Bonjour et bienvenue dans cette longue, très longue histoire, nous sommes partis pour quelques centaines de pages. Installez vous confortablement, au chaud et servez-vous un bon thé...


La porte s'ouvrit brusquement sur la lumière crue du couloir et deux hommes en pleine conversation.

– Venez ! Entrez, Monsieur Evans, fit l'homme en blouse blanche que Severus reconnut comme l'un des médicomages de Sainte-Mangouste. Tenez, il est là...

Un autre homme pénétra dans la chambre à sa suite, la trentaine, pas très grand mais râblé, carré, d'une largeur d'épaules qui aurait fait pâlir d'envie un nageur, des cheveux châtains éclaircis par le soleil portés mi-longs et légèrement ébouriffés. Une chemise de lin blanc largement ouverte sur un torse musclé formait un contraste saisissant avec une peau particulièrement hâlée. Un pantalon également blanc, des sandales aux pieds... on l'aurait dit fraîchement débarqué de vacances au soleil.

Les deux hommes s'approchaient du lit dans la pénombre. Ils ne l'avaient pas vu, debout près de la fenêtre, tout au fond de la vaste chambre, presque dissimulé dans l'ombre du rideau. Severus resta immobile, il n'avait aucune envie de parler à quiconque.

– Voilà. Il est chez nous depuis deux mois et son état n'a pas varié. Nous ne comprenons pas ce qu'il a, aucun désordre apparent mais il est inconscient sans être éveillable. Aucun traitement n'a fonctionné, aucune potion, aucun sortilège... Nos meilleurs médicomages se sont succédé à son chevet, sans aucun résultat... Vous êtes notre dernier espoir.

Le visage de l'homme était également bronzé, encore jeune, mais le front et les commissures des lèvres accusaient des plis déjà marqués. Une vague cicatrice sur le front... Le torse aussi laissait apparaître des marques plus ou moins anciennes, plus ou moins foncées. Une large main serra celle du médicomage qui s'éclipsa aussitôt, puis l'homme fit le tour du lit pour aller s'asseoir sur la chaise qu'occupait habituellement Severus. Ces yeux verts, par Merlin ! Ils ne pouvaient appartenir à quelqu'un d'autre !

oooooo

Severus avait eu raison. En dépit de tout, du temps qui avait passé, de l'oubli, de la distance, son intuition ne l'avait pas trompé quand il avait vu le nom de ce sorcier revenir de plus en plus souvent dans les conférences internationales de médicomagie et de potionnistes. Il avait suivi ses travaux avec intérêt, puis avec une curiosité intriguée. Qu'est-ce qui lui avait mis la puce à l'oreille un jour, quel détail, quel propos, l'utilisation de quel ingrédient... ? Il ne s'en souvenait plus. Mais lorsque ce Brian Evans avait réussi à sortir le couple Londubat de son coma magique il y a quelques semaines, il avait été pris d'un espoir fou et irrépressible. Et à présent Lucius...

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Harry Potter avait découvert le corps de Lucius, immobile depuis si longtemps, et dont le pyjama de soie cachait mal la maigreur. Assis en tailleur sur cette chaise fatiguée, il semblait réfléchir. Puis il leva les bras et plaça ses mains grandes ouvertes loin au-dessus du ventre et du visage délicat entouré de longs cheveux d'un blond glacial. Severus restait immobile, figé par la curiosité et par cette sensation qu'il ne devait rien interrompre.

Peu à peu, une étrange lueur verte émana des mains de Harry et prit de l'ampleur, finissant par nimber l'ensemble du corps de Lucius d'un halo moiré et fantomatique. Severus pouvait sentir la magie de Harry vibrer dans l'air de la chambre, comme un miroitement dans la pénombre. Les traits creusés de Lucius ressortaient encore davantage sous cette lumière émeraude, il paraissait avoir mille ans ou être déjà un cadavre. Severus sentit son ventre se crisper violemment à cette pensée. Tous ses espoirs reposaient sur Harry.

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Il se passa peut-être une heure ou deux dans cette étrange immobilité, Severus perdu dans ses pensées et ses souvenirs, Harry concentré sur sa magie dont l'aura, qui alternait d'une couleur jade à un vert sombre, baignait à présent toute la pièce.

Jusqu'à ce que la porte s'ouvre brusquement sur le visage du médicomage :

– Je venais voir si vous aviez besoin de quelque chose...

L'interruption fit disparaître le halo de magie comme s'il n'avait jamais existé.

– Non, non... rien, fit Harry surpris. Je... je reviendrai demain...

Et il disparut sans un bruit et sans un mouvement. Le médicomage resta un moment interloqué, se demandant s'il avait rêvé, puis il s'approcha du lit et passa lentement sa baguette au dessus du corps immobile. Rien ne semblait avoir changé. Il tourna les talons et s'en fut en fermant la porte.

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Severus s'approcha à son tour, lentement. Il tendit sa main vers celle de Lucius, sagement posée sur le drap blanc. Elle semblait légèrement plus tiède que d'habitude, la peau à peine plus souple, mais il était toujours inconscient. Le corps immobile paraissait encore baigné d'une douce lueur émeraude qui donnait des reflets verts à la blancheur du lit. En se concentrant, Severus pouvait percevoir des résidus de magie, comme une trace légère, une vibration discrète de l'air qui portait la signature de Harry.

Il ne comprenait pas vraiment ce qui s'était passé. Il avait ressenti la magie de Harry d'une manière presque physique, alors même qu'il n'avait pas utilisé de baguette, ni d'incantations. Comme si sa magie était devenue quelque chose de tangible, de matériel, une substance concrète... Peu de sorciers étaient déjà capables d'user de sortilèges informulés, plus rares encore étaient les animagi qui vivaient la magie dans leur propre corps... mais ce qui s'était passé, Severus ne pouvait l'expliquer autrement que par une puissance qui dépassait de loin l'entendement. Et cette façon de transplaner alors même qu'il était normalement impossible de le faire dans l'enceinte de l'hôpital...

ooOOoo

Lorsque Harry revint le lendemain, l'état de Lucius n'avait pas changé. Il s'approcha du lit et en fit le tour jusqu'à rejoindre la pauvre chaise des visiteurs, décidément trop inconfortable et qui se transforma en fauteuil quand il s'assit dedans. En plaçant sa main sur celle de Lucius, il sentait les enchantements opérer jusqu'aux confins du corps décharné; la pulsion de vie de Lucius répondait bien à ce qu'il avait fait et son noyau de magie semblait avoir repris quelques forces. Mais après le corps et le surnaturel, il restait l'esprit... Et il ne pourrait rien si les trois niveaux ne s'accordaient pas ensemble.

Il lui fut aisé de pénétrer l'esprit de Lucius, étant donné sa faiblesse, mais il le fit avec une douceur et une attention particulière pour ne pas raviver une quelconque blessure. Sans savoir encore précisément ce qui l'avait mis dans cet état, Harry se doutait que la réponse était plus mentale que physique. Son esprit semblait l'avoir mis dans une sorte de stase ou de coma dans lequel le noyau de magie de Lucius était en train de s'éteindre. Son intervention l'avait ravivé mais ne résolvait pas le problème d'origine.

Les premières images qui lui sautèrent à l'esprit furent des scènes de sexe débridées et audacieuses. Des endroits improbables, des pratiques étonnantes... Lucius semblait être un amant insatiable et à l'imagination débordante. Harry aperçut Severus dans toutes les positions possibles et imaginables, Lucius également – mais son esprit cachait davantage ces images – les deux amants jouissant à corps et à cris. Il se retrouva brusquement projeté dans une scène qui ne lui était pas tout à fait étrangère, lorsqu'il avait surpris les deux hommes dans les cachots de Poudlard pendant une séance sadomasochiste. Severus semblait friand de ces pratiques, la douleur lui était une source de plaisir jusqu'à un certain seuil qui était chez lui particulièrement élevé. Harry se revit rougir de gêne et de honte devant l'air amusé de Lucius. Décidément, tous les souvenirs n'étaient pas indispensables !

Lucius était un homme ordonné et minutieux, ses souvenirs et ses idées étaient soigneusement rangés par strates successives qui cachaient l'essentiel sous différentes couches de futilités et de pensées moins importantes mais son esprit semblait aussi particulièrement facétieux et se plaisait à projeter vers celui de Harry des images de débauche toujours plus éhontées et excessives. Harry sourit, il n'était plus un adolescent depuis bien longtemps et il n'était plus gêné devant ce genre de choses.

Il réfléchit un moment avant de plonger plus avant dans l'esprit de Lucius, s'interrogeant sur ses propres sentiments. Il avait tout de même eu un pincement au cœur en y revoyant Severus après toutes ces années. Il s'était douté en apercevant son patient pour la première fois hier que Severus allait à nouveau faire irruption dans sa vie, d'une manière ou d'une autre, même simplement sous forme de souvenirs. Que ressentait-il encore ? Après la guerre, l'ancien maître de potions avait quitté ses abîmes de noirceur et finalement partagé la vie de Lucius, comme Harry l'avait souhaité, comme il l'avait espéré. L'avait-il vraiment espéré ? Severus avait trouvé le compagnon qu'il lui fallait, qui lui correspondait et Lucius avait enfin pu l'avoir pleinement à ses côtés. Mais lui, Harry, où en était-il aujourd'hui ? Qu'est-ce que cela faisait vraiment de voir ce couple en action ? Dans ce genre d'action... ?

Harry secoua la tête. Il n'était pas là pour lui, il était là pour comprendre l'état de Lucius et s'il y arrivait, l'aider à en sortir. Le reste importait peu pour l'instant.

Il fut encore davantage touché lorsqu'il pénétra la strate suivante dans l'esprit de Lucius. Des images d'une vie quotidienne comme il en avait rêvé des années auparavant. Des sourires, des regards, des marques de tendresse qui l'émouvaient comme un Poufsouffle, de petits gestes qui signifiaient l'attachement et le manque, la durée d'une trop longue absence, ou une attente impatiente. Des mots d'amour rarement prononcés mais le reste qui le disait tout autant. Une éternité de nuits à s'endormir dans les bras l'un de l'autre et une autre éternité de matins à se réveiller dans la tiédeur d'une présence aimante, dans la douceur des peaux qui se frôlent dans un émerveillement infini.

Harry sentit une boule se former dans sa gorge qui n'était pas de la jalousie. Juste l'expression de sa douleur devant une sensation de vide insondable. Le néant relationnel qu'avait été sa vie. Il savait qu'en choisissant de s'exiler il y a plus de dix ans, il renonçait à beaucoup de choses. Il avait fini par s'habituer, par ne plus se souvenir, par ne plus désirer ce qui avait si peu existé. Mais de le voir là exposé sous ses yeux... voir étalé au grand jour ce qu'il aurait pu connaître avec l'homme qu'il avait aimé... les larmes lui en montaient aux yeux.

La dernière personne avec qui Harry avait vraiment partagé une forme de tendresse avait été Charlie, et même cela, il l'avait fui. Trop peur de s'attacher, de ressentir des sentiments qui l'auraient dépassé, trop peur de souffrir encore davantage. Il avait préféré tuer dans l'œuf ce qui aurait pu prendre des proportions qu'il n'aurait pas réussi à maîtriser. Parce qu'il était hors de question qu'il ne puisse pas maîtriser les choses, qu'il se laisse emporter jusqu'à ce que les sentiments finissent par le dominer. L'amour est un esclavage, cela avait été son leitmotiv pendant toutes ces années. Mais de voir à présent ce que ça aurait pu être... il se rendait compte de ce qu'il avait manqué. De ce qu'aimer et être aimé peut apporter. Du bonheur, du bien-être, de la sérénité, une quiétude joyeuse et apaisante, tout ce à côté de quoi il était passé.

Et les images que lui montrait l'esprit de Lucius ne faisaient qu'asséner un peu plus ce terrible constat. Des souvenirs fugaces de vacances, de soleil... ils avaient voyagé d'un bout à l'autre du monde, passé des moments magnifiques dans des endroits paradisiaques... Ils avaient tout eu, l'amour, le bonheur, la richesse, une oisiveté enviable, tout ce qu'ils avaient pu souhaiter.

Harry secoua à nouveau la tête. Ce n'était pas ce qu'il cherchait. Ce n'était pas ça qui avait mis Lucius dans cet état. Son esprit en revanche se défendait à sa façon contre la légilimencie...

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Sous cette strate apparaissaient en vrac les contingences de la vie quotidienne : les elfes de maison à encadrer, le manoir Malefoy où ils résidaient, la librairie que Severus avait ouvert, les affaires de la famille à gérer et à faire prospérer... Quelle dépense allait-il engager pour redresser cette entreprise qui périclitait ? Il fallait encore retourner chez le tailleur pour prendre de nouvelles mesures pour les costumes... ou bien il le ferait venir au manoir, il n'avait pas de temps à perdre. Il lui fallait aussi faire nettoyer en grand les chambres pour la venue prochaine de Draco et sa famille...

Harry sentit un point plus sombre autour de l'image de Draco et il insista dessus pour creuser son impression. Draco s'était marié une dizaine d'années plus tôt et il avait à présent deux enfants, deux filles... Lucius et lui semblaient s'être beaucoup disputés au sujet de ce mariage. Une aura bien sombre persistait autour de ces événements anciens et il percevait des relents de conflit encore aujourd'hui. Retors, l'esprit de Lucius esquivait les détails et les cachait encore plus profondément. Harry sentait du regret aussi et l'impression triste de ne pas pouvoir changer ce qui s'était passé. Et quelque chose comme de la honte et de l'humiliation... Mais ce n'était pas la cause directe de l'état de Lucius, les sentiments n'étaient pas assez focalisés dessus.

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Harry se retira doucement, il avait besoin d'une pause, et sans doute Lucius aussi. Il toucha sa main qui était légèrement moite. Il ne fallait pas y aller trop fort, sans quoi il ferait plus de mal que de bien.

Il appela Mayahuel et la pria de lui ramener quelque chose à boire et à manger. Il était toujours affamé lorsqu'il utilisait de grosses quantités de magie, même dans un lieu aussi favorable que Sainte-Mangouste. Elle s'éclipsa et revint aussitôt avec un verre de jus de pitaya et une salade de fruits comme il en poussait dans sa région. En une gorgée de soleil, Harry se sentit un instant comme chez lui, il ne manquait plus que la forêt autour de lui, une masse de végétation luxuriante baignée dans une chaleur humide, presque suffocante. Comme la maison lui manquait ! Il avait beau avoir vécu toute son enfance en Angleterre, son cœur était bien loin désormais.

Il éclata de rire en ouvrant les yeux. Plusieurs bromelias avaient poussé dans un coin de la chambre, le sol se couvrait lentement de mousses et de fougères et une liane extravagante prenait d'assaut les rideaux. Un fin brouillard semblait sourdre de la végétation qui arrivait maintenant au milieu de la pièce et des orchidées diaphanes ouvraient peu à peu des fleurs sculpturales. Harry remercia sa magie intuitive; comme cela, il se sentait davantage chez lui.

Après avoir profité un peu du spectacle, il se pencha à nouveau sur Lucius il n'avait pas fini son travail...

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Il atteignait à présent des strates plus profondes et plus intimes. Du moins, c'est ainsi que l'esprit de Lucius les considérait. Il suivit à nouveau le fil conducteur de Draco pour contourner les obstacles et gagner directement le cœur de son âme. Dans une strate enfouie remplie d'amertume et de regrets, il fut confronté aux souvenirs plus professionnels de Lucius. Il avait toujours gravité dans des sphères politiques et influentes. Il avait ses entrées dans les arcanes du pouvoir, au Ministère, dans tous les Conseils d'importance, il était fin stratège et excellent diplomate, rusé et retors comme un vrai Serpentard, un homme brillant habité d'une distinction et d'une élégance peu commune qui marquaient les esprits. On avait fini par lui donner des responsabilités qui paraissaient évidentes et peu à peu, son nom s'était imposé pour devenir le prochain Ministre de la Magie.

Une fois en poste, Lucius avait longuement œuvré pour un rapprochement international des différents Ministres de la Magie à travers le monde, pour des échanges et des collaborations entre les différentes écoles de Magie, en un mot pour une coopération internationale. Mais cette optique de travail ne plaisait pas à tout le monde, beaucoup au Ministère voyaient d'un mauvais œil cet échange de savoirs et d'informations envers des pays dans lesquels ils n'avaient pas confiance. Et lorsque la nouvelle menace concernant certaines créatures magiques comme les vampires et les loups-garous avait émergé en Europe Centrale, ces gens-là, de plus en plus nombreux, plutôt que de prêter main forte, avaient choisi de se replier sur eux-mêmes et de ne pas voir la réalité en face et Lucius avait été évincé du pouvoir.

Harry était surpris, il n'avait rien su de tout cela. Que Lucius ait eu un rôle politique ne l'étonnait pas outre mesure; il l'avait toujours vu comme un habile tacticien qui manœuvrait avec brio dans les sphères politiques et qui aimait les responsabilités et les défis. Mais pendant toutes ses années d'exil, il s'était tenu loin de ces préoccupations et des informations de son pays d'enfance... À travers l'esprit de Lucius, il découvrait d'un coup tout un tas d'enjeux politiques et publics qui le surprenaient. Et il comprenait mieux l'amertume et les regrets qui enveloppaient cette ancienne vie sur laquelle Lucius avait tiré un trait malgré lui. Harry eut un léger sourire, il avait tout de même en face de lui un ancien Ministre ! Qui avait eu une vie privée secrète, mais on ne peut plus débridée !

Ce fut comme s'il se sentait trébucher et il eut l'impression de dévaler une pente vertigineuse vers un creux d'une obscurité effarante. Très très loin dans les profondeurs, Lucius avait enterré son passé de Mangemort, les exactions qu'il avait commises, les tortures qu'il avait infligées... Un puits de noirceur hanté par l'image de Voldemort. Des souvenirs cuisants et impossibles à effacer. Il ne pourrait jamais réparer ce qu'il avait fait et c'était l'endroit d'une douleur insondable.

Severus apparaissait aussi dans les souvenirs de cette époque. Ils avaient failli s'entretuer un jour, poussés par un Voldemort qui se régalait de la douleur sadique qu'il infligeait aux autres. Le Seigneur des Ténèbres avait demandé à Lucius de punir Severus pour une raison fallacieuse et il n'avait pu s'empêcher de retenir ses Doloris envers son ami – son amant. Voldemort n'avait pas été dupe et sa colère montait en flèche, dévastatrice. Avant qu'elle n'explose, Severus s'était emparé d'une baguette et avait lancé un sort d'une rare intensité sur Lucius, obligeant celui-ci à se défendre et à laisser pleuvoir ses coups, emporté par la douleur et la rage, tandis que Voldemort se délectait du spectacle.

Ce jour-là, pour la seule et unique fois, Lucius avait eu peur de Severus, une crainte puissante dont il s'était défendu avec véhémence. Il n'avait eu conscience que bien plus tard que Severus s'était comme sacrifié, éveillant sa colère pour qu'il cesse de faire preuve de magnanimité, et éviter que le Seigneur des Ténèbres ne finisse par s'en prendre à eux deux. Mais le sort qu'avait lancé Severus avait touché Lucius là où il ne s'y attendait pas, au cœur de leur lien d'amour et d'amitié, et il en conservait une trace profonde, comme une plaie inguérissable d'où s'élevait encore une douleur sourde. Malgré des années de relation et de tendresse, Lucius gardait encore cette blessure et quelque chose comme de la méfiance se cachait toujours dans ses sentiments. Il avait peur de souffrir à nouveau de cette main aimée.

Et la souffrance n'était pas loin, encore aujourd'hui, dans les sentiments qu'il portait à Severus. Harry aurait pu passer à côté, tant le fil conducteur était ténu et discret, qui menait à ce que Lucius ne voulait pas révéler. Il avait tenté de tout enfouir assez profondément pour que personne n'y ait accès, ni Harry, ni lui-même, refoulant ses émotions et ses souvenirs. Mais une fois trouvé le fil, Harry n'avait plus qu'à tirer légèrement pour que tout se déroule d'un coup, comme si les défenses de Lucius abandonnaient la partie et se livraient pieds et poings liés à leur vainqueur, s'effondrant devant lui avec un air désolé.

Harry vit Severus parlant avec une voix enflammée de ce nouveau potionniste d'Amérique Centrale – lui – qui donnait des conférences stupéfiantes et qui allait révolutionner la profession par ses découvertes. Severus se passionnant à nouveau pour la botanique et les potions, même s'il ne pouvait plus en faire. Severus plongé dans un livre qu'il annotait au fur et à mesure de sa lecture, relevant des indices troublants. Severus qui prenait inconsciemment ses distances avec Lucius et ne parlait plus que de ce sorcier étrange et étranger. Severus peu à peu pris d'un espoir fou qui réveillait des sentiments enfouis.

Lucius n'était pas dupe, il avait bien senti le trouble et la distance qui s'instauraient lentement entre Severus et lui. Il ne voulait pas souffrir, ni passer pour un idiot. Si Severus était plus heureux ailleurs, il le laisserait partir. S'il devait se sacrifier pour le bonheur de Severus, il n'hésiterait pas une seconde.

Harry se releva en secouant la tête. Lucius aimait Severus plus que tout, plus même que sa propre vie.

oooooo

Severus hésitait depuis quelques minutes, la main sur la poignée de la porte, partagé entre l'envie d'entrer et l'inquiétude de ce qu'il allait trouver derrière. Il ne percevait pas un bruit en provenance de la chambre, mais une légère lueur verte filtrait sous la porte et il sentait la magie pulser de l'autre côté.

Il ouvrit enfin, sans se souvenir de l'avoir vraiment décidé et balaya la pièce du regard. Le lit avec Lucius allongé. Un confortable fauteuil dans lequel il était assis, les yeux clos, comme endormi, la main de Lucius dans la sienne. Et une masse de végétation qui avait envahi la majeure partie de la chambre, une jungle tropicale dense et humide qui couvrait les murs et occultait les fenêtres. Des lianes insensées dansaient le long des rideaux, de larges feuilles masquaient la blancheur du plafond et il marchait sur une sorte de mousse qui dissimulait le plancher.

Severus eut un hoquet de surprise et d'incompréhension, son regard parcourait la pièce dans tous les sens, avant de s'apercevoir que l'homme assis dans le fauteuil l'observait. Des yeux aussi verts que les arbres autour de lui, aussi verts que la mousse, que les feuilles, que le pendentif qu'il portait autour du cou, des yeux aussi verts que les siens autrefois. Severus restait muet; comme rarement dans sa vie, il ne savait que dire.

Il baissa les yeux sur la main de Lucius qui avait frémi imperceptiblement.

– Comment va-t-il ? lâcha Severus avec une pointe d'inquiétude.

– Il va bien, répondit une voix légèrement rauque mais qu'il aurait reconnue entre mille. Aussi bien qu'il peut... Il se réveillera quand il l'aura décidé. Je ne peux rien faire de plus...

Severus hocha la tête brièvement. Il comprenait sans comprendre. Dans son esprit confus, tout se mélangeait, le passé, le présent, l'état de Lucius, la présence de cet homme, ses propres sentiments qu'il n'arrivait plus à déchiffrer; l'angoisse et l'espoir se mêlaient inextricablement et l'amour virevoltait sans savoir où se poser.

– Potter, n'est-ce-pas... ? murmura-t-il.

Il acquiesça sans détourner le regard.

– Bonjour, Severus.

Severus ne put s'empêcher de se maudire. Quelle entrée en matière, vraiment ! L'appeler par son nom de famille, c'est tout ce qu'il avait trouvé à dire après tant d'années ! Mais il avait besoin de cette confirmation ! Il sentit son ventre pris d'un creux épouvantable, une sensation de vide et d'inconnu qu'il n'avait pas ressentie depuis des années. Presque un vertige qui le saisissait, et il eut peur de se mettre à trembler.

– Quand il se réveillera... vous aurez des choses à vous dire, fit Harry en baissant les yeux vers Lucius, le regard plein d'une tendre bienveillance.

Une image de lui parlant avec passion d'un nouveau potionniste sauta à l'esprit de Severus. Il sursauta. Potter se servait de la légilimencie, non pas pour pénétrer en lui, mais pour lui montrer les pensées de Lucius. D'autres images de lui, toujours plus véhément, toujours plus de ferveur, son espoir fou de retrouver Harry, et la solitude inquiète dans laquelle Lucius glissait doucement, un sentiment d'abandon qui empoisonnait lentement son esprit. Jusqu'à cette idée insensée que son sacrifice pourrait faire venir à son chevet ce fameux médicomage aux dons si prodigieux, qui avait récemment réveillé les Londubat après tant d'années, et qu'il pourrait ainsi réunir Severus et son ancien amour.

Severus sentait une boule se former dans sa gorge, qui gênait sa déglutition et sa respiration. Ses actes, ses pensées, ses sentiments... c'était lui qui avait mis Lucius dans cet état, c'était lui qui était responsable de tout cela ! Comment avait-il pu faire autant de mal à Lucius tout en l'aimant ? Une culpabilité immense s'élevait dans sa poitrine, oppressante, tandis que Potter projetait dans son esprit une dernière image : le combat qui l'avait opposé à Lucius sous Voldemort. De plein fouet et sans s'y attendre, il ressentit la violence du sort qu'il avait lancé à son amant d'aujourd'hui, un sort obscur plein de brutalité et de fureur, d'une virulence rare, presque meurtrière, qui lui coupait le souffle et lui sciait les jambes. Potter n'en projetait pas qu'une image, mais toutes les sensations qu'il y avait eues avec, la douleur puissante et la souffrance de la trahison et de l'abandon. Puis il vit cette blessure magique qui persistait en Lucius, cette plaie inguérissable qui formait une tache sombre au fond de son être.

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Harry coupa brutalement le lien qu'il projetait vers Severus. Il en avait assez vu. S'il n'avait pas compris, c'est qu'il ne comprendrait jamais. Il observa du coin de l'œil l'ancien maître de potions qui restait immobile, hébété et chancelant. Sur son visage, il pouvait presque lire les affres de la culpabilité et du remords. Sa douleur semblait sincère...

Il hésitait. Il aurait bien voulu poser quelques questions à Severus, avoir des précisions sur les menaces à propos des vampires, comprendre ce qui s'était passé autour de Draco... Mais il ne voulait pas troubler les réflexions de son ancien professeur. Après tout, il n'était là que de passage. Tout ça ne le concernait pas vraiment, ce n'était plus sa vie...

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Harry restait songeur. L'ancien maître de potions avait changé sans changer vraiment. Au fil des pensées de Lucius, il avait vu l'évolution de ce visage qu'il connaissait entre mille : les fils argentés qui couraient peu à peu sur ses tempes, comme si Lucius lui avait transmis un peu de sa chevelure d'un blond presque blanc, les traits qui s'étaient marqués au fil du temps, creusant des sillons entre le nez et la bouche... Les longues robes noires et austères qu'il portait à Poudlard avaient laissé place à des pantalons et des chemises qui lui donnaient un air autrement plus jeune que son âge réel. Les cheveux avaient été raccourcis, et il les portait à présent légèrement ébouriffés... La comparaison avec Sirius ou James Potter effleura l'esprit de Harry et il sourit intérieurement en se disant qu'elle n'aurait sans doute pas plu à Severus.

Brusquement, il perçut une présence incertaine et fluctuante, quelques instants avant de sentir la main de Lucius serrer légèrement la sienne. Harry tourna le regard vers lui pour voir une unique larme rouler lentement sur le visage émacié. Lucius semblait reprendre peu à peu conscience et finit par ouvrir les yeux, cherchant des repères et des visages familiers autour de lui. Il sourit en voyant la jungle luxuriante qui bruissait dans la chambre, tandis que Severus se précipitait pour l'aider à se redresser sur ses oreillers tout en retenant des gestes de soulagement, des gestes plus intimes... Leurs regards se croisèrent un long moment, ils avaient effectivement beaucoup de choses à se dire. Puis Lucius tourna la tête vers Harry et leurs yeux se rencontrèrent avec une rare intensité.

– Nous ne sommes pas ennemis, Lucius, fit Harry doucement, en imprégnant ses mots du souvenir d'une ancienne conversation. Et nous ne le serons pas.

Il sourit puis saisit délicatement le poignet de Lucius dans sa main droite tandis que la main de Lucius enserrait le sien. Des arabesques délicates s'élevèrent lentement de sa peau, langues de feu rougeoyantes qui s'entremêlèrent et unirent peu à peu les deux sorciers à mesure que Harry prononçait les mots dans l'esprit de Lucius.

Je m'engage à ne pas convoiter Severus, je m'engage à ne pas être un obstacle entre vous, je m'engage à préserver ce qui vous unit.

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Severus vit avec stupeur les flammes flamboyantes s'étirer d'un poignet à l'autre et lier Lucius et Harry. Il était témoin d'une forme de Serment Inviolable, sans baguette et sans Enchaîneur, entre les deux hommes de sa vie. Pas un mot n'était prononcé. Il se doutait que le serment était transmis par légilimencie et qu'il allait de Potter vers Lucius, puisque c'était lui qui avait pris l'initiative, mais ne pas savoir en quoi consistait ce serment l'interrogeait au plus haut point. Lucius venait de se réveiller après plus de deux mois de coma; Potter avait réussi là où lui avait échoué; il avait vu toutes ces pensées qui torturaient Lucius, et il se sentait anéanti et perdu.

Les flammes s'estompèrent peu à peu. Lucius avait toujours son regard rivé dans celui de Potter et ils semblaient tous deux hors du monde. Une brise sortie de nulle part balança légèrement les immenses feuilles qui recouvraient le plafond et ce fut comme si le charme qui les connectait était rompu. Severus vit Harry le regarder un instant, le saluer de la tête puis il disparut aussi soudainement que la veille.

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ooOOoo

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Harry ouvrit les yeux avec empressement. Il était tellement heureux et émerveillé de retourner à Poudlard après tant d'années qu'il manqua quelque peu l'atterrissage de son transplanage. Il trébucha et se rattrapa comme il put en priant pour qu'il n'y ait personne aux alentours qui le voit se donner en spectacle. Il plissa les yeux pour tenter de comprendre où il était. Il n'avait en face de lui ni Pré-au-lard, ni les grilles d'entrée de Poudlard, et il se demanda où sa magie l'avait bien traîné.

Les arbres autour de lui étaient denses, dépourvus de feuilles et entremêlaient leurs branches dans un enchevêtrement lugubre et fantomatique. Le sol détrempé et spongieux collait à ses sandales et il sentait déjà ses pieds maculés de boue. Après des années dans sa forêt, il n'arrivait plus à mettre des chaussures fermées et se maudit de n'avoir pas essayé davantage. Il lança un sortilège de nettoyage et d'imperméabilité sur ses pieds puis entreprit de chercher un sentier, une trouée entre les arbres, un chemin, une direction quelconque qui puisse le mener quelque part. Aucune issue ne semblait se dessiner. Il se préparait à transplaner à nouveau lorsqu'il croisa une paire d'yeux qui l'observait dans le couvert des arbres.

Le torse d'un centaure se découpa lentement entre deux buissons, suivi quelques pas en arrière d'un jeune poulain à la robe dorée qui s'avançait en gambadant avec allégresse et insouciance. Harry s'inclina avec un profond respect devant les deux créatures magiques et le centaure lui rendit un bref salut. Puis peu à peu, la compréhension se fit jour en lui et il se mit à rire gaiement, éveillant la curiosité de la jeune licorne qui vint mettre ses naseaux dans le creux de sa main. Pour il ne savait quelle raison qui n'appartenait qu'à elle, sa magie facétieuse l'avait transporté au beau milieu de la Forêt Interdite.

Parfois, comme aujourd'hui, sa magie semblait ne pas faire exactement ce qu'il lui demandait. Il avait longtemps mis ça sur le dos d'un manque de concentration lorsqu'il exécutait un sort, il faisait souvent les choses par habitude, sans trop y prêter attention. Ou bien il avait dû formuler une demande qui n'était pas claire, qui pouvait être sujette à interprétation... Puis il s'était rendu compte qu'elle agissait de temps en temps comme une entité propre, joueuse, moqueuse, qui n'en faisait qu'à sa tête. Parfois, ces facéties étaient destinées à lui faire passer un message, elle voulait lui faire comprendre une erreur ou le pousser dans un raisonnement, dans une intuition... Parfois il lui semblait juste que sa magie lui faisait des farces comme les jumeaux Weasley autrefois, elle s'amusait à lui envoyer une pluie diluvienne quand il voulait juste se rafraîchir par un bon bain, elle transformait ses potions en une pâte gluante qui bouillonnait et débordait des chaudrons en une multitude de bulles semblables à du chewing-gum, elle soufflait parfois une vive bourrasque qui dérobait sous lui la chaise sur laquelle il allait s'asseoir... Là, il avait demandé Poudlard et elle l'envoyait dans la Forêt Interdite.

– Suivez-nous, dit le centaure d'une voix grave.

Harry ne posa même pas de questions et suivit les deux êtres sur un sentier qui se découvrait au fur et à mesure de leurs pas. Il avait toujours tendance à faire une confiance aveugle aux créatures magiques; elles possédaient une magie et un savoir qui le dépassaient souvent.

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Ils progressaient dans une partie de la forêt qui paraissait plus sèche et les arbres étaient plus clairsemés. La jeune licorne trottinait à ses côtés, toute en légèreté, sautant d'une foulée gracieuse au-dessus des branches tombées au sol. Le centaure, devant eux, ouvrait la marche de son corps lourd et puissant. Harry ne l'avait pas reconnu, mais le troupeau qui vivait dans la forêt était vaste et il n'en avait à l'époque rencontré que quelques membres.

Il se demandait ce qui avait poussé sa magie à le faire atterrir ici plutôt que devant l'entrée du château. Voir une licorne, d'autant plus un poulain, était toujours un bon présage mais de là à le perdre dans la forêt, la boue et l'humidité... Voulait-elle lui rappeler son passé et tout ce qu'il avait vécu à Poudlard ? Il n'en avait nul besoin. Tout cela était ancré bien profondément en lui et il ne pouvait se défaire de ces souvenirs pesants et sombres. Il revenait avec joie et quelque chose comme le soulagement de rejoindre un endroit familier, mais aussi plein d'appréhension face à la résurgence de douleurs enfouies. Ici, il les avait tous perdus, Ron, Hermione, Dumbledore, Lupin et Tonks, Ginny... une longue litanie de noms et de visages dont il avait dû faire le deuil. Mais ici était aussi né son amour pour Severus, envers et contre tout, et surtout malgré lui. Harry ne savait même pas si cela était à ranger du côté des bonnes ou des mauvaises choses...

Peut-être sa magie voulait-elle lui signifier que son retour à Poudlard était placé sous de bons auspices. Tout avait commencé et tout recommençait avec une licorne. Il choisit de croire en un bon présage.

La lumière se fit plus vive et brusquement, ils se retrouvèrent à la lisière de la forêt. Devant eux s'étalait le parc de Poudlard et au fond, l'immensité du château dressait ses tours sombres vers un ciel gris. Il paraissait intact mais Harry se souvenait de l'état dans lequel la Dernière Bataille l'avait laissé, fumant et éventré. Il revoyait l'endroit où était tombé Dumbledore, là où s'étaient déroulés les combats, là où il avait vaincu Voldemort, les sortilèges qui fusaient en tous sens, les éclairs dans la nuit, les cris et les larmes, les corps étendus... Poudlard était un cimetière.

Puis la vision s'estompa et il vit à nouveau le parc aux vastes étendues de pelouse. La cabane de Hagrid avait été rasée après sa disparition et à la place s'élevaient les grands enclos d'un élevage de sombrals et d'hippogriffes. Le saule cogneur avait disparu, brûlé pendant la bataille, remplacé par un ginkgo biloba dont il avait fait parvenir une jeune pousse à Neville il y a quelques années. Visiblement, l'arbre avait puisé dans la magie du lieu et il faisait déjà plusieurs dizaines de mètres de haut, conservant son parement de feuilles d'or tout au long de l'année. Un peu plus loin, Harry aperçut de nouvelles serres construites par Neville. Il était devenu un botaniste dont la réputation dépassait les frontières de la Grande-Bretagne et sa collection de plantes contenait des merveilles que beaucoup lui enviaient. Poudlard aussi était devenue une école réputée, qui drainait des étudiants venus parfois de très loin.

Harry se retourna vers le centaure et s'inclina bien bas pour le remercier. La fière créature hocha la tête sans un mot puis s'éloigna dans la forêt. La jeune licorne s'attardait dans les jambes de Harry et il s'agenouilla pour flatter son encolure. Elle s'ébroua sous ses caresses et quelques crins d'un jaune d'or lui restèrent dans la main. Il la regarda, interloqué, tandis qu'elle regagnait à son tour le couvert des arbres; la pouliche venait de lui offrir un présent rare et ô combien précieux. La magie avait bien placé la journée sous de bons auspices. Il regarda la silhouette mordorée disparaître derrière les buissons puis fit demi-tour et entreprit de rejoindre les serres botaniques où il pensait bien trouver Neville.

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La ronde silhouette de Neville était penchée sur une table de rempotage, concentré au point de ne pas l'avoir entendu pénétrer dans la serre, et il manipulait de ses doigts délicats un long bâtonnet avec lequel il entrouvrait et fécondait les fleurs d'une vanille. Harry l'observa un moment, attendant qu'il termine son entreprise laborieuse avant de le déranger. Neville n'avait pas beaucoup changé : il avait grandi et s'était étoffé mais gardait la même apparence bonhomme et avenante, avec un rien de timidité et d'embarras. Son crâne se dégarnissait déjà, accentuant l'aspect tout en rondeur de son visage. Il avait, malgré son âge, un air un peu enfantin qui éveillait en Harry une grande tendresse.

Lorsqu'il le vit enfin se relever et s'essuyer le front, Harry s'avança en souriant :

– Si j'avais su, je t'aurais ramené directement un plant fécondé par les abeilles !

– Harry !

Il s'était préparé mais il ne put réfréner un mouvement de recul et de malaise lorsque Neville se précipita pour lui donner une franche accolade, tout à sa joie de le revoir. Les contacts humains le mettaient encore mal à l'aise, même s'il se réhabituait peu à peu à la civilisation. Il en gardait une grande méfiance, ne supportant pas les présences dans son dos ou les contacts par surprise. Neville ne lui en tint pas rigueur et il parlait encore et encore, ravi et surexcité, lui montrant ses plantes et lui faisant parcourir l'immensité des nouvelles serres.

– Je ne t'attendais pas aujourd'hui ! Comment vas-tu ? Regarde ! Ce sont les graines que tu m'avais fait parvenir... Elles sont magnifiques ! s'exclamait-il devant des fleurs somptueuses qui semblaient faites de velours. Et tu as vu le ginkgo dans le parc ? Il est splendide ! Il a poussé comme un champignon ! Et ça aussi, je te le dois ! dit-il en montrant toute une rangée d'orchidées en boutons. C'est fabuleux ! Je suis tellement content de te voir !

Harry souriait en se laissant porter d'une serre à l'autre. Le bonheur de Neville pour sa passion semblait si intense qu'il n'osait pas le troubler. Il fallut un long moment de babillage au botaniste pour se calmer et devenir plus sérieux. Il se tourna vers Harry et le dévisagea avec un regard sombre et ému à la fois.

– Merci, finit-il par dire gravement.

– Pourquoi ?

– Mes parents, Harry !

Il eut un mouvement de surprise, il avait un peu oublié, maintenant que le problème était résolu. Pendant des années, cela avait pourtant été le travail de fond de ses recherches. Il avait élaboré des potions toujours plus complexes, cherché de nouveaux ingrédients, expérimenté des mélanges sans précédent, avec l'espoir fou de pouvoir un jour sortir les parents de Neville de leur coma magique et réparer les dégâts qu'avaient causés sur eux les Doloris des Lestrange. Aujourd'hui... ils étaient tirés d'affaire et Neville avait de nouveau des parents.

– C'est vrai... Comment vont-ils, Nev' ?

Il lui proposa de s'asseoir au salon de jardin, tout au bout de la serre tropicale, quelques fauteuils de rotin autour d'une petite table, et une elfe de maison apparut rapidement pour leur servir du thé. Harry avait perdu l'habitude d'en boire mais le goût retrouvé avait sur lui l'effet d'une madeleine de Proust.

– Bien. Aussi bien qu'ils le peuvent compte tenu de... , répondit enfin Neville avec un geste vague du bras. Ils se réadaptent peu à peu... La société a beaucoup changé pendant leur « absence ». Il s'est passé tellement de choses...

Harry sentait le désarroi percer dans la voix tendue de son ami.

– Et toi, dans tout ça ?

– C'est compliqué..., avoua Neville. C'est comme s'ils n'étaient pas mes parents. J'ai grandi pendant tellement d'années sans eux... Je me suis construit sans eux. J'ai vécu... nous avons vécu tellement de choses pendant tout ce temps. La guerre, les morts. Nous nous sommes battus... Nous avons tellement changé... Eux se souviennent encore de moi comme d'un enfant, ils ne me reconnaissent pas. Ils ne peuvent pas savoir ce que j'ai traversé, comment je suis devenu celui que je suis. Je suis presque un étranger. Et eux se sentent tellement coupables de n'avoir pas été là, de n'avoir pas pu aider et se battre avec nous...

Neville se tut un instant, puis reprit avec une voix qu'il voulait plus enjouée :

– Mais ça va ! Maintenant qu'on est tous réunis, on réapprend à se connaître. Ce n'est pas facile mais on essaye.

Son visage affichait un sourire de façade, contredit par son regard triste et inquiet.

– Je suis désolé, murmura Harry.

– Non, non ! Il ne faut pas ! lâcha Neville avec un air affolé. Tu n'y es pour rien !

– J'ai cherché pendant tout ce temps..., fit Harry d'une voix sourde. Mais c'était long... et compliqué.

Neville resta muet. Il ne doutait pas des efforts de Harry, même si cette nouvelle relation n'était pas aussi simple qu'il l'aurait souhaité.

– Ce qui compte, c'est que tu aies réussi ! tenta-t-il de le rassurer. Puis, changeant de sujet : Combien de temps restes-tu, que je profite un peu de toi ?

– Quelques jours au moins, fit Harry avec un geste évasif. Je ne sais pas, je n'ai rien prévu...

– Tu vas loger à Poudlard bien entendu ?!

– Pour l'instant, j'ai une chambre à Sainte-Mangouste, mais je ne suis pas contre un peu plus de confort, fit Harry en riant.

– Viens, allons-y. Je vais te faire préparer des appartements...

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Neville l'entraîna hors des serres, commentant les changements et la vie de l'école. Poudlard s'était agrandi et sa notoriété drainait des étudiants étrangers qui venaient chercher là des savoirs réputés. On pensait y développer de nouveaux diplômes, et pourquoi pas, créer une école de botanique, sous l'impulsion de Neville qui s'était associé avec plusieurs conservatoires et muséum d'histoire naturelle à travers le monde. Padma Patil, elle, avait repris la direction des classes supérieures de médicomagie, et parrainait de futurs soigneurs avec la supervision de Sainte-Mangouste. Il avait fallu agrandir les dortoirs et les salles communes, puis, compte tenu de la différence d'âge entre les étudiants supérieurs et les premières années, construire carrément de nouveaux bâtiments pour y loger les aînés. Poudlard n'avait jamais été aussi animé et peuplé, bruissant de mots de toutes les langues et de visages de toutes les couleurs. Harry se sentait immensément fier de Neville.

Les quelques marches à monter pour pénétrer dans le hall d'entrée le troublèrent. C'était comme faire un bond dans le temps qui le ramenait loin en arrière. Les adolescents qui passaient autour d'eux semblaient à peine sortis de l'enfance, innocents et insouciants, pleins de vie et de rêves. Il avait été comme eux un jour, avec l'envie et l'appréhension de bien faire, et aussi le sentiment intense d'une chance à saisir. Poudlard lui avait permis de quitter le monde moldu et son semblant de famille, même si cela avait contribué à le mettre face à des enjeux plus grands encore. Malgré tout, pour la première fois, il avait eu l'impression d'avoir une sorte de foyer, un endroit rassurant où vivre, quelque part où rentrer. Même si ça n'avait été qu'un lit dans un dortoir commun, ça avait été un « chez moi » pendant quelques temps.

En levant les yeux vers les voûtes de pierre ouvragée du grand hall d'entrée, Harry ne put s'empêcher d'être ému. Un pincement nostalgique et douloureux se faisait sentir dans son cœur et dans son ventre. D'une main brusque sur son bras, Neville l'arrêta. Surpris, Harry le regarda avant d'apercevoir, à travers ses yeux embués, des brins d'herbe qui surgissaient entre leurs pieds. Peu à peu, les larges dalles de pierre se couvrirent d'une belle pelouse, verte et drue, qui remplit bientôt tout le sol du hall et gagnait les premières marches des escaliers et l'entrée des couloirs. Des fleurs se mirent à éclore de ci, de là, puis par dizaines, formant des massifs multicolores où trouvèrent refuge un ou deux jeunes lapins. Quelques branches émergèrent le long des piliers, voilant de leurs feuilles la lumière éclatante d'un soleil venu d'on ne sait où et des oiseaux se mirent à chanter dans un silence émerveillé.

Les élèves de Poudlard semblait figés sur eux-mêmes, personne n'osait plus bouger ou dire un mot devant la prairie féerique qui s'étendait sous leurs yeux. Puis un applaudissement se fit entendre, reprit peu à peu par d'autres mains qui battaient à tout rompre, des rires, des cris d'étonnement et d'émerveillement...

Harry sentit Neville le pousser du coude en souriant de toutes ses dents.

– Je crois que Poudlard est content de te revoir !

Est-ce qu'il avait jamais senti pareille fierté et pareille émotion ?

Harry laissa échapper une larme sans s'en rendre compte, emporté par la sensation de sa magie qui semblait enfler démesurément, nourrie du bonheur d'être là et de l'exaltation de cet accueil. Les branches se muèrent en bois d'acajou, puis des lianes se mirent à serpenter sur les troncs, prenant d'assaut les piliers jusqu'à la voûte de la salle. Dans un angle, les vastes ailes d'un kapokier se déployaient à mesure de sa croissance, bientôt freinée par le plafond. Des fleurs éclorent de toutes parts, attirant une nuée de colibris qui volaient au ras des cheveux des élèves, amenant encore d'autres cris de surprise et d'étonnement. Harry ajouta en souriant un couple de toucans et quelques perroquets, mais sa magie avait fait le reste.

– Moi aussi je suis content d'être ici, murmura-t-il.

Neville poussa un long sifflement admiratif. Il tournait la tête en tous sens, fasciné et ravi par le décor mêlé de Poudlard et Harry. Un groupe de filles surexcitées s'approchèrent en piaillant :

– Monsieur le Directeur, Monsieur le Directeur ! Regardez ! fit l'une d'elle en ouvrant les mains sur un minuscule colibri.

– Laisse le s'envoler, fit Neville avec un sourire.

– Monsieur le Directeur?! s'exclama Harry en riant tandis que Neville rougissait. Tu m'avais caché ça !

oooooo

Neville lui avait donné les anciens appartements de Severus Rogue, inoccupés depuis des années. C'était tellement plus près des laboratoires de potions si Harry en avait besoin que c'était bête de s'en priver. Poudlard et ses elfes s'étaient chargés de l'aménagement et avaient fait en sorte que Harry oublie immédiatement la comparaison avec les anciens cachots. Des fenêtres, de la lumière, de beaux meubles dans un salon pourvu d'une généreuse cheminée, un canapé moelleux, un vaste lit à baldaquin dans la chambre qui lui rappelait celui de son dortoir d'autrefois... l'impression de retrouver la tour de Gryffondor avait effacé les souvenirs anciens.

Pour la première fois depuis si longtemps, les escaliers l'avaient promené à travers le château, découvrant de nouveaux méandres dans les itinéraires pour aller d'un point à un autre. Les personnages des tableaux l'avaient salué tour à tour, de même que les différents fantômes des maisons. Les elfes de maison approvisionnaient tous les jours ses appartements de confiseries qu'il n'avait plus goûtées depuis si longtemps, des dragées surprises de Bertie Crochue, des Chocogrenouilles ou des Fizwizbiz... Longuement, il parlait avec Neville dans l'ancien bureau de Dumbledore qui n'avait pas beaucoup changé, excepté quelques plantes étonnantes dont il avait le secret et les mots de passe de la gargouille qui étaient maintenant les noms latins d'espèces botaniques épouvantablement compliqués à retenir.

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ooOOoo

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Les cachots semblaient moins sombres et moins humides que dans son souvenir. Moins lugubres. Le détail des méandres pour se rendre au laboratoire, dans ses anciens appartements ou bien à la salle commune des Serpentards lui revenaient sans effort à la mémoire. C'était étrange de se trouver là à nouveau, dans ces lieux à la fois si familiers et si lointains. Un afflux de souvenirs assaillit Severus, pour la plupart teintés d'amertume. Il avait été bien ici, mais la menace de Voldemort avait toujours plané au-dessus des années qu'il avait passées à Poudlard en tant que professeur. Il n'avait jamais pu y être tranquille, en paix. Même après la guerre, il allait trop mal pour pouvoir en profiter.

Et c'était là qu'il avait perdu Harry. Parce que trop aveugle et trop empêtré dans ses propres tourments, il n'avait pas vu l'amour magnifique qui s'offrait à lui. Et qui était parti, épuisé d'attendre en vain.

Le retour de Harry le bouleversait. D'une manière qu'il n'arrivait pas à définir. Et dans son esprit, les sentiments tourbillonnaient et s'entremêlaient sans cesse dans un gigantesque maelstrom qui l'empêchait de réfléchir et de se concentrer sur quoi que ce soit.

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– Entrez, lui répondit sa voix après qu'il ait frappé à la porte du laboratoire.

Severus entra, non sans une pointe d'appréhension. Il était venu sur un coup de tête, parce qu'il n'en pouvait plus d'attendre un quelconque signe de sa part, parce que le savoir là, si près, sans le voir, le rendait fou. Parce qu'il avait eu tellement d'espoir que ce soit bien lui et qu'il parvienne à le revoir, qu'il ne pouvait pas rester sans rien faire. Mais la réaction de Harry lui faisait peur. Il redoutait le rejet comme lui l'avait autrefois rejeté, et le temps qui avait pu effacer les sentiments.

– Qu'est-ce que... Je vous dérange peut-être, Potter ? fit-il avec un ricanement.

Severus se fustigea mentalement. Pourquoi ne pouvait-il s'empêcher d'être sarcastique et méprisant ? Il n'avait plus en face de lui l'adolescent d'autrefois, l'élève insolent qu'il avait tant puni... Mais sa présence était comme un électrochoc qui lui faisait perdre tout bon sens et tous ses moyens. Et cette vision n'avait pu que réveiller des idées lubriques.

Au fond du laboratoire où bouillonnaient plusieurs chaudrons de cuivre, il avait surpris Harry en train de retirer sa chemise, dévoilant un torse puissant à la peau cuivrée et couturé de cicatrices. Il fouillait à présent dans une armoire pour récupérer quelques ustensiles qu'il fourrait au fur et à mesure dans une besace de cuir.

– Bonjour Severus, fit-il d'un ton enjoué. En fait, je me préparais à partir...

Il se redressa en ajoutant devant l'air interrogateur de Severus :

– Je suis tombé en panne d'ingrédients en plein milieu d'une potion et si je n'en ramène pas tout de suite, elle est fichue...

– Ah. Je... Et donc, vous vous déshabillez au moment de partir ?!

Harry éclata d'un rire rafraîchissant et lui répondit d'un air mutin :

– Vous m'accompagnez ?

Severus hésitait, pris entre l'envie irrépressible de passer du temps avec lui, l'impression de déranger et le sentiment vague d'un piège qu'il ne comprenait pas. Il hocha finalement la tête, convaincu par la vision d'un Potter torse nu dont il n'arrivait pas à détacher son regard.

– Laissez ici votre cape et votre veste, elles vous encombreront..., dit Harry avec un grand sourire.

Severus se défit d'une partie de ses vêtements qu'il déposa soigneusement sur une chaise et se tourna vers Harry qui lui tendait la main.

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Il suffoquait. La chaleur lui était tombée dessus comme la migraine autrefois, une chape de plomb qui faisait battre le sang à ses tempes, et l'air saturé d'humidité semblait ne pas contenir assez d'oxygène pour qu'il puisse respirer normalement. Autour d'eux, il avait l'impression de voir à l'infini la forêt que Harry avait recréée dans la chambre de Sainte-Mangouste, une jungle impressionnante, dense et touffue, tellement saturée d'eau qu'elle en ruisselait de partout, le long de feuilles longues comme son bras, le long de lianes qui rejoignaient le sol depuis une canopée qu'il ne distinguait même pas. Étouffée par un plafond de végétation, la lumière crépusculaire et verdâtre lui donnait une sensation d'irréalité.

Harry s'éloignait déjà, se frayant un chemin entre des fougères aussi hautes que lui, tandis que Severus était encore immobile, haletant, pris d'un vertige qui provenait autant de sa difficulté à respirer, que de la sensation inédite du transplanage avec Harry. Il l'avait touché. Pour la première fois depuis... des siècles. Et cela, déjà, le bouleversait au plus haut point, provoquant dans le creux de son ventre une intense crispation, douloureuse et féerique en même temps. Une sensation qu'il reconnaissait bien et qui lui embuait les yeux. Et puis il avait senti sa magie le traverser pour l'empêcher de se désartibuler lors du transplanage, une magie puissante, étrange, colorée, qui le laissait hébété et frissonnant malgré la chaleur.

Patientant à quelques mètres, Harry attendait qu'il reprenne ses esprits avec un léger sourire au coin des lèvres. Il avait eu la décence de lui dire de quitter quelques vêtements sans l'avertir réellement de leur destination, mais Severus sentait bien qu'il jubilait de sa farce. Après tout, il s'était bien moqué de trouver Harry en pleine séance d'effeuillage...

– Où sommes-nous ? demanda-t-il en le rejoignant péniblement.

– Sarawak, répondit Harry. Sur l'île de Bornéo...

– Je nous croyais à Sainte-Mangouste ! fit Severus avec un rictus moqueur.

Harry éclata de rire, déclenchant de nouveau dans son ventre une série de fourmillements intenses.

– J'ai un faible pour les jungles tropicales !

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L'atmosphère était tellement moite qu'il ne fallut que quelques minutes à Severus pour sentir la sueur ruisseler le long de son dos, imbibant sa chemise qui lui collait désagréablement à la peau. Son pantalon épais et ses bottes en cuir de dragon lui faisaient l'effet d'une étuve. Il sortit sa baguette pour jeter un sort sur ses vêtements mais n'en tira qu'un vague filet de fumée qui sécha à peine sa chemise.

Du coin de l'œil, il voyait Harry rire discrètement.

– Qu'est-ce que... ?

– Votre magie ne fonctionne pas aussi bien ici... Vous êtes trop loin de vos habitudes, fit-il amusé.

– C'est-à-dire ? questionna Severus en prenant un air pincé.

– Dois-je vous faire un cours sur la magie essentielle, Professeur ?

Harry prenait visiblement un grand plaisir à se moquer ouvertement de lui, il ne cachait même pas sa mine réjouie.

– Pour votre défense, c'est sans doute un savoir qui se perd peu à peu, dit-il d'un air faussement contrit. Puis redevenant plus sérieux, il ajouta : Vous n'êtes pas sans savoir que la magie de chaque sorcier est accordée à son lieu de vie, à sa région d'origine, cela fait partie de sa signature... Si vous voyagez en Europe, vous savez qu'il vous faut un moment pour vous adapter et retrouver la même aisance qu'en Grande-Bretagne. C'est comme un instrument de musique qu'il faut accorder. Ici, nous sommes tellement loin et la magie est tellement différente qu'il vous faudrait y rester quelques jours pour vous y faire...

Severus pestait intérieurement. Dans quel sac de nœud s'était-il fourré ? Il se trouvait à l'autre bout du monde à la merci d'un Potter qui prenait un malin plaisir à se moquer de lui et à le mener par le bout du nez, et complètement dépendant de lui pour regagner l'Angleterre puisque sa magie ne fonctionnait pas ici ! Et à son corps défendant, il ne pouvait s'empêcher d'être fasciné par les connaissances et l'effronterie de Potter.

– Pourquoi parlez-vous de « signature » ?

– Chacun possède sa propre signature magique, expliqua Harry en faisant quelques pas. Une trace sur notre magie ou nos sortilèges qui marque la puissance du sorcier, son origine, ses intentions, sa couleur...

– Sa couleur ? releva Severus.

Devant lui, Harry se frayait un chemin entre les lianes. Severus profitait d'une vue imprenable sur son dos puissant, se demandant d'où provenait cette immense cicatrice le long de la colonne vertébrale qui s'étirait de la nuque au bas des reins. Sa peau cuivré luisait d'une mince pellicule de sueur, soulignant le jeu des muscles tandis que Harry écartait les branches sur leur passage. Severus rêvait de s'avancer pour poser ses mains sur cette peau et toucher ce corps qui l'appelait comme un aimant.

– La couleur de son aura, si vous préférez, de sa magie... Par exemple, la vôtre est sombre et dense... comme de l'encre ou de la suie.

– Et la vôtre ? demanda Severus, vexé de la comparaison.

Harry laissa échapper un rire léger.

– Vous le savez, Severus. Vous l'avez déjà vue...

Lentement, un halo lumineux d'un profond vert émeraude apparut autour de Harry, à travers lequel la forêt semblait légèrement miroiter. Il enfla peu à peu, jusqu'à les englober tous les deux puis disparut, comme une bulle qui explose.

Severus fut pris d'un léger vertige. Le contact avec la magie de Harry avait des effets sur lui qu'il ne comprenait pas, pas désagréables du tout mais puissants. Il ne l'avouerait jamais, même sous la torture, mais il était troublé. Harry semblait manier des savoirs plutôt rares et maîtriser des formes de magie qu'il ne connaissait même pas. Il repensa à la guérison des Londubat et de Lucius, il y avait là bien des mystères. Il aurait été curieux de voir la couleur de la magie de Lucius, d'ailleurs...

– Très claire, un peu luminescente... Comme ça..., dit Harry en levant la main tandis qu'un mince filet de fumée gris argenté s'élevait du bout de ses doigts.

– Ne lisez pas dans mon esprit, Potter ! gronda Severus.

Harry lui adressa un sourire narquois.

– Pensez moins fort !

Severus s'empressa de relever ses barrières mentales, chose qu'il n'avait pas faite depuis des années, espérant que Potter n'avait pas lu suffisamment loin dans son esprit pour apercevoir ses pensées lubriques à son égard.

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– Comment va-t-il ? demanda Harry.

– Il se remet doucement, mais moins vite que je ne l'aurais cru, avoua Severus. J'étais d'ailleurs venu vous remercier et voir si vous pouviez encore l'aider avec une potion ou quelque chose...

Il était mal-à-l'aise. Remercier quelqu'un et demander de l'aide n'était pas dans ses habitudes. Le faire auprès de Harry lui coûtait encore plus, mettant à mal sa fierté et son orgueil, alors même qu'il était torturé par l'attirance qu'il ressentait.

– J'étais en train de le faire quand je suis tombé en panne d'ingrédients, répondit Harry sans s'appesantir sur son embarras. Lucius est un sorcier puissant, même s'il l'est moins que vous; il se remettra... Et vous, vous ne pratiquez plus du tout les potions ? Cela vous donne toujours des migraines ?

Severus grogna pour toute réponse. Le ton de Harry n'était pas moqueur, plutôt amical même, mais il n'aimait pas remettre le doigt sur ce qu'il avait perdu et cette incapacité totale à faire ce pour quoi il était le meilleur. Cela restait la plus grande humiliation et punition de sa vie, comme si la nature s'était vengée de sa réussite.

– Quel ingrédient vient-on chercher d'ailleurs ? fit-il pour couper court.

– Du suc de Nepenthes Ephippiata, une plante carnivore !

– Et c'est ça que vous voulez donner à Lucius ? grimaça Severus.

Harry le regarda en souriant comme s'il faisait la leçon à un enfant.

– « Utilisé avec les bons ingrédients, un produit donnera l'effet opposé à son effet premier »... Vous avez oublié ?

Severus grommela contre cette insolence.

– Ce suc corrosif donne d'excellentes potions de régénération...

– Et pourquoi ne connaît-on pas cet ingrédient ? s'enquit Severus avec un rien de réprobation.

– Il ne se garde pas à moins d'user d'un sort de conservation très complexe, et même alors... Celui que j'avais n'était pas en assez bon état pour me permettre de terminer la potion. Le suc ne donne ses pleins pouvoirs que s'il est ajouté dans les minutes qui suivent son recueil.

– Pourquoi ne pas ramener la plante alors ?

– Elle ne survit pas hors de son milieu, répondit Harry. J'ai tenté d'en faire parvenir des graines et des boutures à Neville, qui est pourtant un des meilleurs botanistes que je connaisse... mais les graines ne germent pas ou bien les plants meurent avant d'être parvenus à maturité. La plante est sans doute accordée à l'endroit où elle vit et dépendante de sa magie...

– Et comment se fait-il que votre magie fonctionne si bien ici alors que la mienne ne marche pas ? maugréa Severus.

Il n'en pouvait plus de la chaleur et de la moiteur, sa chemise était trempée au point qu'il aurait pu l'essorer, ses cheveux lui collaient au visage, il se sentait poisseux et sale et sentait monter une migraine telle qu'il n'en avait pas connue depuis longtemps.

– Ma magie s'adapte très facilement, répondit Harry. Et puis, j'ai vécu quelques temps ici avant de traverser l'océan pour rejoindre l'Amérique...

– Dans cette jungle ? Quel enfer !

Harry se retourna vers lui avec un large sourire.

– Allez, j'ai pitié de vous..., fit-il en touchant légèrement son bras du bout des doigts.

Severus sentit à nouveau la magie de Harry le traverser, éveillant des sensations étranges dans son ventre et son entrejambe, et renflouant sa propre énergie. Aussitôt, la sueur et l'humidité s'évaporèrent autour de lui en une légère buée, ses vêtements étaient secs et frais, il se sentait à nouveau propre comme s'il sortait d'une douche. Il avait l'impression qu'on avait enlevé un poids de sa poitrine et il respirait aussi facilement qu'à l'accoutumée.

– Pardon, fit Harry en riant doucement. C'était trop tentant de vous laisser mariner et suer sang et eau...

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La progression dans la jungle était rendue difficile par l'enchevêtrement des racines et les mousses qui poussaient entre elles cachaient parfois des cavités insoupçonnées et pleines d'une vie grouillante dans lesquelles Severus se prenait les pieds. Harry, lui, semblait survoler le terrain comme s'il avait toujours vécu là, souple et agile, d'une aisance déconcertante dans ses gestes qui donnait à Severus l'envie d'essayer avec lui une autre sorte de gymnastique. Tout lui semblait tellement facile et son corps paraissait si délié... si docile...

– Attention où vous mettez les pieds, fit Harry en souriant après un nouveau faux pas. Il y a ici beaucoup de choses venimeuses, et je ne suis pas sûr de vouloir encore voler à votre secours !

Severus s'arrêta un instant pour reprendre son souffle et ses esprits. Il était obsédé par le corps de Potter au point de ne plus faire attention à rien, au point d'être même incapable de répondre à ses moqueries. Il se demandait même si Potter n'usait pas de sa magie d'une façon ou d'une autre pour le faire taire ou bien l'exciter. Et il se sentait tellement captivé par cet homme chez qui perçait le gamin insolent d'autrefois, par son rire si surprenant, sa bonne humeur. Potter avait l'air heureux, enjoué, il rayonnait.

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– Oh ! Tenez ! Regardez !

Harry s'était arrêté net devant une série de petites urnes brunâtres qui couraient sur le tronc d'un arbre. Il souriait de toutes ses dents, aussi réjoui qu'un enfant devant un cadeau de Noël. Severus s'approcha avec circonspection. Harry avait déjà déballé de petites fioles et une longue pipette pour prélever le suc digestif de la plante. Il fit son affaire en deux temps trois mouvements et se redressa tout sourire.

– Nous y allons ? proposa-t-il en tendant sa main. Ou bien je vous laisse rentrer par vos propres moyens ?

Severus grogna avant de saisir la main de Potter.

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ooOOoo

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Le lendemain à la même heure, il se présenta devant les appartements de Potter. Celui-ci avait bien tenté de le convaincre de reprendre part à une nouvelle expédition mais Severus avait catégoriquement refusé. Pas deux fois dans le même piège !

Severus frappa à la porte de ce qui avait été chez lui longtemps auparavant. Ce morveux ne lui aurait rien épargné, pas même le fait de prendre possession de tout ce qu'il avait été : des potions jusqu'à ses propres appartements. Il patienta un moment avant de frapper à nouveau avec un certain agacement. Quelques instants plus tard, des pas précipités se firent entendre et la porte s'entrouvrit brusquement sur un Potter ruisselant, une serviette à peine nouée autour de la taille, la tête surmontée d'un nuage de mousse blanche, et qui éclata de rire en voyant son visage stupéfait.

– Installez-vous au salon, j'arrive !

Il repartit aussitôt vers la salle de bains, laissant derrière lui des traînées d'eau, une délicieuse odeur de vanille et les échos de son hilarité.

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Severus ferma la porte en frémissant. La vision d'un Potter à demi-nu était de nature à lui faire perdre ses moyens. Il lorgna un instant vers la salle de bains entrebâillée, évoquant furtivement l'idée de l'y rejoindre et vérifia aussitôt ses barrières mentales. Pas question de se laisser piéger une deuxième fois !

À regret, il avança vers le salon et s'installa dans un fauteuil pour patienter. L'endroit ne ressemblait plus à rien de ce qu'il connaissait. Lui préférait les pièces sombres, les ambiances intimes, chaleureuses, les atmosphères tamisées... Quelque chose qui enveloppe et qui protège. À présent occupé par Potter, tout était trop clair et lumineux, aéré; il s'y sentait surexposé. C'était presque étrange, cette sensation d'être à nu dans un endroit, d'être trop visible...

– Je viens juste de revenir de ma petite promenade, lui parvint la voix rieuse de Potter. Vous auriez aimé : il faisait encore plus chaud qu'hier !

Severus étouffa un grognement contrarié. Potter jouait avec ses nerfs.

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Lorsqu'il arriva dans le salon, ce n'était plus avec ses nerfs qu'il jouait, mais avec ses hormones et ses désirs. Pieds nus avec un pantalon de lin clair, une chemise blanche qu'il n'avait pas pris la peine de boutonner, il vint s'asseoir en face de lui, souriant et détendu.

– Vous voulez boire quelque chose ? proposa-t-il. Le temps que la potion refroidisse...

– Quelque chose de fort, s'étrangla Severus.

Par l'encolure grande ouverte, il pouvait voir la peau si brune de Potter, légèrement hérissée d'avoir été séchée trop vite. À la base de son cou, à côté du pendentif de la même couleur que ses yeux, serpentait une veine bleue et délicate et des ombres couraient dans le creux de sa clavicule et s'enfouissaient sous le tissu clair.

Potter se leva et attrapa dans un placard niché près de la cheminée une bouteille d'un liquide translucide et deux ridicules petits verres.

– Tenez. Goûtez, je ne sais pas si vous connaissez... Ici, tout le monde préfère le whisky Pur-Feu !

Severus avala son verre d'un trait en espérant qu'il lui remette les idées en place. C'était fort, autant que le whisky, mais avec des saveurs différentes. Pas dénué d'intérêt mais il lui en faudrait quelques uns avant d'oublier ses ardeurs. Les cheveux mouillés de Potter ruisselaient encore, des gouttes d'eau tombaient sur ses épaules avec régularité, parsemant sa chemise de petites traces transparentes qui laissaient deviner sa peau. Une chemise inutile au demeurant. De même que le pantalon. Et ce qu'il portait peut-être en dessous, bien que Severus n'ait pas aperçu la couleur d'un autre tissu. Il secoua la tête pour se ressaisir.

– Comment va Lucius ?

– La potion lui a fait du bien, répondit Severus d'une voix rauque. Il a pu se lever et aller prendre un peu l'air dans le jardin...

– N'allez pas si vite, il est inutile de précipiter les choses ! prévint Harry. Attendez qu'il ait bu la potion les trois jours de suite, et quelques jours de repos derrière... il ira vite mieux. Mais il faut qu'il reste allongé d'ici là !

Lucius était une forte tête. Pas sûr qu'il arrive à le tenir tranquille aussi longtemps.

– J'y veillerai personnellement, fit-il avec un hochement de tête.

– Je n'en doute pas. Et de la façon qui vous convient...

Les yeux de Potter pétillaient allègrement tandis qu'il arborait un sourire malicieux. Par Merlin, ce gosse affichait ouvertement des idées lubriques à son encontre. Severus ne put s'empêcher de frémir. Après l'avoir provoqué en se promenant à demi nu devant lui, il évoquait les plaisirs charnels qu'il pouvait avoir avec Lucius. Cette torture n'en finirait donc jamais !

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– Severus... j'avais une question à vous poser à propos de Lucius, mais c'est peut-être indiscret ou intime. Je comprendrais que vous ne répondiez pas...

Severus frémit à nouveau et sentit son cœur rater un battement. « Intime »... Qu'est-ce que Potter allait encore évoquer ? Mais son regard était devenu plus sérieux, effaçant peu à peu son sourire.

– J'imagine que vous savez que, lorsque j'ai... « soigné » Lucius à Sainte-Mangouste, j'ai pénétré dans son esprit ?

Severus se renfrogna, cachant mal sa gêne.

– Il ne m'a dit exactement ce qu'il s'était passé, mais... vu ce que vous avez projeté dans mon esprit, je supposais quelque chose dans ce goût-là.

Et Merlin savait ce qu'il y avait vu d'autres !

Potter eut un sourire apaisant, il ne cherchait visiblement pas la confrontation.

– Parmi ce qui est... compliqué pour Lucius, j'ai perçu des sentiments bien sombres autour de Draco...

– Si vous avez vu cela, vous avez bien dû en comprendre les raisons...

– Ce n'était clairement pas la cause de son état, répondit rapidement Harry. Donc je n'ai pas creusé plus loin, mais je m'interroge...

– Pourquoi vous répondrai-je ? fit Severus méfiant.

Un sourire presque triste apparut sur le visage de Potter.

– Je ne cherche pas à vous nuire, Severus, insista-t-il sur un ton rassurant. Vous savez que Draco et moi, nous nous étions beaucoup rapprochés l'année de nos aspics... Ce que j'ai perçu m'a troublé et j'aurais voulu en savoir plus. Mais je comprends que cela reste entre vous...

Il prit une profonde inspiration avant de pousser un soupir résigné. Quoi qu'il en dise, Potter avait sans doute vu plus de choses dans l'esprit de Lucius qu'il ne l'avouait, et Severus se souvenait de ce qu'on aurait pu qualifier d'amitié naissante entre son filleul et Harry... Et après tout, rien de tout cela n'était secret pour bien des gens. L'ignorance de Potter était seulement due à son absence prolongée hors du pays...

– Vous vous souvenez, j'imagine, du côté Malfoy de Lucius, commença-t-il. L'arrogance, le Sang Pur, l'aristocratie sorcière, etc... Les Malfoy père et fils, sont des mêmes racines mais pas tout à fait de la même trempe. Draco revient de loin et il a davantage changé que son père. Ou du moins, plus tôt, plus vite... Lucius non plus n'est plus celui que vous avez connu, mais il a mis plus de temps à évoluer et ses vieux réflexes ne sont jamais bien loin. Tous les deux avaient déjà des tensions récurrentes depuis longtemps, autour de tout ça, de vieux contentieux... Et puis il se trouve que Draco a épousé une femme moldue. Ni Sang-Mêlée, ni Sang de Bourbe... non. Purement et simplement moldue. Sans baguette, ni pouvoir magique. Je vous laisse imaginer l'ampleur...

Un geste las du bras termina sa phrase. Les tensions et les discussions houleuses de cette époque resurgirent dans son esprit avec amertume et douleur. Ni le père ni le fils n'y avaient été de main morte !

– Il y a eu des portes qui claquent, des hurlements, des silences interminables... Draco défendait sa femme et Lucius sa réputation. Ils ne se sont pas vus pendant des mois. Lucius a même hésité à venir au mariage...

Le visage de Potter restait impassible, mais l'attention de son regard était soutenue et dénotait une forme d'inquiétude.

– Petit à petit, ça s'est apaisé. Chacun a mis de l'eau dans son vin et Daphnée, la femme de Draco, a su se faire adopter par Lucius. Depuis, il a beaucoup changé, il a relativisé toutes ces idées dans lesquelles il a été élevé mais on ne peut pas effacer les paroles qui ont été dites. C'est trop tard... Et entre les deux reste beaucoup de colère, de regrets, de blessures qu'ils n'avoueront jamais ni l'un ni l'autre mais qui sont ancrées profondément.

Severus grimaça au souvenir de cette époque. Sa propre situation avait été intenable, partagé entre son filleul qu'il appréciait, presque son fils adoptif, et son compagnon qu'il se devait de soutenir également. Dans le fond de sa pensée, il avait voué Lucius aux gémonies pour son étroitesse d'esprit et sa fierté mal placée. Mais il n'avait rien pu dire, ni à l'un, ni à l'autre, ne pouvant désavouer officiellement aucun des deux. Sa vie avait été un enfer et ce fut bien la seule fois où il pensa quitter Lucius malgré l'amour qu'il lui portait. Heureusement, Daphnée avait su jouer d'un pouvoir de séduction qui tenait presque de la magie, tant personne ne s'attendait à ce que ce soit elle qui parvienne à apaiser la situation et réconcilier les deux hommes. Elle avait fini par prouver à Lucius que Draco avait bien fait de la choisir...

– Il y a eu une nouvelle période de tension quelques années après la naissance de la fille de Draco, reprit-il. Déjà, ce n'était pas un garçon. Et puis Lucius attendait avec impatience le premier accident de magie de la petite... qui n'est jamais venu.

Il leva le regard vers Potter qui ne réagissait pas.

– La fille de Draco est une Cracmol...

Contre toute attente, il vit le visage de Harry s'éclairer d'un large sourire.

– Oh. Mais ce n'est rien, ça..., glissa-t-il doucement.

– Ce n'est pas rien pour la fierté de Lucius ! réagit vivement Severus.

Harry eut un geste d'excuse.

– J'imagine... Ainsi, Draco a une fille maintenant..., fit-il songeur. J'aimerais la rencontrer un jour...

Sa voix trahissait une émotion discrète; la conscience du temps qui passe et de l'histoire des hommes qui s'écrit.

Severus en était surpris, Potter paraissait si humain tout à coup...

– Deux, en fait... Minerva, celle qui est Cracmol, a huit ans et Iris en a six. Iris a eu son premier accident de magie voilà deux ans et demi, ajouta-t-il devant la question muette de Harry.

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Severus s'abandonna profondément dans le dossier du fauteuil. Il n'était pas certain d'avoir dressé un portrait très élogieux de Lucius, mais Potter le connaissait de longue date, il savait à quoi s'attendre et ce qu'il avait vu dans l'esprit de son compagnon avait dû lui en apprendre bien plus que ces quelques informations. Lucius ne lui en voudrait pas, si tant est que cela lui revienne aux oreilles.

Le sourire tranquille et l'émotion délicate qu'il avait perçus chez Potter, en revanche, l'avaient troublé. Il était venu en pensant trouver, comme la veille, un grand adolescent espiègle et moqueur... Mais Harry n'était plus un adolescent depuis longtemps. Il avait mûri. En bien. Il faisait preuve du même aplomb qu'autrefois, mais on y sentait davantage le poids de la sagesse et de la réflexion. Il ne fonçait plus tête baissée dans les ennuis ou la confrontation il semblait posé et sûr de lui, plein d'une douceur étrange et d'une assurance fascinante qui lui donnaient un attrait supplémentaire. Par sa seule présence, Potter imposait une certitude confiante, il rayonnait, et Severus pouvait sentir sa puissance, la densité de sa magie qui l'attirait comme la lumière attire les insectes.

Son corps aussi l'attirait. Un corps plus mature, plus charpenté, plus adulte qui le faisait palpiter de désir. Cette manie de se promener toujours à moitié nu, comme s'il était toujours réchauffé par on ne savait quoi ! Cette peau qu'il apercevait par les pans ouverts de la chemise appelait ses mains et il rêvait de les glisser sous le tissu. De le faire passer par-dessus les épaules larges et musclées. De caresser son torse. De jouer avec...

Severus se fustigea mentalement tout en vérifiant une fois encore ses barrières mentales. Potter éveillait un peu trop ses sens et ses envies, il ne pouvait empêcher des images lubriques de lui traverser l'esprit et des étincelles de désir devaient allègrement passer dans son regard.

Sous ses yeux, il vit littéralement Potter s'assombrir. Son visage se ferma lentement, ses yeux passèrent d'un vert émeraude à un vert sombre, dense, aussi opaque et étouffant que la jungle dans laquelle il l'avait traîné, et même l'atmosphère dans la pièce devint oppressante, comme si sa magie réagissait à son changement d'humeur. Severus ne put s'empêcher de frissonner de nouveau, mais pas de désir cette fois-ci...

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Le frisson de Severus était de trop. Ce que Harry percevait depuis un moment de ses pensées le mettait mal-à-l'aise. Il ne savait quoi penser du comportement de Severus. L'avoir vu dans l'esprit de Lucius l'avait au départ perturbé. Il avait mis de côté depuis si longtemps les souvenirs concernant le Maître de Potions, les moments de tendresse volés, l'amour éperdu qu'il avait ressenti et puis cette attente insupportable à espérer que quelque chose change, que Severus réagisse face à ses démons et ouvre enfin les yeux sur lui, cette éternité à le voir se détruire... Il avait écrasé tout cela sous le poids du temps et la vie radicalement différente qu'il s'était choisie – ou pas d'ailleurs.

Lucius, au contraire, avait des souvenirs pleins d'amour mutuel et de bonheur. Sa patience avait été récompensée et il avait récolté au centuple les efforts qu'il avait fournis pour remettre Severus sur pieds – et les fruits du travail de Harry également – et le garder près de lui. De la tendresse la plus émouvante à la passion la plus sauvage, Harry avait eu un aperçu de ce qu'était, de ce qu'aurait pu être Severus avec lui. La pilule était amère. À l'époque, il n'avait pu faire davantage, il était allé au bout de ce qu'il pouvait donner, au bout de ce qu'il pouvait supporter... et il était sans doute passé à côté du bonheur de sa vie.

Mais le jeu que jouait Severus aujourd'hui était incompréhensible. Attentif à Lucius tout en laissant traîner son esprit ailleurs, soucieux de son compagnon tout en ayant des pensées obscènes vis à vis de lui... Parce que Harry n'était pas dupe de son comportement. Sa façon de se tenir, la sensualité de ses gestes, la lubricité des regards qu'il posait sur son corps, partout, comme s'il rêvait de le voir nu, ses yeux qui lançaient des étincelles de désir pur... S'il était un bon occlumens, Severus ne savait pas interdire à son corps de parler pour lui. Il était transparent.

Et face à cet homme qui faisait ressurgir en lui des sentiments anciens tout en jouant un double jeu, Harry ne savait plus quoi penser. Quelle était la part de sincérité dans tout cela ? Où penchait réellement le cœur d'une part, et les désirs d'autre part, de chacun ? De toute façon, il avait promis à Lucius de ne pas convoiter son compagnon. L'aristocrate aimait Severus plus que lui-même et il avait besoin de lui. La question ne se posait même pas.

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Brusquement, de grands coups tambourinés à la porte interrompirent Harry dans ses pensées de plus en plus maussades. Elle finit par s'ouvrir sous les coups virulents, laissant pénétrer en trombe dans le salon une femme mince aux cheveux blonds comme les blés qui tombaient en cascade sur ses épaules. Elle vint se planter devant lui, plongea ses grands yeux bleus dans les siens, le prit par les épaules pour le secouer et ensuite l'enlacer.

– Harry ! Par Merlin, Harry Potter !

Il ne put s'empêcher de sursauter et de bondir debout pour se dégager de l'étreinte aussi gênante qu'elle était surprenante. Entre Severus et cet assaut malvenu, ses nerfs étaient brusquement à vif et il dut se maîtriser pour ne pas transplaner afin de quasiment prendre la fuite. Mais quelque chose dans ce visage le retenait et il reconnut peu à peu des traits familiers bien qu'enfouis dans sa mémoire.

– Luna ? hésita-t-il. Luna Lovegood ?

– Évidemment ! gloussa-t-elle. Qui d'autre pouvait prédire ton retour à Poudlard ?!

– C'est-à-dire que... sans ton collier en bouchons de bièraubeurre, j'ai eu un peu de mal à te reconnaître. Tu as tellement changé !

Elle éclata de rire sans formalité, sautant à nouveau au cou de Harry pour l'embrasser sur la joue.

– Ne te moque pas, s'il-te-plaît ! J'avais un sens de la mode tout personnel !

Harry la prit par les épaules pour la reculer légèrement et la regarder avec émotion. Elle était devenue une femme splendide, très légèrement maquillée, vêtue simplement, mais sa façon de se mouvoir et de se tenir donnait une allure très élégante au tissu qui drapait son corps pour en sublimer systématiquement les courbes. La grâce légère dans ses gestes et son regard franc et doux lui firent instantanément un bien fou, elle rayonnait une sérénité communicative et il oublia aussitôt son humeur maussade et ses interrogations.

– Tu es magnifique ! sourit Harry. Mais que fais-tu là ? J'étais à mille lieues de penser te voir ici !

– Ce petit cachottier de Neville t'a fait la surprise ! lança-t-elle avec bonheur. Je travaille ici Harry, je suis professeur à Poudlard !

Sa voix trahissait une fierté un peu émue que Harry trouva touchante et qui lui fit presque monter les larmes aux yeux. Derrière ces quelques mots, on sentait tout ce qui la liait à l'école, le sentiment d'appartenance, la transmission et un profond sens des valeurs. Rendre ce qui a été donné...

– Je ne savais pas, murmura Harry troublé. Puis il reprit en riant : Et on m'en cache encore beaucoup, des professeurs que je connais ?!

Luna lui fit un délicieux clin d'œil et il ajouta avec un demi-sourire :

– Je suis curieux de savoir quelles matières tu enseignes...

– Les matières les plus détestées de l'école... mis à part les potions qui sont hors compétition ! rit-elle. Divination et soins aux créatures magiques...

Un toussotement se fit brusquement entendre et ils se tournèrent en chœur vers le regard sombre de Severus.

– Oups. Professeur, je ne vous avais pas vu, minauda-t-elle avec un clin d'œil à l'adresse de Harry.

Le visage de Severus avait repris ce masque austère et sombre qu'il arborait autrefois pendant ses cours de potions dans les cachots, et Harry ne put s'empêcher de pouffer de rire.

– Mademoiselle Lovegood..., la salua Severus avec un signe de tête.

– Madame, je vous prie, répliqua-t-elle fièrement.

– Si la potion est prête, Monsieur Potter, je vais vous laisser à vos retrouvailles...

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– J'ai toujours su que tu reviendrais un jour, mais qu'il faudrait du temps...

Luna le dévisageait longuement avec un regard pénétrant qui donnait à Harry l'impression qu'elle voyait en lui et à travers lui. La sensation était déconcertante et ressemblait à une ébauche de légilimencie dont il ne percevait rien et qui ne visait pas même son esprit.

– Je ne le savais pas moi-même, protesta-t-il en souriant.

Elle s'était assise dans le canapé à côté de lui, se tournant légèrement afin de lui faire face. Ils étaient seuls à présent, Severus s'était éclipsé aussitôt la potion mise dans un flacon avec ses dernières recommandations.

Harry avait perçu un certain froid entre Luna et l'ancien professeur sans en connaître la cause et il se rendait compte qu'il lui manquait bien des informations afin de comprendre tout ce qui s'était passé pendant sa si longue absence. C'était étrange de revoir toutes ces personnes qui avaient compté dans sa vie autrefois et qu'il ne connaissait pour ainsi dire plus. Il comprenait maintenant mieux ce que lui avait dit Neville à propos de ses parents. Harry se souvenait des gens tels qu'ils étaient il y a douze ans, comme un instantané figé, alors qu'eux avaient poursuivi leur route, ils avaient changé, ainsi que les relations entre eux et il devait tout redécouvrir avec émerveillement, mais aussi avec un étonnement empreint d'appréhension. Et il lui faudrait beaucoup de temps avant de s'y faire et de comprendre tous les tenants et les aboutissants des réactions de chacun.

Sans doute, lui aussi avait-il changé; il mettait peut-être les autres mal-à-l'aise par les différences qu'ils percevaient entre le sorcier d'aujourd'hui et le Harry Potter qu'ils avaient connu. À dire vrai, s'il repensait à son passé, il se sentait immensément loin de l'adolescent rebelle et marqué par les affrontements avec Voldemort qu'il avait été. Le côté frondeur, têtu, fonçant bille en tête pour le meilleur et pour le pire... Le meilleur avait été une chance inouïe face à un des plus grands mages noirs de tous les temps, le pire avait été la perte de Sirius, Ron, Hermione et tous les autres dont il se sentait toujours responsable. Tout cela avait fait de lui un homme bien différent et il se demanda ce que Luna percevait de ces changements à l'aune de son esprit si intuitif et particulier.

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– Alors comme ça, tu savais que j'allais revenir...

– Je ne suis pas professeur de divination pour rien, Harry ! s'exclama Luna. Bon, j'applique le programme du Ministère, même si je ne crois pas beaucoup à toutes ces fariboles de boules de cristal, de feuilles de thé ou de pendule...

Elle eut un rire gai qui le fit sourire.

– En revanche, je crois en la magie et ce qu'elle peut nous apprendre, je crois aux connections entre les gens, aux âmes sœurs, au destin, aux liens magiques, aux situations qui doivent être bouclées pour pouvoir continuer à avancer... Il était évident que tu reviendrais un jour ici pour terminer certaines choses...

Son ton convaincu et ses paroles le troublèrent davantage qu'il ne voulait bien se l'avouer. Luna avait visiblement toujours le chic pour que ses mots mettent les gens légèrement mal-à-l'aise.

– Et comment se fait-il que je ne te voie qu'aujourd'hui alors que je suis arrivé il y a quelques jours ? la taquina-t-il pour changer de sujet.

– Une série de naissances compliquées chez les licornes de la Forêt Interdite..., soupira-t-elle. Je suis rentrée tout-à-l'heure mais tu n'étais pas seul. Et puis j'ai senti ta magie devenir bien sombre...

Elle le scrutait à nouveau avec la tête penchée de côté, attendant une explication. Harry n'avait aucune envie de lui fournir la raison de ce changement d'humeur, mais le plus étonnant était que...

– Tu as perçu ma magie ?

– On ne peut pas la rater en entrant dans le Hall, je te rappelle ! dit-elle en riant.

Il n'avait pas songé que son ébauche de forêt tropicale ornait encore l'entrée du château où les élèves passaient toujours avec un émerveillement ébahi devant les oiseaux multicolores et les fleurs exotiques.

– Mais ce n'est pas seulement ça que tu as perçu ? insista-t-il.

– Je perçois parfois des choses..., fit-elle en haussant les épaules gentiment. Mais ça n'est pas très important. Je suis tellement contente que tu sois enfin là !

Son sourire rayonnant et sa joie faisaient plaisir à voir. Elle posa sa main sur le bras de Harry avec une douceur déconcertante. Sans doute avait-elle compris son mouvement de surprise et de recul tout-à-l'heure... Mais à son doigt, une belle alliance en or luisait doucement, comme si elle émettait sa propre lumière.

– Joli bijou, s'amusa Harry. Alors comme ça, mariée ? Avec quelqu'un que je connais ?

– Tu connais oui, mais je ne sais pas si tu t'en souviens, fit-elle avec un regard mystérieux. Je te laisse deviner ? Je dois y aller !

– Mais enfin, Luna ! protesta-t-il. Tu viens d'arriver ! On a rien eu le temps de se dire !

Elle se leva prestement sans se départir de son air malicieux.

– Je donne un cours dans cinq minutes, Harry ! rit-elle. Et je dois courir à l'autre bout du château ! Mais on se revoit vite maintenant que tu vis ici.

– Mais enfin ! Tu me laisses sur ma faim !

Elle s'approchait déjà de la porte mais se retourna brusquement avec un grand sourire.

– Allez, je te donne un indice : c'est un professeur de Poudlard ! On se voit ce soir au dîner dans la Grande Salle ? Comme ça, tu pourras voir tous les enseignants de l'école !

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ooOOoo

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Cette parenthèse enchantée avec Luna avait laissé Harry dans un état d'émotion douce et triste à la fois. La retrouver, comme retrouver Neville, nécessitait de laisser resurgir le passé et l'avalanche de sentiments doux-amers qui allaient avec.

Il était peu sorti des cachots jusque là, tout occupé à brasser quelques potions complexes pour Lucius et des commandes spéciales pour Sainte-Mangouste. Il partageait son temps entre le laboratoire et l'hôpital, ponctué de quelques repas que les elfes lui portaient généralement dans le salon et de tête-à-tête avec Neville. Il était trop occupé pour se laisser aller à la nostalgie ou au sentimentalisme. Il fuyait le bruit comme la foule, avec gêne et soulagement. Peut-être avait-il reporté, en vérité, le moment où il lui faudrait affronter tous ses souvenirs et se mêler un peu plus à la vie du château.

Mais Luna bouleversait tout cela, son esprit comme son cœur, et il était attendu au dîner dans la Grande Salle.

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Harry enfila ses sandales et quitta lentement ses appartements. Il avait besoin de réapprivoiser le château et lui-même avant... Il avait besoin de temps, de douceur et de tendresse face aux sentiments qui le bouleversaient. Il avait tant de lieux à revoir, tant de souvenirs à parcourir comme on déroule le fil d'une histoire ancienne, un écheveau d'événements qui étaient autant de ponctuations dans cette autre vie qu'il avait quittée et avec laquelle il renouait.

À quelques pas de ses appartements, de l'autre côté du laboratoire, se trouvait l'ancienne salle de classe de Severus, lieu de tant de cauchemars, de brimades et de plaisir à la fois. Il s'immobilisa un instant devant la porte, figé dans une impression de déjà-vu. Des bruits studieux de cuillère en bois qui brassent des liquides en ébullition, des chuchotements, une chaise qui racle le sol, le son mat d'un couteau qui tranche de manière systématique et appliquée un quelconque ingrédient... Mais la voix douce qui reprenait inlassablement les mêmes explications avec patience et pédagogie n'avait rien à voir avec ce qu'il avait vécu ici. Une bouffée de regret l'envahit brusquement, tout aurait été tellement plus simple et plus facile ainsi. Il aurait d'emblée apprécié cette matière et son professeur...

Ses pas le menèrent peu à peu devant les toilettes de Mimi Geignarde, toujours aussi désertées par les élèves. Il hésita à y entrer pour saluer le fantôme de sa locataire mais finit par renoncer, il n'avait pas besoin de sentimentalisme dégoulinant aujourd'hui. Un étage plus haut, il s'arrêta devant la statue de la sorcière borgne et passa une main attendrie sur la pierre polie par l'usage. Elle leur avait tant de fois sauvé la mise... Les souvenirs de Lupin et des Maraudeurs, des farces des jumeaux lui revinrent en mémoire avec un sourire. Fidèle gardienne des secrets ! Est-ce que certains élèves connaissaient encore ce passage aujourd'hui ? Au nez et à la barbe de Neville ?! Harry pouffa de rire dans le couloir désert puis repartit avant de se laisser tenter par une nouvelle exploration et un petit tour à Pré-au-Lard.

La bibliothèque était tout aussi déserte à cette heure-ci, la plupart des élèves étaient en classe ou dans les serres. Seuls quelques étudiants des classes supérieures de botanique et de médicomagie planchaient sur de vieux grimoires tout en prenant des notes sur des parchemins. Les rayonnages immenses étaient toujours aussi poussiéreux et surchargés de livres, les étagères légèrement incurvées sous le poids. L'atmosphère confinée du lieu, à peine éclairée d'une lumière tamisée, lui donnait une impression d'intimité et de chaleur. Et une certaine forme de respect et de recueillement.

Un peu plus loin, il reconnut la grande silhouette de Mme Pince qui inspectait d'un œil vif l'état d'un livre que lui rendait une élève. Ainsi elle était toujours là, égale à elle-même. D'un léger hochement de tête, elle signala son approbation à la jeune fille qui s'en alla avec un soupir de soulagement puis elle leva les yeux vers lui. Un frémissement lui indiqua qu'elle l'avait reconnu, ou identifié tout au moins. La rumeur de sa présence avait dû circuler dans le château... Harry sentit l'émotion les submerger aussi bien l'un que l'autre. Pas à son égard mais... entre eux, flottait l'ombre d'une jeune fille studieuse et d'une curiosité insatiable qui avait cru que toutes les réponses se trouvaient toujours dans les livres... Une larme lui échappa. La présence d'Hermione était partout dans cette bibliothèque et il ne pouvait pas éternellement fuir la douleur de se souvenir...

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L'après-midi tirait à sa fin et les ombres s'allongeaient lentement à la surface du lac. Des élèves étaient venus se détendre et flâner après leurs cours puis étaient peu à peu repartis. L'heure du dîner approchait sans doute mais Harry se sentait mieux, comme rasséréné. Il se demandait ce qu'il avait fait au juste ? Une sorte de « pèlerinage » ? Un devoir de mémoire sur le passé ? Qu'importe. C'était d'une façon ou d'une autre une manière de se réapproprier les lieux et les souvenirs, de les faire à nouveau siens mais avec douceur. Verser quelques larmes l'avait soulagé, il ne craignait plus de se laisser submerger par une douleur qu'il refusait d'admettre. Regarder les choses en face, quitte à en souffrir sur le moment, permettait maintenant de les mettre à distance et de pouvoir poursuivre sa vie ici sans ces fantômes menaçants. Il était temps d'affronter le présent et non plus le passé.

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Avec des yeux aussi remplis d'émerveillement que lorsqu'il y était entré pour la première fois de sa vie, Harry dînait à nouveau sous le plafond d'étoiles de la Grande Salle. Luna l'avait convié à la table des professeurs au centre de laquelle siégeait Neville. Il avait reconnu Padma Patil qui enseignait les Sortilèges et supervisait la classe supérieure de médicomagie, et Mme Pomfresh qu'il s'était empressé d'aller saluer avec un sourire plein de reconnaissance. Elle avait eu un rire nerveux et ému en le voyant, lui demandant dans combien de temps elle le verrait à nouveau allongé dans un des lits de l'infirmerie après une nouvelle catastrophe. Il n'était plus aussi casse-cou qu'autrefois mais il avait promis avec un sourire de lui rendre visite. Le professeur Flitwick qui avait repris l'enseignement de l'histoire de la magie mais avait renoncé à la charge de Directeur de Serdaigle – « Trop de travail, Harry ! Trop de travail pour un vieux fou comme moi ! » – lui avait presque sauté dans les bras en le revoyant, encore plus minuscule que dans son souvenir. Tous les autres professeurs étaient des nouveaux; enfin... des nouveaux peut-être là depuis des années mais que Harry ne connaissait pas.

Il scrutait les visages avec attention, cherchant à deviner qui pouvait bien être le conjoint de Luna. Elle pouffait de rire à côté de lui, se gardant bien de répondre à ses interrogations ou de lui laisser le moindre indice. Pour se venger, il faisait mine de bouder et avait engagé la conversation avec son voisin de droite à qui il comptait bien soutirer quelques informations. D'ailleurs, ce beau jeune homme plutôt avenant, à l'accent français...

– Dis-moi, ce ne serait pas toi, le mari de Luna ? esquissa-t-il à mi-voix.

Son voisin eut un sourire complice et malicieux qui éclairait jusqu'à son regard.

– Non, ce n'est pas moi, mais je t'arrête tout de suite, elle nous a interdit de vendre la mèche !

– Mais elle est impossible ! râla Harry en se tournant vers Luna pour lui faire une grimace. Comment veut-elle que je devine si personne ne me donne aucun renseignement ?! Je ne connais plus personne ici !

De bonne grâce, son voisin consentit à lui brosser un rapide portrait de tous les nouveaux professeurs, égrenant noms, matière enseignée et traits de caractère avec un humour rafraîchissant. Il marqua pourtant une franche hésitation à terminer son panel de personnalités en arrivant à une élégante femme blonde aux yeux d'un bleu givré assise à l'extrémité de la table. Harry remarqua la grimace du jeune homme et s'en étonna :

– Qui est-ce ?

La grimace de son voisin s'accentua et il plissa les yeux comme s'il était ébloui.

– Irina Novitskaya, professeur de métamorphose. Une diva russe, ancienne danseuse, belle à damner un saint, d'une souplesse indécente en particulier pour les jambes en l'air, à ne jamais concurrencer quand il s'agit de boire, et qui ensorcellerait de son regard même un bloc de granit. Avec ça, un caractère de cochon porté sur la grandiloquence, aussi adorable qu'elle peut être glaciale et méprisante.

– Tu as l'air de la connaître de près ! fit Harry en riant.

– De très près et de trop loin maintenant..., se lamenta le jeune homme, plein d'ironie. La belle m'a chassé parce que j'avais des vues sur quelqu'un d'autre... Mais elle dit à nouveau trois mots en russe et je me roule par terre à ses pieds !

– C'est ça de courir plusieurs lièvres à la fois ! le taquina-t-il.

– Des lièvres, des levrettes, des lapins, des lapines... Quand on a faim, on chasse ! murmura son voisin le regard plein de malice.

Harry ne put retenir un grand éclat de rire qui fit se retourner bon nombre de têtes dans la salle.

– Et toi ? fit-il une fois retrouvé son calme.

– Moi ? Matthieu Le Bihan, Matt pour faciliter la prononciation, se moqua gentiment le jeune homme. Français émigré, sincère, touchant, drôle, avec un rien de mauvaise foi et un manque de modestie évident, grand amateur de vin et de chair, marin accompli et... célibataire.

– Et il ne manque qu'une matière à ce que tu m'as dit, fit Harry avec un sourire. Donc je suppose que tu enseignes...

– Les potions oui, fit Matt, bien plus sérieux à présent. J'ai repris le flambeau de Severus depuis son départ...

La mention de Severus lui tira une grimace qui interpella Matt et lui fit froncer les sourcils avec un air interrogateur. À cet instant précis, Harry aurait préféré ne pas se souvenir du regard plein de désir de son ancien professeur et de la colère mêlée de frustration qu'il avait ressentie.

– Repris le flambeau ? Tu devais être bien jeune...

– Oui, je l'étais, répondit Matt avec un hochement de tête. Mais Severus m'avait choisi. Il avait fait promettre à Minerva MacGonagall de me réserver le poste d'enseignant le temps que je passe ma maîtrise de potions.

Harry fronça à son tour les sourcils. Qui était cet homme que Severus avait choisi et à qui il avait vraisemblablement confié son poste ? Et qui semblait le connaître assez pour l'appeler systématiquement par son prénom ?

– Explique-moi tout ça...

– J'ai été élève à Poudlard quand Severus était professeur ici, commença Matt.

– Mais je ne t'y ai jamais vu, l'interrompit Harry, de façon un peu trop véhémente à son goût. Puis il se radoucit et murmura presque pour lui-même : Je croyais que Severus avait fait sa dernière année d'enseignement avec moi...

– Laisse-moi parler ! sourit son voisin. Je t'explique... Severus avait insisté pour continuer à enseigner malgré tout. Je suis arrivé à Poudlard à la rentrée suivant ton départ, pour passer mes Aspics. J'avais fait le reste de ma scolarité à Beauxbâtons, mais à la mort de mon père, ma mère a choisi de quitter la France. Il se trouve que là-bas, le niveau en potions est beaucoup plus élevé et j'avais quelques... facilités. En fait, je t'ai remplacé en tant qu'« assistant »...

– Il avait voulu poursuivre l'enseignement malgré ses migraines ?

– C'est un entêté, sourit Matt. Il n'abandonne pas comme ça. Au premier cours que j'ai eu avec lui, il a bien vu que je n'avais pas suivi tout à fait la recette, mais au final ma potion était parfaite, si ce n'est qu'elle avait meilleur goût et qu'elle était plus stable dans le temps... Il n'a pas pu s'empêcher de m'enlever des points mais il m'a gardé dans son bureau à la fin du cours...

Le jeune homme eut un rire bref à l'évocation de cette première rencontre.

– Déjà une retenue ? plaisanta Harry.

– Pas du tout, fit tranquillement Matt. Il était plutôt impressionné et il m'a longuement interrogé sur ce que je savais, ce que j'avais appris et où, l'ensemble de mes connaissances... Le jour où j'ai passé ma maîtrise, ça m'a paru beaucoup plus simple que cet entretien avec lui !

Il rit à nouveau gaiement avant d'avaler quelques gorgées d'eau et de reprendre.

– Severus a décidé ce jour-là de me prendre sous son aile et de faire de moi son successeur. En un an, il m'a tout appris et en sortant d'ici, j'ai passé ma maîtrise de potions en deux ans au lieu de six normalement... Oh, je n'ai pas grand mérite, concéda Matt devant l'air étonné de Harry. Il se trouve que ma mère est moldue, mais c'est une herboriste reconnue et mon père était professeur de potions à Beauxbâtons. J'ai baigné dedans depuis tout petit et j'ai toujours eu une passion pour la chimie et les mélanges hasardeux !

– Tu es le fils de Serge Le Bihan de Beauxbâtons ? s'exclama Harry au souvenir de ce professeur émérite qu'il n'avait pas eu la chance de connaître mais qui faisait figure de référence.

Matt esquissa un geste pour se défendre en toute modestie.

– Mange, ça va être froid, fit-il en désignant les plats quasiment vide. Et tu vas vexer les elfes de maison !

Harry jeta un regard vague sur la table. Il n'avait presque rien avalé, captivé par sa conversation avec son voisin.

– J'ai un appétit plutôt frugal, avoua-t-il. J'ai perdu l'habitude de tant de nourriture.

Il repassait en boucle dans sa tête les paroles de Matthieu, son successeur entre les mains de Severus, celui qu'il avait formé et à qui il avait confié son poste et peut-être bien autre chose... Une pointe de jalousie traversa brièvement son ventre. Il l'avait pris sous son aile...

– Tu parles de Severus avec beaucoup d'admiration, remarqua Harry. Presque de la dévotion... Qui ferait sans doute hérisser les cheveux de bon nombre de mes camarades de l'époque !

Ils partagèrent un rire commun.

– Je sais, j'en ai souvent parlé avec Neville, Luna et Padma qui en ont gardé aussi un souvenir épouvantable. Même Flitwick n'en dit pas du bien ! ricana Matt. Mais après ton départ, il était tout autre... Et avec moi, il a été... merveilleux...

Le frisson qui parcourut le corps et le regard de Matt ne lui disait rien qui vaille.

– Il a été un enseignant fantastique, poursuivit-il à mi-voix. Exigeant, intraitable, sévère... mais aussi d'une patience impressionnante. Il pouvait me faire recommencer cent fois la même potion, tant que ce n'était pas parfait, mais sans jamais aucun sarcasme et en s'assurant toujours que j'en apprenais quelque chose. Il m'a fait progressé à une vitesse fulgurante. C'était un vrai mentor... de ceux qui ont l'art de toujours te tirer vers le haut, qui exigent en permanence le meilleur de toi-même et qui ne te laisseront jamais être un millième moins bon que ce que tu peux être...

Harry croisa un instant le regard encore émerveillé de Matt qui éclata de rire avec une légère rougeur aux joues.

– Je sais... Je m'enflamme toujours quand je parle de lui ! Il a changé ma vie ! Mais si ça peut te rassurer, insista-t-il avec un regard insidieux, il ne m'a pas mis dans son lit !

C'était comme si on lui avait enlevé un poids de la poitrine. Une libération qui le détendait et qui le laissait mieux respirer. Sa réaction confinait pourtant au ridicule. Severus ne lui devait rien, ni aujourd'hui, ni autrefois ! Harry avait choisi de partir de lui-même, en lui rendant une liberté qu'il n'avait d'ailleurs jamais réussi à lui prendre. Peu importait ce qu'il avait fait après lui. Il avait de toute façon rejoint Lucius qui l'attendait depuis si longtemps... Mais en creusant un peu ses réflexions, Harry devait bien s'avouer qu'il aurait été profondément vexé si Severus avait mis quelqu'un d'autre dans son lit... En particulier, le jeune homme à ses côtés qu'il avait formé de sa main.

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Pendant leur conversation, les desserts avaient remplacé les plats de résistance et les premiers élèves commençaient à quitter la Grande Salle pour rejoindre les salles communes des différentes maisons. Luna était en pleine discussion avec Neville à propos du comportement et des résultats scolaires de certains jeunes enfants. De l'autre côté, Mme Pince plaisantait avec Padma et Flitwick. Personne ne semblait prêter attention à eux.

Un demi-sourire narquois traînait toujours sur le visage de Matt qui l'observait sans mot dire, attendant avec un amusement certain la prochaine question. Cette façon de dire que Severus n'avait pas couché avec lui... Comme si c'était une précision indispensable !

Harry fronça les sourcils en lui demandant :

– Que sais-tu de moi ?

– À quel niveau ? minauda Matt en souriant. Personnel ou professionnel ?

– Les deux, fit-il sévèrement.

– Eh bien, au niveau professionnel, je n'en sais pas plus que tout un chacun, répondit Matt doucement. Comme tout bon potionniste qui se respecte, j'ai suivi l'émergence depuis deux ans d'un certain Brian Evans, j'ai lu ses livres avec intérêt et même assisté à certaines de ses conférences...

Il rit à nouveau et Harry ne put s'empêcher de rougir un brin au ridicule de la situation.

– Au niveau personnel, Severus ne m'a jamais parlé de toi, mais je ne suis pas sourd, glissa Matt avec un regard en coin vers lui. J'ai entendu des rumeurs en arrivant ici... aussi bien sur lui que sur toi...

Un grognement s'échappa de sa gorge malgré lui. Matt en disait trop ou trop peu. Mais c'était aussi une façon de l'interroger... La moindre question que Harry lui poserait à présent serait une réponse dans un sens ou dans l'autre. Et le regard du jeune homme montrait qu'il n'était pas dupe de son silence soudain.

La fatigue le gagna brusquement, un trop plein de souvenirs et d'émotions dans une journée trop longue et trop dense. Harry se recula sur le dossier de sa chaise dans un mouvement de retrait involontaire. Il lui tardait de regagner ses appartements et de retrouver le calme de la solitude et du sommeil. Pouvoir enfin digérer toutes ces informations comme on a besoin de digérer longuement un repas trop riche et trop copieux. Il voulait la paix.

Une main apaisante se posa sur son bras. Matt avait dû sentir son trouble et son sourire doux était sincère.

– On en parlera un autre jour... Si tu le souhaites...

Harry acquiesça d'un hochement de tête, reconnaissant qu'il n'insiste pas davantage et se pencha pour attraper la carafe d'eau. Il avait grand besoin de quelque chose de plus fort mais à part le jus de citrouille et du thé, il n'y avait rien d'autre sur la table. En la parcourant des yeux, son regard fut attiré par un léger reflet argenté plus loin sur sa droite. Une main fine et délicate portait une alliance qui semblait briller d'une douce lueur. La même que Luna mais en argent au lieu d'être en or. Il écarquilla les yeux. Et entendit vaguement Matthieu éclater de rire en voyant l'air ahuri que devait avoir son visage. Ça alors !

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Harry ne perçut pas grand chose de la fin du repas mais lorsque les chaises commencèrent à remuer à la table des professeurs et qu'il les vit tous se lever dans un ensemble quasi parfait, il salua Matt qu'il remercia pour la conversation durant le repas et sauta presque sur Luna qu'il entraîna rapidement à l'écart.

– Dis donc, Melle Lovegood ! l'attaqua-t-il avec un rire joyeux. Ou plutôt devrais-je dire Mme Patil ! Tu m'as caché bien des choses pendant notre scolarité !

Luna eut un sifflement admiratif puis se récria :

– Ce n'est pas Matt qui te l'a dit au moins ! Il avait promis !

– Non, il n'a rien dit ! On n'a même pas parlé de ça ! Mais tu as caché ton jeu bien longtemps !

Un geste évasif lui échappa presque comme un regret.

– Oh, tu sais, je n'en ai eu conscience que bien tard. Si je l'avais su plus tôt... Mais tu es tombé juste ! Comment as-tu su ?

Les yeux de Luna brillaient doucement dans l'obscurité qui descendait peu à peu sur la Grande Salle quasiment déserte.

– Vos alliances. Elles ont la même lumière !

Elle pencha la tête légèrement de côté avec un regard interrogateur.

– Quelle lumière ? Ce sont de simples alliances...

– Pas du tout, fit-il en secouant la tête. Tu ne vois pas qu'elles émettent toutes les deux une lumière particulière. Regarde, insista-t-il en prenant sa main, elle brille dans la pénombre...

Un rire le prit devant le regard navré de Luna qui ne voyait visiblement pas de quoi il parlait.

– Je ne sais pas où vous les avez trouvées, Luna, mais je doute que ce soit de banales alliances ! Il va falloir que tu m'expliques ça !

– Pas ce soir, Harry, répondit-elle avec un regard plus sérieux. Tu es fatigué et... j'ai entendu des bribes de ta conversation avec Matt, je crois que tu as beaucoup à penser... Et moi j'ai un tas de copies à corriger !

Il faillit râler sur le fait qu'elle les avait écoutés, mais elle avait malgré tout raison. Il était épuisé et ne tenait plus que sur un état de nerfs dont l'instabilité menaçait à tout moment. Il avait besoin de temps, au moins une bonne nuit de sommeil à défaut de mieux, pour tenter de mettre ses idées au clair et faire le tri dans ses sentiments. Il ne put qu'acquiescer et prendre congé. Après tout, Luna n'allait pas s'envoler pendant la nuit !

oooooo

Malgré toute sa bonne volonté et une fatigue évidente, le sommeil le fuyait. Trop de paroles à repasser en mémoire, trop d'éléments nouveaux à enregistrer, à mettre en perspective, trop de sollicitations, Harry se sentait noyé et submergé par tous ces événements. Après s'être retourné dans les draps pendant ce qui lui semblait être des heures, il finit par se lever et passer un pantalon. Dans la cheminée du salon, quelques braises rougeoyaient encore, conservant une douce température, et jetaient dans l'appartement une lueur vacillante peuplée d'ombres.

Il se laissa tomber dans le canapé. Ce matin même, Severus était assis en face de lui, lui jetant des regards concupiscents à faire rougir de honte n'importe quel homme ou femme. À tout avouer, Harry devait bien reconnaître qu'il n'y avait pas été insensible et c'était davantage son propre trouble qui l'avait mis hors de lui, plutôt que le désir de Severus. Quelque part même, en cherchant bien au fond de ses pensées inavouées, il trouvait plutôt flatteur, après tant d'années, d'inspirer autant d'intérêt et d'envie à son ancien amour. Severus ne l'avait pas oublié et les sentiments qu'il n'avait pas eus autrefois apparaissaient aujourd'hui, peut-être trop tard, mais ils avaient le mérite d'exister. Quelque chose comme une douce vengeance qui venait amenuiser les regrets de Harry. Severus comprendrait-il tout à fait ce qu'il avait ressenti cette année-là ? Cet amour et ce désir à sens unique, impossibles à concrétiser, sources de bonheur tout autant que de douleur.

Harry était pourtant certain que Severus était toujours aussi épris de Lucius que ce qu'il avait pu voir dans son esprit. Ne serait-ce que ces gestes envers son compagnon à l'hôpital, ce souci permanent de sa santé, cette attention constante... Lucius était la toile de fond de la vie de Severus, un décor immuable et rassurant qui n'empêchait pas les tentations mais qui faisait qu'il reviendrait toujours vers lui.

Harry soupira. Quel rôle jouait-il dans tout cela, hormis celui du grain de sable qui venait enrayer une machine bien huilée ? Le serment qui le liait à Lucius lui liait littéralement les mains. Il ne restait qu'à faire taire ses émotions.

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ooOOoo

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Quand il revint le lendemain chercher la troisième potion, Severus trouva porte close chez Potter. Avant même de parvenir devant les appartements, il sentit qu'il n'allait trouver personne. Harry lui faisait faux bond ! Mais il avait tout de même besoin de la potion pour Lucius... et il était hors de question de faire le pied de grue en attendant son retour !

Par acquis de conscience, il frappa quelques coups sourds sur la porte, tout en maugréant des récriminations contre cet... Un parchemin apparut brusquement devant ses yeux. Qui n'était pas là quelques secondes auparavant. Il éloigna sa main et le parchemin disparut. Intéressant... Il tenta à nouveau le même geste et le phénomène se répéta.

– Toi ! cria-t-il en alpaguant un élève de première année qui passait malencontreusement par là. Viens ici ! Touche cette porte !

Le jeune garçon le regardait avec une mine épouvantée, tout autant terrorisé par le regard noir et vindicatif de cet inconnu que par les conséquences incertaines de ce qu'il lui demandait de faire. Devant tant d'hésitation apeurée, Severus attrapa sa main et la colla d'autorité contre la porte. Rien.

– File, siffla-t-il entre ses dents en lâchant le gamin tremblant.

Il reposa sa main sur la porte et le parchemin réapparut. Très intéressant. Potter avait doublé son sort de camouflage d'un sortilège de reconnaissance. Le parchemin n'apparaissait que si c'était lui qui touchait la porte... Comment diable avait-il fait ?

Severus attrapa et déroula le parchemin. Sous ses yeux, une belle écriture régulière avait tracé quelques mots à l'encre bleue « Severus, Vous pouvez entrer, vous trouverez la potion sur la paillasse dans le laboratoire. Mes amitiés à Lucius, HP » Et pas un mot pour lui !

Il maugréa en posant sa main sur la poignée de la porte qui se déverrouilla à son contact et pénétra dans les appartements de Potter. L'endroit était bien évidemment désert. Le salon au fond, le laboratoire sur sa droite... Il jeta même un coup d'œil dans la salle de bains où Potter avait disparu à demi-nu la veille... malheureusement personne. Un frisson le parcourut à l'évocation de ce faune bondissant qui l'avait si bien tenté, sa peau si sensuelle luisante d'humidité, cette serviette enroulée autour de lui qui cachait tant et si peu à la fois, et le sourire espiègle qui avait traversé de part en part son visage envoûtant. Il dut lutter pour chasser l'image de son esprit et réprimer la crispation de désir qui naissait dans son ventre.

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La potion se trouvait bien sur la paillasse du laboratoire, dans un petit flacon de verre, encore tiède. Potter avait dû finir la préparation et s'éclipser très récemment. Avait-il vraiment quelque chose à faire, ou simplement ne souhaitait-il pas le voir ? Son message ne comportait même pas une excuse pour son absence ! La veille, leur conversation s'était terminée abruptement; l'irruption de Luna Lovegood y avait mis un terme prématuré et Severus n'avait pas eu le temps de poser toutes les questions qui le taraudaient.

Mais avant cette interruption, il avait bien perçu le changement d'humeur soudain de Potter, une sorte de colère muette qui avait surgi entre eux sans qu'il sache exactement pourquoi. Il s'extasiait dans sa contemplation silencieuse tout en parlant de Draco et brusquement l'orage était survenu. Impossible que Potter ait lu quoi que ce soit dans son esprit, il avait bien pris soin de relever toutes ses barrières mentales, et il aurait senti la moindre tentative d'intrusion. Mais la tension était pourtant montée dangereusement et Severus n'était qu'à moitié surpris de ne pas le trouver dans ses appartements aujourd'hui...

Cela n'augurait rien de bon. Il avait cru retrouver une certaine complicité avec Potter mais cette soudaine volte-face l'inquiétait. Il avait tant envie de renouer un lien avec lui... Le souvenir de leur relation et de leur rapprochement avorté le hantait depuis des années. Il s'était longtemps maudit de s'être réveillé trop tard ou de n'avoir pas su y faire. Il y avait retrouvé Lucius, mais en gardant le sentiment d'être passé à côté d'autre chose...

Mais aujourd'hui, il ne savait plus qui était Potter. En quelques jours, il avait montré tant de visages différents... le sorcier d'une puissance invraisemblable qui avait soigné Lucius, le jeune homme espiègle et malicieux qui l'avait traîné au Sarawak puis l'avait nargué à la sortie de sa douche, l'être sensible et soucieux qui s'était ému de la paternité d'un ancien ami... pour finir sur cette rage sourde et sanguine qui ressemblait davantage à l'adolescent qu'il avait connu. Quel que soit le visage, Severus avait été charmé... fasciné par la puissance de la magie, amusé par l'esprit vif et moqueur, séduit par cette humanité et cette tendresse inattendues. Atterré par ce sentiment que quelque chose était venu tout gâcher, sans qu'il comprenne exactement quoi.

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Il rangea le flacon de potion dans sa poche et releva la tête. C'était là, juste devant lui, au pied de cette armoire, qu'il avait revu pour la première fois Harry en tête à tête, en train de retirer sa chemise avant de transplaner dans la jungle. Il avait été pris d'un désir irrépressible à le voir torse nu se pavaner devant lui... Severus ne put s'empêcher de sourire à ce souvenir. Et la sensation qu'il avait éprouvée lorsqu'il avait saisi la main de Potter... lorsqu'ils avaient transplané... quelque chose d'indicible qui l'avait bouleversé jusqu'au fond du cœur.

Comment diable Potter avait-il fait pour transplaner d'ailleurs ? De mémoire, il était tout aussi rigoureusement impossible de transplaner depuis Poudlard que de localiser le château sur une carte ! Est-ce que les règles avaient tellement changé depuis qu'il n'était plus professeur ici ? Severus se concentra et tenta d'esquisser un mouvement vers le Manoir Malfoy... Rien à faire. Il se heurtait à une barrière intangible qui l'empêchait de se déplacer.

Quel que soit l'endroit dans le laboratoire, plus ou moins près de l'armoire, là où s'était tenu Potter... impossible. Il lâcha un long soupir agacé. Ce décalage dans la magie était à la fois impressionnant et humiliant. Même s'il avait vaincu Voldemort – avec de l'aide et une sacrée chance soit dit en passant – Potter n'avait pas non plus été un élève exceptionnel. Moins bon que lui au même âge. Mais aujourd'hui... Sa fierté en prenait un sacré coup.

Severus retourna vers l'entrée des appartements avec un sentiment de frustration intense, à la fois de n'avoir pas vu Potter, de ne pas s'être expliqués comme il l'aurait souhaité, mais aussi le désagréable sentiment d'avoir affaire à bien plus grand que lui. En passant devant la porte ouverte du salon, il fut pris d'une curiosité indécente et s'avança lentement vers la pièce baignée d'une douce lumière de printemps.

Un canapé, des fauteuils, une table basse. Une bibliothèque vide... Un secrétaire vide également. Les rares objets de décoration, tableaux sur les murs ou statues, étaient à l'image de la décoration du château, anciens, poussiéreux, les mêmes que ceux qui parsemaient les couloirs et les salles communes. Severus chercha autour de lui ce qui le mettait tellement mal-à-l'aise, avant de se dire que l'atmosphère était tellement impersonnelle que l'endroit paraissait inhabité. Il n'y avait rien de Potter ici, ni livre, ni objet, ni souvenir, rien qui ne traîne et qui donne un tant soit peu une impression de vie. C'était comme s'il ne logeait pas dans ces appartements.

Severus s'en voulut de faire preuve d'une indiscrétion malsaine mais il ne put s'empêcher de pénétrer lentement dans la chambre, et l'impression était la même. Pas de bagages, aucune affaire personnelle. Dans un placard, quelques pantalons et quelques chemises... lin, ivoire ou blancs, et c'était tout. Pas même de sous-vêtements ! Tout était désespéramment vide, Potter semblait ne pas avoir d'existence... Seul élément surprenant dans la pièce, un épais grimoire trônait sur la table de chevet.

Severus s'approcha avec une curiosité renouvelée mais le titre sur la couverture le refroidit : de la botanique ! Il l'ouvrit là où la bande de tissu bleue marquait la page et aperçut le dessin d'une étonnante plante rouge qu'il ne connaissait pas. Rafflesia Arnoldii:la fleur ne possède ni feuilles ni racines et dégage une forte odeur de charogne en putréfaction afin d'attirer les insectes pollinisateurs, ce qui lui vaut le surnom de « fleur-cadavre »... Charmant !

Severus se laissa lourdement tomber sur le lit, il était désemparé et sentait monter les prémices désagréables d'une migraine. Il se massa longuement les tempes en réfléchissant. Potter voulait-il réellement l'éviter ou non ? Quel moyen avait-il de le revoir pour éclaircir tant de points obscurs... ? Comment renouer un contact qu'il espérait plus profond que la simple évocation de souvenirs anciens ? Il prit sa baguette et fit apparaître un parchemin et une plume. Puisque Potter aimait laisser des messages, il allait faire de même... À peine quelques mots, une invitation... « J'aimerais poursuivre notre conversation. S » Il abandonna le parchemin sur le lit; de toute façon, Potter sentirait bien qu'il était venu jusque là, autant ne rien lui cacher...