Tuesday's dead, Lily

Disclaimer : Le "Potter Universe" appartient à J.K.Rowling, et le titre de cette fic est inspiré d'une chanson de Cat Stevens.

Je suis assise en lotus sur un des confortables fauteuils de la salle commune. J'entends la pluie diluvienne, qui, de l'extérieur, gifle violemment les vitres. Je n'ai jamais aimé la pluie. Autant j'adore la neige et j'apprécie le froid, autant je honnis la pluie. C'est très étrange, cette haine viscérale ; J'ai peut-être un chromosome supplémentaire qui m'y pousse.

Vous savez ce que je déteste plus encore que la pluie ? Les mardis. Je ne les supporte pas et je ne les ai jamais supportés. Oups, attention Lily, tu viens de mentir effrontément, là. C'est vrai, au temps pour moi. Il fut un temps, pas si lointain d'ailleurs, où les mardis ne m'étaient pas si insupportables. A vrai dire, je les attendais même impatiemment, toute la semaine. Mais c'est fini, tout ça. A présent, je fuis les mardis comme la peste : je m'enferme dans mon dortoir et je me renfrogne jusqu'au mercredi matin. C'est un peu comme un rituel, vous savez. Il y a des gens qui brûlent des bougies à des moments bien précis, d'autres qui prient Merlin avant de se coucher, et bien moi je boude le mardi. Chacun son truc. Mes amies ont un peu de mal à intégrer cette logique imparable, parce qu'elles râlent régulièrement contre mon comportement mardiesque. Elles passent un temps fou à essayer de me convaincre d'y renoncer. Mais elles n'ont pas encore compris que ce n'est pas moi qu'il faut persuader, mais bien plutôt James. Non pas que James ait un comportement similaire au mien les mardis, mais en réalité, parce que c'est à cause de lui si je me conduis ainsi.

Qu'a-t-il fait ? Ah ! La question à mille gallions. Tout a commencé il y a trois ans, j'étais alors en quatrième année. A l'époque, James et moi, on ne se connaissait pas. Enfin, je m'exprime mal ; si, on se connaissait, bien sûr, puisqu'on était dans la même maison et dans la même année. Ce que je veux dire, c'est qu'on ne se parlait jamais : on se lançait un vague bonjour quand on se croisait, mais rien de plus. Et ça nous convenait parfaitement à tous les deux. Sauf que. (Oui, il y a un sauf que, sinon ça ne serait pas intéressant, n'est ce pas ?) Et bien voilà : un beau jour (un beau mardi, devrais-je dire), alors que je me promenais en toute innocence dans les couloirs après le couvre-feu, j'ai découvert le lieu de tous les pêchés : les cuisines. J'adore les cuisines. Il y a toujours des tonnes de nourriture absolument succulente. (Je vous ai déjà dit que j'étais atrocement gourmande ? Et bien voilà, c'est fait. Heureusement que je n'ai pas une morphologie propice à me faire prendre du poids, et que je me contiens, sinon…). Mais revenons à nos gnomes. En ce jour sacré, je pénétrai d'un pas curieux dans l'antre des elfes de maison, bénis soient-ils. Sauf que. Et bien sauf que je n'étais pas seule. James était déjà là, et avait pris possession de la seule table. Déçue, je m'apprêtai à faire demi-tour et à revenir plus tard quand il m'interpella :

Tu peux rester, tu sais.

Et c'est ainsi que naquit entre nous une habitude qui aurait pu perdurer jusqu'à la fin de nos études. A compter de ce soir-là, lui et moi prîmes l'habitude de nous retrouver chaque mardi à la même heure dans les cuisines. Parfois nous parlions, parfois non, mais il y avait toujours une certaine complicité qui nous unissait ces soirs-là. Dès lors, nos relations changèrent. Ce ne fut ni soudain, ni spectaculaire, mais elles changèrent tout de même, à la grande surprise de nos amis respectifs, qui ne savaient rien. Il arrivait, par exemple, que James me prenne dans ses bras, ou qu'il plaque un baiser sur ma joue, ou tout simplement qu'il s'assoie à côté de moi en cours. Au fur et à mesure, je me mis à attacher plus d'importance que je ne l'aurais cru, ou dû, à ces rendez-vous, et à James. Ils apportaient du piquant à ma vie.

Tout aurait pu continuer ainsi, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes (j'exclus ma relation avec Pétunia), sauf que. Les précédents sauf que avaient embelli ma vie, et pour rien au monde je n'aurais voulu qu'ils n'aient pas existé. Mais celui-là…Ce sauf que de malheur, qui a tout bouleversé…

C'était un mardi de Septembre. Un mardi, encore et toujours. J'étais en septième année. Nous étions installés comme des princes dans les cuisines, on nous discutions gaiement, mais quelque chose n'allait pas avec James, je le voyais. J'avais appris à le connaître, et ses yeux trahissaient ce jour-là une certaine inquiétude, un souci. Je fus stupide, je mis les pieds dans le plat :

- James, quelque chose ne va pas ? Tu veux en parler ?

Je me souviendrai toujours de sa réaction. Lentement, il a levé la tête, jusqu'à croiser mon regard. Puis, d'une voix rauque et résolue, il a murmuré :

- Ça te dirait d'aller faire un tour dehors, Lils ?

Surprise, j'ai hoché la tête d'un air grave, et je l'ai suivi hors du château, près du lac. Il s'est assis sous un saule pleureur et s'est adossé au tronc. Je me suis installée de sorte que je lui faisais face. La nuit était tombée depuis quelque heure déjà, mais la lune, quasiment pleine, nous éclairait d'une lueur bienveillante. J'ai fixé James d'un regard interrogateur, attendant qu'il parle.

- Tu sais Lils, ce doute, dans ma tête…Il trotte, encore, encore, encore, comme s'il ne voulait jamais me laisser. Il me vole ma vie, il me dérobe mes nuits, il enserre mon esprit. Je ne peux plus. Non, laisse-moi finir, c'est important. Ça me ronge et je ne peux plus continuer. Depuis quelques semaines, je n'arrête pas d'y penser, et il faut que tu saches que…ça te concerne.

J'écarquillai les yeux, je ne m'y attendais pas.

- Tu es là, les joues rougies par le froid; les lèvres gonflées, les mains froides.

En disant cela, il saisit une de mes mains et la serra..

- Je suis là, ma main sur la tienne, la gorge serrée, et je suis amoureux de toi.

En cet instant, il me sembla que le temps s'arrêtait. Plus de vaguelettes sur le lac, les feuillages des arbres s'étaient faits immobiles. Même mon cœur s'était arrête de battre. Et mon cerveau ! Etait-ce le froid, était-ce cette déclaration, était-ce la surprise ? En tout cas, il était comme engourdi, ne fonctionnait pas. Incapable de raisonner, je ne réagis pas, ce que James dût prendre pour une approbation. Lentement, il se pencha vers moi. Je demeurai immobile. Et là, sous un saule pleureur, au bord d'un lac, illuminé par la lune, il m'embrassa. Je le laissai faire, je crois même que je répondis à son baiser, sans même savoir pourquoi et ce que ça impliquait. Tout aussi lentement, il se détacha de moi, troublé mais heureux. Et le charme se brisa. Le vent se remit à souffler, il se déchaîna, même. Je me levai d'un bond, et le giflai. Pourtant, ma main avait à peine effleuré sa joue que je regrettai mon geste. Des larmes coulèrent de mes yeux, et je me mis à balbutier des excuses, mais il était déjà trop tard. Le regard de James s'était glacé et son visage s'était fermé. Il est parti sans m'écouter.

Les jours qui suivirent, je tentai, sans succès, de lui expliquer ce que je ne comprenais pas moi-même. Mais il me fuyait, blessé dans son amour-propre, et il se refusa à m'écouter. Le mardi suivant, il ne vint pas. Je n'en fus pas surprise, et, le cœur lourd, j'abandonnai. Je ne mis plus un pied dans les cuisines et à jusqu'à aujourd'hui, cinq mois plus tard, James et moi ne nous sommes toujours pas adressés la parole.

Je suis seule dans la salle commune, la pluie frappe contre les vitres, je soupire.

Quelqu'un entre dans la pièce. Agacée d'être dérangée dans le cours de mes pensées, je me tourne brusquement, prête à aboyer – en vertu de mon badge – sur le nouveau venu. Sauf que. Sauf que le nouveau-venu s'appelle James Potter, et qu'il me regarde d'un air hésitant. Quant à moi, je ne dois pas avoir fière allure, la bouche ouverte comme une carpe, mes joues toutes rouges, et mes cheveux à peine coiffés. Nous ne nous sommes plus retrouvés seuls dans une pièce depuis la dispute. Nous nous occupons chacun de notre côté du travail de préfets en chef et nous nous passons les messages important par préfets interposés. Un instant, il semble qu'il va me parler, mais la seconde suivante, il referme la bouche et se dirige vers la porte de sa chambre. Est-ce que je peux tourner la page aussi bêtement sur une si belle histoire d'amitié (d'amour ?) ? Non.

- James !

Il se retourne, surpris, mais il n'a pas l'air fâché. Il attend simplement que je parle.

- Je…Ecoute, c'est bête, toute cette histoire. Tu ne m'as jamais laissée t'expliquer, j'ai réagi violemment, j'étais surprise et choquée, tu peux comprendre, non ? Je n'aurais pas dû, bien sûr, et je m'en excuse sincèrement. On pourrait peut-être repartir de zéro, oublier tout ce qui s'est passé, non ?

J'ai débité tout ça très vite, sans reprendre ma respiration, tant mon cœur bat vite.

Il soupire, s'avance, et s'assied juste à côté de moi.

- Non.

Mon cœur se brise en mille morceaux. Tuesday's dead. Pour de bon.

- Lils – Lily, je ne peux pas être un simple ami pour toi, je suis désolé.

Il me regarde. Les morceaux de son cœur à lui sont plus petits encore, je crois.

Prise d'une impulsion, je me lève, et, un air grave inscrit sur les traits de mon visage, je m'assied sur ses genoux – je le sens se raidir et me fixer du regard ; je rougis – et j'enroule mes jambes autour de sa taille. Je murmure très sérieusement :

- Et si moi je veuxqu'on soit plus que de simples amis?

On se regarde, on sourit, on s'embrasse comme si notre vie en dépendait. J'aime les mardis, en fait.