissante.
Durant les heures qui suivent, je ne sais pas réellement si je rêve ou si c'est bien la réalité, mais j'entends le professeur me parler. Il s'excuse plusieurs fois, ce que je ne comprends pas vraiment, il me parle des étoiles, de Narnia, il ne s'arrête jamais de parler comme pour me montrer que je ne suis pas seule.
Il parle aussi du prince Caspian. Il me raconte toute sa vie. Je n'en entends pas la moitié mais je parviens à saisir dans la voix émue du professeur à quel point il croit en son prince, comme un père fier. La part inconsciente de moi qui écoute le professeur parler sur un ton si paternel ne peut qu'apprécier ce prince que le docteur me décrit. Quelqu'un d'aussi estimé par un homme si bon que le professeur ne peut pas être une mauvaise personne.
Pendant mes rares moments de conscience, je m'accroche désespérément aux paroles du professeur, à ce sauveur qu'il me décrit en la personne de Caspian et que j'idéalise malgré moi. Je sais que le temps passe à l'extérieur de cette prison et que chaque jour les chances de voir ce prince débarquer, héroïque sur son cheval blanc, s'amenuisent. Mais pour mon bien et pour celui du professeur, j'essaie vraiment d'y croire. Je veux vraiment y croire.
* Il n'est fait mention nulle part dans les films et les livres du fait que la mère de Caspian ait été assassinée bien que l'on ne connaisse pas la cause de sa mort. A la mort de son mari, elle assure la régence du royaume pendant quelque temps et nomme le docteur Cornelius en tant que précepteur de son fils avant d'elle aussi décéder. Dans ma version de l'histoire, la reine a été assassinée par Miraz.
** Le Docteur Cornelius est le docteur et la cour ainsi que le précepteur du prince Caspian. Mécontent de la nourrice du prince, c'est Miraz lui-même qui renforce la présence du docteur dans l'entourage du de Caspian. Durant des années, il lui enseigne l'astronomie, les sciences, l'escrime, la musique et bien d'autres matières tout en lui comptant les légendes narniennes pourtant interdites à la cour. Pour Caspian il est ce qui se rapproche le plus d'une famille.
Introduction d'un nouveau personnage clé dans ce chapitre en la personne du docteur Cornelius que, personnellement, j'adore. Leurs petites conversations dans les geôles du palais permettent à Kate de garder la tête hors de l'eau et d'en apprendre un peu plus sur le nouveau monde qui l'entoure tout en passant le temps qui s'écoule très lentement en prison.
Katherine en découvre plus sur le contexte actuel, sur la légende des Pevensie et sur Caspian et son histoire à travers le point du vu de Cornelius.
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Une petite review ? Promis je ne mords pas. Ou si peu.
Réponses aux reviews :
Yz3ut3 : Ma toute première review sur cette histoire, c'est un honneur ! Malheureusement pour Kate, elle n'est pas encore au bout de ses peines, le prochain chapitre sera le point culminant de son séjour au château, elle va devoir s'accrocher encore un peu. Contente que l'histoire te plaise ! J'espère que la suite sera à la hauteur, bonne lecture !
